Be a challenger. ft Nuageuse Marée -end

- Mais Patte Sablée, pourquoi veux-tu que j’aille dans la Tanière des Apprentis ? demanda tristement Patte Dodue, dans un mouvement de recul. Je ne veux pas les déranger, et puis je préfère la mousse de la pouponnière…
- C’est pour un test, Dodu !

Un test ? Le concerné coula une œillade suspicieuse à l’insu de sa sœur, qui portait comme chaque fois qu’elle s’apprêtait à colporter un plan foireux, un masque machiavélique sur ses traits. Incrédule, il papillonna des paupières avec lenteur, forçant l’incompréhension pour l’inciter à continuer.

- Rah ! Tu m’énerves ! Fit-elle, levant les yeux au ciel. Puis elle plaqua ses mirettes solaires dans celles de son frère, avant d’enchaîner d’un ton très sérieux -et même qu’elle avait les sourcils froncés. Il faut qu’on réserve notre place, pour nos prochaines lunes d’apprentissage !

Les paupières du bicolore demeurèrent en suspens, camouflant à demi son regard blasé. C’était la chose la plus stupide qu’il n’eût jamais entendue. Si bien qu’il en hésita à se détourner d’elle pour retrouver réconfort au creux de la pouponnière.

- Tu m’as vraiment fait me lever pour ça ?
- C’est important, répliqua-t-elle avec une impatience non-dissimulée.

Absolument pas.

- On a trois lunes, Patte Sablée ! Rappela Patte Dodue, oscillant entre déception et désespoir.

Son injonction fût balayée d’un geste vif de la queue. Têtue comme un mulet, Patte Sablée, avait totalement occulté sa supplique, au détour d’un mouvement d’autant plus persuasif. En effet, et sans attendre, Patte Sablée précipita les rouages de son plan. Ainsi, elle pressa ses pattes sur le popotin de son frère, avant que celui-ci -malgré sa retenue à grands renforts de sanglots- ne soit avalé par l’énorme bouche de la tanière. Il fût littéralement englouti dans la pénombre de la cavité. Allait-il être mastiqué puis dégluti maintenant ? Ses pattes se dérobèrent sous lui, tandis que ses rondeurs encapuchonnèrent ses pauvres membres chétifs, pour dissimuler son épouvante manifeste. Ses yeux fous tentaient de s’accommoder à la pénurie de lumière solaire, sous l’abris. Seule la bouche ouvrait sur une cavité donnant sur l’extérieur, et puisant sa ressource luminescente pour l’y noyer. C’était effrayant. Patte Dodue plissa très fort des paupières, fuyant cette image maléfique.

A ses côtés, s’était agencé une dent habillée d’une toison velue. Étrangement douce, et duveteuse, analysa Patte Dodue avec circonspection -bien que méfiant, cela dit. Sa queue battait la mesure, comme pour adoucir la chamade de son cœur, malmenant sa nervosité. Si une bouche pouvait avaler la lumière, la dentition pouvait tout autant être dotée d’une échoppe de poils. Aucune raison de s’inquiéter, n’était-il pas ? Mais l’heure n’était guère à l’ironie. Il était figé d’effroi, à l’instar sa pelisse dressée sur son échine qui manqua de s’envoler, lorsqu’il décela une allure féline par-delà la pénombre qui régissait. Ladite dent, possédait une paire d’oreilles, dont une défaillante -la bouche l’avait-elle croquée, pris d’une envie d’assouvir sa fringale ?
Un ricanement désinhibé, attira son attention.

- Hahahaha ! Patte Dodue est amoureux de Nuageuse Marée, la grosse teigne ! Patte Dodue est amoureux, Patte Dodue est amoureux !

Hein ? Penaud, comme pris en flagrant délit, Patte Dodue retroussa ses épaules jusqu’aux oreilles. Il voulait se camoufler jusqu’à devenir complètement invisible. Voire même, disparaître à tout jamais au creux de cette bouche qui lui eût jeté un mauvais sort insoluble. Incrédule, il alterna son regard d’un bout à l’autre de la tanière aux allures caverneuses. D’un côté, sa sœur chantait des insanités sur son compte, à la canonnade, de l’autre une dent en forme de chat, portant le doux nom de Nuageuse Marée. Patte Sablée s'était encore moquée de lui. Patte Dodue déposa les armes, et en signe de soumission, il protégea ses deux oreilles des deux pattes qu’il eût écrasé sans ménagement sur son crâne.

- Je suis pas amoureux d’une dent en forme de chat, je suis pas amoureux d’une dent en forme de Nuageuse Marée, protestait-il à son insu, encore et encore.

La journée avait été rude. Nuageuse Marée n'était devenue une apprenti que depuis quelques jours et pourtant, on la faisait déjà bien trimer. Mais elle aimait ça! Elle pouvait dépenser son énergie au moins. Même si se concentrer était compliqué pour elle. La petite chatte se prenait très souvent des engueulades dignes de ses pires cauchemars. Mais en début de soirée, quand elle rentrait à la tanière, elle se sentait bien et était heureuse de revoir les autres chatons. Cependant, elle était aujourd'hui la première à être rentrée ... L'occasion parfaite pour jouer un petit tour de passe-passe à l'un de ses frères adorés ... Cacher des épines dans leurs lits de roseaux, voilà une excellente idée.

Le méfait accomplit, la petite teigne rit entre ses dents, soufflant de l'air en se frottant les pattes. Mais il fallait avoir l'air de rien, sinon, on saurait que c'était elle. Bien sûr, qui aurait pu en douter ?

Des bruits la sortir de jubilations. Deux chatons. Elle sauta dans son lit et se tapis dans celui-ci, observant de qui il s'agissait. Son petit nez renifla l'air frénétiquement. Bien sûr, l'odeur était familière, tous avaient vécus ensembles. Mais ce qui la fit retrousser les babines, se fut cette odeur de lait qu'ils portaient sur eux. Nuageuse Marée avait appris à faire la distinction entre les bébés et les apprentis. Eux étaient encore avec les reines et même si ils ne tétaient plus forcément, l'odeur restait.

La femelle fit le gros dos et s'approcha d'eux avec l'air le plus menaçant qu'elle pouvait. C'était Patte Dodue et sa soeur, Patte Sablée. Deux mioches qui n'avaient pas le droit d'être ici. Mais avant qu'elle n'ai le temps de dire quoi que ce soit, la petite femelle se mit à fanfaronner que son frère serait amoureux de Nuageuse Marée. Elle fut étonnée et la réaction molle du gamin était désespérante.

" Tais-toi ! "

Lança la petite chatte à l'attention de sa cadette en gonflant ses poils.

" Vous n'avez pas le droit de venir ici, les bébés ! "

C'était un peu ironique, elle-même n'était là que depuis quelques jours. Mais eux étaient beaucoup plus jeunes qu'elle ! Ca lui donnait une sorte de pouvoir sur eux et elle appréciait cela, quelque part. Bien sûr, elle ne leur voulait pas de mal, mais elle voulait un peu s'amuser avec eux. Elle avait ignoré la petite chanson, un apprenti était au-dessus de ça. Mais le gamin l'avait qualifié de dent. Et elle ne le compris pas.

" Une dent ? T'as été bercé trop prêt d'un rocher toi ? "

Ricana-t-elle en s’asseyant sur son derrière.

Soudain, la dent se mit à grossir. Encore et encore. Des épines multipliées par une série de frondes lui poussèrent sur tout l’envergure de son échine. Elle se hérissa, les griffes fermement crochetées à la terre, plus imposante que jamais, prête à en découdre. Patte Dodue qui eût à peine osé ouvrir un œil, fût sitôt mitraillé par une ritournelle d’éclair qui fusillaient des yeux, de la Femelle-Dent. Jamais n’aurait-il bravé le danger, pour s’interposer au seuil d’un conflit. Malgré ses prières adressées au destin, assurant son désamour pour Nuageuse Marée, -mensonge éhonté que Patte Sablée s’amusait à rependre – ce n’était ni son problème, ni de son ressort de le régler. Rendons à sa sœur, ce qui appartient à sa sœur. La possibilité de s’enorgueillir quant à sa fourberie inventée de toutes pièces à l’insu de son frère, lui revenait entièrement. Quel que soit l’issue des fabulations de sa sœur, Patte Dodue se promettait de ne pas y toucher. Sa seule crainte, fût d’avoir été entendu par la teigne, qui vociférait en bonne compagnie (sa sœur). Mais aucune chance, il eût à peine balbutié une prière presque inaudible avant de se taire.

A tort ou à raison, son imbécile de sœur fût prise à revers dans son orgueil, et décida de faire entendre sa voix de crécelle. Patte Dodue entendait presque son esprit hurler à l’injustice, et sa voix hausser le ton, en vertu de son propre code d’honneur. Chose qu’elle serait prête à faire avaler de force aux opposants si l’ont lui interdisait de se défendre. A cette idée, les babines du chaton bicolore s’élevèrent dans un sourire pincé : elle ne manquait pas d’air ! Fabuler au mépris de sa propre famille, pour fanfaronner toute une leçon de morale sur le code d’honneur, c’en était presque ironique venant de Patte Sablée. Mais passons, lui, se contenta de mimer un sommeil profond, au gré des bras de Morphée. A défaut de quoi, une oreille attentive demeurait aux aguets, prompte à écouter le conciliabule animé qui se déroulait devant lui.

- Tais-toi ! Ordonnait l’une.
- Me taire !? S’offusquait l’autre.
- Vous n'avez pas le droit de venir ici, les bébés !
- Tu rigoles ou quoi ? Fit Patte Sablée, pleine de défiance et si peu de respect pour son aînée. Tu fais ta maligne depuis que tu as rejoint la compagnie des apprentis, mais tu la bouclais un peu plus quand tu tétais encore ta mère, y’a quelques jours !

Malgré son mutisme, Patte Dodue fronça se traits, intrigué par les mots de sa sœur. Il relevait pourtant la certitude qu’eux-mêmes étaient déjà sevrés ; alors comment Nuageuse Marée aurait-elle pu se rassasier de sa collation lactée, il y a quelques jours encore, puisque bien plus âgée ? D’autant plus, qu’aucune image concrète trahissant l’allaitement tardif de la jeune chatte, ne s’étaient récemment imprimé dans sa rétine. Patte Sablée, tu fabules encore !

Soudain un poids mort s’écrasa sur sa croupe. Aussitôt, le chaton découvrit ses yeux de ses doigts potelés, placés ici avec stratégie pour simuler assoupissement momentané. Mais non seulement Nuageuse Marée, n’avait cru au mensonge, mais elle avait de surcroît entendu ses prières.

- Une dent ? T'as été bercé trop prêt d'un rocher toi ?
- N-non, n-non ! Promis je ne voulais pas ! Implorait-il, les yeux mouillés, entre deux vagues de pleurs. Je n’ai pas dis ça, je n’ai pas dit ça ! C’est Patte Sablée qui a eu l’idée de venir ici, j-je, j-je suis désolé on le refera plus !

C’était lâche ? Oui. Mais vrai ? Oui, aussi. Patte Sablée l’avait mené tout droit dans ce pétrin, et méritait la réprimande, pas lui !

- Tu ne vois pas qu’elle s’amuse là, Soupira la désignée avec une pointe de dédain dans la voix. Lâche mon frère, vieille morue ! Au lieu de t’attaquer aux faibles, Viens t'en prendre à quelqu’un de ta taille !

Patte Dodue occulta le quolibet miséricordieux que lui eût asséné sa sœur -C’était de bonne guerre-pourvu que la raillée, Nuageuse Marée, le lâche !

Les enfants qui étaient face à elle n'étaient pas du tout de la même trempe. D'un côté, il y avait une petite teigne qui ressemblait finalement pas mal à Nuageuse Marée. De l'autre, un petit timide qui avait peur de mal faire. Et l'ennuie c'est que l'un comme l'autre avait un caractère qui ne lui convenait pas. La petite chatte lui était trop semblable et malheureusement, en général deux fortes têtes ont du mal à s'entendre. Quant à l'autre, il était bien trop mous, trop lâche.

Patte Sablée ne se laissa pas faire par la nouvelle apprentie, lui disant qu'elle prenait la grosse tête depuis qu'elle était partie de la nursery. Son souvenir devait être bien erroné ... Nuageuse Marée n'avait pourtant pas changé d'un poil. Patte Dodue, lui, se contenta de dire que c'était l'idée de sa soeur de venir ici, il était paniqué ... Mais sans attendre, cette dernière commença à l'insulter de lâche avant de défier ouvertement Nuageuse Marée de se battre avec quelqu'un de sa taille et de ne pas s'en prendre au plus faible.

" Non mais que dalle en fait ... "

Commença-t-elle en feulant.

" Ca sert même à rien que je perde mon temps, pas face à des bébé. "

Elle ricana. Quel aurait été l'intérêt de gaspiller sa salive.

" Pour ton information, t'es aussi faible que ton frère parce que vous êtes trop jeunes. Alors vous allez ficher le camp d'ici et quand vous serez devenu des grands, on en reparlera, vu ? "

Lança-t-elle en collant son nez contre celui de la petite chatte en faisant les gros yeux. La différence de taille entre les deux minettes était à présent bien notable. Nuageuse Marée n'était pas un grand gabarit, loin de là, mais elle avait le double de l'âge de son opposante. Alors forcément, à cette période de la vie, il y avait un fameux écart entre les petites.

Désormais, sa sœur et la nouvelle apprentie échangeait des joutes verbales, sans queue, ni tête. Ça avait plutôt l’air d’un duel d’égo, qu’un réel conflit enraciné. Chacune essayait surmonter l’autre d’une insulte à l’autre. Seulement, l’une comme l’autre était animées par un feu dévastateur, défavorable à l’autre, rien que pour protéger son honneur. C’était complètement idiot de se battre, pour des choses aussi futiles. Patte Dodue ne saisissait aucun enjeu, à travers cet échange puéril, si ce n’était qu’un désir malsain de rabaisser l’autre. Ils auraient mieux fait de rester cloîtrer dans la pouponnière, à profiter d’une longue grasse matinée ! Pourquoi fallait-il toujours qu’il accompagne sa sœur dans ses plans foireux ? D’autant plus qu’il finissait toujours en spectateur, devant son cinéma, jouant le rôle de la victime caché derrières de fausses excuses pour crier.

- Ça ne sert même à rien que je perde mon temps, pas face à des bébés.
- J’t’ai déjà dit qu’on n’était pas des bébés !

Ça puait vraiment maintenant. Voilà qu’éprise sous l’effet de la colère, Patte Sablée décortiquait rageusement chaque syllabe de ses mots. La babine de son frère se retroussa, désabusé par la situation. S’il n’intervenait pas, son idiote de sœur serait capable d’en venir aux griffes. D’autant que le museau de Nuageuse Marée touchait déjà celui de sa cadette, dans un geste plein de défiance.

- Patte Sablée ! S’écria son frère, en s’exhibant hors de sa cachette. Elle a raison, on est trop jeunes, pour se battre. Les étoiles ne le voudraient pas !
- Ah ouais ? Et qu’est-ce qui te dit qu’je peux pas la battre ? Elle désigna sa rivale d’un signe du menton, dédaigneuse. J'sais pas si t'as remarqué, mais je te défends depuis tout à l'heure !

Patte Dodue écrasa ses pattes arrière sous ses fesses, hébété, mais n’osa briser le silence. N’était-ce pas évident ? Nuageuse Marée, du haut des six lunes, surplombait de toute sa hauteur, la minuscule Patte Sablée, qui se son point de vue, avait autant de charisme qu’une fourmi. Décidément, la fierté et l’entement de sa sœur finirait par l’étouffer. Mais il savait qu’en contrepartie, il finirait en charpie bien avant elle, s’il osait la contredire. Il soupira. Il détestait les conflits.

- On est vraiment désolés, Nuageuse Marée, on ne reviendra pas t’embêter ! Bredouillait-il, dénué d'assurance. Pourvu qu'elle ne se mette pas à les prendre en chasse ! Ses pas le menaient inconsciemment vers la pouponnière, tandis qu’il tentait vainement de contraindre sa sœur à suivre sa direction.

- Hep Hep ! Retourne voir maman si ça te chante, moi je n’en ai pas fini !
- Mais ça sert à riiiien, chouinait-il, désespéré.

Deuxième soupir. Quelle était la raison du conflit, déjà ?

Mais Patte Sablée disait vrai. Pour continuer dans sa bêtise, la jeune femelle se hérissa, faisant gros dos devant Nuageuse Marée ! Pris d’un élan de rage pour prouver sa valeur, elle lança sa patte directement dans le sable, éjectant un semi-déluge en plein sur le visage de son opposante.


- On fait moins la maline, maintenant, hein ?! Ricana-t-elle d’un ton désinvolte à souhait.

Se défendant encore d'être un bébé, Patte Sablée répliqua aux paroles de Nuageuse Marée. Cependant, son frère, toujours beaucoup plus craintif qu'elle, donna raison à la plus âgée, ce qui lui décrocha un sourire narquois. Elle ferait bel et bien mieux de le suivre et ils seraient les bienvenus quand ils seraient en âge de fouler les lieux. Mais sa soeur ne l'entendant pas de cette oreille, répliquant qu'elle pourrait peut-être la battre. La chatte au début de son adolescence ricana. Non mais pour qui elle se prenait celle-là ? Un bébé qui essaierait de venir à bout d'une apprenti ? Aucune chance!

" Mais oui, bien sûr ! Tu pourrais aussi battre un grand sans problème, on y croit! "

Elle était sûre d'elle. Et Patte Dodue s'excusa auprès de Nuageuse Marée disant qu'ils ne viendraient plus l'embêter. Elle lui aurait bien répondu qu'elle aurait été la première à venir les saluer le jour de leur arrivé dans la tanière de manière officielle, mais la petite teigne ne voulait pas en rester là, non. Elle remballa son frère et balança un nuage de sable en plein dans les yeux de son aînée qui, surprise, se la pris en plein dans les yeux. Un petit cri sortit de sa gueule et elle se frotta le visage pour retirer le sable alors que des larmes venaient l'aider à retirer les grains qui s'étaient logés dans ses mirettes. Elle ne pleurait pas de doubleur ou d'humiliation, c'était un réflexe.

" T'es qu'une morue ! "

Lui lança-t-elle. C'était des mots que sa maman n'aimait pas l'entendre dire, un gros mot comme elle disait. Mais qu'importe, maman n'était pas là et elle était une grande maintenant ! Nuageuse Marée avait aussi défense de se battre en dehors des entraînements, mais là, Patte Sablée était allé trop loin ... Comme à son habitude, elle voulait viser les oreilles. Puisqu'on se moquait d'elle pour sa petite oreille cassée, alors elle ferait de même à ceux qui l'embêtait. Elle se mit en position d'attaque, sa queue fouetta l'air et ses pattes se détendirent alors qu'elle bondissait toutes griffes dehors vers la petite femelle, niant complètement le mâle.

Ses crocs se refermèrent sur l'oreille de son adversaire. Elle la tenait et pour la faire lâcher, il faudrait se montrer très persuasive.

Cette fois-ci, Dodu abandonna toute tentative de persuasion, pour faire cesser cette cacophonie. Dodu n’aimait pas les conflits, les cris, et autres disputes inutiles, ça le fatiguait plus que de coutume. Pourquoi ne pas discuter du désagrément, afin d’en identifier le noueux du problème pour l’en délier. Mais à l’évidence, les deux minettes n’envisagèrent guère cette possibilité d’un œil avisé. Visiblement, elles s’évertuaient à se crêper la pelisse, pour la forme. Son incrédulité se mua en déception, non-dissimulée. Oui, il les jugeait. Et personne ne pouvait dire qu’il n’avait pas essayé d’arranger les choses. Pourquoi était-ce toujours à lui de s’époumoner pour les autres ? Surtout avec des têtes de mules du genre de Patte Sablée ou Nuageuse Marée. Malgré les trois lunes qui les séparaient, le caractère similaire des deux chattes se valaient ; la bêtise était maladive, dans leur cas.

Devant lui, s’opérait un spectacle des plus virulents, à ses yeux. Patte Sablée eût le malheur de balancer une nuée de sable, dirigé vers l’oreille de son opposante, laquelle se vengea en attrapant celle de sa cadette. Patte Sablée hurlait à s’en déchirer les cordes vocales, et s’agitait tel un poisson hors de l’eau. A force de gesticuler, espérait-elle faire défaut à la mâchoire de Nuageuse Marée ? Patte Dodue soupira infortuné, levant les yeux au ciel. Sincèrement, autant s’excuser pour mieux oublier cette altercation ridicule. C’était clair que Nuageuse Marée la dominait autant en force qu’en technique. Logique : C’est une apprentie. Alors pourquoi, vouloir toujours prouver le contraire ? Pour jubiler de satisfaction ? Inventer des histoires pour se faire mousser par les copains de Pouponnière ? Parce-qu’accepter la défaite, c’est humiliant ? Patte Dodue se laissa glissa, pattes tendues pour s’étirer, avant de se coucher. Il bailla même dans le mouvement. La scène commençait à l’indifférer. Qu’elles se battent si ça leur chante, elles ne contraindraient guère les heures de sommeil, dont il avait besoin.

- Lâche-moi, face de poisson dépecé ! Cracha-elle avec fureur. Si tu me fais mal, je le dirais à ta mère !

Patte Dodue se fendit d’un rire caustique.

- Et sa mère va répéter cette histoire à notre mère, fit-il remarquer avec nonchalance.
- Tais-toi !

Il scella ses mots, comme ses paupières. A l’évidence, Pâte Sablée bouffie d’orgueil, détestait les leçons de morales qui pointaient du doigts ses torts. Son entêtement finirait par lui retomber sur le dos, lui continuerait à roupiller sur ses deux oreilles. Peu importe, il savait que ses essais à la diplomatie ne récolteraient qu’un solde tempétueux et stérile. Cependant, s’il se délestait d’une tentative de négociation, pour aboutir à une trêve éphémère entre les deux chattes, il ne bougerait pas d’un iota. Le chaton bicolore connaissait bien sa sœur : elle attaquait fort, mais se fatiguait vite, se destituant de sa force comme d’un feu de paille.

Soudain, il rouvrit brusquement les yeux. Son ouïe ne lui avait guère mentit. La silhouette de Patte Sablée se balançait d’avant en arrière, jusqu’à percuter le menton de sa voisine. Une paire de de griffes s’échappèrent de leurs fourreaux, et se crochetèrent au ruban de fourrure épaisse dont se paraît le seuil de la trachée, de l’apprentie. Finalement, Patte Sablée pressa de toutes forces, pour l’abimer, et d’y laisser couler quelques gouttes sanguinolentes.

- T’es vraiment qu’une abrutie, Patte Sablée ! Feula Patte Dodue, hérissé et pris d'impulsion. Son propre sang battait dans ses tempes. La fureur s’emparait de lui, pour verbaliser sa colère sous quelques insultes à l’intention de leurs déboires puériles. Les mots se bousculaient dans sa gorge, et ses traits fermés semblaient prévenir d’une implosion nerveuse imminente. Non, vous êtes idiotes toutes les deux, je vais le dire à maman !

- Mais c’est elle qui a commencé.

Patte Dodue s’assit, lissant son pelage furibond pour se calmer. Il plissa les yeux, et aiguisa son regard au dédain et ses pupilles rétrécies feignaient l’intérêt. Il lui signifia de continuer d’un geste du menton, mais en vain ; Patte Sablée se tût, ahurie.

- M’en fiche. Vous méritez d’être grondées.

Il n’était pas vraiment en colère, mais déçu. Son discours était ridicule, il n’avait rien de sévère. Et puis ses yeux lui piquaient déjà prévenant du hérisson larmoyant qui cuisaient au creux de se glandes lacrymales. Ainsi, le chaton se ravisa bien rapidement, il retroussa ses épaules jusqu’aux joues, et rabaissa la tête, penaud, et soucieux d’attiser la moquerie.