[Épilogue] Les baies que Mousse a trouvé [Ft. Nuage de Mousse] - end

Le soleil se couchait très tôt en automne mais toujours Alcidés paraissait surpris par la tombée de la température et la noirceur rapide. Lorsque le ciel se saignait d'orange il haussait très haut ses arcades, répétant toujours la même chose:

— « Déjà le soir? »

lui comme sa Tante passaient leurs journées à aller et venir du campement à la tanière à cueillir tout ce qui leur tombait sous patte depuis l'accident de Silence, il y avait à peine une lune. C'était généralement autour de cette heure que revenait Nuage de Mousse. Il assistait parfois à leurs manipulations, tant qu'il pouvait voir leur patient. Son amitié avec son neveu était tellement forte qu'Alcy n'avait jamais ressenti le besoin de le chasser. Il s'était habitué à ses visites, attendant celle d'aujourd'hui où pour une fois, il avait la tête au calme.

Ah, le voilà qui arrivait justement. Nuage d'Alcidés terminait son inventaire tout en tendant l'oreille, attendant le petit pas pressé qui mènerait Nuage de Mousse jusqu'au chevet du blessé, mais c'est alors que ce-dernier se trompa de pièce, revint sur ses pas, suivit le chemin de l'eau propre jusqu'aux litières, décrivit un cercle et le retrouva à l'herbier, où il allongea ses foulées pour vite arriver près de lui et déposer à ses pattes trois petites baies, que l'apprenti-guérisseur toisa d'un air circonspect.

─ « A-Alcidés? Regarde, je t'ai trouvé des baies! ... Mais je-je ne sais pas si elles sont utiles, j'en ai jamais vu des comme ça...

Nuage d'Alcidés dut prendre un moment pour analyser les "fruits". Il fronça les sourcils une seconde, recula le nez, puis pencha sa tête jusqu'à effleurer une baie du nez et les observer de plus près. Il les renifla : elles avaient l'odeur d'un conifère. Aussitôt sa queue fendit l'air d'un geste nerveux qu'il se garda bien de dire à l'apprenti-guerrier. Il entrouvrit la bouche sur de la stupeur. Des baies de genièvre - des baies venant des Terres de la Rivière. Rapidement il se redressa pour jeter un coup d’œil au bout de l'antre, s'assurant que personne n'était dans les parages.

— Nuage de Mousse, je sais où tu es allé trouver ces baies. Je ne sais pas pourquoi tu es allé là bas... Et un autre coup d’œil, pour s'assurer qu'ils n'étaient pas entendus. Il planta son regard or dans les yeux bleus du jeunot qui commençait déjà à le dépasser en terme de hauteur. Il vaut mieux que tu n'en parles à personne, d'accord? »

Et il se pencha pour ramasser les baies, l'une à une, dans sa bouche, pour les ajouter à son herbier.

— S-surtout pas à Tante Cœur Fleuri. Nous sommes d'accord?

Ils n'étaient pas d'accord. Ils n'étaient pas d'accord car quelque chose avait changé chez Nuage de mousse qui s'était aussitôt rebuffé à l'idée d'être pris sur le fait. Et Alcidés put assister à la pire parade jamais énoncée - pire encore que les siennes, si c'était possible :

—« Je-je vois pas de quoi tu veux p-parler, je les ai trouvé pa-par-terre en me promenant... »

Nuage d'Alcidés se sentit défaillir, rien qu'un peu, tandis que ses oreilles vivotaient de tout les côtés et que ses lèvres s'étaient étirées sur un sourire de malaise face à la pauvre prestation qu'on lui donnait. Il ne savait pas s'il devait le consoler, rire, ou le disputer. Sa queue eut un autre mouvement, nerveux, et un frisson passa dans son échine puisque les trois idées se manifestaient en une grimace à sa face. Lui non plus n'était pas bon menteur.

— « J'ai-j'ai pas fait exprès..
— Euh. »

Et aux larmes qui s'échappèrent des yeux de l'apprenti-guerrier, l'apprenti-guérisseur se coupa aussitôt à la scène en fermant ses paupières et en levant le menton en tentant de se reprendre en main aussi bien que possible.

— « Nuage de Mousse, je te crois ! Et si quelqu'un te demande d'où viennent ces baies, tu diras qu'elles sont de moi! Ça se tenait, peut-être qu'il était allé au Clan de la Rivière sans sa tante, récemment, pour ramener des baies de genièvre! Il rouvrit les yeux, tâchant de se radoucir. Dorénavant, si tu veux chercher des plantes pour nous, assures-toi de les trouver sur le territoire. D'accord? »

Nuage de mousse avait besoin d'être rassuré. Nuage d'Alcidés hocha donc de la tête en le fixant dans les yeux, l'intimant à faire pareil:

─ « Nuage de Mousse, nous sommes d'accord?

Sa bonne volonté eut raison de Nuage de Mousse qui imita le mouvement de son hochement de tête. Ils étaient maintenant sur la même longueur d'ondes, à se regarder dans les yeux.

— « O-oui. »

Alcidés sentit ses crispations s'alléger et poussa un soupir, content d'avoir pu transmettre son message sans faire s'affoler l'apprenti-guerrier. Lui et ses poils frisottés avaient tendance à partir en vrille au moins mot de travers - un peu comme lui, mais pire que lui. Plus sensible encore. Plus réactif encore. Il ne lui était après tout jamais arrivé de pleurer face à autrui pendant une crise d'anxiété. Le mouvement de sa queue s'était cessé.

— « ... De toute façon, je veux pas y retourner, ils font trop peur.
— Ce ne sont rien que des chats comme toi et moi, Nuage de Mousse.

Puisqu'il n'avait personne pour le reprendre, il ne se gêna pas de dire ce qu'il pensait. Il se permit même un petit ronron, véritablement plus par les baies de genièvre qu'ils avaient à présent, et le "secret", si on pouvait dire, qu'il partageait avec Nuage de Mousse. Il était soulagé que ce-dernier ne se soit pas fait attaqué par un Chat de la Rivière. Ou pire, Noyé. Mais le vent avait beau souffler toutes sortes d'arômes de scénarios différent Alcidés ne les sentait pas, au chaud dans la tanière, à ronronner tout bas, près de son herbier, où il sentait son précieux thym entre toutes ses herbacées et ses fleurs.

Il s'inclina donc, en toute politesse.

— Néanmoins, je te remercie au nom de Tante Cœur Fleuri et moi-même pour ta contribution. »