Le pouvoir des fleurs -end

Sa vie était morne depuis quelques temps, sans saveur, sans aucun goût. Son entourage avait été décimé, emporté par les Étoiles, laissant un trou béant dans sa poitrine. Mais depuis plusieurs jours, il ne pleurait plus, comme ayant déjà évacué toutes les larmes de ses yeux, peinant à refaire son stock. Non, il ne pleurait plus : il subissait en silence et jamais ô grand jamais il n'avait si bien porté son nom : il se trainait sans mot dire, acceptant son destin sans lutter.
Il avait perdu sa joie de vivre - en partant du principe qu'il n'en ai jamais eu une - parmi ses plantes, avait noyé son chagrin dans son apprentissage.

Les Étoiles avaient été cruelles, mais Esprit Soucieux s'occupait d'attiser sa foi. Alors, Silence s'était tû face à la mort, il avait fait son deuil. Il avait dit au revoir à Cœur Fleuri, à Nuée d'Alcidés, à Cœur Givré et Plume Colorée. Il les avait tous regardé partir, impuissant, les événements dépassant ses connaissances. Comme elles l'avaient décidé pour lui, il serait leur messager, à la vie, à la mort, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les servir ou qu'elles décident de le rappeler auprès d'elles.

Depuis quelques jours, son humeur flottait autour de lui comme une mauvaise aura, impactant ceux qui avaient le malheur de croiser sa route. Il n'était pas désagréable, son altruisme et son empathie l'empêchant de se couper du reste du monde, mais il était ailleurs et ressentait le besoin plus fréquent de s'isoler, comme pour s'éloigner des personne auquelles il tenait afin que les Étoiles les préservent... et que la chute soit moins douloureuse pour lui.
Ainsi, Nuage de Mousse, son plus proche - et seul - ami, n'avait pas dérogé à la règle, tant et si bien que Silence ne savait plus quoi lui dire, s'enfermant dans son mutisme pseudo-réparateur. Mais il fallait se rendre à l'évidence : l'éloignement était trop douloureux et passer sa journée seul dans la noirceur de sa tanière, assombrissait ses pensées. Sa solitude n'avait que trop duré, et il craignait que son esprit ne finisse par aller rejoindre ses ancêtres tant il était ailleurs.

Ce matin là, Nuage Silencieux avait donc décidé qu'il était temps de s'arracher à cette routine déprimante, temps de mettre la truffe dehors et quitter ce cocon pseudo-réconfortant qu'il s'était tissé. Et de toute façon, quand bien même il était réticent à sortir de son antre, ses réserves en plantes s'amenuisaient avec toutes les naissances récentes qui avaient eu lieu. C'était l'excuse parfaite pour se tirer de sa torpeur.

« Nuage de Mousse ? »

L'apprenti guérisseur s'était traîné jusqu'à la tanière des apprentis, où son ami devait encore dormir car le jour commençait à peine à se lever. Passant la tête par le trou qui servait d'entrée, il avait chuchoté pour l'appeler sans réveiller tout le monde.
Avec qui d'autre rêvait-il plus de renouer des liens fort ? Avec qui d'autre aurait-il pu vouloir partir à la recherche de plantes ? Avec qui d'autre voulait-il partager sa tanière et sa couche ? Personne. Personne à part Nuage de Mousse.

Le petit blanc attendit un instant avant d'apercevoir la silhouette de son proche ami sortir de son dortoir. Sans attendre que la gêne d'avoir mis des distances avec son meilleur ami ne le force à aller se terrer de nouveau au fond de sa grotte, Silence se hâta à le saluer :

« B-bon matin Mousse. Tu veux bien m'accompagner chercher quelques plantes ? J-je... J'en ai besoin. »

Plus facile de dire qu'il en avait besoin que de s'excuser. Que pouvait-il bien lui dire d'autre, alors qu'il ne savait même pas expliquer son comportement de ces derniers jours ? Et pourtant, il mourrait d'envie de se blottir dans la fourrure duveteuse de son ami, et de respirer sa si bonne odeur en savourant cet instant.
Mais pas là, pas maintenant, il attendrait d'abord sa réaction face à la requête qu'il avait à lui faire, là haut sur la lande.

Le pouvoir des fleurs

NUAGE SILENCIEUX
LUNE 35

Doucement, la blessure béante qu'il portait dans sa poitrine venait à diminuer. Elle ne disparaissait pas, non, il se doutait que jamais elle ne le ferait, mais ses arêtes pointues s'adoucissaient, laissant présager que peut-être un jour, se réveiller chaque matin dans un monde qui ne connaissait plus le doux sourire de sa mère ne lui causerait plus de chagrin. On était encore loin de cette situation idéale, mais il lui était désormais possible d'avaler des proies sans sentir sa gorge se nouer, sans repenser au goût du sang dans sa gueule - celui de Sareth, qui lui avait volé celle qui comptait le plus à ses yeux, ou celui de sa mère, dont il avait fait la toilette dans l'oeil même de l'ouragan qu'avait été cette bataille. Il avait veillé à ramener son corps sur les landes qui l'avait vu grandir, tout seul, croulant sous son poids physique que celui de sa peine, et l'esprit bloqué par les horreurs auxquelles il avait assisté. Maintenant, ce triste voyage se transformait lentement en souvenir, presque comme un rêve, ou plutôt un cauchemar. Il ne lui restait plus que la croyance profonde que sa mère le regardait par-delà les Étoiles, et qu'elle éprouvait un brin d'amour à son égard, voire de fierté, qu'il l'ait vengé. Il ne pouvait pas se permettre de croire qu'elle aurait désapprouvé sa vengeance, même si lui-même évitait de se rappeler le rôle qu'il avait eu à jouer dans la mort de Sareth.

Lorsqu'il croisait Étoile Vaillante au campement, il détournait le regard, des émotions troubles en lui. Partageaient-ils une expérience honteuse? Devait-il être fier de l'avoir aidé, ou sale, ou même, penaud de ne pas avoir fait plus? Il lui semblait que la cheffe avait l'air hagard, mais il se doutait que ce n'était pas vraiment à cause du sang qui lui salissait les pattes, mais plutôt des pertes familiales qu'elle avait connu, coup après coup. Elles s'étaient succédés à un rythme beaucoup trop rapide, à croire que les Étoiles lui en voulait, à elle ou à eux, il ne savait pas. La dernière venait à peine d'être retournée à la terre, et si Nuage de Mousse ne pouvait pas sincèrement pleurer la perte de l'albinos qui l'avait effrayé depuis son enfance, il se sentait triste de savoir cette perte ajoutée sur les épaules de la cheffe... Et de son meilleur ami. Étoile Vaillante, au moins, était forte, était cheffe, demeurait entourée - elle attendait même de nouveaux petits. Nuage Silencieux, lui, avait perdu deux mentors de façon successive, également membres de sa famille, et désormais devait compté sa mère parmi ses pertes. Pas qu'elle eu réellement été une présence, sinon que négative, mais malgré son jugement de valeur, Nuage de Mousse ne pouvait que reconnaître l'importance que Coeur Givré avait aux yeux de son fils. Et le déchirement profond que son décès avait créé.

Les pleurs s'étaient accumulés, des pleurs communs, pour tous ce qu'ils avaient vécu, pour tous ce qu'ils avaient vu, pour tout ce qu'il avait perdu. Puis, tandis que Nuage de Mousse parvenait à tranquillement se reconstruire, retrouvant légèrement espoir grâce à Tache d'If qui enfin lui avait pardonné, Nuage Silencieux s'était affaissé dans la signification de son nom. Jamais le rouquin ne l'avait vu si vide, comme si, une fois au-delà de la tristesse, il ne restait plus rien. À tout le moins, il se rendait auprès d'Esprit Soucieux, guérisseur de l'Ombre, afin de grapiller les connaissances qu'il n'avait jamais pu obtenir auprès de Nuée d'Alcidés. Nuage de Mousse ne le pressait pas, ne sachant plus que dire pour atténuer sa peine, de toute façon. Il le laissait même dormir seul, la majorité du temps, ne veillant qu'à lui apporter quelques proies, même si l'apprenti-guérisseur les mangeait rarement dans leur entièreté. C'était donc avec étonnement qu'il se fit réveiller par sa voix ce matin-là, qu'il aurait pu reconnaître entre mille, malgré la distance. Ne voulant pas le faire tarder, et craignant quelque peu que Nuage Silencieux ne lui annonce une autre mauvaise nouvelle, Nuage de Mousse se dépêcha d'enjamber les quelques corps dans la tanière des apprentis pour le retrouver au dehors.

─ B-bon matin Mousse. Tu veux bien m'accompagner chercher quelques plantes ? J-je... J'en ai besoin.

Le rouquin cligna des yeux quelques fois, un peu surpris de la requête matinale. Mais bien vite, ne voulant pas alarmer le blanchâtre par son silence, il laissa poindre un timide sourire à son visage. Nuage Silencieux était venu le chercher, malgré sa peine, malgré son isolation, et il désirait obtenir son aide pour la cueillette de plante. Rien ne pouvait faire plus plaisir à son petit coeur endolori.

─ O-oui, bien sûr! Il eut une petite pause, le temps d'avancer un peu vers l'extérieur du camp et de réveiller son esprit, puis ajouta: Tu sais ce qu'on doit chercher?

Son cœur s’emballa lorsqu’il vit son ami émerger de la tanière des guerriers. Et si son temps passé à s’isoler avait brisé quelque chose entre eux ? Et si Nuage de Mousse ne voulait pas l’accompagner ou pire, si il refusait sa requête ?
Mais si Nuage Silencieux avait appris quelque chose de ces dernières lunes, c’est qu’on n’avançait pas avec des si. Et si les Lunar Pod n’étaient jamais arrivés, est-ce que Nuée d’Alcidés serait encore vivant et comblerait ce vide si intense dans sa tanière ? Et si Étoile Vaillante et Coeur Fleuri ne s’étaient jamais disputées, est-ce que sa grande tante serait toujours avec eux ? Et si Nuée d’Alcidés avait été là, est-ce que Plume Colorée serait morte ? Et si et si et si et si.
Les si, ça ne servait à rien, à part souffrir.

Nuage Silencieux inspira un grand coup, pour se donner du courage, et il posa sa question. Hésitante, trop hésitante, comme à son habitude. Il pesta intérieurement. Pourquoi était-il toujours si peu sûr de lui ?

« O-oui, bien sûr! »

Mais malgré tout, Nuage de Mousse avait accepté de le suivre, de l’aider. Enfin la cueillette de plante était utile mais… lui demander son aide n’avait été qu’un prétexte. Un prétexte pour retrouver sa douce compagnie, s’excuser en bonne et due forme, retrouver ce lien si fort qu’ils avaient un peu perdu avec leurs peines respectives.
La candeur de son ami lui réchauffa le cœur, lui redonna confiance en lui et son sourire lui fit étirer malgré lui ses babines en un sourire timide.

Les deux comparses se mirent en route, et aussitôt sortis du campement, Nuage de Mousse relança la discussion :

« Tu sais ce qu'on doit chercher? »

Nuage Silencieux ne répondit pas de suite, prenant le temps de réfléchir d’abord au lieu où ils allaient se rendre.

« Un peu de tout... » Finit-il par répondre. « J’ai épuisé toutes mes ressources en thym… et puis, avant l’arrivée de l’hiver, il me faudrait quelques remèdes pour redonner des forces, je suppose… ? »

Avec les futures naissances qui s’annonçaient, les remèdes allaient partir comme les feuilles des arbres en automne. Il lui faudrait de quoi assurer la santé de son clan, mais aussi les stocks pour la saison froides, où les remèdes se faisaient plus rares, mais aussi plus nécessaires.
Il se surprit à raisonner ainsi. Les leçons auprès d’Esprit Soucieux étaient plus que bénéfiques.

Sans mot dire, encore gêné d’avoir ignoré son ami pendant plusieurs jours, Nuage Silencieux conduisit ce dernier jusqu’aux pâturages, où la probabilité de trouver des remèdes lui semblait la plus forte. Et alors qu’il boitillait au milieu de l’herbe verte, il tenta une approche :

« J’ai appris de nouvelles plantes avec Esprit Soucieux ! » Miaula-t-il, d’un air tellement enjoué qu’il était difficile de ne pas remarquer son exagération. « Je pourrais… Je pourrais t’apprendre, si tu en as envie… ? »

Il priait pour que Nuage de Mousse fasse preuve d’enthousiasme à cette idée. Sa question était pour lui un moyen de mesurer la température avant de proposer à son ami de devenir officiellement son aide guérisseur.
Et alors qu’il guettait sa réaction, ne faisant guère attention où il mettait les pattes, il faillit marcher sur un pied de petites fleurs blanches au cœur jaune.

« Oh !!! » S’exclama-t-il, oubliant momentanément sa gêne face à sa découverte. « C’est de la grande camomille ! » Il en cueillit délicatement un pied, avant de murmurer timidement : « Tu sais, de toutes les plantes qu’Esprit Soucieux m’a montré, c’est bien ma préférée… c’est parce que… ses pétales blanches et son cœur orangé… ça me fait penser à toi et moi... »

Le pouvoir des fleurs

NUAGE SILENCIEUX
LUNE 35

Comme le blanchâtre ne lui répondit pas tout de suite, Nuage de Mousse se demanda s'il n'avait pas dit quelque chose de mal - avant de se rappeler qu'il n'avait fait que demander ce qu'il devait cherché, et donc comment aider son ami, et donc il serait bien difficile de trouver un tord à cette question. Jetant un coup d'oeil à Nuage Silencieux, il se rendit compte que ce dernier avait la mine plissé, signe qu'il réfléchissait: probablement ce dont il avait besoin, où le trouver, et comment expliquer cela à son acolyte. Nuage de Mousse avait beau avoir passé une bonne partie de ses journées à traîner dans les pattes des guérisseurs, depuis son enfance, il ne connaissait que les plantes les plus simples, les plus communes, et ne savait pas du tout de quel remède pouvait bien avoir besoin son compagnon.

Lorsque Nuage Silencieux répondit enfin, ce fut justement pour lui annoncer qu'il avait besoin d'un peu de tout. Le mâle acquiesça: il était bien vrai que la guerre avait dû diminuer ses réserves et, comme il le disait, ils avaient beau être en plein milieu de l'été, l'hiver allait finir par revenir. Les temps froids ravissaient le rouquin, qui pouvait utiliser sa fourrure bien fournie pour tenir au chaud son comparse, mais l'hiver amenait son lot de maladie.. Et la disparition de la bonne majorité des plantes. Cette saison était peut-être encore bien éloignée, mais le blanchâtre avait raison de se soucier de son approvisionnement dès maintenant. Peut-être qu'Esprit Soucieux, son nouveau mentor, allait avoir pitié de lui et le fournirait en simples lorsque les temps seraient durs... Mais mieux valait ne pas trop dépendre de la gentillesse d'un chat ennemi, même s'ils étaient liés par le même destin. Comme s'il partageait ses pensées, lui donna d'ailleurs des nouvelles de son apprentissage:

─ J’ai appris de nouvelles plantes avec Esprit Soucieux ! Je pourrais… Je pourrais t’apprendre, si tu en as envie… ?

Si la première partie de ses dires lui tirèrent un sourire (quoique un brin confus par cet enthousiasme exagéré), la deuxième le saisit tout à fait. Les yeux tout rond, il fixa son ami sans comprendre. Cela faisait quelques jours que la distance s'était établie entre eux, et voilà que le joli blanc voulait lui partager une partie de ses connaissances. C'était presque comme si son rêve d'enfant de devenir guérisseur prenait vie: il allait pouvoir apprendre les plantes et leur usage, et peut-être même sauver des vies, pour contrebalancer son rôle de guerrier. Et surtout, il pourrait partager le fardeau qui pesait sur les épaules de Nuage Silencieux.

─ B-bien sûr que j'aimer- !

Son acceptation fut coupée par une exclamation de surprise de Nuage Silencieux, qui le fit violemment sursauter à son tour. Heureusement, il n'y avait rien de mal: le blanchâtre venait de mettre la patte sur une fleur blanche, qu'il cueillit délicatement. Il s'agissait de grande camomille, lui expliqua-t-il, en ajoutant que c'était sa plante préférée. Il était vrai qu'elle était bien jolie, quoique un peu simple, mais si douce à la vue, et à l'odorat, et...

─ ... ça me fait penser à toi et moi...
─ Oh... !

Le voilà qui était à nouveau pris au dépourvu, la bouche grande ouverte. Il savait que Nuage Silencieux tenait à lui, mais l'entendre confirmer qu'il pensait à lui, même dans son apprentissage, même après ces derniers jours de distance, lui faisait tout drôle dans le coeur. En plus, c'était tout poétique, ce qu'il venait de dire, et même, presque romantique... ? Le rouquin sentit la chaleur lui monter aux joues à cette pensée, et se dépêcha de tourner son visage à l'opposé de son comparse, histoire qu'il ne puisse voir sa gêne.

─ Est-ce que... est-ce que ça veut dire que je suis.. un peu comme... ton coeur? ... Important?

En voyant ainsi Nuage de Mousse si proche de lui, comme il ne l’avait jamais été ces derniers jours, Nuage Silencieux se demanda un instant comme il avait pu tenir ses distances si longtemps. Il en était certains – il l’avait toujours été, mais ses convictions n’étaient que renforcées après le éloignement provisoire – les deux amis étaient liés pour la vie. Pour toujours.

« Est-ce que... est-ce que ça veut dire que je suis.. un peu comme... ton coeur? ... Important? »

Son ami lui parla alors que l’apprenti guérisseur avait la truffe dans les hautes herbes, à la recherche d’une effluve de plante médicinale connue. Avec délicatesse, il cueillir quelques baies d'argousier sur un buisson qu'il avait déniché, puis releva la tête vers son interlocuteur, un sourire béat sur les babines.

« Bien sûr. » Miaula-t-il d’une voix qui transpirait toute sa sincérité. « C’est pas pour rien qu’on s’appelle le Clan du Cœur, pas vrai ? »

Il poussa un soupir mi-mélancolique, mi-heureux, bercé par leurs doux souvenirs d’enfance. Cette époque où, naïfs, ils ne se doutaient pas le moins du monde de ce que la vie leur réservait. Ils avaient bien grandit, confrontés brutalement à la dure réalité. Pourtant, même si ils avaient mûri, Nuage Silencieux était toujours heureux de retrouver cette candeur et cette douceur chez son ami Nuage de Mousse. Auprès de lui, tout paraissait si simple, ses problèmes semblaient s’envoler. Et peut-être était-ce pour ça qu’il s’était isolé : pour ne pas avoir à tout oublier si vite, souffrir, souffrir comme il se devait de la perte de ses proches, de la douleur de ne pas avoir pu les aider.

« Nuage de Mousse... » Repris-t-il d’une voix plus basse et tremblante, cette fois, alors qu’il regardait ses pattes. « Est-ce que… Est-ce que tu me pardonnes de t’avoir laissé tomber ? »

Il était soulagé d’avoir retrouvé cette amitié qui était si chère à son cœur, mais en parallèle, la culpabilité l’assaillait d’avoir ne serait-ce que risqué de la perdre.

Le pouvoir des fleurs

NUAGE SILENCIEUX
LUNE 35

Le visage détourné de par sa gêne, Nuage de Mousse regarda de biais son comparse lorsque celui-ci cueilli les baies, avant de ramener son visage franchement vers lui lorsque le blanchâtre acquiesça à ses dires. Même, mieux, surenchérit, lui rappelant le Clan du Coeur, cette promesse qu'ils s'étaient faitent quelques jours avant le début de leur apprentissage. Lorsqu'ils étaient encore si naïfs, encore loin de toutes ces handicaps, ces exils, ces guerres, ces morts. Tant avait changé depuis, et il devenait presque risible de prononcer le nom de ce clan à voix haute, mais savoir son rêve partagé par son ami ne pouvait que lui donner la force d'avancer. Peut-être qu'un jour, ce rêve de jeunesse deviendrait réalité, et le clan du Vent perdrait toutes ses prétentions guerrières pour accueillir l'amour en son sein.

En attendant que ce jour vienne, le rouquin se contenta de rejoindre son ami dans sa récoltes de baies, joignant ses efforts aux siens pour ramasser un peu plus de baies d'argousier. Ne sachant pas ce qui pouvait lui être utile ou non, ne voulant pas lui demander à chaque plante rencontrée si elle avait une importance, et surtout, ne voulant pas trop s'éloigner de lui, Nuage de Mousse jugea plus sage de rester en territoire connu et récolter ces jolies baies orangées. Il ne savait pas à quoi elles servaient, mais elles devaient être importantes. Peut-être qu'il pouvait lui demander des explications, maintenant que le blanc le lui avait offert... ? Mais avant qu'il ne puisse ouvrir la gueule, son comparse fut plus rapide que lui:

─ Nuage de Mousse... Est-ce que… Est-ce que tu me pardonnes de t’avoir laissé tomber ?

La question le pris de court, ou plutôt l'émotion qu'elle transportait: Nuage Silencieux croyait-il sincèrement qu'il avait besoin de se faire pardonner? Ou même, qu'il avait "laissé tomber" son comparse? D'accord, il l'avait coupé pendant quelques jours, et Nuage de Mousse s'était sentit mourir de l'intérieur, et avait sentit leur relation s'effriter, mais ça- c'était passé, c'était lui qui avait angoissé pour rien, ce n'était plus rien d'important. Il lui semblait désormais idiot de s'être autant inquiété: évidemment que Nuage Silencieux l'aimait, évidemment que leur lien allait perdurer, ils étaient plus forts ensembles!

─ Mais- mais bien sûr. C-ce n'était que quelques jours, t-tu avais tes raisons, j'ai rien à te pardonner...

Il pencha la tête de côté, la détournant un peu, histoire de cacher un petit sourire contrit.

─ Je te pardonnerai toujours tout, je peux pas faire autrement..

Nuage de Mousse sembla comme pris au dépourvu par sa question, si bien qu’un instant, Nuage Silencieux eut peur qu’il rejette sa demande et le renvoie bouler. Mais non, non, Mousse n’agissait jamais comme ça. Mousse était la douceur et la tendresse incarnées, offrant son cœur et sa bienveillance à qui voulait bien la prendre. Et Nuage Silencieux en avait été le bienheureux bénéficiaire. Chaque jour il mesurait sa chance.

« Mais- mais bien sûr. C-ce n'était que quelques jours, t-tu avais tes raisons, j'ai rien à te pardonner... » Lui assura son ami, soucieux de le rassurer. « Je te pardonnerai toujours tout, je peux pas faire autrement.. »

Sa phrase fit fondre le cœur de Nuage Silencieux, si bien qu’il faillit fondre en larmes et se jeter dans les bras de son ami. Papillonnant des yeux, il força les larmes à s’en aller et fit face, un instant, à l’image brouillée du visage roux de son comparse. Il eut alors encore une fois la certitude que rien ne les séparerait, jamais.
Et puis finalement, il n’y tint plus : en quelques foulées, il vint enfuir son museau blanc dans l’encolure duveteuse de Nuage de Mousse, se gorgeant de son parfum.

« Oh, merci pour tout Nuage de Mousse ! Tu es le meilleur des amis qu’on puisse rêver d’avoir ! » Lui dit-il en relâchant enfin son étreinte, la voix tremblante et émue.

Il l’observa ainsi un instant, profitant de sa silhouette qui brillait sous les rayons matinaux. Mais le soleil, déjà bien avancé dans le ciel, lui rappela qu’ils avaient quelque chose à terminer avant de regagner le campement.

« J’ai tout ce qu’il me faut, on devrait rentrer. » Dit-il en rassemblant la cueillette fraîche de ce matin. « Mais avant, Nuage de Mousse, j’ai quelque chose d’important à te demander. » Ses yeux se plantèrent droit dans le regard bleuté de son ami. « Accepterais-tu de me seconder dans mon travail ? De… De devenir mon Aide-Guérisseur, r-rien qu'à moi ? »