The fishing bird and the fish ft. Nuage d'Albatros - end

Lorsqu'il parvint aux Quatre Chênes, Nuage de Saumon se retint de se dissimuler derrière un des grands arbres qu'on y trouvait, et seulement parce qu'il savait que l'albinos le suivait de près.

« Détends toi, j'ai moins de raisons de te refaire le portrait ici. » fit justement sa poursuivante en le rejoignant.

Elle débuta alors sa danse de l'horreur en gambadant autour du tout jeune novice sable. Ce dernier avait planté ses grands yeux bleus sur elle, et tournait sur lui-même au rythme des bonds festifs de la Venteuse. La rage était partie dans sa course, et de nouveau la peur s'asseyait sur le trône de ses émotions. Poils ébouriffés, paupières grandes ouvertes, muscles fermement bandés, griffes dégainées, tête baissée en signe de soumission, de prière de ne point déchirer les deux grandes oreilles arrondies qui s'élevaient juste là. La voix à l'arrière-goût de miel retentit à nouveau, tandis que la danse machiavélique lui accordait une pause.

« Viens on arrête de déconner deux minutes, sinon. Tu t'étais vraiment perdu sur mes Terres ? Franchement, ça me paraît gros comme excuse ...
- Bah oui... oui, je... » s'osait-il à peine à répondre.

Il se faisait petit. Si petit et recroquevillé qu'on eut cru voir une chasseresse et sa souris. L'autre démone haussait les épaules, sans franchement entendre la réponse de son captif. Elle admirait les lieux. Nuage de Saumon, quant à lui, ne la quittait pas une seule seconde du regard. Il s'était déjà perdu ici quelques jours auparavant, alors que le blizzard était violent. Il eut un frisson en se remémorant le froid de la neige et celui du guérisseur de l'Ombre, qu'il avait rencontré alors. Comment oublier ce matou mal-aimable, qui n'avait fait qu'apeurer et se moquer de l'apprenti-guerrier ? Lorsqu'il revint à la réalité, la féline au drôle de coloris se dressait fièrement devant lui, tandis qu'il avait adopté une posture plus détendu, mais à travers laquelle on percevait toujours sa méfiance et sa frayeur.

« C'est beau, les Quatre Chênes ? Sinon, tu t'appelles comment, Nuage Tremblant ? »

Il déglutit. Cette femelle était décidément bien compliquée pour lui. D'abord elle était polie, puis elle l'attaquait, puis elle lui laissait une chance, puis elle le piégeait, puis elle le poursuivait pour lui faire la peau une seconde fois, puis elle le rattrapait pour lui faire la conversation, puis elle se moquait de lui. Elle appelait encore le chaton craintif, et peu sûr de lui, celui-là même qu'elle avait chassé lors de son premier assaut, appelant alors le Nuage qu'il était censé incarner dignement. Il répondit, ignorant la pique qu'il avait malheureusement prit coutume de subir auprès d'une multitude d'autres pelisses parlantes.

« En fait, on m'appelle plutôt Nuage de Saumon. Et t-vous ? Pourquoi me piéger ainsi en terre sacrée ? Je souhaite simplement retrouver l'herbe et les prairies qui sont miennes. Votre compagnie n'est pas comparable à celle de mes amis de la Rivière, mais le constat est le même de votre côté, je suppose... »

Le vouvoiement était de retour. Étrangement, il s'y sentait plus à l'aise que lorsqu'il usait du tutoiement. Cette mise à distance, en plus de lui donner un semblant d'assurance, renvoyait l'image d'un apprenti poli, si bien qu'on oublierait presque l'incapable perdu qu'il était réellement.

« Je... Je sais que je ne suis point chez moi ici. Et j'ai franchi votre frontière par erreur, je mérite qu'on me blâme pour cela. C'est chose faite, et cela alors que j'étais à des kilomètres de lorgner sur les landes. Me voilà encore plus loin désormais. Mais aussi plus loin de chez moi. Je ne comprends pas vos attentes, mais voici la mienne : rentrer auprès de mon frère et de ma sœur. Et lorsqu'on sentira sur moi l'odeur du Vent, on me prendra soit pour un traître, soit pour un héros. Je ne suis pourtant ni l'un, ni l'autre. Et vous-même, en sentant sur moi l'odeur de la Rivière, vous m'avez pris soit pour un voleur, soit pour un envahisseur. Mais je ne suis ni l'un, ni l'autre. Oui, c'est beau les Quatre Chênes. Mais qu'attendez-vous de moi ici, en ce lieu où l'odeur qui incruste mon poil n'est pas censé compter ? »

Sa voix était réellement douce, comme du coton porté par le vent. Nuage de Saumon pouvait être profondément gentil, mais surtout très naïf. Il était encore loin des rivalités claniques, alors qu'il avait été bercé dans les récits de guerre et de victoires -on ne parle point des défaites de là où il vient-, l'animal bicolore se persuadait qu'entre ces quatre bêtes arbres, son appartenance à la Rivière n'avait aucun sens. Il pensait encore que sous le regard des ancêtres, il n'était qu'un apprenti un peu perdu, comme bon nombre des apprentis à leurs débuts. Et qu'alors les intentions de son interlocutrices ne pouvaient être que pures, aussi limpides que l'eau claire qui ruisselait dans la rivière bordant ses terres.

Le saumon se mit à parler. L'albatros pencha la tête sur le côté. C'était beaucoup de paroles, beaucoup de peur. Son discours était cohérent, et c'était étonnant de la part d'un petit apprenti comme le mâle sable qui se tenait face à elle. Il semblait pourtant si fragile, si naïf … Il disait vouloir rentrer chez lui, et étonnamment, il avait l'air profondément sincère. Nuage d'Albatros s'étonnait au fur et à mesure de ses paroles. Très bien. Il ne connaissait pas les frontières. Une telle chose lui paraissait improbable. Les apprentis n'avaient – ils pas, au début de leur apprentissage, un tour obligatoire de leur territoire ? Visiblement, c'était une spécificité du Vent, ou bien cet apprenti là ne l'avait pas fait. Etait – il un de ces mauvais élèves ? Ratait – il volontairement les cours de son mentor ? Qui sait, il était peut – être apprenti guérisseur ? L'albinos pouvait voir son propre frère, Nuage d'Alcidés, dans certains comportements de l'autre. Il était craintif, plus diplomate qu'elle, et avait ce même air rêveur.
Dans tous les cas, Nuage de Saumon avait raison sur une chose : sa compagnie valait rien par rapport à celle de ceux de son Clan. L'apprentie gronda d'ennui. Elle s'attendait à combattre un preux et noble apprenti, prêt à soutenir sa soif de territoire jusqu'au bout. A la place, elle avait une brindille qui tremblait à l'idée d'être arrachée. Pendant un moment, elle ne sut pas si elle devait être déçue ou, au fond, rassurée. Elle opta pour un astucieux mélange des deux, qui se solda par une mine que font les divas insupportables, où elle leva les yeux en l'air en soupirant. A l'âge de Saumon, on trouvait ça un tant soit peu branché ou classe. A l'âge d'Alby, c'était profondément ridicule et immature.

« Très bien, Nuage de Saumon. Je peux te montrer la sortie, mais hors de question que je mette une patte sur ton territoire. On a des principes, au Vent, et je préfère mourir plutôt qu'enfreindre une seule règle du Code du Guerrier. » Un sourire s'étala sur son visage. « Et ne sois pas si philosophique. Dans les faits, t'es juste un boulet de plus qui s'est perdu dans Cerfblanc. Pense à semer des cailloux sur ton chemin, la prochaine fois. T'as de la chance d'avoir de la poigne face à une handicapée, mais c'est pas le cas de tout le monde au Vent. Il paraît que des faucons enlèvent les jeunes apprentis, ça serait dommage qu'il t'arrive la même chose. »

C'était sa phrase du moment, ressortie à toutes les sauces. Nuage d'Albatros se sentait puissante en sortant cette maxime, qui n'avait de sens que sur un contexte précis. Elle priait dès lors le comique de répétition pour être utile, tentant d'assumer des propos hors contexte et profondément inutiles. Cela dit, bien que stupide sur les bords, elle pouvait deviner que Nuage de Saumon était trop paniqué pour demander son reste et réclamer de la logique dans ses propos.

« Le Clan de la Rivière, si je me trompe pas, c'est dans ce sens. » lança – t – elle en pointant une direction d'un mouvement de queue. « Sinon, c'est le Territoire du Tonnerre. Cela dit, renifle un peu et tu remarqueras au bout d'un petit moment que tu t'es trompé de chemin. Les Quatre Chênes, c'est un endroit neutre. T'as le droit de demander l'incident diplomatique si on t'attaque ici, de base. Utilise le pour te réfugier. »

Elle s'estimait étrangement altruiste, là où dans des temps normaux, elle serait partie en ricanant. Elle l'aurait ensuite suivi du regard depuis un buisson, espérant le voir arriver sur les Terres de l'Ombre. Apparemment, c'était un Clan sombre remplis de bêtes féroces. Les légendes disaient souvent faux, mais celle là semblait trop séduisante à Alby. La forêt était binaire, avec les préjugés, et pour le cerveau encore trop fragile de l'albinos, c'était plus simple de mémoriser ainsi. Néanmoins, aujourd'hui, Saumon allait rentrer chez lui. Parait – il que les poissons échoués, ça ramenait de sales odeurs et que c'était pas consommable.
Tant pis.

« On se recroise plus tard, le poisson. Passe la bise de ma part à ta famille, si tu les retrouves. »

Deux poids, deux mesures, Nuage d'Albatros voulait préserver son image de raclure de l'humanité. Jeune voyou ratée qu'elle était, elle haussa les épaules avec son air de drama queen et fit volte face, rentrant sur les terres de son clan adoré. De toute manière, elle sentait son éthique équilibrée aujourd'hui. Elle avait chassé l'inconnu, l'avait aidé, sans lui donner trop d'informations. Elle pouvait deviner un sourire du Clan des Etoiles dans le ciel, avec tous ces nuages, sauf si elle imaginait une quelconque rédemption et qu'actuellement, Nuage d'Albatros n'était qu'une de ses innombrable apprentie en recherche d'une quelconque personnalité.

Spoiler:

La féline au coloris particulier ne put retenir un grondement d'ennui, alors même que le jeune Nuage de Saumon s'exprimait. Ce détail ne passa pas inaperçu auprès du jeune novice qui, en premier lieu vexé, finit par se dire qu'ils étaient impolis en plus d'être malhonnêtes, au Vent. Lorsque le mâle sable et blanc finit sa prise de parole, son homologue féminin tira une moue capricieuse et leva les yeux au ciel comme si on venait de lui faire la morale. Sa réaction désabusée rappelait au Saumon celles qu'employaient parfois Nuage de Truite lorsque venait le temps des remontrances. Décidément, être dans l'excès, c'était bien un truc de femelles.

« Très bien, Nuage de Saumon. Je peux te montrer la sortie, mais hors de question que je mette une patte sur ton territoire. On a des principes, au Vent, et je préfère mourir plutôt qu'enfreindre une seule règle du Code du Guerrier. »

L'apprenti-guerrier haussa les sourcils, sans cacher son étonnement. Des principes ? Elle venait de lui indiquer une mauvaise direction pour le piéger ici, aux Quatre Chênes, et cette chatte osait parler de principes. Il plissa les paupières, signe de méfiance. Les chats du Vent n'étaient décidément que de drôles de personnages, enfin en tous cas cette novice était une drôle de bête.

« Et ne sois pas si philosophique. Dans les faits, t'es juste un boulet de plus qui s'est perdu dans Cerfblanc. Pense à semer des cailloux sur ton chemin, la prochaine fois. T'as de la chance d'avoir de la poigne face à une handicapée, mais c'est pas le cas de tout le monde au Vent. Il paraît que des faucons enlèvent les jeunes apprentis, ça serait dommage qu'il t'arrive la même chose. »

Il n'avait pas accordé plus d'attention aux remarques désobligeantes de sa rivale. Il en avait pris l'habitude, goûter les réflexions à toutes les sauces le rendait moins regardant quant à l'image qu'il pouvait renvoyer. Après tout, oui, il était un boulet que traînaient sa famille, ses amis et le Clan de la Rivière tout entier, alors qu'on lui rappelle sa condition de faiblard sans cervelle finissait par lui sembler normal. En revanche, l'histoire des faucons lui glaça le sang, suffisamment pour qu'il n'ose même pas faire semblant de sauver son honneur en tous cas. Il s'imaginait les longues serres que lui avaient déjà décrit les anciens dans leurs histoires, ces griffes qui pouvaient ôter la vie aux jeunes chats comme aux adultes. Il fut interrompu dans son imagination par la voix stridente de l'albinos.

« Le Clan de la Rivière, si je me trompe pas, c'est dans ce sens. Sinon, c'est le Territoire du Tonnerre. Cela dit, renifle un peu et tu remarqueras au bout d'un petit moment que tu t'es trompé de chemin. Les Quatre Chênes, c'est un endroit neutre. T'as le droit de demander l'incident diplomatique si on t'attaque ici, de base. Utilise le pour te réfugier. »

Elle me prend vraiment pour un idiot. Je suis vraiment un idiot.
Il lui lança un regard empli de doutes. Pour dire vrai, le Saumon ne faisait plus vraiment confiance à la blanche féline, et il craignait qu'elle lui indique à nouveau une mauvaise direction pour profiter encore de lui. Au cas où, il ne bougea pas d'un poil, préférant s'assurer que sa rencontre du jour était bien terminée et que Nuage d'Albatros allait vraiment rentrer et partir loin de lui et de son idiotie et de son don pour être un incapable.

« On se recroise plus tard, le poisson. Passe la bise de ma part à ta famille, si tu les retrouves. »

Puis, ni une ni deux la diva folle et féroce fit volte-face, s'effaçant comme le blizzard s'était effacé quelques jours auparavant. Et Nuage de Saumon ne put répondre que lorsque l'excentrique venteuse était parfaitement hors-de-vue.

« C'est ça, ouais. »

Si le ton y était, avec tout le mépris qu'il fallait mettre, l'allure du matou bicolore montrait davantage l'image d'un jeune félin désemparé, pris de court, et perdu. Il posa ses yeux bleus sur l'horizon blanc, et plus précisément dans la direction qu'avait indiqué l'Albatros quelques minutes auparavant, à l'aide de sa queue. Puis, comme s'il vérifiait qu'on ne le suivait pas, il se mit au trot en se disant qu'il verrait bien si ce monstre de poils blancs était vraiment une menteuse ou pas.

HRP: