Esprit Soucieux ▼ I saw a priest kill a cop on the TV

Je suis beau. Non, pas narcissique, ça c'est bon pour Dernière Danse, t'es mimi kiddo tu me mets pas dans le même panier que ma sœur. Moi, je suis un type réaliste, pragmatique. Logique. Et en toute logique, avec ma grande taille, mes membres fins, mes muscles noueux et mon pelage couleur ardoise, avec ses reflets moirés, je suis beau. Peut-être un peu maigre, faut dire que je jeûne de temps à autre, mais beau. Et t'as vu mes yeux ? Eh, deux prunelles vert émeraude, vert sapin, vert chlorophylle et vert forêt, tu serais de mauvaise foi de les considérer comme laides.

Bon, je suis d'accord, je ne suis pas parfait. Je n'ai jamais prétendu l'être, et je ne le souhaite point. Mon épouse vogue dans les cieux babe, rien ne me détournera du Clan des Étoiles. Je suis donc bien aise si mes nombreuses cicatrices - sur les épaules, au niveau des ergots, au creux des cuisses, marquées sur mon dos et profondes sur les flancs - et mes oreilles dentelées de coupures, de trous et d'écrous éloignent de moi les chattes.

Attends. Je rêve ou t'es en train de te foutre de ma gueule en me regardant marcher ? J'espère pour toi que c'était un rire nerveux kiddo, fait gaffe à toi, la prochaine fois que t'es malade tu risques bien de vomir un peu plus que de nécessaire... Enfin, oui, j'ai une démarche bizarre. Rigolote selon Esprit Lent. Enfin, pour elle, tout est rigolo. Ouais, ferme ta petite bouche maintenant, tu ne parles pas mal de ma sœur. Bref. Je disais quoi déjà ? Ah, oui. Bah, je marche de manière saccadée, j'ai des tics qui agitent ma queue de soubresauts, et quand je panique trop je peux tomber. Aha. Le guérisseur est encore tombé. Tu vois que c'est pas drôle.

En parlant de drôle. J'ai pas une aura qui attire beaucoup, je le sais. Pas que ça me dérange hein, les Étoiles avant tout, mais faut pas avoir peur de moi. Oui, je me confonds avec les ombres, oui je tressaille vite, oui je tire la gueule, je pense à la mort la décadence la fin du Clan la punition du ciel, oui je ne suis pas très agréable quand je te parle, mais je reste un guérisseur, dévoué corps et âme à son Clan.

Quand je suis né, je n’étais pas très actif. Je ne remuais pas trop. Ma mère, Cœur Blanc, avait peur que je ne passe pas les premières semaines de ma vie ; j’étais un poids dans son cœur, son Petit Souci. C’est sur, comparé à Boule Lente, qui courait après les poussières, et Petite Dernière, le chaton si mignon, si précieux, sortie in extremis de l’utérus de ma mère par le guérisseur, mais qui s’était si rapidement remise…Je faisais tâche.

even he'd like to end it too

Puis j’ai grandi. Mon petit corps s’est allongé, mes muscles se sont développés. Je ne vais pas mentir, à l’époque, je n’avais bien que les femelles en tête : comment les embrasser, les toucher ; leur fourrure, leurs doux sourires et leur œillades. Les femelles, pas les Étoiles. Pardonnez moi maintenant, je ne savais pas ce que je faisais.

C’est alors que l’événement est arrivé. Le genre de truc qui change une vie. Le genre de truc qui a changé ma vie. J’avais 6 lunes, je n’étais pas encore un apprenti. J’étais impatient, je voulais devenir un guerrier, un vrai, un dur. Alors, sans doute pour relever un stupide pari de Dernier Nuage, qui était devenue apprenti la nuit précédente, je suis sorti du Camp, en fin d’après-midi, avec Boule Lente. Je voulais chasser une proie imposante, un faucon ou une connerie du genre (ça va, j’étais petit), je me suis donc enfoncé dans la forêt de pinèdes, avec ma sœur. Elle était contente hein, si y avait personne avec elle, on la laissait pas sortir.

i saw a cop beat a priest on the TV

Et là, j’ai vu un putain de gros oiseau, un truc bien plus gros que moi. Il avait l’air blessé, il trainait de l’aile. Je me suis approché doucement, très doucement. A quelques longueurs de queue, je me lance et saute en sa direction ; Boule Lente crie de joie car elle a attrapé un papillon ; le faucon décolle ; je tombe. Noir.

and they know they killed our heroes too

J’étais dans un fossé, enchevêtré dans des ronces qui me lacéraient les flancs et le dos – ouais, ces cicatrices, tu suis – le ventre exposé. Je crie pour que ma sœur vienne, mais elle ne répond pas. J’apprends plus tard qu’elle avait trouvé une ruche. Elle est tellement innocente – la seule d’entre nous, pauvres pêcheurs.

we sing the death song kids

Alors je suis resté dans le fossé. Les yeux rivés au ciel, des épines fichées dans la chair. Et j’ai attendu – que l’aube se lève, que ma sœur revienne, que la douleur cesse que mon sang ne coule plus que le froid parte et me laisse pour que je dorme et le sommeil la douleur l’attente la douleur les étoiles. Les Étoiles. Tout ce qui me restait durant cette longue nuit. Nos ancêtres. Au début, je n’y croyais pas ; j’étais mal à l’aise. Mais la nuit porte conseil : au petit matin, j’avais les prunelles éclairées d’une lueur céleste aux dire de mon père. Mes cicatrices, ce sont des marques de cette ancienne voie de guerrier que je refuse maintenant.

because we've got no future

Je passe rapidement sur mon apprentissage – aux normes et efficace – pour me concentrer sur mon évolution mentale : finalement, je n’ai jamais connu les plaisirs charnels, les Étoiles me suffisent bien. Ça ne m’intéresse plus. Pire, ça me dégoute, et je rejette tout ce qui a attrait au sexe, donc fatalement mon autre sœur, Dernière Danse – belle, talentueuse, frivole. Maintenant, la moralité du Clan passe avant tout, pour que nos ancêtres ne nous abandonnent pas.

Puis ce fut le deuxième grand événement de ma vie : ma nomination. De Nuage Soucieux, je suis devenu Esprit Soucieux, le guérisseur qui marche bizarrement, celui qui appuie parfois un peu trop fort sur les plaies, celui qui marmonne des imprécations et jeûne pour son clan. Je veux bien prendre toute la misère de l’Ombre si le Clan en ressort plus grand. Je donnerai ma vie, je donnerai mon corps, les miettes de mon cerveau et mes derniers globules.

Voilà, c’est mon histoire. Guérisseur jusqu’à dans la moelle épinière, croyant au bout des griffes. Mais bon, sois pas timide kiddo, viens dans mon antre.