(LUNAR POD) Sur les traces du passé | ft. Orchi - end

Douce Orchidée avait acquiescé : oui, elle avait bien connu Aigue-Marine, la mère de Petite Émeraude ; et celle-ci était désormais totalement concentrée sur la tête de la lieutenante. Elle avait bien l'intention de boire ses paroles, de prendre tout ce qu'elles auraient à lui apprendre sur sa mère, et d'ainsi pouvoir la connaître. Ça ne serait jamais comme si elle l'avait connue, mais ce serait toujours ça de pris.
Je la connaissais oui. J'étais à peine plus vieille qu'elle, alors nous avons partagé la pouponnière, la tanière des apprentis et celle des guerriers avant qu'elle ne passe lieutenante. Petite Émeraude fit un signe de compréhension de la tête. Oui, c'était assez logique. Tout comme elle grandissait avec de nombreux chatons - si nombreux qu'elle n'arrivait jamais à tous les nommer sans en oublier ! -, Aigue-Marine avait dû grandir avec des chats de sa génération. Ainsi donc, Douce Orchidée en faisait partie. Petite Émeraude aurait pu le deviner, mais elle n'y avait jamais songé. Jusqu'à ce jour. C'était une guerrière très loyale et dévouée à son clan. Elle était d'une extrême gentillesse. Petite Émeraude restait concentrée sur Douce Orchidée, avide de savoir, de comprendre, d'apprendre. Mais ce que lui disait la lieutenante jusqu'ici n'était pas une nouveauté. C'était même tout ce qu'on lui avait déjà dit sur sa mère. Qu'elle était douce, qu'elle était gentille, qu'elle était serviable. Qu'elle aimait Étoile de Pierre, et qu'elle attendait leurs petits avec joie. Qu'elle aurait été une super maman et qu'elle aurait été fière d'eux. Petite Émeraude ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait dit tout ça. Mais elle ne savait plus si elle devait le croire ou pas : ça ressemblait à des paroles réconfortantes, vides de réel sens. Pourtant, Douce Orchidée finit par dire quelque chose qui intéressa bien plus la rouquine : sa mère méritait d'être lieutenante. Passée la fierté d'être la fille d'un couple si important et apprécié - fierté qui lui avait fait gonfler le poitrail -, Petite Émeraude s'intéressa à Douce Orchidée.

« C'est vrai ? » dit-elle, des étoiles plein les yeux. Puis, songeuse : « Pourtant, je crois que tout le monde n'était pas d'accord pour qu'elle soit lieutenante. Papa m'a dit que l'ancien chef, Étoile du Corbeau, n'aimait pas trop ma maman. Ni les autres mamans du Clan. »

Petite Émeraude se perdit dans ses pensées. Elle était loin de pouvoir comprendre les enjeux qui avaient poussé Étoile du Corbeau à détester sa mère - et bien au-delà de sa mère seulement, toutes les femelles. À son petit niveau de chaton, elle essayait de comprendre pourquoi, mais elle ne trouvait aucune raison. D'après elle, les mamans étaient les meilleurs êtres de la forêt, parce qu'elles étaient toutes douces, toutes chaudes, qu'elles donnaient du bon lait et qu'elles racontaient des histoires. Pas de quoi s'énerver contre elles - sauf quand elles faisaient la toilette, ça, oui, c'était ennuyant ! Peut-être qu'Étoile du Corbeau détestait aussi qu'on le toilette ?

Maintenant, Petite Émeraude semblait un peu plus calme. Comme si le fait de découvrir un peu plus sa mère la rassurait. Même si Douce Orchidée ne pouvait pas lui donner le portrait de sa mère à la qualité près, elle pouvait au moins en toucher deux mots sans trop se tromper. Cela faisait des lunes et des lunes que Douce Orchidée n'était plus apprentie, et pourtant c'était à cette période qu'elle avait commencé à connaître la lieutenante décédée. En étant chaton, elle avait surement dû jouer avec elle dans la pouponnière mais sans plus.

« C'est vrai? » à ce moment, la rouquine avaient les yeux remplis d'étoiles, elle ne ressemblait plus du tout à la petite Émeraude qui hurlait à propos de cette tache il y avait à peine cinq minutes « Pourtant, je crois que tout le monde n'était pas d'accord pour qu'elle soit lieutenante. Papa m'a dit que l'ancien chef, Étoile du Corbeau, n'aimait pas trop ma maman. Ni les autres mamans du Clan. »

Aie, sujet sensible pour Douce Orchidée, ce fameux Etoile du Corbeau. Ce goujat restera longtemps dans les mémoires, malheureusement. Même les chatons de nos jours savent qui il est. Décidément, il aura laissé sa trace dans ce monde avant de mourir pour le plus grand bonheur de Douce Orchidée. Ce n'était pas bien de penser ça, mais c'était la stricte vérité. Elle n'avait pas du tout été affectée par sa mort, comparé à celle d'Aigue Marine. Ce sale chat macho n'aura rien fait de bon lors de son règne, jamais il n'aurait du devenir chef, jamais ! Il ne le méritait pas, comment le clan des Etoiles avait-il pu lui accorder ses neuf vies. Décidement, ces fameuses étoiles ne faisaient pas grand chose de bien et n'aidaient pas beaucoup les clans pour faire régner la paix. Du coup, Douce Orchidée décida de ne pas lésiner sur ce qu'elle allait dire sur Etoile du Corbeau.

« Oui, bien sûr que c'est vrai, je ne mentirais jamais sur mon idole ! » avoua-t-elle, avant de prendre un ton bien plus sérieux, un air de dégoût sur le visage «  Etoile du Corbeau n'a jamais mérité d'être chef, ce sale chat. Il est mort et bien fait pour lui. En effet, il se croyait nettement supérieur aux femelles. C'était un grand macho sexiste. Sa politique était toute à son image. Il n'aimait ni ta mère, ni aucune femelle. Lui ne méritait rien du tout ! » s'emporta-elle en espérant ne pas faire trop peur à la rouquine.

Oui, bien sûr que c'est vrai, je ne mentirais jamais sur mon idole ! Petite Émeraude écarquilla les yeux. Aigue-Marine, une idole ?! C'était la première fois que quelqu'un avouait ouvertement admirer la mère de Petite Émeraude - son père, c'était autre chose, il en était amoureux - et à vrai dire, cette pensée ravissait la petite rouquine, qui était très fière d'appartenir à une famille si noble. D'ailleurs, son poitrail s'était instinctivement gonflé et elle avait laissé échapper un léger ronronnement de sa gorge, mu par l'émotion. Elle s'imagina sa mère, avec son pelage lustré et ses prunelles bleutées, fièrement assise sur le promontoire du camp, aux côtés d'Étoile de Pierre, imposant malgré son œil mutilé : un couple du pouvoir, respectée par tous. Elle s'imagina son ventre rebondi, la portant elle, et ses quatre frères et sœurs, Petit Jaspe, Petite Améthyste, Petite Opale et Petit Quartz. Et alors, en s'imaginant mentalement tout cela, Petite Émeraude sentit qu'elle était bien la fille de sa mère, la descendance de ce sang si noble, et elle en tira une vive fierté.
Etoile du Corbeau n'a jamais mérité d'être chef, ce sale chat. Il est mort et bien fait pour lui. En effet, il se croyait nettement supérieur aux femelles. C'était un grand macho sexiste. Sa politique était toute à son image. Il n'aimait ni ta mère, ni aucune femelle. Lui ne méritait rien du tout ! La suite des explications de Douce Orchidée était cependant bien moins plaisante. Petite Émeraude sentit ses oreilles se plaquer contre sa nuque et sa queue fendre l'air sans s'arrêter. Elle avait entendu beaucoup de sons de cloches sur Étoile du Corbeau : d'une part, elle grandissait avec ses enfants, dont faisait partie son meilleur ami, Petit Blaireau. Il était super chouette, alors elle avait du mal à imaginer que son père était un horrible personnage, surtout que lui-même semblait fier d'être son fils. Ne voyait-il pas le mal qu'il avait fait ? D'autre part, il y avait ceux, au Clan, qui ne pensaient que du bien de l'ancien meneur au poil de jais : glorifiant sa puissance, sa capacité à tenir le pouvoir, à régner sur tout Cerfblanc. Après tout, c'était bien lui qui avait assuré au Clan de la Rivière sa victoire contre le Clan du Tonnerre, quelques lunes auparavant ! Alors Petite Émeraude était troublée. Elle était encore bien petite pour comprendre que tout n'était pas ou tout blanc, ou tout noir : le gris régnait en maître.
En tout cas, à ce moment précis, la rouquine aux yeux émeraudes était bien décidée à croire Douce Orchidée et à prendre le parti de sa mère.

« Eh ben moi, je vais me battre pour que ça n'arrive plus jamais ! » déclara-t-elle solennellement, bien décidée à rendre hommage à sa mère et à prouver qu'Étoile du Corbeau avait eu tort. Bon, elle ne savait pas vraiment ce que "ça" signifiait : contre quoi allait-elle se battre ? Ce n'était pas encore bien défini. « Heureusement que mon papa est arrivé au pouvoir ! » Puis, une pensée passa dans sa tête, aussi rapide qu'un éclair. « Mais... dis... Douce Orchidée... Toi, tu vas prendre la place de mon papa, un jour ? »

Elle leva des yeux pleins de peine vers la lieutenante. Elle avait compris que le lieutenant était celui qui était amené à succéder au chef. Et si elle aimait bien Douce Orchidée, elle n'avait certainement pas envie de voir son père disparaître !

Au début, la chatonne semblait heureuse de savoir que sa mère avait été l'idole de quelqu'un, qui plus est de la nouvelle lieutenante. Instinctivement, elle bomba le poitrail toute fière. Mais quand à Douce Orchidée, elle n'était pas dans le même délire que la rouquine. Rien que le fait de repenser à ce chef de jais, la lieutenante en était malade. Elle se souvient encore de la fois où elle avait une femelle se faire ridiculiser en public pour avoir fricoter un autre mâle que son compagnon. A cet instant, Douce Orchidée s'était à jamais résignée de tomber amoureuse, heureusement pour elle son règne ne dura pas si longtemps que ça, et aujourd'hui tout avait changé. Avec Etoile de Pierre au pouvoir, l'ambiance au camp était nettement plus agréable, même si la politique sexiste de l'ancien chef sévit encore dans les esprits de ses partisans. Si un jour elle devenait la cheftaine du clan de la Rivière, jamais elle ne ferait subir ce genre de choses à son clan. Jamais, il comptait bien trop pour elle. A la suite de ses paroles, Petite Emeraude avait ses oreilles plaquées sur son petit crâne. Ce n'était pas des paroles très agréables ou joyeuses à dire, et surtout à entendre. Mais elle ne pouvait pas cacher la vérité et dire du bien de ce chef en laissant apparaître un énorme sourire, et puis la petite devait déjà en avoir entendu parler. Elle ne pouvait pas avoir entendu que du positif sur le corbeau, c'était impossible.

« Eh ben moi, je vais me battre pour que ça n'arrive plus jamais ! » 

La lieutenante se mit à sourire et à ronronner, Petite Émeraude lui réservait encore bien des surprises. Elle était encore chatonne, et tous les chatons rêvent de rendre leur clan le plus heureux possible. Douce Orchidée espérait vraiment au fond d'elle, que plus jamais cela n'arrivera un jour. Comme Petite Émeraude, elle ira se battre s'il le faut pour préserver l'honneur de son clan.

« Heureusement que mon papa est arrivé au pouvoir ! Mais... dis... Douce Orchidée... Toi, tu vas prendre la place de mon papa, un jour ? »

Changement direct de sujet, et pas des moindres. A vrai dire, la lieutenante ne s'attendait pas à ce genre de question, elle qui venait tout juste de passer lieutenante il y avait de cela quelques semaines à peine. Elle ne s'imaginait pas déjà prendre la place d'Etoile de Pierre. C'était un très bon chef, il ne fallait pas déjà qu'il laisse son clan derrière lui en laissant Douce Orchidée prendre le relai.

« Oui, ton papa est vraiment un chef extraordinaire. » elle fit une pause le temps de préparer sa réponse «  Tu sais, ton papa n'est pas encore prêt à laisser sa place, il a encore du temps devant lui. Un jour je prendrais sa place, mais pas maintenant. Il doit encore accomplir de grandes choses ton papa, et il sert trop bien son clan pour s'en aller maintenant. »

Oui, ton papa est vraiment un chef extraordinaire. Petite Émeraude acquiesça, le poitrail gonflé par l'orgueil d'être la fille d'Étoile de Pierre. On lui avait souvent raconté à quel point il était fiable, loyal, respectable, et craint par beaucoup. Même qu'un jour, il avait aidé Aigue-Marine, sa maman, à battre un renard féroce ! Il n'y avait que de grands guerriers pour faire ça, car tous les chatons le savaient : les renards étaient l'un des plus grands dangers pour les chats de Clan. Et puis, Étoile de Pierre s'était battu très fort pendant l'attaque du camp par le Clan du Tonnerre et par les Lunar Pod, et même s'il avait perdu une vie - Petite Émeraude ne savait pas vraiment ce que ça voulait dire, parce qu'il était quand même toujours vivant alors que sa maman, elle, ne l'était plus -, il s'était défendu fièrement et, aujourd'hui, il se remettait chaque jour un peu plus de ses terribles blessures. C'était un roc !
Tu sais, ton papa n'est pas encore prêt à laisser sa place, il a encore du temps devant lui. Un jour je prendrais sa place, mais pas maintenant. Il doit encore accomplir de grandes choses ton papa, et il sert trop bien son clan pour s'en aller maintenant. Petite Émeraude fut quelque peu rassurée par les explications de Douce Orchidée : il restait de longues lunes de vie à Étoile de Pierre, il n'était pas prêt de les quitter. Mais quelque chose la chiffonnait toujours, néanmoins : c'était l'idée qu'un jour, cela arriverait. Un jour, il disparaîtrait. Et la petite rouquine n'était vraiment pas prête à accepter qu'on lui prenne son papa.

« De toute façon, on a trop besoin de lui pour aller attaquer les méchants du Tonnerre et sauver mes frères et sœurs ! D'ailleurs, c'est quand qu'on y va, hein, Douce Orchidée ? »

Petite Émeraude leva des yeux pleins d'espoir vers la lieutenante. Elle était loin d'imaginer que s'il y avait assaut du camp du Tonnerre, elle n'en ferait pas partie, à moins que ça se passe dans plusieurs lunes, lorsqu'elle serait une apprentie déjà fortement entraînée. Mais évidemment, il était préférable que ça se produise avant !

Douce Orchidée craignait réellement la mort d'Etoile de Pierre. Elle ne voulait pas qu'il la laisse seule aux commandes trop vite, elle avait tant à apprendre encore. Elle n'était qu'une débutante, devenir chef n'a rien de drôle. Elle prenait ça très au sérieux, et donc souhaitant en apprendre le plus longtemps possible sur ce rôle qui est le plus important au sein du clan. Elle pensait vraiment ce qu'elle venait de dire à Petite Émeraude, son chef avait encore trop de choses à accomplir et à régler avant de disparaître, comme cette fameuse bataille Tonnerre/Rivière/LunarPod. D'ailleurs, en y songeant..

« De toute façon, on a trop besoin de lui pour aller attaquer les méchants du Tonnerre et sauver mes frères et sœurs ! D'ailleurs, c'est quand qu'on y va, hein, Douce Orchidée ? »

Oh que oui, la petite avait tout à fait raison. Le clan de la rivière avait encore 'trop' besoin de lui. C'était triste à dire, mais même elle qui était lieutenante, ne savait même pas quand est-ce qu'ils allaient pouvoir partir sauver les chatons. Mais ça, elle ne pouvait pas le dire à Petite Émeraude, elle ne supporterait pas d'entendre ça au sujet de ses frères et sœurs. Ce devait être très dur pour elle. Attendre, toujours attendre. Elle devait aussi entendre les mêmes choses au sujet de ses frères et sœurs kidnappés. Surement du « Ne t'inquiète pas, on va les retrouver ». Mais la lieutenante, elle, s'inquiétait énormément pour eux. Le fait de ne rien savoir à leurs sujets la rendait malade. Encore vivants ? Déjà morts ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête, mais elle restait positif coute que coute. Quoi qu'il advienne, elle ferait tout pour les retrouver. Pour retrouver Petit Quartz surtout, elle qui était à l'origine de son enlèvement, en tout cas c'est ce qu'elle pensait.

« Tu sais Petite Émeraude, on doit encore échafauder un plan pour aller les sauver. On ne veut pas prendre de risques en y fonçant tête baissée, il faut savoir réfléchir avant d'agir. Mais bientôt, quoi qu'il arrive nous irons les chercher et ils rentreront tous sains et saufs. »

Elle espérait de tout cœur que cela allait se réaliser.

Tu sais Petite Émeraude, on doit encore échafauder un plan pour aller les sauver. On ne veut pas prendre de risques en y fonçant tête baissée, il faut savoir réfléchir avant d'agir. Mais bientôt, quoi qu'il arrive nous irons les chercher et ils rentreront tous sains et saufs. La réponse que lui donna Douce Orchidée ne convainquit absolument pas Petite Émeraude, qui la regardait sans ciller, l'air un peu blasé. Elle ne connaissait rien aux stratégies militaires et aux relations inter-claniques, mais avec toute son innocence de chaton, elle pensait que tout était possible à condition de bien le vouloir. Voir les membres du Clan de la Rivière ne rien faire pour récupérer les chatons disparus mettait la rouquine hors d'elle : elle avait l'impression d'être la seule à se bouger les fesses pour changer les choses, ne serait-ce qu'en échafaudant des plans de sauvetage !
Bien sûr, elle avait conscience du coup de massue dont avait été victime son Clan ; et notamment parce qu'elle avait vu son père, Étoile de Pierre, "mourir" sous les coups de la cheftaine ennemie, Étoile de Suie. Il avait perdu une vie, mais avant de le voir de ses propres yeux, Petite Émeraude ne savait pas qu'un chef avait plusieurs vie, et l'espace de quelques longues minutes, elle avait cru que son père était mort pour de bon, comme Aigue-Marine, sa mère. Même une fois ressuscité, elle l'avait vu mal en point, blessé, fortement blessé, et aussi très démoralisé, abattu. À ce moment-là, le vétéran au poil bleu-gris était l'incarnation même de son Clan : un clan battu, blessé, qui devrait se reposer longtemps avant de recouvrer ses forces. Et ici était le problème : le Clan de la Rivière avait besoin de temps pour se relever, mais les chatons enlevés n'avaient pas ce temps-là à perdre ! On n'avait aucune nouvelle d'eux, et chaque jour qui passait éloignait un peu plus l'espoir de retrouvailles.

« C'EST TROP LONG ! » cria Petite Émeraude, dépitée par l'idée d'attendre, d'attendre encore, alors que ses frères et sœurs étaient peut-être blessés, voire morts, en tout cas très malheureux et apeurés. Elle n'arrivait pas à imaginer dans quel état elle serait si elle était retenue en camp ennemi... « Je n'arrive même plus à me rappeler de la tête de Petite Améthyste et de Petit Quartz ! » soupira-t-elle en baissant la tête, les oreilles et la queue basses également. Elle avait honte, mais c'était vrai : plus les jours avançaient et plus le souvenir de ses frères et sœurs disparaissait.

La rouquine allait-elle accepter l'évidence, qui était de devenir encore attendre ? Pour elle, cela devait être terriblement long et pénible. Mais Douce Orchidée ne pouvait pas lui mentir, car elle savait pertinemment qu'ils ne partiraient jamais à leurs recherches ni demain, ni après demain, ni dans trois jours, elle ne savait pas quand. Et comme elle venait de lui dire, le plan était long à préparer. Risquer sa vie pour reprendre les chatons ne dérangeait pas la lieutenante, mais risquer la vie des chatons ça oui. Son intuition vu juste, car Petite Émeraude ne semblait pas contente. C'était tout naturel, mais elle devait se rendre compte de la gravité de la situation. La petite ne s'était pas battue, n'avait pas eu à protéger son clan. Pour elle, tout semblait plus simple, mais en réalité rien ne l'était.

« C'EST TROP LONG ! » cria la petite. « Je n'arrive même plus à me rappeler de la tête de Petite Améthyste et de Petit Quartz ! »

Elle finit sa phrase en soupirant, la lieutenante en fit de même. Petite Émeraude trouvait toujours quoi répondre, mais elle n'avait pas raison sur ce coup là. Ses frères et sœurs étaient surement en danger, et elle ne pensait qu'à courir les sauver. Mais le monde ne marche pas comme ça, il faut réfléchir. C'était peut-être lourd à supporter, mais il le fallait. Pour son bien, le bien du clan et le bien de ses frères et sœurs. Ils se retrouveront, Douce Orchidée en était persuadée et ferait tout pour. Mais en attendant, la réaction de la petite était juste puérile. Elle ne songeait qu'à elle et ses propres envies. Si elle se pensait seule à vouloir sauver au plus vite les chatons, elle se mettait la griffe dans la truffe.

« Ce n'est PAS long ! C'est ainsi et il faut que tu l'acceptes, Petite Émeraude. C'est assez dur pour nous, si en plus chaque membre veut agir comme il l'entend pour assouvir ses envies, cela n'en finirait jamais. » Miaula-t-elle d'une voix glaçante «  Nous les retrouverons je te le promets, fais juste plus confiance à ton clan. C'est à ton père de décider le moment venue. Lui aussi doit souffrir, mais ne fais pas de caprices ! »

Si, jusqu'ici, la discussion entre Douce Orchidée et Petite Émeraude était emprunte de douceur - alors même que la chatonne avait bravé la règle qui lui interdisait normalement de sortir du camp -, les choses s'envenimaient.
D'une part, il y avait Douce Orchidée, représentante du monde adulte et de toutes les difficultés de la vie réelle, que la naïveté des chatons ne pouvait leur permettre de comprendre. Douce Orchidée était bien obligée de contenir les idées impulsives de Petite Émeraude, d'essayer de lui expliquer les raisons au statisme du Clan de la Rivière. D'autre part, il y avait la petite rouquine, qui n'avait pas encore les ressources nécessaires pour comprendre la complexité de la situation et des décisions qu'il y avait à prendre, et qui ne voyait qu'une chose : la nécessité d'aller sauver ses frères et sœurs, maintenant, tout de suite. Pourquoi attendre ? C'était quelque chose qu'elle ne pouvait pas comprendre. Encore une fois, elle comprenait lorsqu'elle serait plus grande. En attendant, elle ne pouvait que se complaire dans la protestation. L'air autoritaire qu'avait emprunté Douce Orchidée avait nourri l'envie de rébellion de la jeune rouquine.

« Je fais pas de caprice, d'abord ! » hurla-t-elle en se relevant d'un bond, le poil hérissé. Elle était furieuse que Douce Orchidée lui parle comme à un bébé... « Vous, les grands, vous appelez tout ce qui ne vous plaît pas des caprices ! Eh ben alors, moi je dis que c'est vous qui faites des caprices à pas aller sauver Petite Améthyste et Petit Quartz et les autres ! Vous êtes mous et c'est pas courageux ! »

Petite Émeraude avait conscience de l'état de son père : elle l'avait vu "mourir" et elle le voyait tous les jours blessé, dans son corps et dans son âme. Elle voyait aussi Nuage des Ruisseaux avoir beaucoup de travail pour soigner les blessures des membres du Clan qui avaient été blessés lors de l'attaque du camp par le Clan du Tonnerre et par les Lunar Pod. Mais malgré ça, elle ne pouvait supporter que rien ne soit fait, que tout ça n'aille pas plus vite. Que pouvait-il y avoir de plus important que de sauver les chatons enlevés ?
Elle ne connaissait rien en stratégie militaire et, de toute évidence, elle était bien trop jeune pour y comprendre quoi que ce soit. Elle n'avait pas l'âge de se comporter en adulte - c'était trop lui demander.

Furieuse, Petite Émeraude décida qu'elle avait terminé de parler à Douce Orchidée et elle s'éloigna d'elle aussi vite que ses petites pattes le lui permettaient. Elle s'approcha de la rivière, laissant derrière elle la tache de sang vieilli de sa mère, curieuse de voir à quoi ressemblait ce liquide bleu et transparent qu'on lui avait décrit tant de fois depuis qu'elle était née.
Elle aurait tant voulu y plonger la patte...

Au début, la lieutenante comprenait tout à fait les sentiments de la rouquine, mais là c'en était trop. Elle venait de se montrer autoritaire et dur, ce qui ne semblait pas ravir la petite. Terminé la douceur, la petite devait apprendre de ses erreurs si elle voulait devenir quelqu'un de bien pour le clan, car ce dernier n'a pas besoin de capricieux dans ses rangs surtout dans ce genre de moment là. Douce Orchidée imaginait à peine ce que serait devenu le clan de la Rivière si chacun faisait comme il l'entendait, si chacun faisait ce qu'il voulait sans se préoccuper du tort qu'il pouvait causer à ses camarades de clan. Une véritable catastrophe ! Cela ne s'appellerait même plus un clan si chacun était dans son coin à réfléchir pour lui même. Même si Petite Émeraude était très jeune, elle était en habilité de comprendre que dans un clan, les caprices n'existent pas. Même pour les chatons.

« Je fais pas de caprice, d'abord ! » cria la rouquine, le poils hérissé tout en se relevant. Crier non plus ne ferait pas avancer les choses, pensait la lieutenante qui fixait en silence la petite.
« Vous, les grands, vous appelez tout ce qui ne vous plaît pas des caprices ! Eh ben alors, moi je dis que c'est vous qui faites des caprices à pas aller sauver Petite Améthyste et Petit Quartz et les autres ! Vous êtes mous et c'est pas courageux ! »

Mous ? Que venait-elle de dire ? Son chef aussi, était mou ? Tout le clan était mou, alors qu'il venait de se battre entièrement contre le clan du Tonnerre et les chats de la lune ? Et la rouquine osait insinuer que le clan ne valait pas une brindille avec ses guerriers mous ? Lentement, Douce Orchidée s'énervait peu à peu. Elle venait de dire des choses horribles dont elle ne connaissait certainement pas encore la valeur. Dire que son propre clan n'est pas courageux était une grave erreur, et cela prouvait bien son jeune âge. De toute façon, quoique la lieutenait disait, la petite rétorquerai le contraire. Avant même de dire quelque chose, la rouquine se dirigea sans dire un mot vers la rivière. Uuuuh. Danger ! Vite! la lieutenante s'élança à sa poursuite et finit par la prendre par la peau du cou pour la ramener un peu loin de la berge.

« Si tu en fais, un caprice c'est quand les chatons ne se rendent pas compte de la gravité de la situation et veulent tout, tout de suite ! Les guerriers ne font plus de caprices car ils sont plus matures pour se poser les bonnes question. » lança la lieutenante en approchant sa tête de celle de la petite « Tu ne sais pas de quoi est capable le clan du Tonnerre et si nous attaquons comme ça sans avoir aucun plan, il sera capable de faire du mal aux chatons rien que pour nous dissuader d'attaquer. Tu es encore jeune pour comprendre ça et cela se voit, si toi aussi tu veux devenir quelqu'un de bien et qui pourra sauver tes frères et sœurs, accepte de devenir plus mature. Le courage n'est pas le fait de foncer dans le tas à tout va pour sauver ses camarades, c'est d’abord le fait d'attendre, de persévérer et le courage ne se mesure pas à la force physique mais à la force mentale. Tu n'aides pas le clan en voulant foncer récupérer tes frères et sœurs, et surtout en quitter le clan sans prévenir. » gronda-t-elle.