Sous la surface ◊ LP ◊ ft Beille -end

Si Museau Bleu n'avait pas été aussi bouleversée par tout ce qu'elles vivaient, ce qu'elle venait d'admettre, aussi, elle aurait ri de l'étonnement - et encore, le mot était faible - ainsi que de l'incompréhension de la plus jeune, qui avait répété ses derniers mots avec lenteur, et ses grands yeux saphir brillant d'une étincelle perdue, son aînée gardant soigneusement ses prunelles jade fixées au sol pour ne pas voir les émotions se succéder sur le joli visage de la femelle bicolore. Elle n'était pas sûre de vouloir y lire ses réactions... Et pas sûre d'être assez forte pour les supporter. Alors elle fuyait du regard sa nouvelle amie. Encore. Parce que Jolie Abeille était intelligente, et comprendrait rapidement cette confidence, comprendrait rapidement de quel enfant elle parlait, et s'interrogerait ensuite sur d'autres choses, le premier choc passé. Des détails ancrés dans l'histoire de la vétérane à la pelisse de sable et d'écume, ces galets polis qui jalonnaient sa rivière de vie, roches illuminées par le soleil en mille nuances précieuses, du jais à l'ivoire, en passant par un camaïeu de gris, perle, ardoise, cendre. Des détails, des petites notes de sa symphonie, qui composaient sa plus belle et plus cruelle mélodie. Oh, Étoiles! Comme elle aimait son fils! Comme elle aimait ses enfants, puisqu'elle avait eu, de son ancien meilleur ami et amant, deux fils et une fille... Oh, Étoiles! Comme elle avait été heureuse, se perdant dans les étreintes ferventes de l'ancien meneur qui avait été à ses côtés et lui avait offert l'éternité dans un nombre de jours limité. Oh, Étoiles! Comme elle avait prié pour que cet acte qu'elle vivait comme une trahison pour Eau Turquoise, quoique portée par les allégeances de son cœur, on ne le punisse pas en blessant les petits. La douce reine avait compris, accepté, et lui était même devenue une amie, une alliée. Et depuis, elle faisait une maman merveilleuse.

« Mais alors… qui le père? Pourquoi ne pas l'avoir élevé? »

Jolie Abeille avait soufflé ces questions légitimes, et ce fut sur le même ton que son aînée lui répondit. Un murmure si ténu qu'on l'entendait à peine, sous le chant de l'eau et des oiseaux qui reprenaient leur vol. Un murmure empli d'affection, d'émotions, de devoir et de regrets. Une réponse incroyable, bouleversante de sincérité, qui acheva de lui retourner le cœur, à elle, la replongeant dans ses souvenirs.

« Parce qu'il était préférable qu'on le pense fils d'Eau Turquoise... Mon fils est ce que j'ai de plus précieux au monde, mais c'est aussi le fruit d'une liaison qui serait mal vue, et qui n'aurait pas du arriver. Tu sais, le mariage ? Officiellement, c'est l'enfant d'Eau Turquoise. Officieusement, malgré le mariage, j'aimais Étoile du Corbeau, c'était mon meilleur ami et moi j'étais amoureuse. C'est lui, le père. » admit Museau Bleu avec une infinie douceur. « Quand il est mort et que je l'ai découvert, j'ai été parler à ta maman. Pour ne pas entacher l'honneur du meneur, et pour que mon fils n'ait pas à vivre ça, comme conséquence de mon choix. Elle m'a acceptée, l'a accepté, aimé et élevé comme son fils. Je lui en serai toujours reconnaissante. »

Il y avait tant de souvenirs, mêlés. Des lunes et des lunes d'amitié et d'amour. Des règles d'honneur, des pages d'histoires. Des alliances, des promesses, et l'affection de deux mères qui, devant faire face au décès du père des enfants, de leur compagnon, s'étaient unies en une drôle de décision, une famille mûrement réfléchie pour l'une, et l'autre qui ne serait plus qu'une amie. La fille de la Rivière porterait toujours le poids de cette décision... Et puis, la mise-bas hors du camp, les mensonges. Leur secret, que seuls Étoile de Pierre et à présent Jolie Abeille connaissaient. Et les chatons, avec toute leur innocence, leurs joies, leurs peines, leurs jeux, leurs fourrures et leurs grands yeux colorés, leurs vies émerveillées qui venaient de commencer. Museau Bleu avait fait son choix. Et depuis, sous les constellations, elle l'assumait.

« Est-il le seul? »

Face à cette nouvelle interrogation, la vétérane de la rivière secoua simplement sa tête au museau bleuté foncé, relevant ses yeux de jade vers la fille aînée de celui qu'elle avait adoré, en signe de négation. Non, il n'était pas le seul. Un sourire tendre fleurit sur son visage, avant qu'elle ne souffle un complément de réponse empli d'une fierté toute maternelle.

« Non... J'ai eu trois chatons. Petit Blaireau - son petit guerrier maladroit, malicieux et joueur, le plus proche d'elle -, Petite Ambroisie - son autre fils, qu'elle adorait, mais sans doute celui qu'elle côtoyait le moins -, et Petite Méduse - sa future novice, selon la cérémonie du lien, un peu lente mais aussi volontaire, et avec, elle aussi, le bout du nez tacheté. »

Et voilà... Sa cadette avait toute l'histoire, à présent. Comment réagirait-elle et la verrait-elle, maintenant ?

Ainsi donc, elle avait bien un lien de sang avec Petit Blaireau. En quelques minutes, à ses yeux, il était passé de frère, puis de rien de tout à demi-frère. Une révélation encore plus inattendue que la première. Si on aurait pu croire auparavant voir la Jolie Abeille la plus surprise possible, le visage qu’elle affichait à présent prouvait le contraire. Elle ne prétendait connaitre toutes les facettes de son père mais qu’il puisse enfreindre la règle qu’il avait lui-même crée lui était impensable. Un instant, elle se dit que Museau Bleu mentait, se moquait d’elle. Que tout ceci était monté de toutes pièces, vaste blague destinée à la tromper. Mais quel en serait l’intérêt ? Elle n’en voyait aucun. Son ainée lui avait semblé si sincère dans ses paroles qu’elle ne pouvait croire que tout était faux. Elle l’avait écouté, rassuré et pleurait avec elle la disparition de Petit Blaireau.

Quand Museau donna les noms de ses deux autres chatons, à savoir Petite Ambroisie et Petite Méduse. Eau Turquoise n’avait jamais fait de différence entre eux et ses petits biologiques. Il était certain qu’elle les considérait comme les siens, que le lien du cœur était là, à défaut de celui du sang. Jolie Abeille admirait sa mère pour avoir gardé le secret pendant si longtemps, secret qu’elle perdurait encore. Devait-elle lui dire qu’elle savait ? Et à Nuage des Ruisseaux ? Lui qui se sentait si coupable de ne pas avoir remarqué que leur génitrice porterait autant de chatons ? Il n’avait rien à se reprocher car jamais il n’aurait pu savoir. Mais lui en parler sans avertir Eau Turquoise lui paraissait … mal placé. Evoquer ce sujet alors qu’elle était dévastée, rongée par la culpabilité l’était tout autant. Elle attendrait le bon moment, quand tout sera revenu à la normale, quand tous les chatons seraient rentrés chez eux. Car ils rentreraient, comme l’avait dit Museau Bleu.

Si son regard sur ses (demis) frères et sœur ne changeraient jamais, son attachement, on pouvait parler d’amour, pour eux à jamais dans son cœur, ni sur son père, image inchangé et permanente gravée dans sa mémoire, ce n’était pas le cas pour son ainée. Elle n’avait aucune haine ou dégoût pour elle, elle… ne savait plus quoi penser, en réalité. Abasourdie, les jambes tremblantes, tout comme sa voix, elle demanda :

« Et… qui est au courant ? »

Eau Turquoise, évidemment. Après tout, peut-être la dernière de sa famille à apprendre cette vérité.

HRP:

Museau Bleu soutint, quoique avec peine, le regard bleu océan de sa cadette, y découvrant une tempête incroyable de pensées face aux révélations, et toute la difficulté qu'avait Jolie Abeille à croire ces confidences, mais aussi le fait qu'elle se doutait de la réalité de toute cette histoire. La plus jeune semblait perdue, vraiment perdue - on l'aurait été pour moins ! La vétérane avait l'impression, malgré tout, en plongeant dans ces prunelles saphirs, de se noyer dans une onde bien plus dangereuse que la rivière, inconnue, aussi, aux mille remous et mille émotions. Et elle avait peur, s'accrochant malgré tout aux souvenirs des discussions avec Eau Turquoise, des souvenirs avec ses chatons, de la tolérance, de l'acceptation, de l'amitié, même, de l'affection, des sourires et des fous rires mélodieux, cristallins, pour ne pas tomber. Elle ne voulait pas craquer à nouveau et pleurer devant elle... Pas encore. Pas parce qu'elle se méfiait de la belle féline bicolore, de nuit et de lumière - même si sa réaction la terrifiait - mais simplement parce qu'en enlevant les masques, en s'effondrant, elle n'était pas sûre de pouvoir un jour se relever. Eau Turquoise, elle, avait éclaté en sanglots déchirants, brisée, mais elle, elle n'avait pas le droit, maman de cœur et de sang dans les ombres, de se laisser aller, de pleurer, et de hurler sa peine. Même si elles étaient toutes deux anéanties. Elle n'en avait pas le droit. Oh, bien sûr qu'elle avait déjà regretté sa décision, mais la reine était la plus merveilleuse des mamans, et les choses étaient ainsi. On ne réécrivait pas le passé d'une vie.

Perdue dans ses pensées, la guerrière de sable et d'écume laissa son esprit s'élever vers la Toison Argentée, pour y retrouver Étoile du Corbeau, quelque part au Clan des Étoiles. Elle avait encore du mal à comprendre, à ce jour, pourquoi son meilleur ami, son meneur, son amant, avec ses lois sur le mariage, aurait voulu les briser. Les briser avec elle. Le connaissant, il n'avait sans doute jamais pensé aux conséquences que cela aurait sur elle, sur Eau Turquoise, sur les petits, et elle, envoûtée, elle s'y était liée. Juste une fois, juste une nuit, un unique chant d'amour aux notes ponctuées de désir, les murmures, les silences, les caresses, et une fois. Juste une fois. Une seule. Une fois qui avait suffi à créer trois magnifiques chatons, trois petites merveilles que Museau Bleu aimerait jusqu'à ce que son cœur cesse de battre la seule mesure en valant la peine - celle qui faisait la vie - et même ensuite depuis la voûte céleste. Petit Blaireau, Petite Méduse et Petite Ambroisie. Une fois dont elle chérissait malgré tout le souvenir, même si elle ne comprenait toujours pas pourquoi. Et Eau Turquoise avait accepté, mais comment réagirait sa fille ? Museau Bleu ne voulait pas lire la colère, la haine ou la déception dans les yeux de Jolie Abeille, quand le maelström dans ces iris bleutés se calmerait pour choisir une émotion. Elle n'était pas sûre qu'elle le supporterait...


« Et… qui est au courant ? » demanda finalement la cadette, hésitante.
« Eau Turquoise, bien sûr. » murmura la vétérane. « Étoile de Pierre. Et c'est tout. »

C'était déjà trop. Museau Bleu se sentait misérable, sous ce regard d'eau pure à présent troublée.
C'était déjà trop, et dans ses propres prunelles, de jade glacée, quelques larmes apparaissaient.
Détournant la tête pour que Jolie Abeille ne la voie pas pleurer, elle chuchota encore, voix brisée:

« Je t'avais dit que tu n'apprécierais peut-être pas la réponse... Je comprendrais que tu me détestes, maintenant. »

Eau Turquoise, évidemment. Et Etoile de Pierre. Elle n'était donc pas la dernière au courant. Non. Elle faisait partie d'un cercle privé, qui partageait un secret familial, dont rien sauf ces membres ne pourrait révéler. Jamais Jolie Abeille n'aurait pu deviner la supercherie, et il semblait que tous les membres du camp étaient dans son cas. Une nouvelle crainte venait de s'immiscer dans son esprit. Et si, par mégarde, elle laissait échapper cette précieuse information?

« Je t'avais dit que tu n'apprécierais peut-être pas la réponse... Je comprendrais que tu me détestes, maintenant. »

La bicolore posa son regard sur Museau Bleu, qui détourna le sien, pour cacher ses larmes. Dans ses yeux bleus comme la rivière, on y voyait une pointe de bienveillance. Cette voix brisée lui donnait mal au cœur, et l'idée de la haïr lui semblait impossible. Impensable, cruelle même. Comment pourrait-elle la rejeter et lui hurler dessus alors que son fils était entre les pattes de ces monstres? Elle était peut-être même qui en souffrait le plus, connaissant cette intense douleur, cette vive angoisse en la cachant, pour que rien ne soit suspect. Car on ne comprendrait pas. Alors son aînée devait faire avec, supporter l'insupportable, tout en restant dans le silence, tenu par son secret.

La plus jeune ne savait pas quel ressentiment elle nourrissait à l'égard de son vis-à vis, mais ce n'était certainement pas de la haine. Avait-elle déjà connu cela? On aurait pu croire qu'elle en éprouvait envers les Lunar Pods, mais l'inquiétude pour les chatons étaient bien plus forte. Mais Museau Bleu n'avait à voir avec eux. Pouvait-on dire qu'aimer était un crime?

"Je ne te hais pas, rassure toi."

Est ce qu'elle lui en voulait? Elle n'en savait rien. Elle n'avait jamais connu le sentiment amoureux, passionnel. Il y avait bien celui qu'elle portait pour sa famille, mais la différence devait être grande. Sans connaitre, pouvait-elle juger? Non.

"C'est juste que... Je sais pas. Juste... il me faut du temps je crois."

Temps qui ne semblait guère vouloir l'épargner en ce moment, l'assaillant d'événements, de révélations. Elle avait besoin de se poser, de réfléchir. Mais ce qu'elle voulait, c'était que ses frères et sœurs soient là. Que rien ne se soit passé. Un rêve impossible.

HRP:

Museau Bleu avait toujours aimé la rivière, et adoré nager, se révélant bientôt une apprentie puis une guerrière forte, agile, souple et excellente nageuse à défaut d'être particulièrement rapide sur la terre ferme; dans l'eau, elle était vive, elle était légère, elle était gracieuse, elle pouvait pêcher, et les tourbillons, les courants, les galets et le sable n'avaient aucun secret pour la riveuse aux yeux vert jade. La rivière était son univers, et l'eau son élément, tout simplement. Elle savait y jouer, le comprendre, le découvrir, le braver ou le respecter, mais jamais, jamais, elle ne l'avait craint: dans les premiers temps, son mentor, excellent, la rassurait; par la suite, sa propre force, sa silhouette élancée, sa prudence, aussi, s'étaient chargées de la maintenir en vie, entière, et heureuse. Elle aimait les flots, sincèrement - le torrent les protégeait, les nourrissait. Et la jolie féline n'en avait jamais, jamais eu peur.
Mais la cascade d'émotions qui se trouvait en chacun, et donc en elle... C'était autre chose. Même les chats avertis de son Clan redoutaient les Chutes, même les vétérans, avec bien des raisons; et c'était ça, le flot de sentiments; des cascades et des remous, un torrent incroyable, impitoyable, qui pouvait chanter ou rugir, apaiser ou écraser. Il fallait flotter avec le courant, ne pas se laisser submerger, garder la tête haute pour fendre la surface, mais ne pas nier les vagues, pour rester attentive. Sauf que pour la première fois, Museau Bleu, pelisse sable et écume, nageuse émérite, avait peur de se noyer. Et l'eau débordait: elle pleurait. Alors elle aurait tellement, tellement aimé que sa cadette l'aide !

« Je ne te hais pas, rassure toi. »

La reine cachée respira. Osa relever la tête.

« C'est juste que... Je sais pas. Juste... il me faut du temps je crois. »

Soupirs. Quelle étrange mélodie que celle-ci. Le cœur de l'aînée battait des doubles-croches, et le vibrato émotif était encore bien perceptible, mais passées les dissonances, tout de suite, le morceau semblait offrir une résolution. La symphonie n'était pas finie... Pause. La majorité des instruments se turent. Il ne restait qu'un air léger, à deux voix, si Jolie Abeille voulait bien. Le moment de reprendre sa place dans l'orchestre revenait...

« Je comprends, ne t'inquiète pas. » opina doucement la guerrière à la pelisse de sable et d'écume. « J'aimerais pouvoir t'en offrir, du temps... Ça nous manque à tous, je pense. Mais ils reviendra, et si un jour tu veux en reparler, je serai là, d'accord ? »

Elle hésita, puis ajouta la suite.

« J'aimerais bien te compter comme une amie, Jolie Abeille. »

Puis, gentiment:

« Tu viens pêcher ? »

Peut-être qu'il était temps de noyer les fantômes...

« Je comprends, ne t'inquiète pas. J'aimerais pouvoir t'en offrir, du temps... Ça nous manque à tous, je pense. Mais ils reviendra, et si un jour tu veux en reparler, je serai là, d'accord ? »

Oui, le temps manquait à tous. Il filait, se fichant de ce qu'il pouvait laisser comme trace sur les corps des chats. Il emportait les plus vieux quand le destin ne les avait pas envoyé aux Etoiles plus tôt, et apportait ceux qui aller faire perdurer la mémoire de leurs ancêtres. On le voyait pas arriver, et voila que les autrefois chatons avaient franchi le point où ils vieillissaient et non plus ne grandissaient. Oui, ils en manquant, mais il faudrait bien qu'un jour elle donne un mot sur la façon dont elle voyait Museau Bleu à présent. Rien de négatif, pas de haine, de colère ni de dégoût, juste un flou.

Son ainée sembla hésiter avant de lâcher ce qu’elle semblait avoir sur le cœur.

« J'aimerais bien te compter comme une amie, Jolie Abeille. »

D’abord surprise, la concernée eut un petit sourire. Non, elle ne lui en voulait pas. Sans doute, ce jour arriverait. Museau Bleu l’avait réconforté et écouté, elle avait déjà agi en amie. A elle d’en faire autant. Elle n’eut tout de même pas quoi faire, mais la vétérane ne lui laissa pas le temps de répondre, à son plus grand soulagement. Une nouvelle chose à réfléchir.

« Tu viens pêcher ? »

Elle hocha de la tête, il était temps de s’occuper l’esprit.

Elle s’approcha de la Rivière et se posta, prête à passer à l’action. Elle vit une forme furtive passait. Parfait. De sa patte, avec un mouvement en cuillère, elle la ramena vers elle. Sauf qu’elle avait mal calculé sans geste, peut-être encore un peu obnubilé par les mots prononcés précédemment, et la truite retomba dans l’eau et s’enfuit. Elle regarda Museau Bleu, avec un petit regard d’excuse, cherchant à voir si celle-ci n’était pas découragée par la tentative infructueuse de la cadette. Même si cela étonnerait beaucoup celle-ci. A ses yeux, la vétérane serait plutôt du genre à lui dire que ce n’était pas grave, que les erreurs arrivaient et qu’on apprenait de celle-ci.

HRP:

Après leur discussion plus que difficile, un peu douloureuse aussi, et empreinte de tristesse, les deux guerrières avaient bien besoin de se dépenser un peu, et Museau Bleu avait envie de laisser sa peine s'envoler dans le vent, alors ce fut un élan de soulagement qui la submergea en voyant sa cadette hocher la tête. Au fond, elle n'avait pas envie d'être seule, alors la joie d'avoir Jolie Abeille auprès d'elle pour une partie de pêche et de chasse amicale était grande - et ce d'autant plus parce qu'elle ne se prenait absolument pas au sérieux... Déjà au bord de la rivière, sa cadette donna un coup de patte pour sortir une proie, mais la vétérane vit rapidement que la trajectoire ne serait pas bonne - la truite retomba dans l'eau et s'en alla, nageant entre deux eaux à toute vitesse. La guerrière de sable et d'écume, aux yeux de jade, vit les prunelles saphir de la bicolore se parer d'un éclat plein d'excuses, auquel elle répondit avec un petit sourire, haussant les épaules... Ce faisant, elle faillit manquer le corbeau qui vola d'un coup d'ailes droit dans son visage, et qu'elle n'évita qu'à grand peine, donnant un puissant coup de patte pour le plaquer au sol. Face à l'erreur de sa cadette et à sa propre inattention, Museau Bleu n'eut qu'une réaction : elle éclata de rire.
Rire pour chasser le chagrin et les ombres.
Rire pour ramener joie, insouciance et lumière.
Rire de leurs erreurs, rire de leurs peurs.
Rire d'elles, et du monde, et de la vie.
Rire, insolente, pour rappeler à la Lune qu'elle ne pouvait gagner.
Rire, rire encore, rire toujours, pour ne pas s'effondrer. Pour résister.
Museau Bleu n'avait jamais manqué d'autodérision... Et ce rire-là, clairement, n'était pas moqueur. Doux, léger, chaud, il invitait au printemps, à ce qu'une autre mélodie d'allégresse le rejoigne, et à un nouvel essai. Parce que ce rire repère, ce rire refuge, ce rire bonheur aux mille couleurs, il voulait tout simplement dire :

« On fait tous des erreurs, parfois ! Recommence, je crois en toi ! »

La vétérane adressa un regard complice à Jolie Abeille en enterrant, sur la rive terreuse, sa première proie, venant par la suite se poster auprès d'elle. Le corbeau était peut-être un signe de mauvais augures, mais à cet instant, le soleil brillait sur les flots, et cette journée, Museau Bleu préférait la voir pleine de gaieté et de vie - prémices à tous les rêves, et emplie de promesses.

Museau Bleu répondit à son regard par un petit sourire et un haussement d'épaules, montrant qu'elle ne lui en tenait pas rigueur. Tout à coup un corbeau fonça vers l’aînée comme s'il avait perdu toute raison de vivre. Les yeux de Jolie Abeille devinrent ronds devant cette scène inhabituelle et anormale. Sa camarade l'esquiva et dans un bon réflexe lui donna un coup de patte le clouant au sol. Puis éclata de rire. Celui-ci était si spontané, si sincère qu'il entraîna la plus jeune à faire de même. Des pleurs elles étaient passées au larmes, peut-être pour effacer ces dernières.

« On fait tous des erreurs, parfois ! Recommence, je crois en toi ! »

Elle hocha de la tête, déterminée à retenter sa chance. Et même si elle échouait de nouveau, elle le ferait encore. Comme elle devrait se relever à chaque fois qu'on voudrait la mettre à terre, qu'un événement la ferait chuter. Elle avait bouffé la sol, mais avait toujours réussi à de nouveau pointer le museau vers le ciel, les pattes bien droites. Cette fois ne serait pas différente, elle l'espérait. Il n'y a aucune honte à tomber , la véritable honte est de ne pas se relever. Mais le coup serait peut-être fatal si ses frères et sœurs ne revenaient pas. Mais elle devait faire avec et continuer à vivre, quitte à pleurer quand elle serait seule. Et nourrir son clan était un premier pas.

Elle voulut à nouveau s'avancer vers la berge, mais une odeur attira son attention. Même si elle n'était pas douée pour la chasse sur terre, elle ne pouvait la négliger. Elle repéra le petit rongeur qui l'émettait et s'avança vers lui à pas feutrés, comme elle l'avait appris. Quand elle fut assez près, elle calcula sa distance avant de bondir. Elle réussit son saut et acheva la souris d'un coup de crocs bien placé. Elle revint vers Museau Bleu, et l'enterra à côté du corbeau. Ensuite, elle regarda la vétérane avant de déclarer, amusée:

"Et bien, dire que nous devions pêcher!"

HRP: