Bloody Kingdom | Feulement Nuageux -end

Oh merde pensa l'apprentie guérisseuse, mais il était déjà trop tard.
Le mâle noir et imposant était sorti de ses gongs. Il n'était plus question de défendre son territoire, mais son honneur, et il ne laisserait pas passer une insulte telle que celle de se faire vomir dessus. Même si au fond, il l'avait un peu cherché. Totalement en fait, puisque c'était sa faute, mais Nuage des Vents doutait qu'il puisse comprendre. Son ennemi lui faisait penser à un blaireau, dans tout les sens du terme : massif, grand, fort, dangereux et totalement con.

- Sale pute! cracha-t-il alors qu'il se frottait les yeux pour en virer la poussière.

Malgré la douleur, Nuage des Vents ne put réprimander un sourire satisfait, qu'elle réprimanda bien vite lorsque Feulement Nuageux essaya de frapper aussi fort que possible, à coup de pattes et de griffes. Il la manqua plusieurs fois, désorienté par la brûlure de ses yeux, mais fini par réussir à atteindre sa cible.
Un violent coup à l'épaule qui arracha à Nuage des Vents un râle de douleur et de colère, mêlé à une pointe de peur.
Sur son pelage blanc, le sang ressortait aussi bien qu'un chat noir sur de la neige. Si la plaie saignait abondamment, elle avait la sensation que c'était bien pire encore, et qu'elle allait s'en vider en quelques secondes à peine.
Elle voulait s'enfuir en courant aussi vite que possible - personne ne courrait plus vite qu'un félin du Clan du Vent sauf un autre félin du Clan du Vent - mais son dos lui faisait trop mal.

La femelle grogna, continua de se défendre à coups de patte, mais c'était bien vain, surtout maintenant qu'une seule de ses pattes intacte lui permettait de donner des coups suffisants pour l'atteindre.
- Fils de chien ! l'insulta-t-elle à son tour. Tes conneries s'ront pas sans conséquences, crois moi! Esprit Soucieux, il en entendra parler!
Et son propre chef. Et son affreux lieutenant. Tout le Clan du Vent et le reste des guérisseurs pourraient apprendre qu'une apprentie guérisseuse avait été agressée de façon totalement gratuite. Restait à les convaincre qu'elle n'avait ni provoqué ni attaqué la première; sa xénophobie et sa tendance à user de la violence étant bien connus lorsqu'elle était encore apprentie-guerrière. Attaquer une apprentie de la Rivière qui n'avait rien fait n'avait peut-être pas été la meilleure idée de sa vie, mais elle, au moins, n'avait pas attaqué les guérisseurs (physiquement).
Mais quand même, quelle journée de merde.

Le combat s'était transformé en chaos, en mise à mort, en scène de documentaire violente dans laquelle la pauvre gazelle se retrouve en proie au lion. Les cris retentissaient dans la forêt, rebondissant sur les pins enneigés et faisant fuir les oiseaux, taire la faune face à cet acte d'une grande barbarie.

" █▌■▓▓▒ ! "

Il ignora l'insulte, les mots flou de la blanche n'atteignant qu'à peine ses oreilles sourdes au monde extérieur. Frapper, déchirer, labourer, arracher, c'était tout ce qui comptait pour le moment.

" ░░▬▄▀▀▌▒░▓, █▌■▓▓▒ ! Esprit Soucieux ▬▄▀ ▒░ ! "

Seule une suite de lettre se détacha du reste du brouhaha sourd: Esprit Soucieux. Le nom familier de son repère, son confident, son père. Bien que ses agressions continuèrent encore quelque temps elles diminuèrent d'un coup en intensité alors que son cerveau réalisait que le guérisseur de l'ombre venait d'être mentionné par Nuage des Vents.

Patte sur la gorge de l'apprentie il la fixa un instant avant de demander d'un ton menaçant:

" Tu connais mon père? "

La respiration de l'orphelin était courte, ses muscles encore beaucoup trop tendus. Si bien qu'il lui fallu un instant avant de comprendre que s'il n'ôtait pas ses coussinets de la jugulaire de la venteuse, elle ne risquerait pas de pouvoir lui répondre. La pression se fit alors légèrement moins forte. Puis il fit un pas en arrière, sachant que dans son état, les risques qu'elle se jette sur lui étaient faible.

- Tu connais mon père?

Les mots raisonnèrent au oreilles de Nuage des Vents, à qui il fallut plusieurs très-longues secondes pour traduire et vraiment comprendre le sens de ce qu'elle venait d'entendre.
Puis au final, elle aurait préféré être complètement sourde à cet instant.

Ses yeux s'ouvrirent tout grands, posant deux pupilles fines et choquées sur celles ambrées de Feulement Nuageux.
Son... père.
Son père.
Son putain de père. Son putain de père était un putain de guérisseur.
Esprit Soucieux, celui que tout le monde pensait être le plus pieux possible, avait commis le crime odieux et incroyable qui était celui d'avoir un enfant.

Puis tout s'aligna dans sa tête, maladroitement, avec quelques idées totalement fausses qui, par le plus grand des hasards - ou peut-être pas - deviendraient en partie vraies un jour.
Le guérisseur qui trahissait les Étoiles, l'apprenti-guerrier qui attaque sans se soucier une apprentie-guérisseuse... Elle avait connu cette période là elle aussi. Elle l'avait vécu. Tout comme Tache d'If l'avait fait, le Clan de l'Ombre avait tourné le dos à leurs ancêtres. Leur chef sombrait-il dans la folie? Elle n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, c'est que c'était grave, et elle réalisait qu'elle pouvait mourir.
Ce seul mot raisonnait dans son crane douloureux. Mourir, mourir, mourir.

Alors quand Feulement Nuageux relâcha son emprise et recula d'un pas, elle feula pour lui donner un coup de griffe sur la gueule avant de s'enfuir en courant aussi vite qu'elle le pouvait. Si la situation était telle qu'elle l'avait imaginée, il n'y avait plus d'espoir pour ses plantes. Il fallait qu'elle prévienne les siens.
Elle courut comme Tache d'If lui avait apprit, comme un membre du Clan du Vent, tandis que sa patte et son dos les suppliaient d'arrêter à chaque nouveau mouvement. Nuage des Vents avait mal, mais l'adrénaline aidait.
Elle ne vérifia même pas si un monstre se trouvait sur le chemin du tonnerre quand elle le traversa comme une furie. Il fallait rentrer à la maison, et vite.

L'horreur put se lire dans le visage de la venteuse qui sembla s'être fait frapper par l'éclair au moment où Feulement Nuageux parla. Profitant de l'espace qui lui avait été offert elle envoya une gifle au visage de l'aspirant de l'ombre et poussa subitement sur ses quatre membres pour prendre la fuite.

Comme un lièvre passant sous le nez d'un prédateur le mâle se mit instinctivement à ses trousses, fonçant derrière elle tel un pitbull enragé. Tout deux galopèrent à travers la pinède enneigée, envoyant valser la poudreuse sous leurs bonds.

Mais malgré les profondes blessures qui auraient dû ralentir la course de Nuage des Vents l'adrénaline agissait en véritable drogue dopante dans son système, lui permettant de creuser l'écart entre elle et son agresseur à l'aide de cette vitesse qui était propre aux chats de son clan.

Feulement Nuageux finit par s'arrêter brutalement face au chemin du tonnerre qui séparait de leur territoire. A moité satisfait d'avoir fait fuir la misérable et frustré de ne pas être allé au bout de ses mots. Mais il supposait que c'était mieux ainsi. Pas de morts, pas de problèmes et les plaies de la blanche serviraient d'exemple pour le reste des siens.

Que l'étranger ne piétine pas les terres de l'ombre.