[BLIZZARD] The Other Side - end

Tandis que le soleil perçait avec difficulté la masse tombante de neige, Nuage de Saumon, récemment installé dans la tanière des apprentis, s'éveillait. D'abord, ce sont ses oreilles qui frémirent, réagissant à un bruit tout proche de craquèlement, sûrement dû aux pas d'un guerrier dans l'immensité blanche. Puis, ce sont ses yeux d'un bleu plutôt agréable qui s'ouvrirent sur l'antre vide. Seul, l'animal à la pelisse sable se mit à se toiletter. Le paraître était une chose futile, il en avait, au plus profondément de lui, conscience. Cependant, il était de bonne famille, et la pureté de son sang, et la grande lignée à laquelle il appartenait l'obligeaient, selon les dires de son père, à être irréprochable autant sur l'apparence que sur la conduite. Et puisqu'il n'était qu'un stupide matou craintif, il lui fallait au moins être d'une bonne hygiène.

Une fois sa toilette réalisée, l'apprenti blanc et fauve se décida à sortir de son dortoir. Entre-temps, la tempête s'était légèrement dissipée. Il balaya le Camp du regard, fuyant lâchement son mentor et lieutenant, Rivière Sombre. Si déjà le froid le piquait alors qu'il n'avait sorti que ses antérieures de son trou, il ne voulait même pas savoir à quoi ressemblerait son cadavre congelé une fois parti pour l'entraînement. Afin de mieux échapper aux griffes du guerrier massif et sombre, Nuage de Saumon choisit de filer du Camp. Oh, il n'irait pas bien loin, il avait pris connaissance des indications de son meneur : pas de sortie individuelle, juste assez pour qu'on ne le trouve pas. C'est donc avec cette idée en tête qu'il s'approcha du lit de la rivière, et le remonta quelque peu.

La rivière était gelée, mais on pouvait voir ça et là que la glace fondait sous les rares rayons du soleil qui parvenaient jusqu'ici. Parfois, l'apprenti devait plisser les yeux, alors ébloui par les reflets provoqués par la couche gelée. Soudain, le jeune mâle entendit un hurlement qui, nul doute, était félin. Son regard fusa à droite, à gauche, en quête d'une tache dans cette infinie blancheur. Guidé par un instinct inconnu, il suivit les quelques cris de détresse qui atteignaient ses oreilles, jusqu'à enfin apercevoir une masse noire, au loin, en plein milieu de la rivière givrée. Aussitôt, le novice sable s'élança en direction de l'inconnu, peut-être plus par curiosité que par bravoure. Il s'agissait d'un drôle d'individu, qui courrait en sa direction, tentant d'échapper aux brèches formées dans la glace et à l'eau glaciale qui logeait juste en dessous. Les yeux écarquillés, le félin aux allures de lynx hurlait. Pris de panique, Nuage de Saumon ne lui conseilla que très naïvement : « Cours ! ». Ce qu'évidemment, le mâle noir faisait déjà. Mais lorsque d'après des calculs très savants, le tout jeune apprenti saisit qu'en cas d'agression, il serait la victime, il ajouta : « ...Mais pas vers moi ! ». Alors, dans tout le courage qu'on lui connaît, il fit volte-face et galopa comme un fou dans la neige, comme s'il était poursuivi. Par moment, il se retournait furtivement pour prendre nouvelle de l'intrus.

Boom boom. Tap tap aap. Boom boom. Tap tap aap. Boom boom. Tap tap aap. KRRRR

J'entends mon coeur qui cogne fort dans ma poitrine et mes pattes qui martèlent la glace et chaque pas, chaque coup, chaque secousse en plus c'est un KRRR qui s'agrandit.
Je peux casser la glace vraiment ?
C'est immense rivière gelée avec du courant elle se briserait juste parce que je suis en plein milieu dessus ?
Si j'avais pas bondis au tout début..
Ben je me serais pas autant amusé.

BOOM BOOM. TAP TAAAP.


Dans le blanc je vois une silhouette qui se découpe. Puis qui fait volte-face et qui s'en va.

ATTENDS ! je crie alors que j'ai aucune putain d'idée de pourquoi c'est important qu'il m'attende.

Et puis je fais un ultime bond pour atteindre l'Autre Côté.
Et
la glace est pas brisée.
Juste fragturée et couverte de fissures.
Je suis super déçu et je replie ma patte arrière pour donner un bon coup dedans mais j'ai pas le temps à cause que le sihouette me fuis toujours.

ATTENDS ATTENDS ATTENDS ! je dis.

Puis je me relance à sa poursuite. Je cours pas vite, je suis déjà fatigué et je sais pas si j'arriverai à le rattraper. Alors je peux faire la conversassion en courant :

T'ES TOUT JAUNE. J'AIME BIEN !

Alors que ses pattes juvéniles martelaient le sol, alors recouvert d'une épaisse couche de neige, l'apprenti sable entendit au loin l'appel de l'intrus, qui lui demandait de l'attendre. Sa voix, caverneuse et virile, ne fit qu'accentuer l'effroi du jeune matou qui lâcha un cri plaintif, digne de la plus peureuse des souris. L'adrénaline qui circulait déjà dans une grande partie de son corps lui permettait de faire passer le froid prenant de la neige sur ses coussinets au second plan. Cependant, Nuage de Saumon ne pouvait ignorer ses poumons qui, au contact de l'air gelé, semblaient brûler sur place. Cette nouvelle constatation lui valut un second gémissement, plus prononcé cette fois, et presque assumé.

Son visage imageait à merveille la terreur et la surprise qui l'habitaient. Ses sourcils étaient bien haut sur son front, froissant légèrement ce dernier de plis si légers qu'il fallait vraiment y prêter attention pour les voir. Cependant courbés vers les globes oculaires, en plus d'exprimer la surprise du novice, ils reflétaient également sa détresse alors que, juste en dessous, ses deux grands yeux bleu ciel étaient grand ouverts, écarquillés. Parfois, ils s'osaient à jeter un regard vers le poursuivant noir, mais semblaient déchirés entre ce dernier et le paysage, attentifs alors au moindre obstacle. Les oreilles rabattues contre sa nuque, d'une façon plus ou moins aérodynamique témoignaient également de l'inquiétude de Nuage de Saumon. Quant à sa gueule, généreusement fournie en crocs ivoires, elle paraissait comme anesthésiée, tantôt grande ouverte, tantôt entrouverte, comme si le cerveau du petit ne s'y attardait pas trop. Et son souffle saccadé, et ses gestes pressés, et ses griffes sorties pour mieux adhérer au sol glissant, et toute cette gestuelle, cette harmonie de panique, et c'est tout celà qui...

Boom. Frrrr.

« Non, Monsieur ! Non, je vous en prie ne me tuez pas, s'il vous plait... J-Je ne veux pas mourir. Pardon, pardon, par le Clan des Étoiles épargnez-moi de vos griffes ! »

Gagné. Il venait de chuter dans la neige, glissant sur une distance équivalente à quelques queues de souris à cause de son élan et envoyant ça et là la neige qui était sur son passage. Une fois totalement immobile, il conjura, supplia son interlocuteur de l'épargner, sans même oser poser le bleu de ses yeux sur l'intéressé, puisque ses paupières se fermèrent aussitôt. Par réflexe, il se couvrit la tête de ses deux pattes antérieures, plongeant inévitablement sa tête dans le mélange de terre et d'herbe fraîchement libéré de la poudreuse. Le reste de son corps restait, quant à lui, maladroitement recroquevillé et partiellement dissimulé -pour l'arrière-train- dans la neige.

HRP:

Je souffle comme une putain de locomotive. Ce petit gosse court vite à cause qu'il a peur et qu'il pèse pas quatre tonnes comme moi et qu'il vient pas non plus d'échapper à la noyade.

Mais, je veux pas abandonner la course ! Pourtant tous mes muscles de mon corps veulent se barrer et mon coeur menace de se mettre en grève.
Et
et le chat jaune disparait.

Je freine pour voir si je le vois et là j'entends sa voix pleine de peur et de sons aigus.

PUTAAAARGHH !

Ma patte heurte douloureusement la masse jaune au sol que j'avais pas vu, putain putain pas le temps d'éviter, je suis trop crevé, j'peux pas me rééquilibrer et c'est à mon tour de finir dans la neige.

Humpf. Au moins je l'ai rattrapé et j'ai plus à courir.

Te tuer ?? C'est toi qui a failli me tuer connard ! je gueule.

D'une crise cardiaque.
Je me remets debout et je regarde ce petit chat qu'à pas une once de courage. Et il a pas de fierté non plus. Qu'est-ce-qu'il se prêt à faire pour que je le tue pas ?

Pleurniche pas ! J'ai horreur des pisseuses comme toi ! je dis.

Je le secoue de la patte pour voir si il va bien et si il peut se lever.

T'es qui ? je demande.

Il était mort. Dans sa tête, il se voyait déjà parmi les autres gugusses de la Toison Argenté, à côté de tous les autres apprentis morts par stupidité. Stupide. Oui, c'était un mot auquel il se sentait lié, tristement attaché, comme un roquet dont la laisse est cruellement fixée à une niche toute crasseuse. Il se disait qu'il avait beau faire des efforts, suivre les conseils de Rivière Sombre et de Langue Assoiffée, et mettre de côté sa niche crasseuse de stupidité, il était toujours amené à y retourner le soir, ou la nuit, pour s'y reposer. Et le lendemain matin, de nouveau, il puait la stupidité.

« PUTAAAARGHH ! »

Une vive douleur apparut aussitôt au niveau de l'épaule gauche, que la patte du noiraud venait d'heurter avec lourdeur. Juste après, le bruit de la neige qui venait d'accueillir l’impressionnant félin dans sa chute. L'autre se mit à gueuler, à crier sur Nuage de Saumon dont l'attention passait frénétiquement de la douleur à la peur. Le chat errant se redressa de toute sa hauteur, et bientôt se mit à toiser l'apprenti sable. Là, il dit :

« Pleurniche pas ! J'ai horreur des pisseuses comme toi ! »

Apeuré, et même plus que ça, l'intéressé prit grand soin de garder sa face enfouie dans la poudreuse gelée, quitte à se brûler la truffe. Son esprit cogitait, imaginant divers scénarios parmi lesquels il connaissait des morts de plus en plus atroces. La voix rocailleuse et virile de son homologue ne fit qu'alimenter l'imagination du petit, qui restait là tout tremblant dans le froid. La grosse patte, la même qui le heurtait quelques secondes plus tôt, se mit à le titiller, œuvrant pour que le jeune effrayé s'active.

« T'es qui ? » lui demandait-on.

Rassemblant le peu de courage qu'il restait en lui, l'animal au regard bleuté releva lentement la tête, assez en tous cas pour répondre.

« N-Nuage de, de Saumon. » Puis, comme s'il hésitait à poursuivre, le mâle bicolore rajouta, sur le même ton qu'un chaton à qui on dérobe la boule de mousse. « Hé, mais t'as pas le droit d'être lààà... Tu veux pas repartir ? S'il vous plaît... Monsieur ? »

Puis il leva ses grands yeux sur l'autre, un grand matou couturé de cicatrices. Et là, je vous assure, le petit se mit à prier bien fort le Clan des Étoiles.

Moi j'm'appelle Trash ! je dis.

Comme toujours, fier de ces cinq putain de lettres à la consonansse cool mais à la significassion désastreuse.

J'aime bien le saumon ! C'est très très bon.

Rien que parler de bouffe me fait baver. Ma langue s'agite pour récupérer les gouttes de bave qui perlent partout.
Je baisse les yeux sur la petite chose jaune à mes pattes, qui tremble et qui pue la peur. J'halète encore à cause de ma course fatigante. Je vois mon souffle chaud qui s'accroche à l'air glacial en formant de petits nuages.
C'est joli à regarder.

_ Hé, mais t'as pas le droit d'être lààà... Tu veux pas repartir ? S'il vous plaît... Monsieur ?
_ GNEEE ?? je grimace.

Pourquoi pourquoi putain ils veulent tous me faire dégager ? Je montre les crocs à cause que je suis prêt à lui cracher dessus que je vais ou que j'veux d'abord et que c'est pas sa sale pisse qui pue le fish qui va me faire changer d'avis.
Mais
j'ai une bonne idée.

Je laisse tomber mon gros derrière dans la neige. Je suis toujours obligé de pencher la tête pour voir le petit chat. C'est pas si cool d'être assis à cause que le sol est froid. Mais je suis bien équipé niveau fourrure heureusement.

Fais moi dégager alors si tu l'peux.

Je lui offre un sourire plein de crocs.

L'imposant mâle noir ne tarda pas à répondre, d'un ton soudainement enthousiaste, comme épris de joie.

« Moi j'm'appelle Trash ! J'aime bien le saumon ! C'est très très bon. »

L'autre se mit alors à baver, laissant couler une substance visqueuse hors de ses grosses babines, les mêmes qui dissimulaient de longs crocs ivoires. Toujours essoufflé par la course, et la langue pendante, le dénommé Trash affichait un air affamé et terrifiant aux yeux de son congénère sable. Ce dernier d'ailleurs, avait bien du mal à faire bonne figure à côté d'une bête aussi primitive.

Lorsqu'il entendit la demande de son cadet, le félin noir fit la grimace, et beugla presque, insolent et moqueur, devant Nuage de Saumon, qui n'avait pas l'air de se convaincre lui-même que son homologue aux yeux verts n'était pas chez lui. Il s'apprêtait d'ailleurs à recevoir un coup, fermant les yeux lorsque l'autre tonna, après s'être lourdement assis.

« Fais moi dégager alors si tu l'peux. » et il sourit.

Le novice laissa échapper un marmonnement enfantin, dans lequel perçait son impuissance. Puis, le regard embué par un début de larmes, il se confia.

« Bah, aller quoi, fais pas ton renard... Bah oui parce qu'après je vais m'faire gronder, puis je s'rais puni et c'est pas cool quoi... Puis j'me fais tout l'temps gronder en ce moment, c'est nul. J'en ai marre. Franchement si tu pars pas, bah t'es pas sympa. Et c'est pas très gentil. En plus je vois même pas pourquoi tu viens ici parce que si c'est pas moi qui te fais partir, bah ça sera des vétérans, puis eux ils te louperont pas quoi. Ils vont te déchiqueter. En plus j'suis même pas censé être là, si mon père il l'apprend je suis un chat mort. Alors steuplaît pars, quoi. Même si tu veux on fait un deal, mais faut que tu partes. C'est une question de vie ou de mort. »

Une moue boudeuse, emplie d'inquiétude faisait désormais face au solitaire à la sombre pelisse. Bah oui, Nuage de Saumon était une pleureuse.

Je le regarde avec mon putain de grand sourire.
A cause que je suis impatient de voir ce qu'il va faire.

Mais ... Il est décevant. Il me sert un long monologue chiant avec les yeux humides que j'écoute même pas du fait que je peux pas me concentrer plus de deux secondes pour écouter un truc long et chiant comme ça.

D'ailleurs ça me gratte l'oreille. Fort fort fort.
Je me contorsionne le cul dans la neige pour porter ma patte arrière à mon oreille en lambeaux et sortir les griffes pour me gratter sans que je me loupe et je je devienne borgne vous voyez.
Bref j'ai rien écouté.

Et le petit jaune me regarde tout triste.

J'avance une grosse patte pour lui pat pater la tête.

Ouais t'as l'air d'avoir beaucoup de problèmes Nuage de Saumon. je dis. J'men fous.
Moi y'a jamais personne pour me gronder !

Je me remets debout à cause que je commence à avoir froid aux fesses. D'ailleurs c'est pas bon de rester inactif quand il fait froid comme ça. Après vos griffes elles gèlent et elles tombent.
Pas beau.

Viens on bouge. je dis en me mettant à marcher pas du tout dans la direction de partir.

Je mangerais bien du saumon du coup à cause que ça m'a donné faim tes histoires. je dis.Tu sais où on peut pêcher ? Je t'apprendrai à pas être une pisseuse qui pleurniche au pied des gens.

L'imposant matou noir réagit de façon décevante aux révélations pitoyables du novice. Se grattant l'oreille en déclarant qu'il n'avait pas vraiment de pitié pour lui, il avait finalement déclaré :

« Viens on bouge. Je mangerais bien du saumon du coup à cause que ça m'a donné faim tes histoires. Tu sais où on peut pêcher ? Je t'apprendrai à pas être une pisseuse qui pleurniche au pied des gens. »

Il était insensible. En plus d'avoir l'air idiot, il n'avait pas de sentiment. Quel genre de félin enfantait d'un petit aussi étrange ? C'est alors que les récits des anciens revinrent à Nuage de Saumon. Les plus expérimentés des matous du Clan -et même les autres- décrivaient toujours les solitaires comme des bandits faibles et dénués d'intelligence. Il était face à l'archétype du vagabond, alors. Malpropres, égoïstes, malhonnêtes... Tant de mots qui devaient coller au félin noir. Une expression de dégoût s'installa sur la face du novice sable alors qu'il suivait du regard l'intrus, qui était déjà loin devant lui. Fronçant les sourcils, il se décida à ne pas lâcher l'affaire. Il fallait traiter l'idiot par l'intellect puis qu'il était incapable de le battre par la force physique. Aussi il le rattrapa en répondant :

« Sais-tu seulement pêcher ? Et nager ? » Glissa-t-il discrètement. « Autant faire demi-tour et faire un trou dans la glace fragilisée, là-bas. Sinon ce sera gelé partout. Et on risque d'être vu, aussi. »

Il désigna l'endroit dont provenait Trash de la queue. Il prit également soin de préciser :

« Mais après, tu t'en vas, hein. Tu bouffes, puis on retourne chacun à nos vies. » sur un ton mi-amical mi-d'ordre.