Et la vie reprend son cours [Étoile de Pierre] - end

Aigue-Marine était assise dans le camp, au pied du promontoire, les yeux rivés sur le rideau de lichen qui séparait la petite clairière de l'antre du Chef. Elle avait organisé, le matin-même, les patrouilles de la journée, s'était enquérir du bon avancement des entraînements mentor-apprenti, et avait tendu l'oreille pour repérer une quelconque anomalie. Mais elle avait beau s'occuper l'esprit à diriger le Clan, elle savait au plus profond d'elle que rien d'anormal n'arrivait aux siens ; ce qui avait changé était en elle, au plus profond de ses entrailles, et personne n'y pouvait plus rien.
Elle sentait son cœur battre la chamade, et la chose n'alla pas en s'améliorant à mesure qu'elle s'approchait de la tanière d'Étoile de Pierre, anciennement nommé Lapis Lazuli, nom qu'il portait encore lorsqu'il lui avait déclaré son amour. Elle n'avait pas changé de nom, elle s'appelait toujours Aigue-Marine ; mais elle avait changé de rang, puisque Lapis Lazuli avait succédé à Étoile du Corbeau et l'avait choisie, elle, comme nouvelle lieutenante du Clan de la Rivière.
En se dirigeant vers son bien-aimé, Aigue-Marine se repassa en boucle les deux dernières lunes. Elles avaient été incroyablement riches en événements et en émotions. La vie de la jeune guerrière avait beaucoup changé depuis peu, alors que jusqu'ici, elle était indécemment terne et vide.

« Étoile de Pierre ? » s'annonça-t-elle avant de pénétrer dans la tanière sombre et humide. Elle n'avait pas attendu la réponse du vétéran pour entrer ; ce n'était pas dans leur habitude. Ils se vouaient une confiance presque aveugle, et Aigue-Marine peinait parfois à se dire qu'elle avait trouvé l'autre partie d'elle-même : c'était un miracle. « Nous devons parler. »

Elle crut un instant que son cœur allait sortir de sa poitrine. Le moment était venu. Et si Étoile de Corbeau n'était plus, sa menace semblait encore peser sur eux, le couple interdit ; d'autant plus dans cette tanière où il avait tant méfait, où il était même mort.

ft. Aigue-Marine

Et la vie reprend son cours.

- Voilà les dernières nouvelles, conclut alors Poussière de Cendre. Le petit mâle gris cendré, membre du Conseil, terminait son rapport sur ses dernières observations faites au sein du Clan de la Rivière.
On était jamais trop prudent, mieux valait avoir une oreille attentive en tout lieu, et en tout temps.

Les nouvelles étaient bonnes. Enfin... elles n'indiquaient rien de mauvais, ce qui était en soit une bonne chose. Rien de bien exceptionnel. Pour l'instant.
Étoile de Pierre ouvrit la gueule pour poursuivre, mais le silence demeura: un chat se dirigeait vers eux. La tête tournée vers l'entrée de l'antre, l'un des matou savait très bien à qui appartenait le bruit de ces pas.
Aigue-Marine ne tarda pas à faire son apparition, entrant tout naturellement, comme à son habitude, comme on pénétrait dans la tanière des guerriers. Elle était ici chez elle, elle n'avait pas à demander son droit d'entrer.

Poussière de Cendre s'inclina face à la lieutenante, avant de se tourner vers le meneur. Ce dernier le congédia d'un mouvement de la tête, adressant en même temps ses remerciements. Sans se faire attendre, il s'en alla, laissant seul à seul le couple de félin.

Étoile de Pierre accueilli la femelle avec un ronronnement apaisé. Néanmoins, elle lui paru stressée, ou peut-être tout simplement nerveuse. Il ne savait pas déterminer, cette fois, si son amante était totalement sereine, ou sur les nerfs. Il fut davantage confus lorsqu'elle lui adressa ces quelques mots:

- Nous devons parler.

S'installant à ses côtés, la queue enroulant ses pattes, il pressa sa tête contre la sienne, se voulant rassurant. Quelque chose n'allait pas? Un problème? Il ne tarderait pas à le découvrir, mais en attendant, sa seule préoccupation était qu'elle se sente à l'aise.

- Que se passe-t-il, Aigue-Marine?

CSS S.REMAUD 2016

J'ai pas trouvé meilleur gif.

Poussière de Cendre la salua et sortit prestement de la tanière, la queue baissée avec déférence, signe de respect envers la hiérarchie du Clan. Aigue-Marine ne se sentait pas vraiment légitime dans son rang : elle ne se sentait pas à la hauteur, bien qu'elle donnait tout ce qu'elle pouvait, et elle savait que si elle avait été nommée, c'était parce que l'ancien Lapis Lazuli avait une totale confiance en elle, en des temps tendus où la confiance était difficile à accorder. La jeune guerrière restait persuadée qu'un autre félin aurait été plus à sa place dans ce rôle de lieutenant ; mais l'histoire s'était ainsi faite, et elle n'aurait jamais renoncé à la confiance du nouveau Étoile de Pierre, peu importe les responsabilités qu'il lui avait données par le même biais.
Le regard d'Aigue-Marine avait suivi le trajet de Poussière de Cendre machinalement, sans réfléchir : son esprit cherchait la moindre distraction, comme s'il cherchait à repousser par tous les moyens possibles l'annonce qui devait être faite. Mais bientôt, le ronronnement d'Étoile de Pierre et sa voix douce lui demandant ce qui se passait la forcèrent à se tourner à nouveau vers lui. Tout en elle était inquiétude, appréhension, anxiété, stress ; même l'amour qu'elle ressentait pour le félin gris-bleu ne suffisait pas à l'apaiser en cet instant critique.

« Je... Euh... Tu... Tu te rappelles... L'autre jour... Enfin... Au bord de la rivière... Quand tu... Enfin, quand nous... Tu sais bien... Il y a quelques temps... » La panique avait envahi le corps de la guerrière, jusqu'à paralyser ses pensées et son corps entier. Elle secoua sa tête, se refusant à se montrer si impuissante, et lança la bombe sans y mettre plus d'attention que cela : « J'attends des petits. J'attends nos petits. » La précision n'était pas nécessaire, mais elle était là.

Aigue-Marine soupira longuement. C'était dit. C'était un poids énorme qui s'envolait soudainement, libérant ses épaules. Le stress, quant à lui, ne quitta pas le corps de la femelle, qui tremblait sans même essayer de s'en cacher, absolument pas calmée par l'air doux du mâle de son cœur. Elle ne savait absolument pas comment il allait réagir. Elle-même n'avait pas su comment prendre la nouvelle lorsqu'elle en avait pris connaissance...

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Aigue-Marine ne s'attendait absolument pas à une telle réaction de la part d'Étoile de Pierre.
Elle s'était imaginé à peu près mille scénarios : le papa choqué, ne disant plus rien, se muant dans un silence éternel et ô combien angoissant ; le papa mécontent de la nouvelle, qui grommèlerait quelques vagues félicitations sans y croire vraiment, et en sachant d'avance qu'il ne ferait guère attention à ces petits ; le papa inquiet de la suite des événements ; le papa super heureux, super amoureux ; etc. Ne sachant pas elle-même comment accueillir cette nouvelle qui allait changer sa vie, mais aussi celle de son bien-aimé, et celle du Clan tout entier indirectement, Aigue-Marine s'était angoissée à imaginer la réaction qu'allait avoir Étoile de Pierre. Elle se doutait qu'elle ne serait pas mauvaise - elle le connaissait tout de même assez, et savait qu'il était emprunt de douceur et d'amour, mais elle angoissait à l'idée qu'il angoisse autant qu'elle, voire plus. Après tout, il était chef, elle était lieutenante, ce n'était clairement pas le meilleur moment pour ça.
Bref, la jeune guerrière s'était attendu à à peu près tout... Mais pas à ça. Ça, un silence long comme deux fois les falaises des Chutes, pesant comme trois fois les Quatre Chênes, angoissant comme lorsque les nuages recouvraient la lune durant l'Assemblée. Elle ne s'attendait pas non plus à ce que le vétéran se lève, tournoie dans sa tanière, l'air penseur et préoccupé, puis appelle Poussière de Cendre. Poussière de Cendre ? Mais que ? Qu'avait-il à voir là-dedans ? Et, incrédule, Aigue-Marine assista à la nomination temporaire du guerrier gris au rôle de lieutenant. Elle crut tomber d'un précipice invisible, n'en revenant pas. Quoi ? Aussitôt pleine, déjà remplacée ? Allait-elle réellement devoir passer deux lunes allongée dans la pouponnière, comme une ancienne inutile ? Était-elle déjà considérée comme inutile pour le Clan ? Elle était pleine, pas malade !
Elle sentit la fureur envahir son corps tandis qu'elle observait Étoile de Pierre organiser la suite des événements. Et puis, plus elle l'observait, plus elle sentait la sérénité la gagner : oui, c'était ce mâle, son mâle, qui était à la tête du Clan et qui savait si bien l'organiser. Elle pouvait se reposer sur lui : il serait toujours là, pour le Clan, pour elle, pour les petits à venir. Et en ce jour qui portait une nouvelle si bouleversante, c'était la seule chose qu'elle avait vraiment besoin de savoir. Elle ressentit enfin la force d'une famille : envers et contre tout/tous.

Oh Aigue-Marine, je suis si heureux... mais dis moi, tu vas bien, n'est-ce-pas? Tu as mal quelque part? Tu as besoin de quelque chose? Aigue-Marine laissa Étoile de Pierre se lover contre elle et l'envahir de son amour, de sa joie, de sa force, de sa protection, mais aussi de son anxiété. Il avait beau être un roc, être le chef, lui aussi avait peur. Ces petits, ce serait leurs entrailles à tous les deux : ils seraient liés à eux, toute leur vie.
Elle prit un plaisir évident à se blottir contre le mâle gris-bleu, à enfouir son museau dans son poitrail fourni qui la réchauffa alors que la fraîcheur régnait en maître à l'extérieur. Oh, ce qu'elle aurait aimé que ce moment dure toujours... Elle rêvait parfois qu'ils étaient libérés des responsabilités vis-à-vis du Clan, qu'ils vivaient comme deux ermites, d'amour et d'eau fraîche. Mais leur famille n'était pas que ces petits cailloux à venir ; leur famille, c'était le Clan de la Rivière.

« Ne t'inquiète donc pas tant, mon doux amour, » souffla-t-elle doucereusement, riant de bon cœur, sentant son stress s'évacuer. « Je vais bien. Nous allons bien. » Elle passa délicatement le bout de sa queue sur ses flancs, qui étaient encore aussi fins qu'avant ; mais elle savait qu'on y verrait bientôt les rondeurs caractéristiques d'une future reine.