Eléphant à plumes (libre) - END

« Oh, le ciel a l'air de m'en accorder, des minutes... Tant de mansuétude ! »

Une réplique un peu amère, certes, mais une réplique quand même; Matin Embrasé avait choisi de répondre, plutôt que de garder le silence, ne s'était pas montré trop incisif ou trop brutal envers elle, et aucun cri n'avait, cette fois, rompu le silence qui régnait près de la tanière des guerriers. Leur tanière, jadis. Et à cette pensée, Museau Bleu sentit son cœur se serrer: le ciel leur accordait des minutes, mais elle aurait voulu des heures, des jours et bien des lunes pour son flamboyant ami qui ne semblait plus que l'ombre de lui-même. Le temps leur manquait... Complice, elle renchérit:

« C'est trop aimable ! »

Mais déjà, le rouquin enchaînait, la faisant sourire avec douceur et une sorte de tendresse amicale face à ce comportement qu'il avait toujours eu - parler un peu plus qu'elle, et souvent, avec plus d'ironie. Il était à la fois le bouffon et le roi, sauf qu'au fond, ils n'étaient tous que des pions. Pourtant, ce n'était pas ce qu'elle se rappellerait; elle se rappellerait sa fourrure rousse dans les lueurs du matin, qui paraient le ciel d'or et de rose pastel, sa voix quand elle riait, quand elle provoquait, quand elle charmait aussi, se rappellerait les confidences et les idioties, les moments simples à rire, les patrouilles, de chasse ou de frontière, de temps en temps, et aussi le partage. Elle voulait se rappeler son ami, gentil, attentionné, délicieusement insolent, et riant des malheurs de la vie. Comme aujourd'hui.

« Qui sait peut-être qu'ils hésitent encore... ils se demandent si je suis un saint PWAHAHA ! »
« Bien sûr, regarde-toi ! Un ange ! » s'amusa Museau Bleu. « Un ange cornu, avec des ailes de tôle ! »

S'approchant un peu, elle le gratifia d'un petit coup de museau sur le flanc, puis recula, tandis que la toux secouait le corps entier du matou - devenu beaucoup plus maigre au fil du temps. À quoi servait d'avoir pourchassé sa Perche si longtemps, si celle-ci ne prenait pas le moins du monde soin de son "non compagnon" ? Matin Embrasé enchaîna, regard soleil plus intense et chaleureux au milieu de ce visage qui, ils le savaient tous deux, annonçait la fin, les prunelles vert jade de son amie, glacées, se mettant à fondre comme la neige au printemps:

« C'est vrai qu'au fond j'vous en ai quand même fait baver, et pas que d'envie *kovkov* ! »

Elle rit. Ajouta, malicieuse:

« Ah, ça ! On te voyait souvent, mais c'était pas toujours beau à voir ! »

Mais son ton ne portait aucune trace d'animosité, seulement une infinie tendresse et un rire, tandis qu'elle refusait l'idée qu'il l'ait fait baver. L'existence de son ami était une chance, pas une malédiction... Et ça, elle aurait aimé que le feu follet devant elle le comprenne. Déjà, il miaulait:

« On se passerait bien d'oiseaux pas foutus de voler qui se prennent pour des chats, hein ? »

Elle secoua la tête pour nier. Délaissa un peu leur petite discussion pour un sujet plus direct. Murmura:

« Je compte sur toi pour trouver quelqu'un à qui répondre comme on le faisait au Clan des Étoiles ! Tu as intérêt à m'accueillir avec toute ta verve, quand on se reverra alors ne perds pas la main, parce que moi, je ne te louperai pas ! »

Se faisant, elle suggérait l'idée d'un départ mais aussi de retrouvailles, et si la peine était présente, la pitié n'avait rien à faire dans cette situation. Ça, ça voulait aussi dire « Je ne t'oublierai pas », quelque part. Et finalement, la princesse de l'eau de chuchoter:

« Tu peux dire ce que tu veux, c'était un plaisir de te connaître, et je pense que Nuage de Nuit te l'a bien répété déjà, mais t'es entouré, espèce d'abruti. On laissera pas tes petits. Et ton apprentie, elle, est en voie de devenir une guerrière formidable ! Tu es un excellent guerrier, un merveilleux mentor, un ami précieux et je m'en rappellerai. Tes petits seront géniaux... »

L'émotion tenta de submerger la fille de la rivière, qui refusait de laisser les larmes couler en cascade sur ses joues, et elle gratifia simplement son ami d'un clin d'œil pour souffler, avec ironie, esquissant du même coup une pirouette gracieuse:

« À me faire regretter que ce ne soit pas les nôtres ! Mais le Clan n'est pas prêt pour pareille puissance ! »

Elle lui tira la langue.

« Alors je reste à jamais ta Joyeuse Muse. »

Spoiler:

Un vent léger soufflait sur le camp, et faisait virevolter l'épaisse fourrure de la féline. Cette journée n'avait rien d'extraordinaire jusqu'à présent, une journée bien trop banale, bien trop normale au clan de la Rivière. Douce Orchidée ne faisait rien d'autre que de mettre en place les patrouilles habituelles, de partir chasser puis rentrer pour ainsi poser le butin sur la pile de gibier. Finalement, ces journées se répétaient et ce n'était pas pour lui déplaire, car le clan de la Rivière avait vécu bien trop d'émotions et avait besoin de se reposer au calme. L'état du chef n'arrangeait rien, et surement pas l'état de la lieutenante, mais elle trouvait toujours le moyen de sourire aux autres, elle avait des amis sur qui compter. Elle n'était plus seule, désormais. Elle pouvait se livrer sans se soucier. Et ça lui faisait du bien. Bien décidé à faire autre chose de sa journée, Douce Orchidée se releva avant de voir une apprentie noire débouler devant elle, et sur le coup la lieutenante n'eut envie de lui adresser la parole. Elle semblait en colère, bien pire même, une émotion différente de celle que l'on peut éprouver au quotidien. Quelque chose clochait, c'était louche, bien trop louche pour que la lieutenante ne fasse rien. Mais Nuage de Nuit semblait dans un état si étrange, que Douce Orchidée ne voulut pas lui demander. Il était évident qu'elle ne revenait pas de dehors, mais alors d'où venait-elle? Avant de voir disparaître tout indice, elle balaya du regard le camp. Tout semblait normal, à un détail près, elle semblait entendre quelqu'un pleurer. Les pleures étaient légères, mais suffisantes pour faire comprendre à la lieutenante la gravité de la situation. Elle se dépêcha de suivre le bruit, jusqu'à ce qu'elle vit Museau Bleue rentrer dans la tanière des guerriers. Non sans coïncidence, le bruit émanait de l'endroit. Cela ne faisait aucun doute là-dessus.

D'un pas rapide, Douce Orchidée s'empressa de rejoindre la tanière des guerriers avant de s'arrêter à l'entrée, guettant le moindre bruit et la moindre parole.

« Sa majesté le prince du ciel a-t-il une minute à accorder à une pauvresse ? Ou croit-il que sa Muse abandonne le poète ?
- Oh, le ciel a l'air de m'en accorder, des minutes... Tant de mansuétude ! »
[ … ]
« On se passerait bien d'oiseaux pas foutus de voler qui se prennent pour des chats, hein ? »

C'était Matin Embrasé, qui essayait tant bien que mal de parler. Malheureusement, il ne faisait que cracher un peu plus ses tripes. Visiblement, ils étaient trois. Douce Orchidée sentit l'odeur de Pluie Battante qui chouinant, Museau Bleu et le pauvre rouquin qui semblait cloué au sol.

« Je compte sur toi pour trouver quelqu'un à qui répondre comme on le faisait au Clan des Étoiles ! Tu as intérêt à m'accueillir avec toute ta verve, quand on se reverra alors ne perds pas la main, parce que moi, je ne te louperai pas ! » 
[ … ]
- Alors je reste à jamais ta Joyeuse Muse. 
- Eh bien file donc charmer d'autres imbéciles ! N'aie pas peur je peux t'assurer qu'on est nombreux à être assez cons pour aimer ça ! »

Bientôt, la lieutenante déboula dans la tanière, son visage ne trahissait rien, mais ses yeux étaient glaçants. Elle décocha un regard à Pluie Battante, puis à Museau Bleu avant de finir par les déposer sur la pire des personnes qu'elle avait pu connaître à ce jour. Cette personne qu'elle trouvait malsaine, et ignoble, un humour à elle mais qu'elle n'arrivait pas à comprendre. Non, elle ne portait pas Matin Embrasé dans son cœur elle n'allait pas chouiner s'il venait à s'en aller.

« C'est quoi ce tous ce cirque ? » demanda-t-elle, avec impatience. Etait-elle la seule qui trouvait ça absurde de converser de cette façon alors que le rouquin allait crever dans les minutes qui suivaient ? « Pluie Battante, on ne peut donc rien faire ? »

Le rouquin était dans un état catastrophique, gisant au sol. Il était vrai que ces derniers temps, Matin Embrasé n'avait plus le temps de faire le pitre tant son état avait empiré. Même si elle n'avait pas la moindre pitié, elle ne pouvait s'empêcher de penser à ses chatons. Allaient-ils vivre sans père ?

« Alors tu t'arrêtes ici, t'as bouffé toutes tes vies ? »

Elle le regardait, de façon totalement neutre. Qu'est ce qu'elle pouvait bien faire ? Pluie Batante était triste pour elle, et Museau Bleu semblait proche de lui d'une certaine manière. Douce Orchidée, elle, elle pensait à ses petits, et à Brasier Glacial que Matin Embrasé allait laisser derrière lui.

Spoiler:

« Je m'arrête pas, je pars... tout juste. Mais pour des poulettes comme toi, je resterais bien... »

Ses paroles puaient le mépris, elles étaient gangrénées, infectées. Du dégout, c'est tout ce que ce personnage inspirait à la lieutenante. Même aux portes de la mort, ce dernier arrivait à l'énerver en quelques mots. Quel abruti ce rouquin, jusqu'à la fin il n'aura pas cédé, il sera resté le même, un pitre. Mais devant lui, et pour la dernière fois, elle n'allait pas céder à la colère, elle voulait le voir bruler en des milliers de petits bouts de papier, pour à la fin souffler sur le tas de cendres et en rire. Elle ne cessait de le fixer de ses yeux verts, elle le regardait, lui qui souffrait sur le sol de la tanière. Lui qui, dans quelques souffles, allait quitter le clan de la Rivière. Il n'allait pas lui manquer, mais elle savait qu'il allait manquer au clan, ou du moins à certains. Elle ne pouvait donc pas lui ruiner sa fin de vie, juste le regarder souffrir lui suffisait à penser ''Tu m'as humilié, je t'humilie en te fixant de haut alors que tu crèves à petit feu''. Malgré tout, une pointe de tristesse envahissait son âme. Car elle n'aurait pas aimé être à sa place.

« Ah ça les jeunes, je peux vous dire, on est bien remerciés, dans la vie. » miaula-t-il en grommelant. « Les coups de pieds au cul, ça ne marche qu'avec les gens qu'on aime. Fous-toi plutôt des autres, conseil de connaisseur. »

Un sourire moqueur, en coin, se dessina sur le visage de la lieutenante. Il arrivait encore à lui donner des leçons, c'était un sacré bonhomme qui allait les quitter. Elle ne pouvait que reconnaître sa détermination sur le fait de toujours avoir le dernier mot. Allait-il encore l'avoir cette fois ?

«Je me fous de qui je veux. » dit-elle, neutre encore. « Et qui a dit que je me fichais de toi ? Je viens te voir pour la dernière, j'ai bien le droit. »

Mais finis la rigolade, il fallait cesser de toujours autour du pot.

« Et d'ailleurs, pourquoi on est que quatre dans cette foutue tanière ? Et les autres ils ne sont pas au courant ? Qu'est ce qu'on attend pour les prévenir ? »

Spoiler: