Emmenez-moi ◄ If puis libre - abandon

Emmenez-moi

Lorsque la lieutenante la retourna, la chatonne poussa un feulement outrée avant de fixer dans les yeux la chatte calico. Elle savait qui elle était mais n'en avait cure et lorsque l'autre pris parole, dans la tête de la petite albatros, c'est un "blablabla" qui raisonna. Mieux, la petite bête se releva dès qu'elle le put, queue bien haute, se détournant de la vilaine gradée pour trottiner vers la pouponnière, essayant de ne pas montrer à quel point elle était vexée. S'arrêtant bien avant la pouponnière surchargée pourtant pour s'allonger à l'ombre et observer le groupe. Si l'autre pensait sérieusement que les litières seraient propres ... La garce pesta. Elle n'avait nul envie de s'abaisser à travailler et encore moins celle de seconder son imbécile de grand-frère. Après tout, maman Gigi lui avait elle seulement parler de Silence une fois ? Juste pour lui faire une brève présentation, peut-être ...

Patte Venteuse aussi se voyait chasser et Lunaire héla doucement sa comparse avant de miauler à son attention. Je veux savoir ce qu'il se passe. Pourquoi on veux pas de nous. Bon, d'elle, elle pouvait le comprendre, après tout, Tâche d'If avait parler de respect même si Lunaire dans son grand manque de socialisation n'avait aucune idée de ce que cela voulait réellement dire. D'ailleurs, c'est un autre pelage blanc qui approcha et Patte Lunaire riva ses prunelles sur son aîné, se demandant ce que le mâle allait bien faire. Mais Nuage Silencieux semblait aussi peu capable de réagir que tout les autres félins qui, comme elle à présent, guettait de loin ce qu'il se passait.

hrp:

Tout se passa un peu trop vite, et Patte Venteuse décrocha totalement de la situation. Les choses allaient pourtant bien, au début. Tâche d'If lui demanda ce qu'Étoile Venteuse allait faire au Clan du Tonnerre, et c'était toute heureuse qu'elle était décidée à répondre. Mais à peine une syllabe eut le temps de sortir de sa gueule. Et Plume Colorée se décomposa presque littéralement. Ses mots et ses paroles cassées, brisées, éparpillée quelque part dans un méli-mélo sans sens.
Patte Venteuse se mit à rire, pensant à un jeu, une blague de l'ancienne. Mais ses yeux vairons se posèrent sur ceux de Tâche d'If. Et sans comprendre, elle comprit.
Les choses n'allaient pas bien. Pas bien du tout.

D'un seul coup, tout s'activa autour d'elle. Plein de chats débarquèrent, en plus de Nuage de Mousse - qui était toujours aussi embêtant - Patte Lunaire les rejoint et elle n'en tint pas compte. Ce fut à peine si elle l'avait remarquée.
Le guérisseur, Nuage Silencieux, les rejoint rapidement. Lui allait sans doute faire quelque chose, pensait-elle. Mais il avait l'air tout autant perdu qu'elle.
Que se passait-il? Que lui arrivait-il? Pourquoi Plume Colorée n'allait pas bien?

Paralysée par l'incompréhension, les larmes aux yeux par toute cette agitation, elle fut repoussée par Tâche d'If qui réclamait de l'air et de l'espace pour l'ancienne et l'apprenti-guérisseur. Alors elle restait en retrait, impassible, observant la scène de loin.
Patte Lunaire lui parla, mais elle ne répondit pas un mot. Elle avait entendu sans entendre.
De quel mal l'ancienne avait été si soudainement prise? Tout allait pourtant si bien!

Elle pouvait voir Nuage Silencieux et les formes des adultes autour de la vieille Plume Colorée. Mais elle n'avait pas l'air d'aller mieux. Rien n'avait l'air d'aller mieux.

- Pourquoi tu l'aides pas?!! s'écria Patte Venteuse à l'attention de Nuage Silencieux. Pourquoi tu fais rien?!

Et il ne lui restait plus rien d'autre que ses larmes pour pleurer. Elle était seule, encore une fois.

(dsl pour le vent Luny

Peut-être, finalement, avait-elle des abeilles qui bourdonnaient dans sa tête. C'est en tout cas l'impression que lui donnait toute cette agitation autour d'elle : des abeilles qui s'approchaient et remplissaient ses oreilles de vibrations indiscernables, profondes, étouffantes. Au milieu de ces grondements d'insectes, elle entendit Tâche d'If sermonner l'enfant albinos, bonne pour la Forêt Noire pensa la vieille chatte, et la petite s'éloigna.

« Faites place ! Plume Colorée a besoin d’air et Nuage Silencieux, d’espace ! »

Elle était d'accord. Elle respirait mal. Est-ce que c'était la poussière dans l'air ? Elle n'espérait pas, elle détestait la poussière, ça lui rappelait les jours trop chauds où les proies restaient terrées. Mais en fait, qui était Nuage Silencieux, encore ? Elle était sûre qu'elle le connaissait ... Il la toucha et la vieille recula le cou d'un air contrarié, mais son geste fut si lent que l'apprenti aurait eu mille fois le temps de prendre son pouls, et que personne ne le remarqua.

« T-Tâche d’If j-je… je sais pas ce qu’elle… ce qu’elle a… J-Je s-sais pas qu-quoi faire… »

Tantôt lucide tantôt à mille lieues de ce qu'il se passait, Plume Colorée sentit la panique commencer à secouer son faible corps et faire larmoyer ses yeux trop secs. Aussi mal lunée qu'elle était, elle n'aurait pas pu passer à côté d'une telle déclaration. Elle risquait de mourir, et sérieusement cette fois.

« D-De l’eau. Il lui faut de l’eau ! »

Elle aurait ri s'il ne s'agissait pas de sa vie. De l'eau ! pensa-t-elle. Comme si un peu d'eau allait me sauver ! Bah, au moins, je ne mourrai pas la gorge sèche. Elle reprit ses esprits quelques instants, regarda Nuage Silencieux, lui faisant comprendre d'un regard qu'elle n'avait pas besoin de son aide, et articula doucement :

« G-G- ... Garde ton-on eau. J-j-je vais m-ourir c'est m-mon heu-re. »

Elle se coucha doucement sur le sol, lançant des regards autour d'elle sans reconnaître tous les visages qu'elle voyait. Elle ne pouvait plus bouger : son cœur se faisait faible, ses membres vibraient comme si on la secouait et sa vision se troublait. Elle allait mourir ici, au milieu de ce qui avait été vraiment important pour elle - tous ces gens ! Toutes ces âmes ! Tous ces cœurs, tous ces avenirs, toutes ces têtes encore pleines ! Ce n'était pas vraiment la faute de l'apprenti-guérisseur si elle mourrait : elle avait fait son temps. Elle était triste mais aussi apaisée car elle allait rejoindre les Étoiles, elle pourrait revoir ces Étoiles qui lui manquaient tant et découvrir un nouveau monde.

« Ma fille. Je veux É- ... É-É-Étoile Vaillante. »

La panique qui l'avait gagnée quelques instants plus tôt la quittait progressivement. Elle n'avait plus rien à perdre à quitter ce monde : elle acceptait de laisser les vivants ici et de les observer d'en haut, il était grandement temps pour elle. Tout irait bien.

Un brouhaha de plus en plus important m'extirpa de ma somnolence. Tout était confus, et je n'y prêtais pas attention jusqu'à entendre des éclats de voix de ma lieutenante. Je me levai en un bond, envisageant tous les cas possibles. Une attaque? Un problème grave??? J'allais débouler à l'extérieur lorsque la tricolore apparut devant moi. Elle commença à déblatérer un flot de paroles à une vitesse extrême, témoignant de sa panique. Je ne compris que des morceaux mais... Ce fut suffisant.

Je soupirai, et regardai Tâche d'If repartir. Plume Colorée faisait encore des siennes... Je léchai mon poitrail en quelque coups de langue, mais guère plus. Je pressentais qu'il fallait que je me hâte. Le camp était désertique. Ma mère était au beau milieu, au sol. Je voyais son ventre se soulever à des rythmes empiriques, totalement irréguliers. En quelques sauts, je l'avais rejoins. Je m'assis à ses côtés, et baissai les yeux sur elle. Elle faisait peine à voir. Son heure était réellement venue...

Elle m'en avait fait bavé, et je lui avais rendu la pareille... Toutefois... Elle restait ma mère, et je n'étais pas insensible à son état. Je posais la queue sur une de ses pattes et miaulai d'une voix douce :

"Je suis là Plume Colorée... mère..."

Je sentis une présence rassurante à mes côtés. Force de l'Ours mon compagnon, venu pour me soutenir. Je lui fis un timide sourire, mais préférai lui demander de s'écarter. Je voulais être avec ma mère. Et avec Coeur Fleuri. Pourquoi n'était-elle pas là... Elle aurait du être là... Elle aurait du... Ma gorge se serra.

Emmenez-moi

Si le félin se tenait à distance et veiller à ce que nombre de ses camarades en fasse de même, il ne perdait cependant pas une miette du drame. L'ancienne était sur le point d'aller voir ailleurs et un léger sourire apparu à la commissure de ses lèvres, un mince instant alors qu'il pouvait voir le regard perdu de la chatte chercher une tête reconnaissable pour son esprit perdu dans les limbes brumeuse de la Fin. La mort venait cueillir la fleur fanée, l'arracher aux tiges jeunes et forte de la pousse, lui faire quitter les racines qui l'avait vu naître pour redevenir terre et alimenter encore un peu la plante. Plus pour longtemps. Lorsque la lieutenante s'écria, il leva les yeux au ciel mais contrairement à d'autre, il n’obéit pas tout à fait pour autant, allant plutôt se couler non loin de la pouponnière et d'une boule de poil blanche. Mais si l'albinos répondant au nom de Lunaire lui lança un regard, il ne répondis que par un sourire en coin de connivence. elle pouvait rester dans son ombre, et If ne pourrait le lui reprocher qu'il veille à ce que les chatons se tiennent à distance de la mourante. Ils se tenaient trop loin pour capter le moindre mot, cependant, le mâle n'en avait cure, l'albinos dissimuler devant son poitrail, il attendait que le dernier souffle vienne. La chatonne saurait ce qu'étais la toute fin mais leurs silence partager lui allait bien à lui aussi. Le point d'orgue était sur le point de sonner sa dernière note. Puis, la veiller commencerait. Il ne voyait d'autre fin au tremblement convulsif de l'ancienne.

HRP:

Slipping through my fingers, Meryl Streep & Amanda Seyfried

Le vacarme s'atténuait doucement. Plume Colorée observa les félins se disperser et arrêter de lui voler son oxygène, et opina du chef d'un air satisfait. Tâche d'If faisait du bon travail. Une forme rousse se dirigeait vers elle et elle sourit faiblement.

« Je suis là Plume Colorée... mère... »

Cœur Fleuri, Étoile Vaillante et Plume Colorée avaient toutes les mêmes yeux, d'un vert profond, et un regard expressif, qui trahissait souvent leurs émotions. La calico ferma les yeux et poussa un long soupir.

« Fais pas cette g-g-gueule-l-là, je t'ai p-p-pas édu...quée comme ça. »

Son regard était un peu moqueur mais aussi plus doux qu'il ne l'avait jamais été. Sa fille était devenu plus forte, plus tenace qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer. La voir assise à côté d'elle, la tête baissée, un peu plus grande que son vieux corps tassé, lui fit sentir combien elle allait lui manquer. Elle l'avait vue grandir, d'une toute petite boule rousse à la merveilleuse meneuse qu'elle était aujourd'hui.

Ce qu'il lui manquait, sans doute, c'était la sœur de sa petite rouquine. Ses mots durs, leurs disputes, son regard exaspéré, sa patience à l'épreuve des balles lui manquaient horriblement à cet instant, et elle manquait surtout à sa sœur, elle le savait, elle le sentait. Aussi loin qu'elles avaient été les unes des autres, Plume Colorée, en tant que parent, voyait leurs plaies ouvertes, leurs blessures cachées, et même si elle n'avait jamais su le leur dire, elle espérait au moins avoir été capable de leur faire sentir sa présence.

« J-j'ai j-j-jamais été une bonne m-mère. Mais s'il y a bien un tr...uc dont j-je ref...use que tu ... doutes, c'est que je vous ai aim-aimées de t-tout mon c-coeur, F-Fleur-... Fleurette et toi. »

Elle leva difficilement son visage vers sa fille puis posa son nez sur son front, avant d'expirer longuement.

« T-tu es forte V-Vava ... On se rev-voit là-haut. »

Son corps s'affaissait lentement, elle se coucha paisiblement sur le côté, repensant à sa vie. Comment cela allait-il se passer ? Comment serait sa vie, là-haut ? Elle n'était pas triste, seulement légèrement inquiète pour l'avenir de ses filles. Comment allaient-elles vieillir ? Qui seraient-elles dans cinquante lunes ? Elle ne pourrait pas le voir depuis le monde des vivants ... Elle espérait qu’Étoile Vaillante ne ferait pas d'âneries à la faire se retourner dans sa tombe, et que Cœur Fleuri reviendrait à la raison. Elle allait rejoindre Brâme du Cerf, Nuée d'Alcidés et tous les autres.

Avec un dernier sourire, elle laissa ses cent vingt quatre lunes s'éteindre d'elles-mêmes, sans coup du sort ni drame.

HRP :

hrp: