La rage des tous petits (avec Nuage de Crépuscule) - end

Spoiler:

Il fut un peu déçu de voir Crépule faire une petite tête ni enthousiaste ni énergique, comme si Tache d'If n'était pas, pour elle, une incroyable héroïne comme le Clan du Vent en avait peu connu et à propos de qui chacun avait mille belles histoires à raconter. Au contraire, elle se faisait même un peu plus hésitante, un peu plus détachée.

C'était un peu comme lorsqu'il avait l'impression d'ennuyer sa maman en lui proposant de jouer.

" Oh, tu sais, je ne vais pas vraiment t'apprendre grand chose sur elle. Demande plutôt à Crocs Nacrés, c'est ton oncle il me semble. C'est grâce à lui que je suis encore en vie, il a fait fuir un blaireau alors que c'était moi que le blaireau voulait manger !
- Mais c'est pas mon ONCLE c'est mon TONTON NACRÉ " corrigea le môme, naïvement excédé par tant d'ignorance, en reprenant à peu près les mots de son père qui s'amusait souvent, en présence du tigré, à l'appeler Tonton Nacré. Mais en même temps que la petite avait dit "blaireau", il sentit de sérieux tremblements agiter Crépule, et cela, étrangement, lui était familier. Il trouva même cette peur impressionnante. Comment une grande comme elle pouvait-elle vraiment craindre quelque chose ?

" Je suis sûr qu'en fait le blaireau il t'aurait jamais mangée. Tu sens bizarre et puis t'es beaucoup trop grande pour être mangée de toute façon. "

Et bien oui, les blaireaux, les renards, les oiseaux, tous ceux-là c'est bien connu, ils ne mangent que les chatons imprudents qui sortent tous seuls du camp.

Bizarrement, mais tout à fait inconsciemment, le petit-qui-sentait-fort trouvait aussi un peu désagréable d'entendre dire des compliments à propos de son mollasson de tonton alors que son papa et lui-même étaient vraiment beaucoup plus forts, intéressants et courageux. Voilà pourquoi il reprit dans une voix pleine de fierté et de méconnaissance :

" Mais si tu veux le blaireau quand je le vois je vais faire frrrrr " il se détacha de l'épaule de la femelle pour plier son dos, pseudo-hérissant son pelage et produisant un feulement quelque peu... mignon... " Et puis KSH KSH KSH " il labourait l'air de ses petites griffes à peine formées " Et puis boum il est mort et puis je te l'amène ! "

Comme si les blaireaux n'étaient en fait que des boules de mousses comme les autres.

Une lueur déçue s'empara des yeux du petit, qui devait être fichtre énervé de ne pas en savoir davantage sur sa chère mamie défunte. L'ancienne cheffe du Vent l'avait toujours un peu intriguée, par son audace face au clan des Etoiles. Ceci dit, elle ne jurait pas non plus sur les ancêtres ayant rejoint le ciel, mais renoncer aux neuf vies et à son nom d'Etoile, elle ne pouvait pas vraiment comprendre. Seulement, Nuage de Crépuscule ne savait pas ce qui l'avait poussée à les barrer de sa vie, comme ça, d'un coup de griffe. Des rumeurs avaient chuchoté qu'ils l'avaient abandonnée. Mais elle n'en savait pas plus, et ce n'est pas maintenant qu'elle irait retourner le couteau dans la plaie auprès de ses camarades de vie qui l'idolâtraient. Si elle était un brin audacieuse, et surtout suicidaire, elle serait elle allée voir Etoile Tropicale. La chatte avait été son mentor, et ils avaient avancé patte dans la patte pour le clan du Vent.

Et l'agaçante voix du minuscule chat reprit de plus belle :
- Mais c'est pas mon ONCLE c'est mon TONTON NACRÉ "

Et une fois de plus la rouquine fut outrée par son arrogance. Cela ne changeait rien, ils parlaient du même chat tigré qui lui avait sauvé la vie, mais bon. Il voulait tout le temps trouver quelque chose à redire, alors elle laissait parler. Elle avait déjà trop ouvert sa gueule pour la journée, et il risquerait d'avoir peur d'elle. Elle baissa les yeux sur le chaton qui la fixait désormais avec crainte. Quoi ? Qu'avait-elle encore fait ?
" Je suis sûr qu'en fait le blaireau il t'aurait jamais mangée. Tu sens bizarre et puis t'es beaucoup trop grande pour être mangée de toute façon. "

L'apprentie éclata de rire, une nouvelle fois. Malgré son caractère boudeur, il était très amusant avec ses réflexions totalement hors sujet. Puis, il se détacha d'elle, parce que pendant tout ce temps il ne l'avait pas lâchée, et tenta tant bien que mal d'hérisser sa fourrure. La maigre femelle le regarda avec incrédulité, pendant qu'il commença à lui montrer comment il fallait tuer un blaireau, avec évidemment tous les mouvements qui allaient avec. Logique. Il commença à se cambrer et donner des coups de patte contre le prédateur invisible, tout en lui expliquant :
" Mais si tu veux le blaireau quand je le vois je vais faire frrrrr !Et puis KSH KSH KSH ! Et puis boum il est mort et puis je te l'amène ! "


Le rire cristallin retentit une nouvelle fois dans la pouponnière qui était vide à l'exception d'eux. Il était bien naïf, malgré ce qu'il pouvait bien dire. Et ses connaissances sur la vie était bien faible, il ne devait pas être du genre à aller écouter les histoires des anciens, qui, au lieu de réconforter les petits, allaient leur raconter d'horribles contes, à leur en faire faire des cauchemars. De quoi effrayer le plus courageux d'entre eux. Peut-être que ce petit matou noir était d'ailleurs le plus courageux de tous les chatons en ce moment ?

Juste histoire de le faire rager, Nuage de Crépuscule bondit, son pelage doublant de volume, et elle cracha avec férocité, avant de pousser le petit d'un coup de patte, et de le regarder dans la poussière. Cela l'amusa fortement, et elle répondit :
"Je ne suis pas sûre que ça marche, alors ne va pas te frotter à un blaireau. J'm'en voudrais. Attends au moins de savoir faire comme moi ! Et d'avoir une fantastique mentor comme Pelage Strié ou moi. Je serai une super guerrière ! Et sinon, c'est quoi ton nom ?"

Boule de Poivre avait toujours envie, et ce même alors qu'il tenait à peine debout sur ses quatre petites pattes, d'être pris au sérieux. Et le rire de Crépule le vexa un peu. Des rires, il en ignorait beaucoup en faisant preuve d'un déni absolument inimitable, mais ce rire-là, c'était tout à fait impossible de l'ignorer, de l'oublier, ou seulement de le tordre, de croire qu'il était autre chose que ce qu'il était. Ce fut un rire qui fit naître une colère qui ne le quitterait plus et qui deviendrait plus tard un dépit mêlé de désespoir et de rage.

Mais pour l'heure, juste une colère. Il fixait Crépule, mécontent, ressentait la drôle d'envie de s'enfoncer dans sa mousse et de ne plus jamais jamais la voir. Et elle, c'était à ce moment-là qu'elle y répondit. Qu'elle l'éblouit comme la lumière du couchant dont elle portait le nom vous éblouirait si vous étiez en même temps forcés de regarder dans sa direction. Son pelage se hérissait, et sa "colère" à elle envahit, transcendante, le vent frais qui s'infiltrait par l'entrée, la mousse en désordre sous les pattes du petit, chaque élément qui jusqu'alors avait constitué l'environnement bien restreint du petit.

Il avait peur que tout disparaisse, mais restait paralysé, stupide, exposé, inutile. Et Crépule, bruyante, impressionnante, bondit juste devant lui. Il devinait quelque chose de cette frontière entre l'ampleur impressionnante de ce défi qu'il essayait de relever et de ce qui était impossible.

Le mioche se retrouva, soufflé, dans la poussière. A cette endroit, personne n'avait jugé bon de mettre de mousse. Bien vite il releva le museau, et ses paupières terrorisées pendant une demi-seconde fugace brillèrent soudain d'une lueur encore plus catégorique que d'habitude, ce qui n'était pas peu dire. Car la grande, non loin, eut soudain l'air bizarrement gentille.

Elle ne l'oublierait pas. Et il ne pourrait jamais la décevoir.

" Je ne suis pas sûre que ça marche, alors ne va pas te frotter à un blaireau. J'm'en voudrais. Attends au moins de savoir faire comme moi ! Et d'avoir une fantastique mentor comme Pelage Strié ou moi. Je serai une super guerrière ! Et sinon, c'est quoi ton nom ? Rien n'était plus flatteur que cette question. Assuré de savoir ce qu'il disait, il répondit très dignement, mais toujours avec ses petits airs de chaton à moitié fini seulement :
- Boule de Poiv'. Et mon Papa et mon Papa c'est c'est c'est Puissant 'Pard. Et même que et même que et ben moi et ben je le BAT d'abord mon papa alors que alors que et ben il te bat sûrement. "

Il inventait, et d'ailleurs, les autres chatons de la pouponnière ne manqueraient pas de le lui rappeler, mais pour le moment, rien ne lui semblait plus important que de laisser dans l'esprit de Crépule une empreinte solide. Qu'elle ne l'oublie pas. Qu'elle ne l'oublie surtout pas. Qu'elle se souvienne que lui, on ne l'oubliait pas aussi facilement que tous les autres.

Enfin. Enfin il la craignait. Rien n'était plus flatteur que de voir cette lueur effrayée dans les yeux de celui qui se disait avoir peur de rien. Elle releva un coin de ses lèvres pour esquisser un sourire moqueur, avant de se réassoir une nouvelle fois là où il y avait de la mousse. Pas là où il était tombé comme une souris morte après avoir été tuée en plein vol. D'ailleurs, son petit museau était tout poussiéreux, ce qui la fit tout simplement fondre. Il était si mignon, avec son air arrogant et ses iris jaunes qui tentaient de la regarder de haut malgré la peur qu'elle lui inspirait. Nuage de Crépuscule se retint de le bousculer de nouveau pour qu'il reprenne sa tête d'enterrement. Non, il allait encore geindre pour un rien. En fait, il était adorable, mais simplement quand il se taisait. Ce qu'il ne fit pas très longtemps :
- Boule de Poiv'. Et mon Papa et mon Papa c'est c'est c'est Puissant 'Pard. Et même que et même que et ben moi et ben je le BAT d'abord mon papa alors que alors que et ben il te bat sûrement. "

Ouhlà. Il avait quand même des petits problèmes d'articulation. Enfin, pas vraiment, simplement la construction de ses phrases. Il était juste trop pressé d'étaler sa science, qui n'était d'ailleurs pas réelle. Enfin, c'était sûr. Il était juste trop vaniteux pour avouer qu'il n'était qu'un chaton qui ne savait rien de la vie. Comme si le frère de Crocs Nacrés se faisait battre par une boule de poil de ce type. C'en était à mourir de rire. Franchement, ça ne servait à rien de mentir, surtout des mensonges comme ça. Pas croyables. Ri-di-cule.

Mais comme ça il s'appelait Boule de Poivre. Donc c'était bien celui qui avait senti fort à sa naissance. Le pauvre, un nom comme ça ne devait pas être facile à vivre tous les jours. En espérant qu'Etoile Tropicale lui trouve un nom digne de le représenter quand il serait guerrier. Oh, mais voulait-il devenir sentinelle ? La rouquine fronça les sourcils. Oh, cela serait sans doute très amusant de patrouiller, même de chasser avec lui… Voire l'avoir en apprenti. Quoique. Quoique. Il devait être tellement agaçant, sans doute à poser des questions, et répondre lui-même avec son arrogance habituelle.
"Ah oui, bien sûr. Je vais t'avouer un truc, Boule de Poivre, c'est un secret par contre."

Elle se pencha vers lui, et le frôla. Elle resta quelques instants silencieuse, histoire qu'il soit très intrigué par le sujet. La mince femelle lui chuchota à l'oreille, absolument pas gênée par leur proximité :
"Ca sert à rien de faire des mensonges aussi gros. Je sais que tu mens."

Et elle éclata une fois encore de rire, très amusée par sa petite blague.

" Ah oui, bien sûr. " fit-elle, mais si vite qu'il n'eut pas le temps de ronronner de satisfaction ni même de se sentir caressé dans le sens du poil : " Je vais t'avouer un truc, Boule de Poivre, c'est un secret par contre. "

Elle savait se faire écouter. Dès lors qu'il s'agissait d'un secret qu'on acceptait de lui confier, Boule de Poivre, tout impatient de savoir, écoutait et ne faisait plus le moindre bruit. Elle se colla un peu à lui et baissa sa tête jusqu'à la sienne, en prenant un peu son temps, juste assez pour abuser au maximum de la patience et de la crédulité du petit qui attendait le secret. Il comprit vite qu'elle s'apprêtait à lui chuchoter quelque chose dans l'oreille et retint son souffle :

" Ça sert à rien de faire des mensonges aussi gros. Je sais que tu mens.
- Hein ? " s'exclama-t-il aussitôt, sincèrement étonné.

Sa mémoire de chaton était encore si mauvaise qu'il avait dû, pour se concentrer sur le "secret", oublier
tout à fait ce qu'il avait dit juste avant. D'où sa surprise.

" Mais j'ai rien dit moi ! C'est quoi ton secret ? "

Il relevait la tête pour la regarder dans les yeux et faillit se cogner contre sa mâchoire. " Tu m'as pas dit c'est quoi ton secret ! " répéta-t-il comme pour mieux se faire comprendre. A son âge les chatons étaient encore habitués à ce qu'on leur cède tout. Mais peu à peu, sa mère Pelage de Nuit se soustrairait à ses responsabilités et il devrait se débrouiller de façon plus autonome.

Tiens justement, Pelage de Nuit, la voilà qui rentrait, deux ou trois chatons lui collant aux pattes. Comme il était caché par Crépule, elle ne le vit pas tout de suite et appela : " Tiens, salut Nuage de Crépuscule, dis, tu as vu Boule de Poivre ? "

Son nom lui fit redresser la tête et les oreilles. Il en oublia presque le secret. " J'a-j'arrive ! " s'exclama le mioche qui devait faire le tour de Nuage de Crépuscule pour passer, ce qui était à son âge chose assez technique. Mais il ne se laissait pas facilement intimider par les difficultés apparentes, et parvint malgré tout tout seul à se dandiner jusqu'à sa maman contre qui il s'accrocha furieusement en refusant catégoriquement que ses jumeaux fassent seulement mine de l'approcher de trop près. Il avait sa place et il la défendait.

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