[Mort] Too Fabulous For This World - end

hrp:

Bien qu'il n'avait plus eu de raison de traîner un sac de croquettes sur toute la distance de l'autoroute séparant son quartier des Landes depuis l'incident (qui lui avait coûté trois cicatrices sur le poitrail), rien ne lui empêchait les allers-retours : non seulement il devait se tenir en forme pour le Grand Voyage, lorsque Trash lui montrerait enfin où il vit, dans le Verger, lui-même n'avait pas envie de perdre ses atouts physiques en passant trop de temps dans sa maison. Perce-Neige et son fils pouvaient très bien garder la maison sans lui ! En remontant l'autoroute il s'inclinait toujours à proximité du bourbier pour tenter d'y voir Madame Fée - toutes les fois où ils s'étaient croisés s'étaient faites sur la frontière, il n'avait jamais vu du territoire plus que le pin où la rondelette petite chatte avait mis bas à ses deux chatons, pendant la Nuit de la Lune Rouge. Bien sûr qu'il était curieux de voir comment les claniques vivaient, mais il n'en oubliait ni sa bonne volonté, ni son respect d'autrui - son vœu secret de vouloir faire partie de la famille de Madame Fée ne le rendrait pas malotru pour autant.

Pourtant...

C'est en entendant l'air s'entre-couper sur une toux tout de suite familière que ses deux grandes paraboles lui servant d'oreilles se redressèrent sur sa tête triangulaire, en alerte. Rusty eut un mouvement d'hésitation en pilant sur place, sa queue en serpe décrivant un rapide balayage derrière lui. Il fronça ses sourcils blancs dans sa face color-point, secoua sa tête et une traction de l'encolure vers l'avant le propulsa au galop comme l'un de ces lévriers en course - il faut dire que son physique d'abyssin ne le taillait pas de vitesse mais d'agilité, et le notoire équilibre de sa queue n'était plus à refaire : sa patte se couvrit de vase une fois dans le territoire et il ne se stoppa pas une seconde pour voir s'il était suivi ou si on l'avait repéré ou si une patrouille le viderait de son sang ; qu'ils viennent ! Madame Fée était en danger.

Il ne se stoppa qu'en la voyant, tête basse, au-dessus d'un point d'eau nettement plus clair que le reste du marais, secouée par l'impact de chaque hoquet de sa toux. Il changea d'allure arrivé à quelques mètres pour l'interpeller :

— Madame Fée ! -- Et il se stoppa lorsque son regard croisa le sien, ses grandes oreilles s'abaissant sur sa tête et le blanc de ses yeux sortant sur une expression d'effroi:
« Non non non... »

Et en se reculant, sa patte pila sur une des pointes d'une fleur (?) qu'il n'avait jamais vue - la douleur due à sa rigidité le fit sursauter et baisser les yeux et il put constater que le végétal tirait plus du fruit que de la fleur, séché par le soleil donc brun, se flétrissant sur lui-même. Ses six pétales (?) autour de son axe firent sourciller l'abyssin. Il ne reconnut pas la forme, mais il se rappela des mots de Madame Fée d'il y avait un cycle : une Étoile.

1 an

— « Ç-ça... Ça.. Va.. Aller... K-kiddo. Juste... petite... toux...

Mais "kiddo" ne l'entendit pas de cette oreille, de ses deux larges oreilles qu'il plaqua sur sa tête en réprimant un mouvement de recul éprit de peur par les toussotements qui secouaient sa vieille amie. Il se rapprocha bien vite néanmoins, car elle demandait son soutien en se collant à lui pour s'empêcher de vaciller. Il se raidit comme un rempart, le coeur serré par le sentiment que la situation n'irait pas en remontant. Il avait vu juste : en tournant sa tête vers la cornish rex et ses gales grattées il vit surtout de sa bouche s'échapper un liquide qui le secoua d'un frisson de dégoût.

— ... N-non, Madame Fée, il modula très lentement, avec en gueule l'anis étoilée qu'il avait dénichée, et le ton tout bas en pensant au Clan qu'il dérangeait rien qu'en y étant. Madame Fée, vous avez besoin d'aide, et son ton monta, j'ai besoin de trouver de l'aide pour vous, et il écarta soudain une patte pour renvoyer son poids dessus et sortir la tête, ouvrant sa gueule sur un miaulement désespéré, J'AI BESOIN D'AIDE, MADAME FÉE NE VA PAS BIEN, JE VOUS EN PRIE VENEZ L'AIDER!!

Bien que sa voix portait le pauvre abyssin était incapable de bouger, complètement paralysé dans le bourbier. Il n'osait même pas regarder au delà de l'ombre et des pins autour - le pressentiment que s'il quittait des yeux la vieille chatte il ne la reverrait plus jamais l'oppressait et lui compressait la poitrine d'une montée de sanglots dont il dut se faire violence à étrangler. D'abord feu Monsieur Sugaar, dont il avait su la mort en l'entendant de la bouche de Nuage du Firmament lui avait avoué avoir trouvé sur le bord de la chaussée, puis feu son Humain qui était parti depuis trop longtemps pour l'avoir simplement laissé derrière sans accident et maintenant, Madame Fée maintenant - il ne pouvait pas - il n'avait pas le droit - il ne pouvait pas se permettre de la quitter des yeux cette fois sans quoi elle mourrait elle aussi et si elle mourrait,

si elle mourrait,
il l'écouterait mourir.

Jusqu'au bout.

Pour ne plus jamais vivre dans cette ambiguïté et ce silence qui l'avait rongé pendant toute la saison des grands froids et du dégel - mais seulement si elle mourrait. Seulement si - et il n'était pas prêt à ce que ce si en soit ainsi et sa queue se mit à fouetter l'air nerveusement et son dos s'arqua derrière lui et ses yeux s'embrumèrent de larmes et ceux de Madame Fée n'étaient plus aussi brillants, plus aussi oranges, plus aussi confiants dans leur confusion. Mais il l'écoutait, il l'écouterait, les esgourdes grandes ouvertes au cas où un sauveur acourrirait, au cas où il devrait prêter l'oreille pour les derniers mots de sa vieille amie.

1 an

Spoiler:

Ses oreilles remuèrent - il distingua le son de pas clopin-clopants qui se rapprochaient en s'accélérant. Un sauveur - ou pas vraiment, vu la peur qui lui prit en accusant sans vergogne l'abyssin:

— « Qu'est-ce que tu lui as fait ? »

Qu'est-ce qu'il aurait pu répondre? Les mots se bousculèrent tout à la fois dans les oreilles de ses pensées sans franchir le cap de sa gueule : désolé d'être sur vos terres, mais-- c'est mon amie, sauvez-la je vous en prie -- je sais qu'elle ne peut pas être sauvée -- je ne sais pas quoi faire -- je connais quelques plantes pour l'aider -- pas encore, pas encore, pas après monsieur Sugaar, pas après mon humain -- ce n'est pas juste -- c'est pas JUSTE, PUTAIN, FUCK

— « Le Clan des Etoiles veille sur elle.

La lèvre tremblante, un effort d'orgueil fit renifler bruyamment l'abyssin qui tentait encore de se contenir mais c'est alors qu'il entendit un mouvement de l'oreille - tourna sa tête - sentit la patte (rachitique, maigre, longue et haute) de Madame Fée contre la sienne, et il vit la douceur d'un sourire dans ses yeux. Rusty sentit ses appuis se faire couper au tendon - il flancha à la hauteur de la chatte couchée, tout son visage se déformant d'une vilaine grimace d'un chagrin qu'il n'aurait bientôt plus la force de mesurer.

— « Non, madame Fée, madame Fée, il renifla à nouveau mais le barrage avait cédé. Les larmes coulaient dans ses yeux et abreuvaient la vase du bourbier - son corps était secoué des trémoussements du tremblement de terre de ses sanglots et sa queue, sa pauvre queue, son emblème, ses bonjours, tout son équilibre se logea entre ses cuisses tandis qu'une plainte se déformait dans sa gueule et sa salive:

Mad -* HAame féÉHHhhééé hhhe_{euuu uu}uh

En fermant les yeux il voulut se fermer à la réalité mais il vit dans les yeux de ses pensées la vieille "Faucheuse toute Galeuse" lui dire que pour boire il avait qu'à se pencher la tête, le kiddo, qu'il était mignon, le kiddo, qu'il en avait des couilles même s'il en avait plus !

Il entendait ses rires rauques et ses conseils décousus, il sentit la vive douleur lui prendre aux cicatrices à son cœur - il se rappelait du jus de sureau qu'elle avait fait exploser dessus et il se rappelait les croquettes qu'elle avait mangé avec lui, à sa place, alors que sur le coup de la colère Rusty avait raté son coup de griffe sur le sac. Ses trois cicatrices lui brûlèrent de la douleur lorsque Tache d'If Lieutenante du Clan du Vent les lui avait faites - de la douleur lorsque Madame Fée les avait gauchement guéries - et du déchirement qu'il vivait car dans les yeux embrumés de la vieille il l'avait vu - il l'avait vu - cette, cette validation, cette acceptation d'un "Croquette" comme lui (il s'y prenait bien?), cette considération qu'il était de sa famille maintenant - sa famille, il était de sa famille, il entrouvrit les yeux mais ses larmes emberluèrent sa vision et son souffle s'étouffa dans sa bouche avec le reste du gargouillis de ses protestations.

Ses grandes oreilles entendaient toutefois la respiration de la vieille aîné qui s'éteignait- à lent feu, à petit feu, calme, douce, se sentant en sécurité auprès de l'abyssin qui dans son cœur - son cœur qu'elle avait donné de tout son zèle aux Étoiles dans le Ciel, l'avait accepté comme un comme elle.

La tempête dura longtemps, mais il ne sut dire combien de temps. Il ne se calma pas tout de suite car il en était incapable, alors sous les Pins du Bourbier de l'Ombre, sous les yeux du Guerrier témoin, Rusty s'humbla comme une pluie pendant l'orage, réconforté par la simple réalité que cette fois, cette toute première fois, il avait entendu la mort pour de bon sans "mais et si" avec lesquels se torturer dans un coin de son esprit.

HRP:

1 an

— « Écoute...

La masse de poils cannelle eut un mouvement vers le haut, et son oreille, triangulaire, se pivota vers le son de la voix derrière. Les yeux qui se tournèrent vers l'étranger étaient vidés de toute lumière, ternes, vitreux de larmes, les fermant l'espace d'un bruyant reniflement.

— Je sais pas ton nom... Mais je... je crois que si tu fais du bruit, tu vas attirer du monde...

Le guerrier passa le revers de son avant-main dans sa face pour s'essuyer, puis un coup de langue sur son poitrail pour détendre les secousses et les sanglots qui menaçaient de reprendre.

Le deuil, ce n'est pas une chose facile. Ça ne prend pas deux minutes, ni cinq, ni dix, ni quelques heures, ni des jours, ni des mois - c'est parfois l'affaire de toute une vie avec ses hauts et ses bas, creusée en U comme une rampe de skateboard. Même si vous la montez cent fois il y a toujours une chance que vous trébuchiez dessus, que vous perdiez l'équilibre, que vous ratiez la descente. Même les plus adroits et les plus aptes à skateboarder s'éraflaient les genoux lorsqu'ils tombaient, alors même si Rusty savait qu'il n'y avait rien à faire pour ramener Madame Fée à la Vie il pleurait quand même car qu'est-ce que ses genoux figuratifs lui chauffaient...!

Il vit au travers des larmes une figure trop sombre pour être reconnue, et trop polie pour s'agir de Trash - de toute manière qu'aurait fait Trash ici? De toute manière, Trash l'aurait consolé...

— « Il faut... Il faut qu'on rentre Envol des Fées... Peut-être qu'on pourra la sauver, au camp...

Rusty eut un sourire à cet effort de réconfort - un sourire vieilli, meurtri, blessé de tous les coups qu'il avait souffert dans sa vie, un sourire qui plissa ses paupières avec une incrédulité sincère. Il eut à peine un mouvement de la tête, à peine une secousse, pour faire comprendre au Clanique que ce n'était pas la peine de lui mentir.

— « Tu sais que... qu'elle était déjà très vieille...

Il ferma ses yeux, et hocha la tête cette fois, tandis que le clanique baissait la sienne. Rusty baissa les yeux sur le corps de Madame Fée - elle s'était refroidie et s'était endormie et sa berlue lui brouillait la vision de la bile qui sortait de sa gueule. Il se revoyait fouiner la terre avec elle à la recherche de plantes "pour sa planque" dans son arbre creux. Madame Fée n'entendait plus bien entre les oreilles de ses pensées - ni celles de son corps à vrai dire, déchiquetées et percées par endroits. Elle semblait avoir vécu une vie mille fois plus mouvementée que la sienne et pour ça il savait la respecter.

— « ... C'est... Ce sont les Étoiles qui prennent soin d'elle maintenant, si j'ai bien compris...

Rusty ferma ses yeux en sentant à nouveau une grimace distendre son sourire:

— Ou, peut-être que c'est elle qui prendra soin d'Elles. Il se pencha pour donner un coup de nez à feu la vieille aînée, s'attendrissant: La Fée des Étoiles.

Sa Fée des Étoiles.

Il monta le nez vers le ciel et sa voûte Étoilée - les Étoiles brillaient de mille feux dans ce coin rural, comparé à en ville, et même s'il regrettait encore parfois son foyer (pour des raisons qui allaient s'accumuler) il respira l'air frais, sauvage, des marais du bourbier, en prenant tout son temps pour se relever sur ses pattes. Il n'avait pas envie de s'éloigner mais il n'avait pas envie d'incommoder qui que ce soit, alors en se tournant vers le guerrier, il s'abaissa aussi pour se montrer inoffensif face à lui.

— ... Je m'appelle Rusty...

et vous?...