We're not pieces of dirt. - end

Aigue-Marine rit de bon cœur en sentant l'embarras de Nuage d'Écaille après qu'elle lui ait posé sa question à propos des amours dans la tanière des apprentis. Elle n'en attendait pas moins que cette réaction de gêne et de fuite, typiquement adolescente. Mais elle ne comptait pas s'attarder là-dessus, et souhaitait surtout ne pas se convertir en la vieille femelle avide des histoires des autres, à défaut d'en avoir elle-même.
La nuit était tombée, bien que les lueurs du jour couchant tentaient tant bien que mal d'éclairer l'horizon encore quelques minutes. C'était un très joli spectacle que ce soir d'été. Les étoiles s'allumaient dans le ciel et, si on laissait ses pupilles s'adapter à la lumière de la nuit, on distinguait peu à peu la voie lactée se découper sur la robe bleutée du ciel. Une étoile filante vint même saluer les deux femelles. Aigue-Marine se prit à faire un vœu après lui avoir rendu son salut, intérieurement.

À la nuit tombée, la vie sur Terre changeait quelque peu. Les animaux diurnes rentraient chez eux, se trouvaient un coin sécure pour la nuit, tandis que les animaux nocturnes commençaient leur journée. Les chats, eux, étaient à la limite entre les deux : ils pouvaient passer la journée à dormir et la nuit à s'agiter, et vice versa. Dans les Clans, chacun occupait un poste bien précis qui changeait selon les journées : ils étaient amenés à être actifs le jour, mais aussi parfois la nuit, lorsque des gardes étaient nécessaires, ou d'autres événements exceptionnels en cours.
Un guise d'incipit de la nuit, une chouette s'envola d'un gros arbre en poussant un hululement caractéristique, puis passa au-dessus des deux félines, non sans les observer longuement. Elle finit par détourner son attention et se concentrer sur sa tâche quotidienne : se nourrir. Les souris et autres petits rongeurs n'avaient qu'à bien se tenir.

« Qu’est ce que c’est ? » La question étonna franchement Aigue-Marine, qui ne s'attendait pas à ce que cet oiseau si caractéristique soit inconnu de Nuage d'Écailles. Mais il était vrai qu'elle était encore une très jeune apprentie. Si Lapis Lazuli ne l'avait pas emmené en vadrouille en pleine nuit, elle n'avait certainement jamais eu l'occasion de voir une chouette de ses propres yeux. Néanmoins, lorsque la guerrière lui aurait dit qu'elle en était une, tout un tas d'images lui traverseraient l'esprit : les chouettes étaient des prédateurs dont se méfiaient les chats de Clan, et dont les contes des Anciens recelaient inévitablement.

« C'est une chouette. Très difficile à attraper, et surtout, dangereuse pour nos petits. Elles vivent la nuit, et se nourrissent de petites bêtes : sans la pouponnière pour assurer la sécurité des chatons, ceux-ci seraient des proies de choix pour elle. » Une explication claire et concise, que Lapis Lazuli aurait sûrement enseigné à Nuage d'Écailles si l'occasion s'était présentée. C'était à présent chose faite, et Aigue-Marine se plaisait à penser qu'elle aurait un rôle à jouer dans l'éducation de la rouquine. « Cette chouette vient d'ailleurs de nous rappeler gentiment qu'il était tard. Nous ferions mieux de reprendre le chemin du camp. Il ne faudrait pas qu'on croit que tu as disparu, toi aussi. »

Sur ces paroles, Aigue-Marine se leva et s'ébroua, se débarrassant de la torpeur qui avait transi ses muscles pendant le long moment où ils n'avaient pas été en mouvement.
La guerrière aux yeux azurés n'avait pas vraiment envie de rentrer, et elle avait parlé plus par convenance avec la vie du Clan que par désir de réellement s'en aller. Cela dit, rien ne les retenait hors du camp, et Nuage d'Écailles devait avoir le repos nécessaire pour continuer son entraînement.

Aigue-Marine et Nuage d'Écailles marchaient désormais côte à côte, aussi silencieuse que si on leur avait fait un mauvais présage. La nuit les entourait et à les voir, têtes et queues baissées, on pourrait penser qu'elles revenaient avec de mauvaises nouvelles.
Mais la mauvaise nouvelle, c'était justement de rentrer au camp.

Aigue-Marine avait bien senti que, tout comme elle, l'apprentie au poil roux n'avait pas envie de rentrer. Sans doute que reprendre une vie "normale" était trop difficile dans ce contexte où elle venait de perdre les deux êtres qui comptaient le plus pour elle depuis sa naissance. Cette petite entrevue avec la guerrière lui avait fait du bien, visiblement, mais ça ne serait pas suffisant pour s'en remettre immédiatement, et c'était bien normal. La peine était toujours proportionnelle à la perte que l'on subissait.
Mais elle, Aigue-Marine, pourquoi était-elle réticente à rentrer au camp ? Sans doute parce qu'en ce soir d'été, elle avait compris pourquoi elle ne s'y était jamais sentie à l'aise, et l'idée de continuer à vivre comme ça la rebutait. Mais surtout, elle avait mesuré l'ampleur de la lutte acharnée qui les attendait, et elle en était épuisée d'avance.
Serait-elle à la hauteur ? Elle se le demandait. Elle qui, jusqu'ici, aux yeux des mâles de ce Clan, n'avait été à la hauteur de rien, elle avait encore du chemin à parcourir avant de se sentir pleinement confiante : en elle, en les autres, en l'avenir. Elle qui s'était montrée positive face à Nuage d'Écailles semblait flancher quelque peu.

« Aigue-Marine ? Merci pour tout. » L'interpelée releva les yeux. L'entrée du camp, faite de roseaux intriqués les uns dans les autres, s'ouvrait devant les deux femelles. Elles étaient arrivés. Le chemin du retour avait été si court... Aigue-Marine soupira mais, reposant ses yeux sur Nuage d'Écailles, et prenant la mesure de l'importance de ce "merci" tout simple, elle lui sourit, sereine.

« À demain, Nuage d'Écailles. Dors bien. » Elle lui rendit sa marque d'affection puis pénétra dans le camp à sa suite, le cœur tenaillé entre l'appréhension et l'espérance quant à l'avenir.

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