[Lunar Pod] Une Nuit sans Lune [Feat. Nuit Hivernale] - end

Se sauver s'échapper s'en aller partir par pitié. Et surtout partir loin de Cœur Givré. Il n'était plus en sécurité même à sa tanière des guérisseurs et sauf pour le retour des choses il y a de ça trois lunes, à la Pierre de Lune, Alcidés n'était pas sorti. Et pas seulement sorti du territoire, sorti dehors, tout court, et le jour! Si ça se trouvait il était en train de devenir un albinos : il préférait la nuit où il pouvait marcher, sous les étoiles, sans se soucier d'autrui.

Il avait vu sa mère Étoile Vaillante attaquer sa tante, et maintenant c'était sa sœur Cœur Givré qui l'avait attaqué, et il n'avait aucune idée ce qui s'était passé à la Toison d'Argent pour être ainsi châtiés. Les Landes de son esprit étaient secouées par une violente tornade de questions et de rage refoulée qui se déchaînait - qu'il déchaînait lui-même dans ses pattes, au travers des hautes congères de l'hiver pour passer les pierres sentinelles, descendre la colline et marcher vers les Quatre Chênes. Les Quatre chênes où il espérait trouver des réponses à ses questions - puisque des odeurs étrangères semblaient marquer les environs.

Il baissa les yeux en constatant qu'il frissonnait, et son frisson lui rappela son hiver dernier, pendant le blizzard, où Toucan l'avait amené s'abriter dans le vieux moulin de l'autre côté du territoire.

Il repensa au moulin, et au sol qui craquait sous ses pattes...

...Il leva le nez pour constater qu'il neigeait, aussi. Des petits flocons, d'un ciel couvert de gros nuages noirs pour obscurcir les environs comme d'un mauvais présage. Le mauvais présage était partout. Dans le ciel, dans sa tête, sous sa peau - grouillant comme des insectes qui sortaient de la terre au printemps. Et toujours la même odeur à son nez, toujours la même voix dans les oreilles de son esprit. Le même avertissement.

« Ceux à qui vous faites confiance pourraient s'avérer être dangereux. »

Sa propre mère.

Sa propre sœur.

Son nez capta la brise d'une odeur tout près - celle qui était responsable d'avoir dit ces mots au retour des choses il y avait deçà trois lunes à la Pierre de Lune. L'arlequin se mit en piste, furtif et à moitié invisible dans le paysage pour la voir, elle et sa longue fourrure, aux pigments de couleur sombre qui accentuaient ses extrémités. La sang chaud du Tonnerre. Il sortit de sa cachette:

— « Nuit Hivernale. » Et comme si la morsure du froid avait eu raison de lui, sa façade placide se fissura d'une voix maintenant chevrotante: « T-tu avais raison... »

En l'entendant grommeler le petit apprenti sentit soudain son dos se raidir et ses yeux s'arrondir dans sa face, prêt à détaler au détour comme les lapins de leur Lande. Mais il semblait que la sang-chaud n'était que de sang-chaud et partageait, comme lui, une crainte certaine, certaine du présage qui se profilait au-dessus de leurs têtes. Il coucha ses oreilles, ne les rendant droites que lorsqu'elle s'adressa à lui.

— De quoi parles-tu ? Et que fais-tu ici sous ces nuages glaçants ? Tu es loin de ton camp et de ton Clan. »

En la voyant prendre le pas vers la clairière, il fit de même, étirant sa patte au possible pour se faire tout aussi gracile qu'elle - en vain. Pour qu'un petit chat comme lui puisse se déplacer dans la neige, il n'avait pas le choix de sautiller quitte à passer pour un renard qui mulotait et tiens, ça lui rappelait quelque chose...

— « ...Tu te souviens? Pendant le rassemblement. Tu avais dit que dans le futur, nos proches pourraient se retourner contre nous. Il secoua sa tête, son cœur avait reprit sa course alors qu'il avait déjà fui la source de son malaise, mais ce-dernier avait fini par s'implanter dans sa tête. Je l'ai vu, Nuit Hivernale. Je l'ai vu! Qu-...

Une montée de rage, de peur, de tristesse, et le coup de l'émotion lui fit retenir un long miaulement de détresse et il n'osait même plus la regarder dans les yeux, zieutant ailleurs, cherchant un coupable, cherchant un espion qui cherchait peut-être à compromettre leur discussion.

« Qu'est-ce qui se passe ?  Pourquoi tout le monde perd la tête ??   J-je t'en prie, dis-moi ce que tu sais, je ne peux pas continuer alors que--

Sa gorge se noua, on entendit sa voix s'éreinter, s'étrangler, comme si des dents s'y étaient resserrées et il se tut, s'asseyant, droit, raide, le bout de sa courte queue s'agitant en bon garçon qui contrôlait ses débordements d'émotions.

La Sang-chaud du Tonnerre était étonnamment très... froide. Alcy (car il n'était plus qu'Alcy devant un tel regard de reproche) ne savait pas ce qui était le plus froid : elle, ou la neige? Même au calme, elle pesa ses mots comme une menace:

— « Je ne pense pas connaître les raisons des agissements de tes proches. Je ne sais rien de plus si ce n’est la cauchemardesque vision que l’on m’a offerte et sa signification.
— ...

Alcy hocha timidement sa tête. Ses lèvres lui brûlaient de lui demander de quelle vision cauchemardesque il s'agissait. Quels étaient les signes? Sa signification? Qu'est-ce qu'elle leur cachait, enfin? À Esprit Soucieux d'accord mais lui, l'apprenti-guérisseur du Clan du Vent, et le Vent n'avait jamais été une hostile envers le Clan du Tonnerre. ...À vrai dire, même le nouveau Guérisseur de la Rivière était trop jeune pour connaître toute l'histoire qui opposait ces Clans. Lui non plus, n'avait aucune raison de cultiver toute cette rancœur qui les rendait hostiles et, ... fous.

— « L’inconnu est déjà là et il compte frapper nos esprits, les manipuler. Nous mettons nos ancêtres en danger car nous sommes trop faibles.
— ... Trop faibles?
— Tu en es la preuve. (il se tut aussitôt) Ils veulent semer la panique et regarde-toi, affolé par la folie de tes proches. »

Mais... qui ne le serait pas ? Qui ne serait pas affolé devant toutes ces histoires sans-queues-ni-têtes de sa mère qui agressait sa tante, de sa sœur qui l'agressait lui, de--

— « Ne te laisse pas perturber et continue de croire en ceux qui veillent sur toi. Histoire de remplacer ceux qui s’en éloignent...
— « Qu'est-ce que tu veux dire?... Sauf ma tante Cœur Fleuri, plus personne ne veille sur moi...

Il n'osa pas se prononcer à nouveau, l'avertissement de Nuit Hivernale le frappant comme le glas:

— Si tu ne fais pas attention. C’est toi qui deviendras fou. Comme le créateur de cet empoisonnement. »

Glacé par la révélation, Alcy se serra plus encore contre lui-même, tournant sa tête, posant son menton sur son épaule, rendu pudique de ses propres pensées. Il se laissa geler par l'air froid, puis par la froideur de la Sang-chaud, pivotant une oreille vers elle avant de tourner son œil, celui du côté dégagé, représentatif de sa vertu :

— « Eheh... Moi qui craignait un deuxième blizzard... Je ne me suis pas préparé à l'idée qu'il pourrait se lever dans nos esprits... Il lui fit face, abaissant toutefois sa tête, bien qu'il était l'aîné.   ... Alors? On fait comment?

Pour se défendre, et guérir, de cette épidémie?... »

La Nuit Hivernale porte conseil...

Elle rit. Non- elle se moquait de lui. Elle se moquait de lui comme tout ces chats de son âge du temps où il était guerrier, où il avait essayé d'être guerrier, se moquant de sa taille et de sa pratique "sans-griffes" qui s'était révélée être aussi inutile qu'inefficace. Nuage d'Alcidés, qui avait vu en la Sang-Chaud une Alliée, sentit vite son poil se soulever non pas à cause d'un frisson de froid, cette fois:

— « T’es un marrant toi. Au cas où ta cheffe et ta… mentor n’en aient pas eu vent, le Tonnerre s’est allié à cet ennemi.
— Que ! »

Quel ennemi? Ce n'était pas une métaphore, il y avait vraiment un visage à mettre sur ce prétendu "créateur de l'empoisonnement" ? Avait-il des pouvoirs surnaturels ? Voyait-il comme eux ? ... Il n'avait jamais eu de visions aussi nettes que celles de sa tante Coeur Fleuri, que des fluctuations vagues, dans ses yeux, de la neige qui s'échappait dans une direction comme un chat qui courrait (ce pauvre Museau Blanc) mais jamais il ne s'était imaginé que d'autres pouvoirs, outre leurs visions, pouvait survenir chez d'autres chats.

« Je devrais être tuée pour t’avoir donné autant d’informations et de "conseils" Et, naturellement, t’aider à les nuire reviendrait à signer mon arrêt de mort. Et concrètement, je tiens à la vie. Donc pour l’instant, remplis juste ton rôle et t’égares pas trop sur les détails. Tu verras le moment venu.

Et à ce moment-là, tu trouveras une réelle raison pour te lamenter sur ton sort. Parce que franchement... les histoires de famille, ça court les rues. .. Les quoi?... Et crois-moi, ça ne fait que débuter pour toi. »

Elle se moquait de lui, mais le conseillait, et le maternait, mais se prétendait être son ennemie... Nuage d'Alcidés recula la tête et se hissa sur ses très courtes pattes, la croupe dans la neige, sursautant tout juste en faisant face à cette masse de poils du Clan du Tonnerre, ce Clan qui s'était allié à l'Empoisonneur dont faisait mention Nuit Hivernale. Et si elle ne s'était pas trompée sur sa vision de la folie de leurs proches...

Son sang se glaça.

— « Ça sera plus simple quand tu n'en auras plus. »

Plus... de famille? Son ton semait le doute dans les Landes de son Esprit : le vent sifflait à tout va et dans toutes les directions et il ne savait plus quelle fleur sentir. Les arômes se mêlaient ensemble, dans des parfums conspirationnistes qui lui firent sortir les griffes - une seconde, à peine, pour gratter la neige.

La crise l'immobilisa complètement, comme s'il se faisait étrangler, fixant cette collègue comme s'il eut s'agit d'une bête sauvage au même titre que sa mère sur sa tante, ou sa sœur (AÎNÉE! aînée...) sur lui. Et il ne s'en rendit compte que quelques secondes trop tard, postulant contre cette évidente non-guerrière, d'une position tout en défense, les coudes rentrés et la queue levée, prête à mettre en pratique ses techniques - mais qu'est -ce qu'il faisait? --Qu'est-ce qu'il faisait???

Lui qui s'était ouvert à cette collègue, il se détourna d'elle sur le coup de l'orgueil, de la peur, le cœur dans la gorge lui nouant la langue à nouveau.

— ... Je rentre. »

Il tenta de retenir un sanglot, mais impossible. Le sang glacé lui avait empêché de ressentir les premières larmes qui lui coulaient désormais sur les joues, les brûlant au contact de l'air froid, impuissant devant leur sort, et brûlant de rage devant leur (il devait se rendre à l'évidence désormais) "faiblesse".