Matin fleuri - end

Coeur Givré avait reprit les entraînements et ses patrouilles. L'esprit de Cri des Albatros était en éveil, et l'idée de faire des parties de chasse avec sa sœur la remplissait de joie. Il lui fallait des bagarres de frontières, des entraînements communs, surtout qu'elles s'occupaient de deux frères jumeaux. Enthousiaste, elle savourait les avantages de son âge qui, progressivement, avançait, tout en regrettant l'insouciance des apprentis. Actuellement, elle s'inquiétait pour l'état de santé d'Etoile de Sable, les rumeurs disaient que le flambeau des chefs n'allait pas tarder à passer entre une autre paire de pattes. Cette idée la dégoûtait, elle ne voyait pas d'autres chefs que la guerrière brune. Néanmoins, Cri des Albatros était le genre à voguer d'une idée à une autre, maudissant la nouveauté avant de l'adopter pour la défendre ensuite. Si elle vivait la future mort d'Etoile de Sable comme une trahison des Etoiles, elle hurlerait que le futur nouveau chef est un cadeau de leurs ancêtres s'il s'avérait être bon et aimable. D'ici de nouvelles informations concernant la suite des événements, elle se tuait à la tâche, ramenant proies et herbes, accompagnée de sa tante ou de son frère. Elle dormait mal, l'esprit trop occupé.
Cri des Albatros s'occupait le corps, s'occupait l'esprit. Il fallait s'occuper pour ne pas penser. Penser, c'était dangereux, car si elle pensait, elle allait s'occuper à penser à Toucan. Il ne fallait pas.
S'arrêter de penser, pour ne pas y penser. Travailler. S'aliéner au travail. Ne devenir qu'une tâche, un devoir. Elle était guerrière, et progressivement, elle espérait s'appeler Guerrière et plus Cri des Albatros. Elle allait se déshumaniser pour ne plus penser à ce satané solitaire mince non ce guerrier de l'Ombre oh et puis merde.

« Albyyyyyy ! » 

Si un jour elle avait un enfant, Cri des Albatros paierait pour que ce soit Petit Silence. Figure d'ange et allures de saint, il débarquait de nulle part pour la sortir de ses pensées. Ses idéaux de travail d'esclave et d'aliénation par le travail s'envolèrent soudainement pour laisser place à un futur radieux. Un sourire illumina son visage à la vue de son neveu. Elle regrettait presque de ne pas être sa mère, mais considérait Coeur Givré comme une femelle exceptionnelle. Petit Silence sera un grand guerrier, avec le sang qui coulait dans ses veines. Considérant sa famille comme la meilleure, elle voyait en chaque guerrier de sa lignée un futur héro. Avec son cœur doux et ses yeux innocents, Petit Silence avait un joyeux futur devant lui. Cri des Albatros craignait qu'on abuse de sa gentillesse, et s'estimait protectrice de ce chaton, coûte que coûte. Revêtant son allure chevaleresque de gamine toute menue, elle écoutait la requête du Prince. Aller dehors. D'accord, elle avait été chaton avant lui, et comprenait. Ses excursions en tant que chaton s'était soldée par la rencontre de gars pas sympas, du style Toucan qui menaçait de devenir usine et elle chaire à modeler, et l'idée de se prendre marteaux et burins l'avait tant marquée qu'elle en avait vomit.
Un frisson la parcourut tandis que son cœur se flétrissait à chaque souvenir. C'était un gars tordu, il l'avait toujours été. Pas étonnant qu'un tel solitaire finisse à l'Ombre. C'était précisément pour cela qu'elle protégerait Petit Silence. Elle refusait qu'il tombe sur un Toucan. Sa Toucan.

Elle s'approcha de son neveu en souriant et posa sa truffe sur son front en fermant les yeux un moment. Elle voulait sentir son innocence, son odeur de lait, de pouponnière, de maternité. La chaleur juvénile du chaton la calmait et faisait taire ses angoisses et inquiétudes.

« Bien sûr que je t'accompagne, je vais pas te laisser seul, qui sait ce qui pourrait t'arriver … Mais pas un mot à maman, d'accord ? Ni à personne d'autre. »

Cri des Albatros déposa une lèche sur son front et sourit avant d'entamer sa marche. Il allait probablement faire un peu le tour du camp, mais pour éviter que le chaton ne remarque la supercherie, elle s'éloignerait un peu tout de même. Quoiqu'il en soit, son escapade était forcément un futur avantage pour le chaton, qui allait connaître un peu les alentours avant même de commencer son entraînement. Elle tourna la tête vers Petit Silence et ajouta avec un air étonnamment maternel.

« Ce sera notre petit secret, juste à tous les deux ! D'ailleurs, tu vas bientôt commencer ton entraînement d'apprenti-guerrier toi, non ? Ça te fait combien de lunes, déjà ? »

HRP:

Tension dans les membres et palpitations inquiètes, Cri des Albatros haussa les sourcils devant les réponses de son neveu. Elle tentait de se creuser la cervelle pour rechercher des souvenirs de son passage en apprentie. L’albinos était excitée comme une puce, sautillant. Elle avait espéré la fierté de sa tante, et son premier mentor n’était personne d’autre qu’Etoile Fauve. Après réflexion, son apprentissage fut ponctué d’abandons par ses divers mentors. D’abord, le roi soleil était parti conquérir d’autres prairies, façonnant à distance des images de nouveaux chats du Vent sans s’inquiéter des originaux. Etoile de Sable venait de mourir, emportant dans sa tombe les dernières étoiles d’admiration qui brillaient dans les yeux rougeâtres de l’albatros. Il lui restait sa tante à admirer, comme unique chemin lumineux à suivre. Sans elle, la jeune guerrière était perdue. Elle pouvait toujours idolâtrer Cœur Givré, mais elle n’était pas un modèle viable. Cri des Albatros se crevait les yeux pour ne pas le voir, folle d’inquiétude à l’idée de devoir se créer une véritable personnalité, avec des avis originaux.

Petit Silence semblait différent. Il semblait avoir sa propre mentalité, et ses propres craintes. Il n’était pas une copie conforme de sa mère, alors que tout le Clan semblait le craindre autant qu’on redoutait l’impulsivité de Cœur Givré. C’était dommage. Heureusement, le chaton semblait s’être fait des amis, comme le neveu de Fierté du Cerf, Petite Mousse. Bien que la gamine le regardait avec méfiance, il semblait ne pas porter dans son cœur les deux femelles albinos du Clan.

« Tu as une idée de mentor en tête ? Je me souviens, mon premier mentor avait été le grand Etoile Fauve ! Tu as peut-être peur, mais ne t’en fais pas, c’est un jour moins impressionnant qu’il en a l’air ! »

Incapable de sentir l’essence même du problème, Cri des Albatros faisait craquer des allumettes à côté. Gentiment, elle le poussa du museau pour le faire avancer. La jeune guerrière pensait encore que les blaireaux étaient des légendes inventées par les anciens pour effrayer les chatons et les dissuader de sortir seul, après tout. A défaut d’être intelligente, l’albinos avait été téméraire. Petit Silence avait un instinct de survie supérieur au sien, et éprouver de la peur était positif.

« Qui sait, tu seras peut-être avec Petite Mousse ! Certains guerriers prennent deux apprentis, et on manque de mentors en ce moment … Qui sait, peut-être qu’Etoile Vaillante me confiera ton apprentissage, et on sera plus souvent ensemble alors ! »

Elle voulait en faire quelqu’un de bien. L’idée qu’il devienne un briseur de cœurs ou une sale raclure lui était insupportable. Elle espérait que Cœur Givré lui donnait une bonne éducation. Bien que son instinct maternel était au ras les pâquerettes en temps normal, il s’éveillait en contact de Petit Silence.

« Sinon, à part ça, pourquoi tu veux fuguer, jeune voyou ? » Sourire amusé, elle aimait picoter sur l’éthique. « La pouponnière t’ennuie, ou monsieur a un besoin d’aventure d’un coup ? »

Elle rit doucement, restant sur ses gardes au cas où une vipère ou des rats venaient les attaquer. Si un malheur leur arrivait, elle serait tenue responsable, et cette idée l’effrayait. C’était précisément pour ça qu’elle devait protéger coûte que coûte son neveu, et éviter tous les chemins dangereux.

Cri des Albatros tira tout d'abord une mine d'incompréhension. Elle ne concevait pas le fait d'aimer la pouponnière. Pour elle, c'était un endroit fichtrement ennuyeux, où elle s'était plu à rechigner et se plaindre auprès des grands. Petit Silence portait bien son nom. Le petit vivait sans faire de vagues, ressemblant plus à Nuage d'Alcidés qu'aux deux sœurs albinos. La guerrière eut un soudain éclair. Elle ne savait pas qui était le père du petit chaton blanc. Elle imaginait mal sa sœur avoir une idylle amoureuse avec un chat. Elle n'avait aucun soucis à la sexualiser, sachant que Coeur Givré avait un côté enjôleur malgré elle, mais l'imaginer amoureuse lui paraissait étrange. Avait-elle eu Petit Silence avec un chat qu'elle n'aimait pas ? Dans quel but ? Elle ne semblait pas réellement attaché au chaton, et l'esprit encore pur de l'albinos ne concevait pas encore les relations par plaisir, ne les comprenant que par besoin de reproduction pour la survie de leur espèce.

Le chaton en question vint la tirer de ses pensées. « Un bouquet de fleurs pour maman ». Un sourire attendri naquit sur son visage. Petit Silence était le genre de môme irréprochable, qui était attentionné, discret. Elle aurait tout donné pour avoir un chaton comme lui. Si elle ne pensait pas encore à une portée, son neveu savait lui donner instantanément la fibre maternelle. Du bout du museau, elle posa sa truffe entre ses deux oreilles, respirant sa jeunesse. Si elle ne voyait pas encore Petit Silence comme un potentiel guerrier de part sa faiblesse et son refus de nuire à autrui, elle était persuadée qu'il deviendrait un membre de la famille dont on parlerait avec fierté. Là où les excès de violence de Coeur Givré lui avait coûté son honneur familial, Petit Silence était doux et se traçait un avenir des plus joyeux.

« Ta maman a de la chance de t'avoir, t'es beaucoup trop mignon ! »

Le petit, soudainement inquiet, se souciait de savoir si sa grande sœur aimait les fleurs. L'albinos ne put s'empêcher de retenir un petit rire qu'elle tentait par tous les moyens de camoufler. Elle avait beaucoup de mal à imaginer Coeur Givré avec des fleurs, ou du moins les apprécier. Elle était plutôt du genre à les saccager, à se rouler dans les pétunias des parcs publics par esprit de contradiction. Elle aimait plus les joyeuses farces plutôt que les élégances florales. Il lui fallait donc trouver une fleur rigolote, qui allait l'occuper pendant quelques temps. Cri des Albatros, avec sa maigre connaissance de fleuriste, peinait à trouver une fleur amusante.

« Hrm … Coeur Givré doit les aimer … Qui ne les aime pas, après tout, aha ? » Moi, déjà « Mais elle aime des fleurs très particulières … Si tu as une fleur qui a des pétales originales, genre marrantes, ou des fleurs qui s'envolent dans le ciel, ça la fera rire ! Tu sais que ta maman adore rire, elle le fait tout le temps. »

… Peut-être même un peu trop au goût du Clan du Vent. Néanmoins, c'était ce qui liait les deux sœurs, leur goût pour l'amusement. Maintenant que Cri des Albatros découvrait les réjouissances de la vie guerrière, elle regrettait sa vie d'apprentie insouciante, où les heures de rires étaient plus étendues. Une fois adulte, elle se devait d'enseigner, de chasser, de participer à la vie du camp … La dévouée au pouvoir qu'elle était ne se voyait pas spécialement dérangée par ces tâches … Néanmoins, les heures de francs fou-rires avec sa grande sœur lui manquait. Elle ne pouvait qu'attendre des moments où elles seraient réunies dans une partie de chasse ou un entraînement, et elle en trépignait d'impatience.

« J'ai entendu dire que tu t'intéressais un peu aux fleurs, tu en as une en tête ? »

Il y avait bien celles avec des petits bonhommes en forme de parapluie qui s'envolaient dans le ciel quand on leur soufflait dessus, ou bien les coquelicots si fragiles, ou alors les drôles de roses, … Mauvaise aide sur ce sujet, Cri des Albatros préférait prier pour que le petit soit plus cultivé qu'elle sur les fleurs, ce qui n'était pas difficile, pour tout vous avouer ...

HRP:

« Tonton Alcy ». Cri des Albatros eut un petit frisson en se souvenant que Petit Silence pouvait à tout moment l'appeler Tata. C'était donc ça, ce que ressentait Coeur Fleuri lorsqu'elle l'appelait doucement « tata » le soir quand elle n'arrivait pas à dormir ? C'était une sensation étrange, forcément liée avec cette peur improbable qu'elle avait de grandir. Quand le petit approcha sa truffe de la fleur, l'albinos ouvrit la bouche pour le mettre en garde. Tous les chatons ignoraient que les fleurs pouvaient les faire éternuer très fort, si fort qu'ils en avaient mal. Trop tard, le gamin toussait bruyamment. Les oreilles plaquées sur son crâne, l'albinos regarda aux alentours. Cerfblanc était agité par un contexte de guerre qui s'installait de manière sourde. C'était déplaisant, et l'acquisition des Rochers du Soleil par la Rivière ne faisait qu'amplifier les rivalités inter-claniques. Désormais adulte, il était de son devoir de se tenir informée. Dommage. Elle aurait préféré provoquer les tensions plutôt que les résoudre. Gamine, c'est ce qu'elle pensait.

« Les pissenlits ça fait tousser, oui ... »

Doucement, l'albinos prit son neveu contre elle et lui lécha le crâne pour le rassurer. Le petit avait toujours été craintif. Beaucoup de mauvaises langues du Clan mettaient sa peur sur le compte de sa maternité. Coeur Givré était vue comme un monstre par ses semblables, mais pour sa petite sœur, c'était une personne admirable. Jamais elle n'avait vue sa sœur comme un monstre, peut-être parce qu'elles étaient proches. Cri des Albatros l'avait toujours considérée comme une guerrière savant s'amuser, et voyant ses réfractaires jaloux.

« Pourquoi t'as l'air d'avoir toujours peur ? Tu sais, si tu commences à avoir peur comme ça, la vie va te bouffer ... »

Inconsciente de la violence de ses mots, elle continuait de câliner son neveu. Elle ne se souciait pas de savoir si le gamin allait s'effrayer à ces mots. Petite, elle avait rapidement comprit par son albinisme qu'il fallait dominer pour survivre et comprendre ses forces et faiblesses. Pour le chaton qu'était Petit Silence, il était certainement trop doux pour se confronter à la violence. Tant pis. Cri des Albatros restait persuadée qu'il ferait un excellent guerrier, malgré ses peurs. Dans sa famille, ils étaient tous doués, après tout. Le gamin se devait de reprendre le flambeau familial avec dignité. De plus, avoir Coeur Givré comme mère sous entendait également devoir laver l'honneur de sa mère, souvent détestée dans son pauvre Clan. L'albinos soupira. C'était un sale début de vie, tout de même.

« Sinon, à part les pissenlits, tu as d'autres idées ? Tu pourrais essayer de trouver un coquelicot, ça irait bien avec ses yeux et c'est plus solide qu'un pissenlit. »

Spoiler:

HRP:

Belle comme le soleil … Cri des Albatros eut un grand sourire en entendant son neveu parler de sa mère. Bien que Coeur Givré ne représentait pas vraiment l'image de la mère parfaite, Petit Silence continuait de s'attacher à elle, petit chaton affectueux qu'il était. La jonquille brillait au sol, et bien qu'aucune tâche rouge ne venait déranger sa pureté, la guerrière était forcée d'admettre que son petit neveu avait l'oeil. Il se focalisait sur la blancheur de leur pelage, et non pas sur la particularité qu'elle partageait avec sa sœur : leurs yeux. Egocentrique finie, l'albinos ne put s'empêcher de prendre ce choix pour un compliment personnel, sans prendre en compte le fait que le chaton ne cherchait qu'à satisfaire sa maman.

« Oh une jonquille ! Mais c'est parfait ça ! Tu veux de l'aide pour la couper doucement ? Tu risques de la casser et c'est des fleurs un peu rares ... »

Calmement, Cri des Albatros se pencha pour prendre la fleur le plus bas possible, sa joue contre la terre. Un frisson de dégoût la parcourut, elle qui détestait voir son pelage tâché de boue. Avec un soupir, elle l'arracha du sol et la tendit à son neveu. Rapidement, elle se passa un coup de langue sur la patte pour nettoyer sa joue salie. La mission était accomplie, et elle espérait que sa sœur allait être contente de cette grande marque d'affection que lui portait son fils.
Sinon, tant pis, Petit Silence avait qu'à lui donner la fleur et elle en serait la plus heureuse.
Elle s'étonnait d'envier le bonheur maternel que vivait sa sœur. Elle avait trouvé des mâles pour lui faire des enfants, et même si elle était mal vue dans le Clan, la petite albinos constatait que l'amour que lui portait son fils semblait inconditionnel et pur. Elle avait de la chance. Elle espérait grandement qu'elle accepterait son cadeau. Petit Silence méritait son attention. Son sourire se fit plus timide quand elle intima au chaton de se relever pour rentrer.

« Allez, Petit Silence. Ta maman et ta grand-mère doivent nous attendre, il faut qu'on s'en aille. Si la fleur est trop grande pour toi, donne la moi, ou sinon, je te porterais ! »

Spoiler: