(LUNAR POD) Sur les traces du passé | ft. Orchi - end

Petite Émeraude courait à vive allure sur le chemin moitié terre-moitié sable qui reliait le camp de la Rivière au torrent qui lui avait donné son nom. Depuis son tout jeune âge, elle avait entendu les Anciens du Clan parler des territoires qu'ils occupaient. Elle ne les avait jamais vus, mais elle s'en faisait donc une certaine idée, et il était connu que le camp était directement relié à la rivière par ce chemin sablonneux emprunté de tous. Elle le suivait donc sans se poser de questions, allant aussi vite que ses petites pattes rousses le lui permettaient, poussée par un élan de liberté qui la prit aux tripes et la fit se sentir légère.
C'était la première fois qu'elle parvenait à s'enfuir du camp. Elle qui avait tant réfléchi à un plan pour sauver Amé, Quartz et les autres, elle qui avait tant de fois essayé de mettre en exécution ses stratagèmes pour ce faire... elle n'avait jamais réussi à les mener à bout ! Ses plans avaient toujours échoués, pour des raisons différentes à chaque fois. Mais aujourd'hui, c'était différent : aujourd'hui, elle avait le vent en poupe, elle le sentait.

Alors elle courait, elle courait comme jamais elle n'avait couru, revigorée par ce sentiment de liberté, cette impression qu'il n'y avait pas de frontière ni d'obstacle pour l'arrêter. Les terres alentours lui paraissaient infinies à côté du camp de la Rivière, qui était parfois comme une prison...
La rivière se fit d'abord entendre, puis elle apparut dans le champ de vision émeraude de la petiote au poil roux. Elle s'en approcha à une allure plus modérée, à la fois fascinée et effrayée. La rivière s'étalait devant elle, imposante, bruyante, en mouvement. Elle paraissait si puissante... mais si belle, aussi... Petite Émeraude s'approcha encore, jusqu'à se pencher au-dessus de la surface agitée du si étrange liquide. Elle fixa son reflet - qu'elle avait déjà vu dans les flaques d'eau qu'on leur ramenait, à elle et à ses frères et sœurs -, et elle l'observa longuement. Elle se trouvait changée, depuis la dernière fois qu'elle s'était vue. Elle était plus grande, son poil était plus épais, et il y avait aussi dans ses yeux quelque chose de différent... Elle ne le savait pas, mais l'innocence avait quitté ses yeux : c'était pour cela qu'elle ne les reconnaissait pas. Une lueur tenace avait remplacé l'ancienne naïveté.

Ce temps d'observation passée, Petite Émeraude s'éloigna un peu du rivage et s'assit, le regard planté vers l'autre côté de la rivière. Elle observait les Rochers du Soleil, la raison originelle de la dispute entre les Clans du Tonnerre et de la Rivière. C'était eux, en quelque sorte, qui avait provoqué l'enlèvement de Petite Améthyste et de Petit Quartz. Un grondement plaintif s'éleva dans les airs en provenance de la gorge de Petite Émeraude, qui sentit une vague d'angoisse l'assaillir en repensant à ce drame.
Puis, sans qu'elle y pense, ses yeux se tournèrent vers la rive, plus loin, vers la droite. L'herbe y avait une couleur étrange, comme si elle avait été souillée. Et là, un frisson d'horreur parcourut son échine : c'était là ! Elle en était sûre désormais, comme un pressentiment que ses souvenirs des histoires racontées au camp venaient confirmer. C'était ici qu'Aigue-Marine, sa mère, avait été froidement assassinée. C'était là qu'elle était morte, après lui avoir donné naissance ainsi qu'à ses frères et sœurs, Petit Jaspe, Petite Améthyste, Petite Opale et Petit Quartz. C'était là que l'horreur s'était produite.

Petite Émeraude fut d'abord tétanisée, incapable de bouger. Elle tremblait de tout son long et une longue plainte s'échappait de sa gorge, sans qu'elle le réalise. Puis elle se leva, comme un robot - se contrôlait-elle vraiment ? - et se dirigea vers l'herbe qu'elle fixait, là où Aigue-Marine était morte quelques semaines auparavant. Elle se retrouva bientôt au centre de la tache, l'air hagard, les yeux perdus dans le vert-marron qui s'étalait sous elle.
Elle avait complètement oublié ce pourquoi elle était venue jusqu'ici - être libre, et atteindre le camp du Tonnerre. Désormais, elle pensait à sa mère, à cette absente qui était pourtant une telle présence dans sa vie, à cette inconnue qui était si proche d'elle.
Petite Émeraude était tellement absorbée dans ses pensées qu'elle n'avait pas entendu Douche Orchidée s'approcher.

Silence, un pas en avant, silence, maintenant ! Douce Orchidée bondit toutes griffes dehors, et atterrit près de la souris avant de l'attraper et de la tuer d'un puissant coup de pattes. Cette dernière ronronna, contente de sa prise. Elle aurait aimé avoir une compagnie, mais n'ayant trouvé personne et surtout ne voulant déranger personne, elle avait donc décidé de chasser seule. La souris était bien maigre à cause du froid et du manque de nourriture, mais c'était toujours ça de prit pour son clan, qui en avait grandement besoin. Les blessures que l'alliance TonnerrexChats de la lune avait causées étaient encore présente, Eau Turquoise qui avait perdu certains de ses chatons et chatons adoptifs, cette épreuve devait être terrible pour elle. Douce Orchidée en avait conscience, et s'était promis de protéger son clan corps et âme si cela se reproduisait. Maintenant, le clan de la Rivière était aux aguets. Il ne se fera plus avoir par ces ingrats, ce seront eux qui paieront. C'était tout ce que souhaitait la lieutenante. Le clan du Tonnerre doit payer ses dettes, chaque clan paye toujours ses dettes quoi qu'il arrive. Que justice soit faite, que le clan des Etoiles et les anciens membres du clan de la Rivière décédés viennent en aide au clan de la Rivière. Douce Orchidée l'espérait très fort. Maintenant, la paix était menacée. Il ne fallait pas que cela empire. Qui sait ce qui pourrait arriver sinon.

Douce Orchidée scrutait la plaine, la souris dans sa gueule. Maintenant, elle pouvait rentrer au camp. Mais l'envie de continuer de chasser et de prendre l'air était plus forte. Elle voulait continuer sa balade seule, et décida de changer d'endroit. La femelle quitta la plaine, le goût de la souris filant déjà entre ses crocs. La rivière sera sa prochaine destination. Traversant le territoire en trottinant, elle sentait le vent frais lui frapper le visage et le pelage. Le vent arrivant de face, il était facile pour elle de sentir les différentes odeurs. Et puis facile de s'approcher. Directement, elle sentit l'odeur de son clan. Quelqu'un chassait peut-être à la rivière ? Sur qui allait-elle tomber ? Elle espérait tomber sur n'importe qui, sauf sur Matin Embrasé. Elle le détestait depuis la patrouille de soir qu'ils avaient fait ensemble. Malheureusement pour la lieutenante, elle ne s'attendait pas à découvrir le petit être qui se tenait sur l'herbe.

« PETITE ÉMERAUDE » hurla-t-elle courant vers la petite, après avoir lâché sa prise « Qu'est ce que tu fiches ici ?! Un chaton n'a rien à faire hors du camp ! C'est dangereux ! »

Elle ne pouvait s'empêcher de hurler sur la petite, tout en se postant juste au-dessus d'elle. Que faisait-elle là. Comment avait-elle réussi à sortir du camp ? Douce Orchidée était en colère devant l'imprudence de la chatonne. Il aurait pu lui arriver tout et n'importe quoi si la lieutenante ne l'aurait pas trouvé.

Petite Émeraude sursauta à peine lorsque Douce Orchidée lui cria dessus et se plaça au-dessus d'elle dans une posture de défense, comme si des ennemis s'approchaient. Comment pendant l'attaque du Tonnerre et des Lunar Pod. La petite rouquine ne réagit pas, elle ne leva même pas les yeux vers la lieutenante, et plus rare encore, ne s'offusqua pas du fait qu'elle venait de se faire gronder. Elle ne pensa même pas une seconde au savon qui l'attendait. À vrai dire, la colère qu'éprouvait Douce Orchidée ne l'avait pas atteinte. C'était comme si son cerveau s'était fermé, était devenu hermétique à tout ce qui se passait en-dehors de cette tâche sur l'herbe, que Petite Émeraude observait inlassablement.

« Dangereux... » souffla-t-elle plus pour elle-même qu'à l'adresse de Douce Orchidée. « Dangereux... comme... ça ? » Sa petite patte rousse montra la tache que Petite Émeraude ne lâchait pas des yeux.

Du temps avait passé depuis la mort d'Aigue-Marine. Mais elle avait tant saigné ce jour-là, l'herbe qui l'avait accueillie pour son heure de mort ne s'en était pas encore remise, elle ne s'était pas encore débarrassée de la couleur rouge du sang. Et Aigue-Marine avait tant souffert ce jour-là, que tout l'endroit était imprégné de l'horreur qui s'y était produite. C'était comme si on pouvait toucher de la patte la notion abstraite de douleur, de souffrance atroce, de crime abominable. Petite Émeraude sentait tout cela, elle entendait presque les gémissements d'Aigue-Marine, comme des flash back se réveillant dans sa mémoire, alors qu'elle venait de pousser son premier cri.

La chatonne rousse sursauta, comment pouvait-elle être aussi inconscience ? Quel chaton risquerait sa vie en allant se balader dans le territoire, les reines sont là pour les prévenir du danger et pas pour les inviter à quitter le clan en douce ? Douce Orchidée était perdue, elle éprouvait de la colère et de la rage à cause du geste de la petite qui aurait pu lui coûter la vie, et en même temps elle éprouvait de l'incompréhension. Le camp aurait dû sonner l'alarme à un moment donné, en voyant que la petite manquait à l'appel. Néanmoins, Douce Orchidée était quelque part rassurée de l'avoir trouvé là à temps. Mais évidemment, elle comptait bien lui passer un savon avant. Ce qu'elle venait de faire était irresponsable, mais elle ne semblait pas en avoir conscience. Elle restait là, penchée vers le sol, sans même réagir aux hurlements de la guerrière. Elle semblait perdue dans ses pensées, comme dans un autre monde. Comme si elle était figée dans le temps. Comme si .. elle pleurait en silence dans son esprit.

« Dangereux... » Douce Orchidée ne comprit pas tout de suite« Dangereux... comme... ça ? »

La lieutenante suivit la patte du regard, avant d'écarquiller les yeux. Une tache. Une tache sur le sol vert était là, comme la truffe au milieu du visage. Une tache qui avait vieilli et avait viré au rouge/vert, mais cela voulait tout dire. Quelqu'un était mort ici même, à cet endroit. Et le temps efface doucement cette trace, mais aujourd'hui elle est encore présente et Petite Emeraude semblait perplexe face à elle. Douce Orchidée ne comprenait pas ce qu'elle voulait lui dire. Une tache de sang certes, mais n'importe qui aurait pu mourir ici. Et pour répondre à sa question, oui c'était dangereux.

« Regarde moi quand je te parle, Petite Émeraude ! Oui c'est dangereux ! Pourquoi me montres-tu cette tache ?! »

Une incompréhension totale.

| J'ai fais en sorte qu'orchi ne comprenne pas tout de suite, vu que ça date un peu et faut y penser !

Petite Émeraude comprit immédiatement en entendant Douce Orchidée qu'elle était la seule à penser à sa mère en cet instant. Même si elle ne l'avait pas de ses yeux vu, les récits étaient allaient bon train autour d'elle, depuis sa naissance, sur le terrible assassinat d'Aigue-Marine : les chatons s'y donnaient à cœur joie, les apprentis et les guerriers murmuraient sur son passage, et Étoile de Pierre, son père, était inconsolable, et ça se voyait même au-delà de son sourire qui se voulait rassurant et puissant. Petite Émeraude était née ce terrible jour, quelques minutes avant que sa mère ne pousse son dernier soupir, et même si elle n'en avait rien vu - elle avait encore les yeux fermés -, quelque chose en elle avait emmagasiné les émotions du moment. L'horreur avait été si forte qu'elle avait pénétré en chacun des protagonistes de la scène. Petite Émeraude ne s'en souvenait pas, n'avait rien vu, mais quelque part, dans son esprit, une petite case était remplie d'horreur.
C'était cette petite case inconsciente enfouie en elle qui lui avait fait deviné la provenance de cette tache sur laquelle elle était penchée aujourd'hui. Elle savait que sa mère était morte près de la rivière, ça ne pouvait être que ça, de toute façon. Mais Douce Orchidée, elle, n'était pas là ce jour-là. On lui avait rapporté la situation. Mais elle n'avait pas vécu l'horreur. Et pour elle, Aigue-Marine n'était qu'une lieutenante. Elle n'était pas liée à elle comme Petite Émeraude l'était. Alors, oui, Petite Émeraude était la seule à penser à sa mère.
Plus pour longtemps.

« CETTE TACHE ! LÀ ! » explosa-t-elle d'un coup, sans relever les yeux vers la lieutenante : ça aurait été trop lui faire plaisir. En plus, elle comprenait rien de rien ! « Tu vois pas ? Tu vois pas le... le... » Elle hésita. « Le sang ! » Elle avait failli ajouter "de ma mère", mais c'était décidément bien au-dessus de ses forces.

Petite Émeraude était la petite casse-cou du Clan de la Rivière, celle qui n'avait pas froid aux yeux, la grande gueule qui mettait les pattes dans le plat dès qu'elle en avait l'occasion, qui ne se laissait pas démonter, jusqu'à se montrer insolente.
Cette image qui lui collait à la peau lui permettait de dissimuler cette faiblesse qu'elle avait en elle, et qu'elle tirait du terrible destin de sa mère. Aigue-Marine était morte assassinée, plongeant Étoile de Pierre et Écaille d'Or dans une terrible peine, entraînant tout le Clan dans un destin funeste que l'attaque du Tonnerre et des Lunar Pod était venue confirmer. Aigue-Marine était morte en mettant au monde ses cinq chatons, cinq nouveaux-nés privés dès le début du plus grand amour qui soit. Si Petite Émeraude se montrait si turbulente, si elle était hyperactive, c'était avant tout pour penser moins, pour réfléchir moins, pour ne pas laisser le temps aux souvenirs ou aux histoires horribles de venir la hanter. Si elle préférait faire des bêtises à se reposer, c'était pour ne pas laisser l'opportunité aux cauchemars de l'assaillir. Si elle se montrait si agressive, si insolente, c'était pour détourner l'attention de cette sensibilité en rapport avec son histoire, une fragilité qu'elle refoulait sans cesse mais qui grandissait en même temps qu'elle, et peut-être même plus vite encore.

La petite chatte ne tournait toujours pas la tête, ne daignait même pas regarder la lieutenante en face. Elle aurait voulu la traiter de garce, de petite chipie. Mais ça n'aurait rien arrangé à la situation, qui était encore bien trop floue pour Douce Orchidée. Elle ne comprenait toujours rien, cette tache qui était là, une tache de sang. Il peut y en avoir partout, pas seulement près de la rivière, il pouvait très bien en avoir aux collines et même en territoire libre. Alors pourquoi ici, près de la rivière ? Et comment Petite Émeraude avait-elle fait pour se repérer ? Après tout, elle n'avait pas franchi la frontière et heureusement. C'était à se demander si Petite Émeraude n'était pas déjà sortie du camp après tout.

« CETTE TACHE ! LÀ ! » Hurla-t-elle d'un coup  « Tu vois pas ? Tu vois pas le... le... » hésitiation de la petite« Le sang ! » 

Le sang choquait-il à ce point la minette rousse ? Douce Orchidée commençait à perdre patience, la chatonne ne s'excusait toujours pas du fait d'avoir quitté le camp, et semblait pourtant en colère elle aussi. Soudain, une horrible pensée traversa l'esprit de la féline blanche. Se pourrait-il ?.. C'était pourtant une bien étrange théorie, et la lieutenante n'y croyait pas. Elle s'était souvenue d'une chose, Aigue marine. L'ancienne lieutenante qui était aussi la mère de Petite Emeraude, était morte lors de l'accouchement qui n'avait pas eu dans le camp. Se pourrait-il que cette tache soit celle d'Aigue Marine, pleine de sang, mourant lors de son accouchement ?.. Douce Orchidée baissa la tête, fixant le sol. Son énervement venait subitement de baisser, même si la possibilité que cette théorie était infime, il était peut-être possible que Petite Emeraude ait voulu retrouver quelques traces de sa mère. Peut-être.

« Petite Émeraude. »soupira-t-elle « Je vois le sang. Cette tache ne semble pas être une simple tâche, je me trompe ? Sinon, tu ne serais pas dans un tel état pour si 'peu'.. Tu peux me dire si quelque chose ne va pas.»

Petite Émeraude avait toujours les yeux baissés vers l'herbe tachée, prostrée, l'air angoissé. C'était comme si la tache avait agi comme une sorte de trou noir, et que l'esprit de la petite y avait été plongé de manière irréversible. La Petite Émeraude que le Clan de la Rivière connaissait était méconnaissable : elle si dynamique, enjouée, pleine d'entrain, elle était désormais repliée sur elle-même, perdue dans des pensées qui semblaient la traumatiser, l'air hagard.
Petite Émeraude, souffla la lieutenante, tentant d'attirer son attention. Les oreilles de la petite rouquine aux yeux verts tressaillirent, mais elle ne leva pas les yeux vers Douce Orchidée. Je vois le sang. Cette tache ne semble pas être une simple tache, je me trompe ? Sinon, tu ne serais pas dans un tel état pour si 'peu'.. Tu peux me dire si quelque chose ne va pas. Cette fois, Petite Émeraude releva la tête vers son aînée. Ses prunelles vert profond reflétaient un étrange sentiment, qu'on n'avait pas l'habitude de relever dans les yeux de si petites choses : l'horreur de la vie.
Elle avait écouté les paroles de Douce Orchidée, et elle avait à nouveau senti de l'agacement. Elle se sentait incomprise, quand pourtant l'horreur était sous leurs yeux, que les souvenirs de cet abominable assassinat était presque palpable. Petite Émeraude était persuadée que si elle tendait l'oreille, elle pourrait entendre les cris de souffrance de sa mère ; que si elle regardait bien, elle pourrait deviner sa silhouette ensanglantée ; que si elle respirait convenablement, elle pourrait sentir les effluves des Lunar Pod assassins, du Tonnerre salvateur - ce jour-ci seulement -, de la Rivière réconfortante. Mais même si elle mettait tous ses sens en éveil, jamais, ô grand jamais, elle ne pourrait agir pour changer les choses. Le passé était irrévocable.

« C'est... » Petite Émeraude commença à sangloter. « C'est le sang de ma mère, hein, Douce Orchidée ? »

Elle avait toujours les yeux levés vers la lieutenante mais elle ne la voyait plus, un épais rideau de larmes lui cachant la vue. C'était comme si toute la tristesse qui animait le camp, qui touchait son père Étoile de Pierre, qui les accompagnait elle, Petit Jaspe, Petite Améthyste, Petite Opale et Petit Quartz, depuis leur naissance, avait enfin trouvé une porte de sortie après son errance dans le corps de la petite rouquine. C'était comme si, enfin, la peine avait trouvé le moyen d'être expulsée de ce corps bien trop jeune pour en contenir autant. Petite Émeraude pleurait, pour la première fois de sa vie.

Enfin, Petite Émeraude se tourna vers la lieutenante. Ses yeux ne reflétaient rien de positif. De la colère, de l'agacement, Douce Orchidée ne savait pas trop. En même temps, comment pouvait-il comprendre la petite si celle-ci ne disait rien ? Elle restait silencieuse, à parler de cette fameuse tâche qu'elle avait découverte en venant ici. Il manquait encore des pièces au puzzle pour que Douce Orchidée puisse faire les choses correctement. Elle ne voulait plus la gronder vu son état, mais cherchait désespérément à trouver la vérité. Elle savait pertinemment que la petite cachait quelque chose. Un chaton normal aurait quitté le camp pour découvrir le territoire et faire la malin, et non pour faire la statue devant une tâche. Jusqu'à ce qu'enfin..


« C'est... » à cet instant, la tension montait d'un cran et la lieutenante entendit la petite commencer à pleurer. « C'est le sang de ma mère, hein, Douce Orchidée ? »

Elle hoqueta. Sur le coup, elle fit stupéfaite et resta sans voix un long instant qui sembla durant des heures. Elle entendait seulement le bruit des pleure de la petite, qui avait ses yeux toujours tournés vers elle. Elle aurait aimé pleurer à la place de la petite, tellement était choquée d'apprendre ce qu'elle venait de lui demander. Serrant les crocs pour éviter de pleurer à son tour devant tant de tristesse, la lieutenante enroula sa queue autour de la rouquine. Se remémorant le jour où elle a su l'impossible. « Aigue Marine est décédée » lui avait-on dit. Plus tard, le chef l'avait annoncé et c'est là qu'elle avait pris sa place. Douce Orchidée avait été dévastée d'apprendre son décès, elle qui était son idole. Elle se trouvait maintenant devant sa fille, qui venait de lui demander si cette tâche venait du sang de sa mère. Elle aurait préféré ne jamais devenir lieutenante et savoir Aigue Marine en vie, plutôt de prendre sa place à cause de sa mort. Hélas, le destin en a voulu autrement.

« Je suis désolée, Petite Émeraude. » souffla-t-elle, les yeux remplis d'un sentiment de tristesse « Tu as dû beaucoup en entendre sur ta mère..elle était formidable. C'est tout ce qu'il faut que tu retiennes d'elle. »

Elle releva la tête vers le ciel, laissant quelques larmes s'échapper. Qu'est ce qui est le pire entre ne jamais connaître sa mère, ou alors la connaître et savoir qu'elle vous détestera toute votre vie. D'un côté, la situation de Petite Émeraude, de l'autre celle de Douce Orchidée.

Petite Émeraude avait bien capté l'émotion qu'elle avait provoquée chez la lieutenante. Elle s'en étonna d'ailleurs : oui, le Clan de la Rivière avait été bouleversée par la mort d'Aigue-Marine, mais jamais la rouquine n'aurait cru possible que certains, autres que sa famille proche, puissent la pleurer. Or, Douce Orchidée venait bien de laisser couler quelques larmes, les yeux levés vers le ciel - peut-être à la recherche du Clan des Étoiles ? Voir ainsi pleurer Douce Orchidée, la lieutenante, la deuxième plus forte du Clan, réconforta quelque peu Petite Émeraude : déjà, elle se sentait moins faible, et ensuite, elle se sentait moins seule. À porter ensemble la même peine, cette dernière semblait tout à coup plus légère - le jeune âge de la chatonne l'aidait certainement à ne pas trop s'en encombrer.
Je suis désolée, Petite Émeraude. Tu as dû beaucoup en entendre sur ta mère..elle était formidable. C'est tout ce qu'il faut que tu retiennes d'elle. Douce Orchidée semblait être vraiment peinée, et elle avait d'ailleurs oublié toute sa colère d'avoir surpris Petite Émeraude hors du camp. Mais cette dernière n'avait même pas pensé s'en réjouir : son esprit était tout ailleurs. Et à vrai dire, il était entièrement focalisé sur la lieutenante, à présent. La détentrice d'informations très précieuses.

« Tu... Tu connaissais bien ma maman ? » demanda Petite Émeraude. Il était évident que Douce Orchidée et Aigue-Marine s'étaient connues - elles avaient même certainement partagé la tanière des apprentis et des guerriers. Mais jamais il n'était venu à l'esprit de la rouquine que Douce Orchidée puisse lui en apprendre plus qu'elle n'en avait jamais su sur sa mère. « Tu... Comment était-elle ? »

Petite Émeraude avait certes beaucoup entendu parler de sa mère. Elle avait entendu énormément le Clan parler d'elle en douce, de ce qui lui était arrivé, de la souffrance qu'elle avait dû supporter, de ses petits qu'elle laissait orphelins, du malheur dans lequel elle avait laisse Étoile de Pierre. Étoile de Pierre, lui, avait raconté à ses petits à quel point Aigue-Marine était jolie, rayonnante, douce, et combien il l'aimait.
Mais Petite Émeraude aurait voulu savoir qui elle était vraiment. Ses forces, ses faiblesses, ses peurs, ses espoirs, ses valeurs. Elle savait que sa mère était douce, qu'elle avait manqué de confiance dans sa jeunesse. Elle semblait d'ailleurs presque opposée à Petite Émeraude... Était-elle bien la fille de sa mère ?

Douce Orchidée et Aigue Marine avaient été dans la pouponnière ensemble, étaient devenues pratiquement au même moment. Mais Aigue marine avait été nommée lieutenante avant d'avoir atteint l'âge de 40 lunes, ce qui faisait d'elle quelqu'un d'extraordinaire aux yeux de Douce Orchidée. Tandis qu'elle était encore qu'une simple guerrière aux yeux de tous, Aigue Marine devenait son idole. Elle l'observait de loin mener son poste de lieutenante, jusqu'à l'envier complètement. Jusqu'à ce qu'elle finisse par mourir dans d'atroces souffrances. Le fait de l'avoir remplacé en remplacera jamais la tristesse que Douce Orchidée a pu éprouver ce jour là. Ce n'était pas sa meilleure amie, ni sa sœur, mais c'était une personne qu'elle respectait énormément.

« Tu... Tu connaissais bien ma maman ? Tu... Comment était-elle ? »

Elle se mit alors à réfléchir, cherchant les mots qui convenaient parfaitement pour la décrire. Elle ne voulait rien dire de négatif, et de toute façon elle n'aurait pas pu. Comment critiquer son idole ? C'était impossible. Elle n'avait retenu que du positif sur son existence. Aigue Marine avait toujours été quelqu'un de gentils, une guerrière loyale à son clan, douce, tendre. De nos jours, on en voit peu des guerrières comme celle qu'était Aigue Marine. Mais au début, tout n'était pas aussi simple pour elle. Lorsqu'elles étaient apprenties, cela se voyait qu'elle manquait un peu de confiance en elle, comme bons nombres d'apprentis. Mais elle a fini par grandir caractériellement. Et c'était pour ça que Douce Orchidée l'admirait tant. La voir devenir quelqu'un d'autre, quelqu'un de respectée et heureus en même temps. C'était tout ce dont elle rêvait pour elle.

« Je la connaissais oui. J'étais à peine plus vieille qu'elle, alors nous avons partagé la pouponnière, la tanière des apprentis et celle des guerriers avant qu'elle ne passe lieutenante. » Elle tenta d'esquisser un sourire, en vain « C'était une guerrière très loyale et dévouée à son clan. Elle était d'une extrême gentillesse. Elle méritait tellement d'être lieutenante. »