Bestowal Under The Stars - end

Voilà. C'était fait. Elle avait mis bas. Les formes qui grandissaient dans son ventre depuis deux lunes avaient enfin pris vie, goûté à leur première bouffée d'air. Trois petites boules au pelage sombre, toute bien formée, aucun mort-né. Pour une première portée, que du succès; la nouvelle mère trépidait de fierté. Sentant les premières contractions, elle s'était éloignée du campement et avait mis bas non loin, dans un coussin de mousse et feuilles ramassés sur le moment. La proximité au camp lui avait assuré la sécurité face aux bêtes sauvages ou chats ennemis, mais elle s'était tout de même cachée pour éviter les regards indiscrets des membres de son clan. Puis, le travail terminé, elle avait caché ses petiots du mieux qu'elle le pu et s'était précipitée à la recherche d'Étoile du Serpentaire. Nul besoin de décrire la satisfaction qu'il avait affiché à la vue de sa première descendance, ni l'effet euphorique que cela avait eu sur Douce Ancolie.

La nouvelle maman avait passé la journée entourée de ses petiots et de son compagnon, de quoi l'emplir de bonheur pour des jours durant. Si Étoile du Serpentaire avait voulu déplacer les jeunes aussitôt, pour les ramener le plus vite possible à la sûreté du camp, la femelle s'y était timidement opposé. Elle ne voulait pas brusquer leur arrivée au camp et les offrir de suite aux regards de dizaines de guerrier. Leur laisser quelques jours, quelques heures au minimum, pour prendre grippe sur le monde avant de les envoyer dans la tourmente du campement. Probablement qu'Étoile du Serpentaire s'était adouci à la naissance de ses petits, obtempérant ainsi à la demande de sa douce. Puis, il était retourné à ses occupations pressantes, laissant la féline se reposer.

La nuit avait tombée lorsque Douce Ancolie s'éveilla de son sommeil léger. Les petits, logés contre elle, étaient toujours profondément assoupi. À cet âge, lui avait-on dit, seul la présence de lait pouvait déclencher une petite réaction; le reste du temps était passé à dormir et gémir faiblement. Il leur faudrait encore un bon moment avant qu'ils n'ouvrent les yeux, et encore plus avant qu'ils n'apprennent à marcher. Et Douce Ancolie sentait son coeur se serrer de bonheur à ces perspectives. Cependant, avant qu'elle ne puisse réellement s'adonner aux rêveries, une chose planait au-dessus de son esprit. La santé des petits. À l'oeil, tout lui semblait adéquat; mais qu'en savait-elle réellement? Allaient-ils bien, étaient-ils bien formés, deviendraient-ils de forts combattants? Seraient-ils protégés des Étoiles?

Elle savait bien qu'Étoile du Serpentaire rirait de cette dernière inquiétude, au mieux, ou la gronderait de penser à de telles sottises, au pire. C'était ainsi une des raisons pour laquelle elle n'avait pas voulu réintégrer le campement aussitôt: la nuit et la distance lui donnaient le couvert nécessaire pour ce qu'elle s'apprêtait à faire. Le plus doucement qu'elle pu, la femelle se leva et se dégagea de ses chatons, qui n'eurent que quelques gémissements faibles comme réponse. Sans tarder, elle retourna au campement, longeant silencieusement les tanières pour trouver celle du guérisseur. Enfilant la tête entre les ronces entremêlées, Douce Ancolie chuchota:

- Esprit Soucieux, j'ai à te voir.

J'aime la nuit. J'aime sa douceur, et son calme. Pas de chatons qui chialent, pas d'apprentis venus réclamer des toiles d'araignée pour des plaies ouvertes aux épaules, pas de guerriers mimant les affres de la mort pour éviter de chasser ou d'anciens perclus de rhumatismes pour se plaindre. La nuit, le Clan est silencieux. Couché sur mon lit de mousse, je baille et mes paupières clignotent. Morphée me tend ses bras, et ce sont bien les seuls que j’étreindrais de ma vie.

Marié aux Étoiles.

Un, deux, mon antre apparait, je plonge dans le noir organique de mes orbites, un, deux, un, deux, un, deux, Ancolie. La favorite de Serpentaire viens de passer sa tête dans mon antre, et m'appelle d'une voix douce. Étrange, il me semblait qu'elle allait mettre bas, ou venait de le faire. Elle devrait se reposer, ce n'est pas bon pour une jeune mère de bouger de la sorte. Des tas de choses peuvent lui arriver, elle peut tomber ou se blesser ou faire une mauvaise rencontre ou être prise d'un accès de faiblesse et chuter inanimée au sol, sur des rocailles, d'une falaise, dans une dépression post partum dans des considérations graves de fatigue de panique et mourir et saigner et mourir et abandonner ses petits et ils vont crever et les Étoiles vont nous maudire et tout le Clan sera décimé la peste la pestilence la mort plane et et et

Et c'est moi qui me casse la gueule de ma couche - ta gueule kiddo - et me relève bien vite, la fourrure en pagaille. De mon pas saccadé j'approche la favorite. Elle n'a pas l'air malade, je ne sens aucun odeur témoignant d'une quelconque infection, c'est déjà ça.

– Que puis-je pour toi en cette heure tardive, Douce Ancolie ?

+:

Elle avait prononcé les mots à l'aveuglettes, ne sachant pas si Esprit Soucieux se trouvait dans sa tanière, et encore moins s'il était accompagné. Qui sait quel guerrier pouvait s'être blessé durant la journée, à tenter de chasser les proies réapparaissant à peine de leur hibernation. Douce Ancolie se serait retrouvée bien embêtée si cela avait été le cas. Mais, fort heureusement, lorsque ses yeux s'eurent habituer à la noirceur presque totale du refuge, elle vit que le guérisseur était couché, seul (évidemment). À l'entente de sa voix, il se leva brusquement ─ enfin, tenta de se lever, s'écrasa, puis se releva réellement. Douce Ancolie n'osa laisser poindre un sourire à ses lèvres, étant de toute façon trop inquiète pour ses enfants pour s'amuser de la maladresse du guérisseur. Et puis, pour un chaton malhabile, il était devenu un élément clé au clan, indispensable de par son savoir. Respect était donc de mise, à son égard. Elle attendit patiemment qu'il vienne la joindre, mais le tressaillement de sa queue trahissait son agitation intérieure.

─ Que puis-je pour toi en cette heure tardive, Douce Ancolie ?
─ Je-

Sa voix se bloqua à ses lèvres. Étoile du Serpentaire lui avait-il dit l'événement ? Comment lui confier ses inquiétudes, sans montrer l'angoisse qu'elle ressentait ? Elle se racla la gorge. Esprit Soucieux comprendrait ses inquiétudes, probablement, et saurait les apaiser en communiquant avec le Clan des Étoiles ─ à moins qu'il ne se moque et la dispute d'avoir gardé la portée si loin de la pouponnière et de son compagnon. Mais elle voulait être rassurée, avant de joindre les autres Reines et affronter le regard du clan.

─ J'ai mis bas, dit-elle à voix basse. Trois chatons. Viens les voir, je t'en prie.

Ce qui est bien avec Douce Ancolie, c’est qu’elle a conscience qu’un guérisseur est important, et qu’une petite chute ne change en rien ses capacités. Ce qu’il y a de moins bien avec elle, c’est quelle vient me réveiller pour ensuite hésiter à cracher la raison de sa venue.

─ Je- J’ai mis bas. Trois chatons. Viens les voir, je t’en prie.

Je la détaille du regard, passe sur ses courbes plaisantes et son corps bien formé – on peut être guérisseur et apprécier la beauté, la preuve, je me sais beau en dépit de mes cicatrices – et constate que son ventre n’est plus gonflé. Oh putain. Elle est belle mais parfois elle est conne. D’où tu vas donner naissance à la sauvette ? D’où tu te passes de l’avis du seul chat qui s’y connaît dans le Clan ? Oh putain. J’ai compris. Ils sont morts. Elle veut que je l’aide à les enterrer.

Putain putain putain. Serpentaire ne va pas aimer, pas du tout, pas du tout du tout, s’il faut lui donner une nouvelle chatte pour son harem, Clan des Étoiles, faites que ce soit Dernière Danse et pas ma sœur, elle n’attend que ça de toute manière, faites qu’il ne me prenne pas Esprit Lent -

Je me reprends, et me passe la patte sur l’oreille, celle qui est trouée. Je tremble un peu. Je la regarde, pas dans les yeux, là, je n’en ai pas la force, mais un point un peu au dessus, là où serait son cerveau, tout rose et baigné de sang, comme ses chatons, mais chaud et pulsant là où les petits sont sans doute déjà froids et durs.

― Je prends des herbes ou bien... Tu sais. On est a encore besoin à ce stade ?

+:

hrp:

─ Je, je crois ? Ce n'est pas mieux ?

Oh, oh, espoir, lumière, ils ne sont pas encore tout à fait morts, oui oui oui on va les sauver ils vont aller bien peut être des séquelles mais, eh, des séquelles, des séquelles c'est pas grave ils pourraient pourrir dans la nuit de la Forêt Sombre, privés de baptême, et là, là, ils vont vivre.

─ ... Tu crois que c'est possible qu'Étoile du Serpentaire ne sache pas ? Enfin, pas tout de suite ?

Je lui jette un regard, et pars dans ma réserve. Je reviens assez vite la gueule pleine de lavande - c'est probable que les gosses se choppent une sale fièvre s'ils sont seuls dehors.

Je dépasse Douce Ancolie, et, d'un geste de la queue, lui indique de me précéder, pour me montrer le chemin. La nuit est noire est pleine de secrets, mais nos ancêtres guident nos pas, et la douce lueur de la lune nous guidera.

― Il le verra sans doute de lui-même. Il y aura des marques je pense, un peu comme des stigmates, tu vois ? Mais je peux attendre quelques jours avant de lui faire un rapport.

+:

hrp:

A grands pas, nous découpons la nuit et buvons son lait noir, avançant vers les cadavres sans doute déjà froids de la première portée de Douce Ancolie. La mère endeuillée ne semble pas encore prendre l'exact mesure des épreuves qu'elle va avoir à traverser : on la blâmera pour avoir accouché si loin du Camp, on lui rappellera l'absence perpétuelle de chatons à ses côtés, on lui jettera à la gueule qu'elle n'est même pas bonne à écarter les jambes et à offrir ses rejetons à son chef...

L'odeur des petits corps m'arriva vite aux narines, mêlée à celle riche et profonde du mucus. Le sang battait à mes tempes, je serrais les crocs. Je n'aime pas les morts-nés et leur timidité post-mortem. Puis un cri perça la brume qui entourait mes réflexions. Un cri aigu, bref, reconnaissable entre mille. Le piaillement curieux d'un chaton vigoureux.

De trois chatons vigoureux.
La lavande m'en tomba de la gueule.

─ Alors? Ils vont bien?
─ ... Putain de bien oui, pour des ressuscités.

Je m'ébrouais, et renifla précautionneusement les trois petits êtres.

─ Ils sont en parfaite santé, félicitations Douce Ancolie. Par contre, je t'avoue que là, je ne vois pourquoi tu m'as fait appelé - non parce que tu vois, j'ai pas de lait à te dépanner ni rien.

+:

Elle avait l'air rassérénée, et partit lécher ses petits, compulsivement. Elle fera sans doute une bonne mère, douce, protectrice. Les gamins piaillaient joyeusement. Ils devaient avoir un peu froid, ils seront bien mieux dans la chaleur réconfortante de la pouponnière. Douce Ancolie se tourna subitement vers moi, les yeux humides, tremblotants.

─ Il faut que tu les présentes aux Étoiles. Que tu les baptises. Que tu me promettes que nos ancêtres veilleront sur eux. S'il te plait.

Je la regarde. Elle est sérieuse. Tant mieux. Allons rassurer la jeune mère.

Je ramasse ma lavande, et souffle. Bon. Un baptême. Il suffit de jurer allégeance en son corps, son âme et son cœur, mais une simple prière, un simple contact ne suffira sans doute pas à Douce Ancolie. C'est parti pour du folklore herbeux.

─ Douce Ancolie, donne moi leurs noms, je vais déjà les frotter avec mes remèdes, pour qu'ils soient purs et sains pour leur baptême. En cette nuit de naissance, le Clan des Etoiles les acceptera.