Hantés de honte (Coeur de Ronce) - abandon

" Ne vois tu pas que je ne suis pas rabat-joie? Je me sens seulement très bien seul. J'ai juste besoin de penser... Regarde toi. Tu sais nager, comme tout les membres du clan. Regarde moi...
Un pauvre chaton qui ne sait rien faire que de frapper dans des troncs et de se foutre des échardes dans les coussinets... "

Le frère de Mat avait un côté maussade qui pouvait ennuyer, quelquefois, mais dans le fond, à l'entendre, on comprenait facilement qu'il ne rêvait que de se sentir libre, soulagé, léger. Mat aimait bien, en écoutant Cœur de Ronces, se mettre à penser qu'il était exactement comme lui, dans le fond. Non pas parce qu'il était son frère, mais simplement parce qu'il était un simple chat.

" Regarde ce mollasson d'Ombre du Hibou, regarde n'importe quel guerrier du clan," commença-t-il, presque en rigolant, avant de songer intérieurement à Ravin Fourbe, qui lui avait donné une sacrée leçon de modestie peu de temps auparavant. Il poursuivit, en recherchant le ton plus calme d'un matou expérimenté : " Y en a aucun de parfait, ils ont tous des sacrés points faibles. Tu peux me croire. C'est juste pas toujours facile à voir."

Mat espérait que le sien ne se voyait pas trop. Jusqu'à présent, il avait à peu près réussi à berner Nuage de Rosée, qui le prenait encore pour un guerrier génial à qui la vie réussissait. Mais comment savoir si aucun vieux n'avait pas compris ce qui s'était passé, le jour du fameux râteau ? Comment savoir si les amies qu'il laissait en plant ne finissaient pas par se poser les bonnes questions ?

Il sentit que son expression trahissait sa nervosité soudaine, et tourna la tête en direction de la rivière.

" A côté de ça, on est quand même utiles au clan, et on sait faire des trucs. T'es plus tout à fait un chaton qui se cogne dans les arbres, quand même ! J'suis sûr que les femelles courent à la queue leu leu derrière toi."

Il disait ça en rigolant. Comme dans pas mal de situations où on choisissait de rire pour ne pas se sentir triste. S'inventer une vie meilleure, même si ce n'était que se l'inventer, ça restait un passe-temps sympathique. Un échappatoire à ce monde qui ne s'affichait à nous que sous ses traits les plus ternes et mornes.

Spoiler:

" Non bien au contraire... Je ne fais rien pour le clan mise à part déserter pour ''m’entraîner''. De plus... Tout les femelles du clan sont très très très très très éloigné de moi. Les seuls relations proche que j'ai avec des femelle c'est avec nos sœurs. Les femelles sont loin de me trouver attirant. Et j'en ai pratiquement rien à faire de femelles... Ça te ramolli le cerveau pour rien. "

Quand il entendait ce genre de choses, Mat n'en avait pas l'air, mais il se sentait encore plus chamboulé qu'après s'être pris une claque en pleine tête. Cœur de Ronce disait ces choses tellement facilement. On aurait pu croire, comme ça, qu'il était tout à fait indifférent, mais la réalité, Mat le savait, était tellement, tellement plus compliquée...

Cependant, on ne ferait jamais du rouquin un matou austère et rigide. Résolu à créer une ambiance un peu plus détendu, il se risqua à une plaisanterie particulièrement dangereuse, tandis que son frère l'incitait à le suivre, quelque part :

" Tu... tu penses que les femelles m'ont ramolli le cerveau ? " fit-il avec son meilleur faux air hébété. Ce n'était pas tout à fait faux, mais Cœur de Ronce s'en doutait-il ?

Ils marchaient au bord de la Rivière, et Mat repensait au jour où il avait sorti son frère des eaux. C'était il y a si longtemps... Et pourtant, avec Cœur de Ronce, on avait l'impression de toujours y revenir. Comme si ce dernier avait cherché en vain à rectifier l'Histoire.

" Tu sais, en vrai... Même si t'as du mal avec l'eau, ça fait pas du tout de toi un inutile. T'es sûrement beaucoup plus malin que la plupart d'entre nous, et ça compte aussi. "

Il avait dit ces mots en espérant apaiser son frangin. Mais il réalisa que c'était peut-être un peu maladroit. Peut-être n'auraient-ils que l'effet d'un compliment dans le vent. Un effet auquel Mat était tellement habitué. Un humain à sa place se serait mordu la lèvre. Lui qui était un chat, il tourna juste la tête, gêné à cette pensée qu'il était incapable, même après des lunes et des lunes, d'oublier tout à fait "sa" belle.

La honte prenait finalement, chez lui comme chez son frère, des proportions stupéfiantes. Encore une fois, Mat se dit que dans le fond, ils se ressemblaient beaucoup, tous les deux. Ce n'était pas rien, d'être frères.

" Vraiment dommage que t'aies si peu connu notre mère. ", fit-il plus bas. Peut-être même d'une façon tout à fait imperceptible.