[LP] Tais-toi et aide-moi - end

Le miaulement lui parvint aux oreilles mais c'était pas encore midi, 'faut pas charrier, Tante Cœur Fleuri pouvait s'en occuper si Nuage Silencieux était parti pour sa promenade. Mais en tendant l'oreille, en la pivotant derrière sa tête, en remuant les moustaches avant de bailler, Alcidés se rendit compte que Tante Cœur Fleuri n'y était pas.

— « Pffff, la feignasse qui bosse pas... »

Il connaissait cette voix. Ses deux oreilles se dressèrent sur sa tête et il chassa la mousse de son lit d'un claquement de sa courte queue, avant de s'asseoir sur le flanc, étirer ses épaules, et lassement se lever sur ses quatre pattes, secouant celle à l'arrière pour se débarrasser des fleurs de thym qui lui étaient collés dessus. Il sortit de l'obscurité pour s'avancer dans la pénombre, reculant d'un pas lorsque les rayons du soleil voulurent l'aveugler en lui fonçant dessus.

Il leva le nez - son aînée se trouvait devant lui. Sa tête, encore lourde de sommeil, se pencha sur le côté, sur une moue de confusion qui lui fit tirer ses lèvres vers l'arrière, manquant de peu de lui montrer son dédain lorsque ses yeux s'habituèrent à la lumière pour voir ces poils sans pigments à la peau exposée et rosée dessous.

— « ... Gigi?      ...Tu viens pourquoi?

Au premier coup d’œil, elle n'avait pas l'air blessée.

— « Tu tombes bien, gueule d'oignon.
— Gueule---
— J'ai besoin d'un diagnostic positif. »

Le petit chat n'eut même pas le temps de reculer sa tête pour la tourner du côté de sa face dégagée en s'éloignant qu'il fut arraché du sol avant d'être posé plus loin, le cœur en panique. Il voulut protester « GIGI M- » que la langue de cette dernière trouva de son museau à son front d'une grande lapée qui lissa tout ses poils en une même crête soulevée.

— « --....»

Nuage d'Alcidés échappa son air après avoir cligné des paupières, peinant à comprendre si tout ce qui venait de se passer était bel et bien réel ou s'il avait encore la patte dans le rêve. Il se laissa tomber sur son arrière train, soufflé, les oreilles tombant de chaque côté de sa tête sur cet air interdit. Sans préambule:

— « Regarde mon ventre. Bientôt, y'aura des bébés dedans.

Alcidés hocha la tête, la secouant légèrement tout en se levant sur ses pattes pour se traîner vers l'herbier-- Venait-elle de dire des bébés?    Echo Lointain veut savoir si ils vont y être bien parce que j'ai perdu beaucoup, beaucoup de poil. À la rigueur, si tu as quelque chose pour faire repousser très vite ma fourrure, je prends.

Sinon, merci beaucoup pour ton diagnostic positif, j'ai hâte de les faire ! C'est qu'on est pressé, hein ! »

Avant même de tendre une patte pour farfouiller dans ce qu'il avait - une minute, mais il n'y avait rien pouvant aider le poil à repousser plus vite ??? Qu'est-ce que c'était que cette demande? Il fronça les sourcils. Et puis c'était elle, la gueule d'oignon, à peler partout comme ça!

— « Coeur Givré, il n'y a pas de plantes comme ça, lui répondit l'apprenti-guérisseur sans se retourner, n'osant pas trop la regarder dans les yeux. Et même s'il y en avait... »    il ne termina pas sa phrase.

Sa sœur n'avait pas le droit d'infliger à des petits la tare de son albinisme. Elle n'avait pas le droit.

Lui faisant dos, devant son herbier, Alcidés s'était tu, trahissant son calme par un mouvement de balancier de sa courte queue.

— « Écoute tacheté, je sais pas si t'as remarqué, mais je deviens tellement rose qu'il faudra m'appeler Cœur de Saumon dans pas longtemps.

Même en levant sa patte vers lui, elle ne s'attira pas sa pitié. C'était à Alcidés de couvrir son cœur de givre.

— ...
— Je ne peux plus mettre le nez dehors parce que j'ai trop froid. Je sers à rien dans cet état, je peux même pas chasser tant je suis gelée. Donc il va falloir que tu trouves une solution, monsieur le guérisseur. »

Sa queue eut un mouvement plus vif. Certainement qu'il était monsieur et guérisseur. Il serra ses dents, et inspira son air en comptant les temps. Un temps, deux temps, trois temps... Et pendant ces temps le silence s'infiltrait dans la tanière comme une brise d'hiver, qui souffla, sans pourtant atteindre le fond où se trouvaient leurs lits, l'eau où s'abreuver, et son herbier. Ce silence pesa suffisamment Coeur Givré pour la pousser à admettre un autre mal :

— « Aussi... Ça fait une lune que j'ai un... On dirait une pierre dans le ventre. Les oreilles de l'apprenti tiquèrent, il ronfla du nez en s'imaginant tout de suite Cœur Givré aller bouffer des cailloux dehors parce-qu'elle s'ennuyait.

Une grosse boule qui me fait mal et qui ne part pas. Je crois que ça grossit, j'ai crû que c'était un chaton au départ, mais... C'est un caillou. »

Son ton buta à la fin, et Alcy sursauta, cessant le mouvement de sa queue pour lentement tourner la tête, déversant à son aînée sa confusion qui tira lentement ses traits d'un air tracassé. Il fuit le regard, réfléchissant. Un caillou si elle les mangeait, ça restait un caillou, ça ne grossissait pas - ou alors elle buvait si peu d'eau que?...

— « ...Urinaire c'est du bruyère », il finit par articuler, lentement, pour lui-même, avant de tendre le cou et attraper une tige tiges et ses fleurs violettes en grappe, qu'il extirpa du reste.

Il se retourna vers Coeur Givré en espérant pouvoir peser son regard sur-elle - malgré sa petite taille, malgré son insignifiance à ses yeux, malgré leur distance (littérale et figurée).

— « ...Si tu bois beaucoup d'eau, ton "caillou" devrait disparaître, mais s'il continue de grossir... » Il fit la moue, plissant le nez et tirant ses lèvres et il sortit de son mutisme: « --Mais enfin réfléchis, Coeur Givré, si tu pensais que c'était un chaton -- si tu pensais que c'était un chaton, que comptes tu faire pour les prochains? Et s'il héritaient de ce caillou? Tu te vois leur infliger cette douleur??

Lui faisant face, sa tige et fleurs de bruyère en bouche, Alcidés s'était immobilisé. À ses yeux, en ce moment, et comme elle se traitait d'inutile... Il ne trouvait pas que Coeur Givré méritait de mâcher sa bruyère pour se peut-être problèmes urinaires. Il ne voulait pas gaspiller leurs ressources.

Ils étaient deux à être agacés, seulement là où Coeur Givré prenait le ton de la plaisanterie « Décoince-toi » « tête d'oignon » « Un chaton-caillou », Nuage d'Alcidés pensait et repensait à toutes les implications qui pourraient lui faire rater sa grossesse. Que faire si elle décidait spontanément de se mordre le ventre? Car seules les Étoiles savaient que les albinos souffraient tellement du Soleil qu'il faisait s'assécher les herbacées des Landes de leurs esprits : on n'y sentait plus d’arômes de pensées, non, juste le roussi, qui transparaissait sur leurs extrémités.

Coeur Givré se décourageait car malgré le roussi dans sa tête elle eut suffisamment de jugeote pour comprendre que son petit frère hésitait à l'aider. Elle n'en eut cependant pas assez pour comprendre pourquoi.

— « Et puis pourquoi tu t'inquiètes pour des chatons inexistants ? Moi je suis là, je te demande des remèdes et tu t'en fiches ! C'est quoi ton problème ?

Et Nuage d'Alcidés craqua, se détournant d'elle avec son bruyère en bouche comme s'il avait décidé de l'en priver de ses bienfaits.

— Oh oui, suis-je bête de m'inquiéter des futurs chatons que tu planifies d'avoir! Sa queue fendit l'air, il ferma les yeux comme s'il se fermait à cette conversation. Vu comment tu t'es occupé du premier...! »

Petit Silence n'aurait jamais eu d'accident si Cœur Givré avait veillé au grain afin de le protéger. Elle n'était presque jamais venue le visiter pendant sa convalescence à la tanière, encore moins venue le féliciter pour sa réhabilitation. Et elle n'avait rien dit, non plus, quant à leur décision de le nommer aide-guérisseur, étant donné la précarité de son futur de guerrier.

— Retire ça. Maintenant. »

Un petit sourire de suffisance avait tiré les babines de l'apprenti-guérisseur devant le succès de sa pique - et devant le succès de sa pique il se fit soudain tirer au sol, les dents de Cœur Givré le prenant à la gorge « HHRK-- » pour le renverser sur le plancher de terre de sa tanière. « GIGI-- » Les yeux ronds et la gorge douloureuse, Nuage d'Alcidés chevrota son air en levant les deux yeux sur

une BÊTE

aux yeux injectés de SANG

comme l'avait été sa MÈRE au-dessus de Cœur Fleuri.

Son anxiété lui assomma la tête et en ressentant la moiteur de la truffe de la bête contre la sienne, il lui sembla que tout arôme de raison dans ses Landes intérieures s'était dissipé. Agressif:

— « LÂCHE-MOI !

Sa cage thoracique, comprimée dessous le poids des pattes de sa sœur aînée, tentait de se soulever par à-coups, comme sa queue qui balayait au sol, maintenant toute aussi gonflée que l'était le poil de l'albinos. Alcy sortit les dents, les pupilles se dilatant dans ses yeux jusqu'à engloutir toute la célérité de sa couleur d'or : il devenait une bête sauvage lui aussi.

— « Tu vas me soigner, sur-le-champ. « COEUR GIVRÉ VA-T-EN! » Et plus jamais, jamais, « À L'AIDE! » tu ne mentionnes l'existence de l'autre aberration. « PITIÉ, AIDEZ-MOI ! » Sinon je... je... »

La bête fulminait, haletante, ses yeux injectés de sang se gonflant dans leurs orbites comme pour s'y expulser pendant que Nuage d'Alcidés se débattait, saisi de partout par sa peur, par son anxiété qui l'étreignait, par son mal-être, sa faim qui le mordait de partout tout en même temps. Il finit par délivrer un coup - sans les griffes - au museau de son aînée pour lui faire reculer sa face de la sienne, profitant de son déséquilibre pour s'asticoter comme un ver en dehors de sa prise et il bondit maladroitement sur ses pattes pour s'éloigner en petits sauts de côté, le dos rond, la queue levée, le feulement en bouche.

— « ...VA-T-EN ! »

Il toussa à sa gorge qui prenait feu autant par la douleur que par le haussement de son ton, « Hreuh _KHREUH Hreuh » secouant sa tête, réduit à se coucher sur le ventre et à glisser ses pattes en-dessous, ne redevenant plus qu'une toute petite boule de poils pour calmer la course de son cœur. Lui aussi, il haletait.

Sa vision était trouble, mais les yeux de ses pensées ne voyaient plus que cette bête sauvage lui sauter dessus. Il devait être prêt. Il devait être prêt à détaler avant la prochaine attaque. Sans quoi il était sûr, il serait le prochain. Il serait le prochain qu'elle tuerait.

HRP: