Des amours, des ames mortes | Mort de Nuage d'Ambroisie, Mort/Disparition de Coeur de Ronce -end

Si Nuage d'Opale n'aimait pas un étranger, elle serait mariée à la rivière. Elle aimait ses formes, ses sons qui faisaient comme une douce voix chantant des berceuses nuit et jour, son caractère, parfois calme et agréable et parfois violent et déchainé.
Ce jour là, malgré le début d'hiver qui la faisait hiverner, était parmi ses plus mauvais jours.

Difficile de savoir ce qui avait tant pu la mettre tant en colère - peut-être même qu'au fond, il n'y avait pas de raison - mais il suffisait de l'entendre au loin pour comprendre que la toucher ne serait pas sans conséquence. Son eau était froide, gelait les os au moindre contact. Son courant formait de petites vagues qui explosaient après avoir atteint les hauteurs, comme des aiguilles cherchant à attaquer sa proie. Quiconque y plongerait n'en sortirait pas vivant.

Malgré tout, Nuage d'Opale aimait la rivière. Elle ne jugeait personne, répondait toujours avec simplicité et savait réchauffer son coeur lorsqu'elle en avait besoin. Elle ne s'en allait jamais, lui tendait volontiers la patte même dans les moments les plus dramatiques.
Ses relations avec Nuage d'Émeraude ne s'étaient toujours pas arrangées et en attendant, la femelle calico trouvait du réconfort auprès de son amante.

Mauvaise combattante, chasseuse moyenne, elle se distinguait par son talent à la pèche et à la nage. C'était là un trait particulièrement ironique puisque son mentor, Coeur de Ronce, avait la phobie de celle qu'elle aimait.
L'eau était sa némésis, il détestait celle qu'elle portait dans son coeur.
Triste sort pour un chat de son Clan, où la nage était la principale qualité. Bien triste sort, oui, qui lui valait comme à beaucoup les brimades de la part de ses camarades. Pas besoin de se creuser la tête pour comprendre son besoin de s'isoler des autres, de chercher à progresser seul - sans jamais voir ses efforts récompensés ni remarqués.
Nuage d'Opale restait silencieuse aux entrainements - elle les remarquait mais ne les relevait jamais, et peut-être aurait-elle du.
Il était difficile de les opposer davantage, son père, Étoile de Pierre, avait formé ce couple mentor-apprenti en espérant que tout deux pouvaient combler leurs défauts et faire grandir plus encore leurs qualités.
Il était loyal, très à cheval sur les manières, prêt à donner sa vie pour celle de son Clan. Et c'était tout ce qu'elle aurait voulu combattre, tout ce qui la répugnait et qui rendait sa vie toujours moins jolie.

Elle ne le détestait pas, non. Coeur de Ronce était un chat qu'elle appréciait, respectait pour son travail, mais elle ne serait jamais plus proche de lui que dans une relation purement cordiale. Il était son mentor, son supérieur, très gentil bien que dur puisqu'elle ne lui facilitait pas la tache, et rien d'autre.
Nuage d'Opale le respectait plus encore qu'il subissait des moqueries comme ça lui arrivait parfois, pour son incapacité à nager quand elle était moquée pour ce que beaucoup voyaient comme de la paresse et de la feignantise.

C'était devenu pire encore avec les premiers jours d'entrainement de Nuage d'Ambroisie. Ce petit apprenti bien connu dans le Clan de la Rivière pour ce que beaucoup nommaient bêtises - Nuage d'Opale appelait ça poésie, poésie qu'elle ne comprenait pas toujours très bien.
Il ne savait pas nageait non plus et par dessus tout, refusait de manger du poisson. Les créatures écaillées étaient ses étoiles, son firmament à lui. Blasphème, stupidité, enfantillages étaient des mots qui ressortaient souvent pour se lier au nom de Nuage d'Ambroisie.

Et malgré tout, ils semblaient aimer leur vie, étrangers qu'ils étaient au sein de leur propre famille.

La rivière, dans ses humeurs, avait décidé de ruiner tout ça. De purger le Clan de ses bêtes de foire.

Petite patrouille des plus banales, suivant le cour d'eau qui bordait leur territoire afin de s'assurer qu'avec ce petit lit de glace qui se formait parfois dans les heures les plus froides, aucun chaton ou étranger ne s'y était aventuré - avec la quasi certitude de ne jamais en ressortir vivant.
Comme d'habitude, comme à chaque patrouille depuis que les Lunar Pods avaient été défaits, il n'y avait rien à signaler - rien d'autre que de petits débordements accidentels et sans gravité. Pas de quoi engendrer une bataille ridicule.
Comme d'habitude, ils auraient du rentrer calmement, en silence ou autour de quelques paroles échangées sans trop de saveur, s'empressant de rejoindre le campement pour se reposer autour d'une proie bien méritée.
Le destin en avait décidé autrement.

La rivière, dans ses tourments, faisaient remonter quelques poissons à la surface. Ils étaient certainement alléchants, plutôt dodus, et la tentation était forte de plonger pour aller les rejoindre et les ramener sur la berge, en ces temps de plus en plus froids qui rendaient la nourriture de plus en plus rare.
Nuage d'Ambroisie ne voyait pas les choses de la même façon. Un tel attroupement de poissons devait être anormal, un signe de ses grands poissons peut-être, et sans crier gare, il se rapprocha du bord.
Héllébore Blanc le rappela à l'ordre, lui demandant de s'éloigner immédiatement sur un ton agacé. Coeur de Ronce et Nuage d'Opale gardèrent le silence, se lançant un regard interrogateur confirmant qu'ils se partageaient les mêmes pensées. Que devons nous faire?

Seulement, il était trop tard pour réfléchir quand une vague claqua dans les caprices de la rivière et fit basculer l'apprenti en le surprenant. Ne réalisant pas la situation, Nuage d'Opale se figea. Devant ses yeux s'écoulaient les mémoires de la mort d'Écaille d'Anguille.
Héllébore Blanc n'était pas fou, il était réputé pour être intelligent et efficace, et il troqua volontiers quelques précieuses secondes d'action contre un petit temps de réflexion. Non, il n'allait pas sauter dans l'eau. Rapidement, il s'éloigna de la rivière, cherchant un baton assez résistant pour repêcher l'apprenti. Mais déjà, il coulait, emporté par le froid, les vagues et son incapacité à nager.
Coeur de Ronce n'était pas idiot, juste beaucoup trop attaché à son Clan, ses membres et ses valeurs. Le museau de Nuage d'Ambroisie cherchant désespérément de l'air lorsqu'il ne recrachait pas des gerbes d'eau une fois libéré des vagues pendant une courte seconde le poussèrent à agir.
Nuage d'Opale, désemparée, ne parvint à faire rien d'autre qu'à hurler un NON!! lorsqu'il tenta, en restant autant que possible sur la berge, d'attraper Nuage d'Ambroisie avec l'une de ses pattes avant. À trop se pencher et se risquer, la rivière l'emporta à son tour, et il disparu au fond de l'eau.

Sur terre, il ne restait plus qu'Hellébore Blanc, Nuage d'Opale et un silence pesant. Son coeur battait à toute allure, cherchant à raisonner quand la panique ne lui laissait que des pensées emmêlées sans aucun sens.
Il n'y avait pas le temps.
La femelle écaille regarda Hellébore Blanc dans les yeux, résolue, sachant très bien qu'elle allait les décevoir. C'était une habitude finalement, et ça ne les étonnerait pas.
- Va chercher de l'aide, demanda-t-elle d'un ton trop ferme pour la pauvre apprentie qu'elle était.
- Qu-
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, disparaissant à son tour dans la rivière gelée.

L'eau était froide, et jamais elle n'avait été ainsi agressée par la rivière. Ouvrir les yeux était presque impossible, ses poumons se vidaient de leur air plus rapidement que d'habitude. Rester ici trop longtemps serait signer son arrêt de mort - Nuage d'Opale ne voulait pas mourir aujourd'hui.
Dans l'eau glaciale et la nuit trop précoce, le pelage de Coeur de Ronce était imperceptible. Son mentor était totalement invisible, et quand bien même elle forçait pour les ouvrir plus grand, elle ne pouvait que les entrouvrir légèrement, ne distinguant que quelques formes vagues.
Le corps de Nuage d'Ambroisie, bien plus clair, se distinguait plus facilement. Nuage d'Opale le remarqua un peu plus profondément et malgré tout l'effort que ça lui coutait, elle s'enfonça dans la rivière.
Il fallait lutter pour ne pas partir, pour garder conscience, ne pas se laisser entrainer. Déjà le froid pénétrait son corps et lui murmurait des mots si doux qu'elle aurait aimé rejoindre les Étoiles. Il ne fallait pas, elle avait encore tant de choses à accomplir, tant de gens à aimer et de personnes à protéger.
Saisissant la première partie du corps qui lui passait sous les crocs - c'était une patte arrière - elle le remonta à la surface aussi vite que possible.
Rejoindre la berge fut un vrai supplice, ses muscles ne lui obéissaient plus, ses yeux saignaient et ne voyaient plus grand chose, ses poumons brulaient, attaqués par l'eau hivernale qui s'y était infiltrée.

Une fois Nuage d'Ambroisie mis en sécurité, elle chercha désespérément Coeur de Ronce à la surface mais ne voyait rien - n'entendait pas d'autre chose que le bruit des vagues. Son corps ne lui répondait plus qu'à moitié, plonger à nouveau serait suicidaire. Cette pensée fit dans son coeur comme un pieu le traversant, mais au fond d'elle même elle le savait. Il était trop tard pour Coeur de Ronce, elle ne pouvait pas aller le rechercher.

Difficilement, elle se leva, éloignant Nuage d'Ambroisie du bord de la rivière pour ne pas qu'il y retombe une seconde fois; mais le poids de son corps sans réaction lui confirmèrent une bien triste réalité. Nuage d'Ambroisie était resté avec ses grands poissons, quand bien même son corps était là, près d'elle.

Nuage d'Opale s'écrasa dans l'herbe, incapable de porter plus longtemps le poids de son corps. Doucement, elle enroula Nuage d'Ambroisie contre elle, se disant peut être qu'avec un peu de chance, de chaleur et beaucoup de prières, il pourrait revenir.
Il ne pourrait plus jamais.

Je suis désolée Eau Turquoise, murmura-t-elle d'une voix brisée, je n'ai pas su les protéger...
Nuage d'Opale n'était allé la voir que brièvement lorsqu'elle était sur son lit de mort, trop affectée par le départ de son père, d'Écaille d'Anguille et bien d'autres. Elle n'avait rien dit, gardant le silence et les mots d'adieux pour les autres, assistant impuissante aux coeurs lentement brisés de ses derniers frères et soeurs qui ne comprenaient pas encore le concept de mort.
Elle avait prié, pourtant, beaucoup prié, se promettant de veiller sur sa famille, de faire en sorte qu'ils soient toujours heureux et libres malgré les limites imposées par les Clans.
En quelques lunes tout juste, elle avait échoué.

[...]

Nuage d'Opale fut rapatriée au camp avec le corps de Nuage d'Ambroisie par Hellébore Blanc et les guerriers qu'il avait réussi à apporter. Le froid, la fatigue et la tristesse la paralysaient dans un état de conscience limité. Devant ses yeux abimés et douloureux, il n'y avait plus que des formes colorées et lointaines. Elle pouvait entendre des paroles mais pas leur sens, et si elle en avait eu la force, elle se serait excusé.
Elle fini par tomber de sommeil, transie de froid, avec la seule certitude qu'un jour elle se réveillerait. Mais elle ne savait pas quand ni comment.