Que la fête commence... LIBRE - END

Alors qu'il parcourait les alentours du campement à la recherche de remèdes, dont l’attaque des Lunar Pod avait réduit à néant ses stocks, il n’entendit pas la voix du guerrier le héler au loin, si bien que le pauvre bougre dut se démener pour le trouver et lui annoncer la nouvelle : la grossesse d’Étoile Vaillante arrivait à terme, et c’était l’heure pour lui de faire ses preuves en mettant en application ce qu’Esprit Soucieux avait commencé à lui apprendre.

L’apprenti guérisseur regagna son antre le plus vite possible – aussi vite que sa hanche le lui permettait – pour sélectionner les remèdes dont il connaissait le fonctionnement, et pourrait ainsi avoir besoin. Menthe sauvage pour les contractions ? Épiaire laineuse car Étoile Vaillante n’avait pas autant de force que dans sa jeunesse ? En raisonnant comme il le pouvait, réfléchissant aux remèdes déjà appris qui pourraient s’avérer utiles, il se constitua un petit paquet. Et quand bien même il n’utiliserait pas tout, il pourrait au moins pallier à certaines éventualités déplaisantes, qu’il n’espérait tout de même pas voir se réaliser, faute d’expérience pour pouvoir les gérer de façon sereine.

« ‘uage de ‘ousse, tu m’accompagnes ? » Demanda-t-il à son ami en passant devant lui la bouche encombrée par les remèdes qu’il transportait.

Et sachant pertinemment que son fidèle compagnon le suivrait sans même qu’il n’ait à demander, il s’extirpa de sa tanière, stressé et angoissé par ce qui l’attendait.
Un cri de douleur s’échappa de la pouponnière alors qu’il s’en approchait, et son estomac se serra un peu plus à mesure qu’il pressait le pas pour y arriver le plus vite possible.
Hélas, trop tard à son goût… lorsqu’il passa la tête par l’entrée de l’enchevêtrement de ronces et d’aubépine où les jeunes mères et leurs enfants avaient élu domicile, il constata avec horreur qu’Étoile Vaillante n’était plus consciente. Simple évanouissement ou perte d’une vie ? Les deux l’inquiétaient tout autant.

Avec stupeur, il lâcha son paquet de plante, se précipitant vers la reine en oubliant la douleur qui irradia sa hanche suite à ses mouvements trop brusques. Nuage Silencieux n’était plus l’apprenti timide qui peinait à se faire écouter et prendre au sérieux, Nuage Silencieux devait sauver une vie, et tant pis si il devait hausser la voix.

« Papi, va lui chercher de la mousse imbibée d’eau, MAINTENANT. » Miaula-t-il alors qu’il s’installait près de sa grand-mère et constatait avec horreur qu’elle avait momentanément rejoint le clan des Étoiles.

Et si, comme Cœur Fleuri plusieurs lunes auparavant, il assistait, impuissant aux pertes successives de toutes les vies de sa cheffe, sans rien pouvoir y faire ?

« A-Allez, allez mamie, reviens à toi, sois forte. » Murmura-t-il à l’oreille de sa grand-mère alors que les sanglots envahissaient peu à peu sa voix.« Reste avec moi, Nuée d’Alcidés, Plume Colorée et Cœur Givré n’ont pas besoin de toi là-haut, moi si. Papi aussi. Tes chatons aussi... »

Il se força à déglutir et à calmer sa voix tremblante : il était responsable et ce n’était pas le moment de flancher. Il n’avait pas pu sauver Nuée d’Alcidés, ni Plume Colorée et pas non plus sa propre mère, Cœur Givré. Il ne supporterait pas de porter une nouvelle mort sur ses épaules.
Nuage Silencieux saisit alors l’épiaire laineuse pour la mâcher rapidement, et en faire tomber la pâte pré-mâchée dans le gosier d’Étoile Vaillante. Alors, lui massant la gorge, il força le passage vers son estomac.
« Clan des étoiles, laissez-la près de moi, le clan a besoin d’elle. » Pria-t-il silencieusement.

Et comme ayant entendu sa prière, sa grand-mère ouvrit brusquement les yeux, avalant de grandes goulées d’air. Tandis qu’elle était encore à peine consciente, le petit blanc pressa l’une des mousses gorgées d’eau – tout juste rapportée par Force de l’Ours – au dessus de l’ouverture buccale de la reine, la forçant à se désaltérer alors que lentement, elle rejoignait les bras de Morphée.
Et ce n’est qu’après s’être assuré que la belle s’était bien endormie et ne visitait pas le clan des Étoiles une nouvelle fois, qu’il lui posa la deuxième mousse fraîche sur le front, et alla se tasser dans un coin de la tanière, épuisant et peinant à se remettre de ses émotions.

Ils avaient frôlé la catastrophe.

Que la fête commence

VENT
LUNE 37

Les lunes passaient et modifiaient son corps, qui ressemblait de plus en plus à celui d'un adulte - pas qu'il ait vraiment le mental pour venir avec, remarquez. Mais le temps avait fait ses damages, avait laissé des traces sur son âme. Bientôt, il deviendrait un guerrier. Et sa mère ne serait pas là pour le regarder graduer. La plaie de son départ était moins béante dans son coeur, mais le poids n'en était pas moins lourd. Il fallait apprendre à vivre avec. À tout le moins, Tache d'If lui avait pardonné ses fautes: même s'il ne pouvait plus obtenir d'elle l'affection dont il avait tant besoin, comme la guerre l'avait durcie, il pouvait au moins bénéficier de son attention. Lorsque ses tâches de lieutenante ne l'accaparait pas trop. Cela n'avait pas été le cas en cette journée, aussi, l'apprenti s'était risqué à une chasse en solitaire, évidemment pas bien loin du campement, même si la menace des Lunar Pod était théoriquement terminée. Et, encore évidemment, il n'avait pas vraiment réussi à attraper grand chose. Enfin, si un oisillon déjà mort comptait pour quelque chose.

ll était donc sur son chemin du retour lorsque son regard harpa la silhouette clopinante de son meilleur ami. Il ne lui fallut pas longtemps avant de comprendre que Nuage Silencieux se hâtait vers quelque chose d'important, avec la gueule pleine d'herbes qu'il avait, et la démarche la plus rapide que ses hanches lui permettait d'obtenir. Nuage de Mousse se dépêcha auprès de lui, en digne assistant qu'il était (ou qu'il tâchait d'être). Lorsqu'ils se croisèrent, le blanchâtre lui demanda entre ses crocs de l'accompagner, ce que le mâle fit sans se faire prier. Il aurait bien demandé si Nuage Silencieux avait besoin d'autres simples, et où ils se rendaient comme ça, mais comme le guérisseur continuait de le guider, il se rendit vite compte que la pouponnière était leur destination. Et qu'elle était majoritairement déserte, à l'exception de Force de l'Ours et, bien naturellement, Étoile Vaillante. Qui gisait au sol, en silence, malgré son précédent cri.

Tandis que Nuage Silencieux se jetait en avant pour faire les premiers soins à sa grand-mère, et envoyer son compagnon à la recherche de mousse humide, le rouquin se dépêcha de ramasser ce qu'il avait fait tombé au sol, pour qu'au moins le petit blanc n'ait pas à refaire le chemin inverse. À son arrivée au chevet de la cheffe, il constata que plus rien chez elle ne bougeait; seule une petite parcelle de fourrure se mouvait, et elle appartenait à la descendance qu'elle venait tout juste de faire naître. Nuage de Mousse déglutit. Il n'en était pas à son premier accouchement, ni à sa première mort, et pour une fois, la femelle avait plusieurs vies (du moins il devait lui en rester?), donc ce n'était pas si dramatique. Ce qui n'empêchait pas son coeur de battre dans sa poitrine, ni les larmes de perler à ses yeux, juste au cas où.

Pour l'une des premières fois depuis que ses mentors avaient disparus, Nuage Silencieux n'avait pas l'air complètement pris au dépourvu. Il mâcha une feuille et força sa grand-mère à l'avaler, tout en lui murmurant des mots d'encouragement. Puisqu'il ne recevait aucun ordre, Nuage de Mousse resta non loin du duo, piétinant le sol dans l'attente d'un signe de vie. Qui finit par venir, enfin. Le rouquin poussa un long soupir de soulagement, tandis que le guérisseur se dépêchait de faire passer un peu d'eau entre ses babines. Juste à temps, car déjà le visage d'Étoile Vaillante tombait à nouveau vers l'arrière. L'apprenti eut une frayeur, avant de réaliser qu'elle n'était qu'endormie (ou sans connaissance). Nuage Silencieux la veillait, du coin de la tanière, et n'avait pas l'air trop angoissé - seulement exténué. Par support moral, et parce qu'il ne voulait pas laisser son ami blottit dans le noir comme ça, Nuage de Mousse vint le rejoindre,

─ Ça va aller, tu as bien fait ça, tenta-t-il de le rassurer.