Chasser les ombres (Nuage de Nacre)

Des yeux ouverts et des écoutilles matures.
Il n’en fallait pas plus pour que Petit Blé et sa fratrie soient en mesure d’explorer les environs. Cela faisait quelques semaines qu’ils étaient tous confinés dans la Pouponnière et celle-ci commençait déjà à devenir trop étroite pour leurs enfantillages. Dans un premier temps, ils s’était amusés dans leur nid ; puis en dehors, et ils prenaient désormais la Pouponnière d’assaut, devenue un véritable chantier de jeu nécessitant un entretien régulier de la mousse et du reste de la litière…Fleur de Gingembre culpabilisait moins de pouvoir prendre un peu de temps pour elle et sortait au moins prendre le soleil printanier à l’entrée de l’antre : les petits ne risquaient pas de s’échapper et demeuraient sous la surveillance d’autres reines, des chatons plus âgés, d’apprentis voire de Grenouille lorsqu’elle était disponible.

Les petits de Fleur de Gingembre faisaient montre d’un sens de l’indépendance assez développé vis-à-vis de leur mère. Celle-ci leur était plus que dévouée, mais l’amour qu’elle leur portait relevait davantage de la loyauté et du devoir que d’un amour parental au sens pur : un peu plus fort qu’un fort qu’un lien clanique, mais on pouvait faire mieux.

Dans l’antre, Petit Blé et sa fratrie s'adonnaient d’ores et déjà à des jeux de rôles, éternelle source d’apprentissage des codes, des lois et des mœurs de Clan. Petit Chacal faisait preuve d’un esprit rebelle que Petit Blé désapprouvait : contester des choix et des décisions, oui, car elle-même faisait preuve de cette même force de caractère qui les unissait. Mais il était systématiquement en train de désobéir quand c’était elle ou l’autre le Chef, alors qu’elle jouait le jeu de suivre ses instructions à la lettre quand il était aux commandes.

Ce jour-ci ne faisait pas exception aux autres, et Petit Blé commençait à perdre patience.

“On ne peut pas jouer normalement avec toi !” râla-t-elle avant de quitter l’aire de jeu pour oser se placer à l’entrée de la Pouponnière.

Sa mère n’était pas là. Elle s’aventurait rarement ici seule, car même s’il ne s’agissait que du seuil, elle n’était pas encore pleinement sûre d’avoir le droit d’être ici. Mais elle n’irait pas plus loin, du moins pas sans autorisation, alors elle ne faisait rien de mal. Du moins c’était comme ça qu’elle réfléchissait.

Le soleil du début de la saison des feuilles vertes faisait vraiment du bien à Nuage de Nacre. Avec son épaisse fourrure, elle n'avait pas craint le froid mais se réchauffer au soleil était si agréable. Quelques semaines plus tôt, il n'était pas suffisant pour casser la fraicheur, mais aujourd'hui on sentait la différence quand on entrain dans ses rayons. L'apprentie était allongée dans l'un d'eux et faisait sa toilette. Elle avait du travail, comme tous les jours, car les marais étaient très salissant pour son poil blanc.

Quand elle eut finit, elle resta allongée et observa le clan. C'était calme pour le moment, le gibier montrait à nouveau le bout de son museau, les chats n'étaient plus aussi affamé et la quête de nourriture prenait moins de temps. Ils avaient aujourd'hui un peu plus de loisir mais aussi la tête à pouvoir se reposer. Difficile de se dire qu'on va glander quand la réserve est vide et que les félins du groupe sont des sacs d'os.

Son regard se posa sur la pouponnière où elle vit une petite tête sortir. Une tête beaucoup trop petite pour que ça soit normal. Les trois chatons de Branche Pâle n'allaient pas tarder à venir la rejoindre dans la tanière des apprentis. Elle n'allait plus le rester longtemps, mais peut-être se croiseraient-ils un peu. Eux pouvaient déjà sortir pour explorer le clan depuis longtemps. Mais les petits de Fleur de Gingembre, eux, étaient encore beaucoup trop jeune. Elle se leva d'un bond pour trottiner vers l'entrée. Mieux valait lui couper l'accès tout de suite que de le laisser prendre froid.

" Bah alors, qu'est-ce que tu fais ici ? "

Lui demanda-t-elle en souriant en venant s'assoir devant le minuscule chaton, lui coupant à la fois la sortie mais aussi le vent frais. C'était Petit Blé, elle l'avait vu quand elle était née avec son frère Petit Chacal. Mais depuis, elle n'était plus venue la voir. Les chatons, n'étaient pas vraiment son truc. Enfin, pas plus que ça. D'ailleurs, la gamine ne se souvenait certainement pas de sa visite, donc elle ne devait pas savoir qui elle était.

Petit Blé observait la chatte blanche s’approcher d’elle d’un pas déterminé. C’était Nuage de Nacre : elle en était presque entièrement convaincue, car elle avait une excellente mémoire des noms et de leurs descriptions associées, et la Pouponnière était, à l’image de l’antre des anciens, le lieu idéal pour des on-dits et des commérages à tous bouts de champ.
Elle se mit à douter : peut-être n’avait-elle pas le droit d’être là, après tout. Elle se figea, s’attendant à quelque remarque réprobatrice mais il n’en fut rien. Rien ne servait de faire demi-tour, sinon passer pour une capitularde. Elle sentait un besoin irrésistible de se faire petite malgré tout. Au lieu de cela, elle cessa de résister contre son envie de se réfugier dans la Pouponnière et commença à faire sa toilette avec ardeur pour décharger toute cette inquiétude de se faire gronder.

Il n’en fut rien. Nuage de Nacre s’asseya juste devant elle et lui demanda les raisons de sa présence ici.
Petit Blé savait que la question contenait une part de méfiance. Ce n’était pas le moment de se démarrer une réputation de chaton désobéissant voire plus risqué, insoumis. D’autant plus que rigueur et discipline étaient les mots d’ordre du Clan de l’Ombre et il valait mieux ne pas faire partie des dissidents, bien qu’elle ne risquait rien par rapport à son âge.

“Je suis sortie profiter de l’air frais et je voulais faire ma toilette” répondit-elle sans s’embarquer dans un brouillamini d’excuses. Elle pensa à rajouter qu’elle ne comptait pas faire un pas de plus, qu’elle allait bien sûr se cantonner à rester là mais à bien y réfléchir et même si c’était vrai, cela donnait quand même l’impression de se chercher des excuses. Elle n’ajouta donc rien de plus et ponctua sa réponse d’un regard interrogateur. Nuage de Nacre était une forte tête mais pas réputée pour être un tyran : plutôt du genre dure à cuire.

Autour du camp, pins et cèdres craquaient sous les chaleureux rayons du soleil. Les conifères se dressaient, semblables à des spectres pétrifiés, formes imposantes couvertes d’aiguilles. A mesure que l’astre montait, les ombres se paraient d’un camaïeu de verts et leurs contours brillaient tels des fantômes étincelants dans la lumière sérotinale.

“Ton entraînement se passe bien ? Tu vas bientôt passer l’évaluation et devenir guerrière, n’est-ce pas ?” demanda Petit Blé pour engager un peu plus loin la conversation, et aussi parce qu’elle en avait un peu marre de toujours interagir avec sa mère, la fratrie et les autres chatons et que s’intéresser aux autres permettaient de changer de refrain.

La petite chatte semblait détendue, pas prise la patte sur le tas de gibiers. Elle se contenta de dire qu'elle voulait un peu d'air frais et faire sa toilette. Nuage de Nacre n'était pas dupe. Quand elle était chaton, il n'y a pas si longtemps que cela, elle rêvait de sortir de la pouponnière pour jouer librement dans le camp. Puis elle avait rêvé de pouvoir sortir du camp, regardant avec envie juste à limite de la sortie. Aujourd'hui elle aspirait à sortir seule. Elle remua les moustaches.

" Ne prend pas froid, ce serait bête d'attraper le mal vert. "

C'était dit avec légèreté alors qu'en réalité, c'était très grave. Mais Nuage de Nacre n'avait pas connu de grosse épidémie cela dit. C'était donc difficile de juger. Le chaton la questionna sur son entrainement. C'était peut-être une façon de détourner l'attention de son aînée, mais qu'importe, elle restait techniquement dans la pouponnière donc elle avait l'esprit tranquille.

" Ca se passe. J'imagine que ça ne devrait plus tarder en effet. Je me sens prête en tout cas, même si je sais que j'ai encore beaucoup de chose à perfectionner. "

Elle se donna un coup de langue sur la patte qu'elle passa sur son visage. Petite Fourmi semblait être optimiste, mais il la couvait beaucoup. C'était pour ainsi dire devenu son père. Donc que penser de ses compliments ? Est-ce qu'il les pensait vraiment ?

" Et toi, impatiente de venir rejoindre la tanière des apprentis ? "

Question idiote, tous les chatons sans exception en rêve. C'est pour eux le moyen de prouver que ce ne sont plus des bébés et de totalement se libérer de l'entrave de leur mère. Ils s'imaginent faire la fête à pas d'heure avec les autres apprentis. Le dur retour à la réalité se fait quand ils se rendent compte dé le premier jour qu'ils sont trop crevés pour faire quoi que ce soit à part dormir.

Impatiente ? Quelle question ! Petit Blé lui adressa un regard entendu.

“De toute évidence !” rétorqua-t-elle en s’étirant de tout son long. Une petite crête velue se dressa sur son dos sous le coup du frisson procuré. Un sentiment de futilité l’habitait depuis qu’elle était en mesure de voir, entendre et se mouvoir indépendamment de sa mère, sentiment qu’elle repoussa péniblement : elle se dit qu’elle devrait s’estimer heureuse d’avoir tout le temps de plusieurs lunes à rester à la Pouponnière et s’y prélasser pendant que les autres étaient à son service. En voyant passer les guerriers affairés et apprentis de corvée, elle n’éprouvait qu’une envie, celle de s’intégrer à la ruche et vivre comme eux, avec eux. Et puis, les apprentis semblaient tout de même avoir du temps pour s’amuser. C’est que ça ne devait pas être si accablant que ça de passer en dernier !

“Qui sait…” marmonna-t-elle en détournant le regard pour embrasser la place aiguille de tout son champ de vision. “Quand tu seras guerrière et que tu auras quelques lunes supplémentaires, je serais peut-être nommée pour devenir ton apprentie.”

Petit Blé était vraiment très curieuse de savoir qui serait son mentor, de savoir qui elle devrait supporter ou apprécier durant six lunes au bas mot… Ce qui était certain, c’est qu’il faudrait qu’elle s’adapte à son ou sa future mentor et cette idée la tracassait quelque peu - disons, de très loin dans sa tête, car l’envie d’être baptisée et recevoir son nom d’apprentie lui importait plus.

“J’espère être l’apprentie d’un guerrier ou d’une guerrière à l’esprit tranquille. Quelqu’un qui saura me transmettre les choses tel que j’en ai besoin et qui prendra le temps de m’expliquer mes défauts ou mes erreurs au lieu de me sermonner avec virulence, car quand on me crie dessus, ce qui ne m’est encore jamais arrivé sauf avec Petit Chacal, eh bien, ça me fait faire les choses de travers et j’apprends moins bien, je retiens moins vite. Voir, si je suis très énervée, je me mets en colère et je me braque.”

Elle s’attaqua à la toilette de son dos. Non contente de déjà vouloir être apprentie, il fallait au moins savoir se montrer présentable pour le jour J, et cela commençait par un brin de toilettage.

“Tu connais des adultes comme ça ?” demanda-t-elle. “Si seulement on pouvait discuter avec les guerriers et convenir d’être leur apprenti ou non.”

Bien sûr, cela entraînerait de nombreux biais, mais dit comme cela, l’idée paraissait idéale. Cela ferait un tracas en moins à supporter. L’expression “avec des si, ou pourrait refaire le monde” convenait tout à fait avec cette jeune minette jamais à court d’idées. À l’avenir, elle devrait peut-être faire attention : son Clan, le terrible Clan de l’Ombre à la réputation la plus vulgaire, le plus inconséquente et la plus méchante qui soit, n’était pas du genre à changer de mœurs toutes les quatre lunes… Mais il était encore possible que cela évolue avec le temps, et qu’elle se plie aux règles sans problème une fois un peu plus mature émotionnellement.

Petit Blé s’allongea. À cette heure de l’après-midi, le soleil perçait la canopée d’aiguilles et filtrait à travers la cime des arbres pour baigner la combe d’une clarté flavescente et peindre le sol de reflets rubiconds. C’était toujours un plaisir de le constater, mais profiter de la chaleur des rayons avait meilleur goût que d’en profiter depuis la Pouponnière. Elle était vraiment très déçue chaque fois que le soleil disparaissait, trop bas pour illuminer le camp aussi bien que maintenant. Fleur de Gingembre lui avait dit de ne pas s’inquiéter : avec la saison des feuilles vertes, ce moment durerait encore plus longtemps, jusqu’au soir, et les couleurs promises par sa mère étaient flamboyantes ! Elle lui avait même dit qu’elle fuirait cette chaleur quand l’astre frapperait sans ménagement le camp de ses rayons implacables les jours de canicule, mais pour lors, Petit Blé ne savait pas ce qu’était une canicule et de toute façon, ces jours-là lui paraissaient bien trop lointains pour devenir réels.

Comme elle l'avait dit plus tôt, Petit Blé se mis à faire sa toilette tout en parlant à Nuage de Nacre. C'était encore un peu maladroit comme bain, sa mère devrait repasser après elle. La femelle s'efforçait de ne pas faire de commentaire pour lui dire comment mieux faire, elle était encore si jeune ... Mais ça lui brûlait les lèvres. Elle luttait très fort contre elle-même.

" Oui peut-être que je serai ton mentor ... Il y aurait des guerriers qui devront prendre Petit Chacal, Petit Crapaud, Petit Pigeon et Petit Moustique. donc ça fait beaucoup de chaton ! Et en plus, Nuage de Corbeau vient d'être nommé apprenti. Donc oui c'est possible. "

En réalité, ça semblait presque ne pas être le cas. Ou alors, il fallait vraiment que Nuage de Nacre soit nommée dans les prochains jours pour lui laisser le temps de faire ses griffes en tant que guerrière. Mais bon, peut-être était-ce une meilleure idée de nommée une novice que Orage d'Or ? Probablement ...

Petit Blé lui expliqua son besoin en terme de mentorat. Elle aimerait pouvoir avoir un mentor qui ne s'emportera pas contre elle car elle avait tendance à mal réagir aux cris. C'était compréhensible, personne n'aimait se faire crier dessus. Heureusement, il y avait pas mal de chats dans le genre au sein du clan.

" Oui bah il y a Petite Fourmi, mon mentor actuel, qui est vraiment super. Grassette Tremblante aussi, c'est un modèle de douceur et en plus c'est notre lieutenant, ça serait super stylé que tu l'ai. Grenouille est très chouette aussi, d'ici que tu devienne apprenti, elle ne devra plus s'occuper de ses enfants adoptifs. Douce Caresse est adorable aussi. Et Crocs Féroces, mais je ne sais pas si il est prêt à recevoir un apprenti. "

Elle rit car elle était bien plus jeune que le matou, mais pourtant elle était beaucoup plus mature que lui ne le serait peut-être jamais. Elle l'aimait beaucoup pour ça mais il n'était surement pas assez responsable pour avoir le futur d'un chaton entre les pattes.

" Enfin, si tant est qu'ils soient tous toujours disponible quand tu seras nommée. "

Petite Fourmi c'était pratiquement certain, à moins qu'on ne le réassigne tout de suite et que Nuage de Nacre devienne guerrière avant le baptême des petits de Branche Pâle. Ca faisait beaucoup de si ...

" Et je sais qu'un guerrier peut demander à Etoile Feulante pour avoir un apprenti, mais je ne suis pas certaine que l'inverse soit vrai. "

Puis elle n'y tint plus, il y avait des touffes entières de poils qui n'avaient pas été nettoyée par la jeune chatte et en plus de ça, elle trouvait qu'elle ne léchait pas sa fourrure sur tout le long du poil. C'était trop dur de résister ...

" Attend regarde. Pour faire ta toilette, tu dois bien lécher tes poils de la base près de ta peau jusqu'au bout. "

Elle lui montra sur son poitrail. Sa fourrure était beaucoup plus longue que celle du chaton, mais c'était pour lui donner l'idée.

" Il faut bien le faire partout, tu as oublié plein de poils ! "

Pour ne pas paraitre trop dur, elle lui sourit et remua les moustaches.

Avoir Nuage de Nacre comme mentor, ça ne serait pas trop mal, pensait Petit Blé. La chatte au poil couleur coquillage partageait la maturité des vétérans, ce qui manquait à bon nombre de guerriers et reines pourtant largement plus âgés et, par extension, plus expérimentés. En tout cas, elle en avait la confirmation, cela faisait de nombreux candidats. Tout au fond d’elle, trouvait quand même cela dommage qu’un guerrier puisse demander à choisir son apprenti, quitte à voir sa demande refusée, mais pas l’inverse ; comme si un chaton n’était pas en mesure de savoir ce qu’il voulait ou pas, ce qui était bon pour lui. En y réfléchissant, elle se dit qu’il n’y avait pas que du faux : elle voyait mal Petit Chacal faire preuve de jugeote et choisir un mentor qui lui conviendrait - il n’était de toute façon pas du genre à songer à ce genre de chose. Mais elle au contraire, avec un peu de temps, pensait avoir une idée de qui elle aimerait apprendre au moins quelques jours avant son baptême.

Et elle serait tout à fait prête à essuyer un échec, si c’était le juste prix à payer pour une telle démarche.

Petit Blé s’apprêtait à lui répondre quand Nuage de Nacre s’exclama avec virulence de la qualité douteuse de sa toilette. La chatonne se figea, releva la tête et la regarda droit dans les yeux, sans défiance ni interrogation. Deux flavescentes petites braises qui vinrent scruter avec attention le visage de son interlocutrice, sans émettre quoi que ce soit. Quelque chose d’assez indéchiffrable.

Petit Blé faisait toujours de son mieux (ou, à défaut, jamais les choses à moitié). C’était ce que croyait dur comme fer son regard de chatonne inexpérimentée, qui n’était pas en mesure de voir les défauts ou les oublis ; ça, c’était une qualité que seule la pratique et les mises à l’épreuve de la vie ponceraient avec le temps.

C’était toujours un peu agaçant de se faire reprendre quand on faisait de son mieux (du moins, qu’on croyait le faire) mais en même temps, il s’agissait d’une nécessité. Petit Blé la regarda faire, un peu abasourdie, avant d’imiter le même geste. Il lui semblait qu’elle ne faisait rien de différent de tout à l’heure, qu’elle ne faisait que répéter sa toilette, ce qui avait quelque chose de lassant mais soit : si elle faisait mal quelque chose, alors elle devait le refaire en mieux et c’était comme ça.

“Là, ça va mieux ?”

Elle se pourlécha les babines pour chasser l'excédent de duvet qui lui tombait du ventre.
Non, apparemment, ça n’était pas mieux. Petit Blé commençait à se dire que Nuage de Nacre serait un mentor trop pénible et assommant, et qu’il valait mieux la refourguer à un chaton comme Petit Chacal, qui avait bien besoin qu’on soit constamment sur lui. Elle passa et repassa sa langue partout où ses contorsions les plus étranges pouvaient le lui permettre, en se disant au bout du quatrième passage que là, ça commençait à faire beaucoup, et que cela ne servait peut-être à rien, quand elle décida de se secouer sur toute la longueur pour faire voler les poils morts et s’en débarrasser définitivement. Après quoi elle se passa encore quelques coups de patte humide sur sa tête pour se lisser les moustaches et les oreilles.

“Bon” reprit-elle, désireuse d’oublier cette histoire de toilette. “Penses-tu qu'Étoile Feulante serait d’accord pour me recevoir afin que je lui fasse part de mon idée de choix de mentor ? Un choix qu’il serait tout à fait en mesure de refuser, après tout c’est lui le Chef. Mais je pense que ça vaut le coup d’essayer. Ça t’intéresserait ? Si oui, tu viendrais avec moi le voir ?”

Petit Blé, mue par une liberté démiurgique, se disait que cela ne pouvait que bien se passer. Au mieux, il l’écouterait - ou ferait semblant de l’écouter - et déclinerait tranquillement sa proposition. Au pire, elle se ferait refouler et on n’en reparlerait plus jamais, sauf pour se moquer d’elle, ce qui n’était pas un problème.

C’est en semant les graines du renouveau que l’on obtient, si l’on attend patiemment, les prémisses du changement.

La jeune chatte sembla écouter la remarque de Nuage de Nacre puisqu'elle s'était arrêté pour la regarder de faire et avait repris. Ce n'était pas vraiment mieux mais au moins, elle était passé partout, son pelage n'était pas nettoyé à fond mais suffisamment et de façon uniforme. La blanche aurait bien rajouté quelque chose, mais Petit Blé ne semblait pas vouloir avoir plus de conseil puisqu'elle coupa court à cette discussion pour revenir à la charge avec son idée de parler à Etoile Feulante pour ses idées de mentorat.

" Bah écoute, tu ne perd rien à demander, je pense ... Dans le pire des cas il te dira non, j'imagine. "

Demander ne coutait jamais rien au final, surtout que ce n'était pas comme si Etoile Feulante était un chef très à cheval sur les règles et les usages. Il ne semblait pas très intéressé par la vie de son clan ceci dit, est-ce que répondre aux demandes d'un chaton étaient vraiment tout ce qu'il avait de mieux à faire ? Bonne question ... Nuage de Nacre ne le côtoyait tout simplement pas. Elle le croisait, le saluait, mais ils n'avaient jamais eut une véritable discussion.

" Par contre, attend peut-être d'être un peu plus vieille pour ça. Parce que d'ici là, il y aura des mentors qui seront pris. Tu ne pense pas ? "

Ou de nouveau sur le marché, qui savait. En tout cas, Nuage de Nacre elle n'aurait pas tenté le coup. Elle se disait que le chef aidé par son lieutenant devait savoir se qui était bon pour le clan. D'ailleurs elle n'avait pas été déçue par son propre mentor. Donc ça ne serait surement pas le cas pour Petit Blé. Il y avait de bons candidats dans le clan.

“Ah, tu penses qu’il ne me prendra pas au sérieux, c’est ça ?” répondit la chatonne, un peu désabusée.

Au moins Nuage de Nacre pensait comme elle, donc elle ne se trompait probablement pas sur le compte d'Étoile Feulante et elle avait la confirmation que le chef avait d’autres choses plus importantes à faire que d’écouter les requêtes d’un chaton qui n’avait pas vécu une fraction des incroyables aventures qui composaient sa vie. Une minus comme elle n’avait rien à lui apprendre, sinon la patience d’avoir affaire à des petits.
Elle était tout de même un peu… déçue, de constater que Nuage de Nacre n’avait pas l’air bien persuadée de la démarche. Tant pis. Soit elle essayerait auprès de quelqu’un d’autre, soit elle irait le faire toute seule le jour où elle aurait suffisamment de cran pour aller parler à Grassette Tremblante ou tout autre matou en mesure de lui donner son autorisation, approbation ou accompagnement. Ou bien elle n’avait qu’à abandonner, mais elle n’était pas de ces bords-là…

Et puis, l’apprentie avait raison sur un point : il fallait encore attendre de savoir qui resterait disponible pour être éligible à son apprentissage. Encore qu’elle aurait pu “réserver” un mentor, mais là, c’était aller trop loin dans les présomptions, surtout compte-tenu du caractère de leur chef.

“Et qu’est-ce que tu trouves le plus dur quand on est apprentie ? Je veux dire, les tâches, les corvées, les sacrifices, la chasse, le combat, la course, l’escalade… il doit bien y avoir des choses que tu préfères et d’autres moins ? J’ai l’impression que c’est le cas de beaucoup de monde ici. Je vois souvent les mêmes partir en patrouille ou aller en chasse.”

En écoutant les autres arpètes de la forêt parler de leur entraînement, elle espérait se faire une idée du sien. Une initiative défectueuse pour un chaton aussi jeune, qui pensait déjà avoir une idée de ses capacités alors qu’elle n’en avait même pas encore pleinement le contrôle - cela faisait à peine quelques jours qu’elle arrivait à marcher en supportant le poids de son corps, sans basculer d’un côté puis de l’autre comme un oiseau nu au nid.

Le chaton se fourvoyait sur ce que Nuage de Nacre voulait dire. Le bout de la queue de l'apprentie se mit à bouger, pas par impatience mais par frustration d'avoir mal exprimé ce qu'elle voulait dire.

" Non tu m'as pas compris. Ce que je veux dire, c'est que tu es encore loin de ton apprentissage. D'ici là des guerriers ne seront plus disponible car ils seront les mentors de tes trois camarade de pouponnière. Et en plus de cela, d'ici quelques lunes, tu auras peut-être des envies et des besoins différents de ce que tu as maintenant. "

Les besoins et les envies, ça changeait tout le temps, de toute façon. Mais autant maximiser ses chances en se connaissant elle-même mieux. Elle était si minuscule et si jeune. Pourtant, elle semblait déjà avoir des idées fortes dans la tête. Ca présageait du bon pour l'avenir du clan.

Puis elle la questionna plus amplement sur son apprentissage. Plus précisément sur les tâches qui étaient les plus durs et celles qu'elle préférait. Evidement tout suite elle avait ses chouchous et ses pire ennemis qui lui venait en tête. Tout le monde avait effectivement ses préférences mais aussi les tâches où ils étaient bons. Et exceller dans quelque chose ne voulait pas dire qu'on aimait ça.

" Moi j'adore chasser. Mais le soucis c'est qu'avec mon pelage blanc, hors saison des feuilles mortes je pars avec un désavantage ... Je dois me rouler dans la boue et c'est un enfer pour tout nettoyer après. Par contre, je n'aime pas grimper trop haut, pas plus de quelques queues de renards. "

Non pas qu'elle avait le vertige, mais quand elle était plus jeune, elle avait glissé d'une branche et avait manqué de se noyer dans le marais. Ca l'avait marqué. Marqué suffisamment pour qu'elle refuse de nager aussi. Tant qu'elle avait pattes, tout allait bien, mais une fois qu'elle les perdait s'était la panique à bord.

" Toi là maintenant tout de suite, tu pense que tu voudrait travailler quoi en premier ? "

Quand Petite Fourmi le lui avait demandé, elle avait voulu se muscler. Elle était consciente qu'elle était trop frêle quand elle était devenue apprentie. Aujourd'hui, sa masse avait bien gonflé et elle était assez baraquée mine de rien. Nuage de Nacre avait bien travaillé !