Une rencontre à contre-courant, et une danse au milieu de la tempête ◊ ft Vent - e n d

La forêt était emplie de couleurs, enflammée par l'automne, l'or parant les branches et le vent tourbillonnant dans les feuilles mortes avec lesquelles jouaient les chatons; pour eux, c'était une nouvelle distraction, comme ils en trouvaient à chaque saison - les pétales des nouvelles fleurs, les baies, l'eau, les feuilles d'automne, la neige et le gel... - tout en étant, pour certains guerriers, un spectacle de beauté magique, extraordinaire: Museau Bleu ne se lassait jamais d'observer la ronde des saisons, et l'automne était une jolie scène. Mais pour la première fois, ce matin-là, elle n'avait pas la tête à contempler tout ça: l'hiver, sa saison préférée, quoique la plus difficile, viendrait bien assez tôt, et elle devait veiller à ce que son Clan se prépare à l'affronter, tout en surveillant leurs frontières, après la guerre qui les avait opposés aux Lunar Pods et qu'elle sentait encore dans son corps comme son esprit. De nombreuses patrouilles devraient partir, et les apprentis s'entraîner, aussi; et à présent, c'était à elle d'y veiller, depuis l'ombre du Promontoire, accordant un peu de temps à sa toute jeune meneuse. Étoile d'Or l'avait choisie pour lieutenante, et la vétérane à la pelisse beige et grise avait beaucoup à faire pour sa grande famille, qui se reconstruisait. Tous le savaient.

Saluant d'un sourire, d'un miaulement ou d'un mouvement de la queue divers membres de son Clan, esquissant un petit hochement de tête tendre et un ronron à l'adresse de son apprentie, qui s'en allait pêcher et le lui murmura, puis observant celle-ci, sa fille, sa Méduse, s'éloigner, Museau Bleu continuait de distribuer patrouilles, chasse, récolte de remèdes et écoute, avec constance et douceur, cachant la tempête. Elle était dévouée à son Clan... Et fatiguée. Profitant d'un moment de solitude pour fermer ses yeux verts, baissant les paupières, la fille de l'eau soupira; elle n'était pas sortie de son combat indemne, et le Clan des Étoiles comptait bien trop de ses amis, à présent! Elle aurait voulu offrir du temps à tout le monde, et guérir toutes les blessures, trouver les bons mots, aider, sauver; elle n'avait pas ce pouvoir, et besoin, elle aussi, de calmer ses pensées... Alors, signalant son départ à la rousse et crème qui leur était à présent une jeune, jolie et intelligente cheffe, elle choisit elle aussi de s'éclipser, et se dirigea vers les Terres Neutres, perdue dans des rêves et des souvenirs, le cœur un peu plus léger. Le vent murmurait, l'eau chantait. C'était son royaume. Tout irait bien. Toujours. Parce qu'elle préférait écouter la nature que la petite voix qui lui déchirait l'âme, lui soufflant que la mort était bien trop présente.

Is there nothing I can do?
Will this really be the end?
Is it only death that waits
Just around the riverbend?

***

Chasser ? Pêcher ? Se reposer, simplement ? Ou, pourquoi pas, chercher des plantes pour Nuage des Ruisseaux ? La grande féline à la carrure massive mais gracieuse, élancée, comme une danseuse, se tenait indécise à l'ombre d'un grand saule, quand le vent lui porta l'odeur âcre et caractéristique du Chemin du Tonnerre. Rien d'anormal, songea-t-elle, habituée, un peu plus sereine après l'élan de nostalgie et les quelques larmes versées auprès de l'arbre. Rien d'anormal, sauf... Une fragrance inconnue la mit en alerte. Ça, ce n'était pas un chat qu'elle connaissait, mais il était bien trop mêlé au parfum de la route qui formait un long serpent de roche dure et noire, brillante et brûlante au soleil l'été, pour ne pas en être proche. Trop proche. Dangereusement proche. Et personne ne faisait cela, sauf les chatons fugueurs et perdus, les anciens n'étant plus conscients du danger, ou... Les jeunes apprentis. A l'odeur, Museau Bleu reconnut, tout en courant, le Clan du Vent - mais pas un chat familier. Donc, trop jeune pour avoir déjà vécu une assemblée ? Ce qui était sans doute une bonne chose, étant donné la dernière, sourit-elle, amère. Mais aussi trop jeune pour mourir. Devant elle, le ruban de jais se déroulait, mais elle entendit, loin d'être rassurée, un bruit qui augmenta son angoisse, repérant une boule de fourrure beige et rousse qui semblait égarée. Vite, vite. Courir, plus vite que jamais, malgré la douleur que provoquait son épaule blessée.

I don't know what I can do
Still I know I've got to try

Désolée pour l'apprenti guérisseur en se rappelant qu'il lui avait demandé de respecter "une convalescence calme", Museau Bleu força encore l'allure, l'herbe sous ses pas devenant plus rare, en un mélange de sable, de terre, de boue et d'un peu de gravier au bord du Chemin. Aucun chat, aucun jeune chat - il paraissait si petit - ne méritait de mourir ainsi, ou de perdre l'usage de son corps en échange de la vie, qu'importe le Clan. Même un solitaire, même un domestique... La guerrière, guidée par son cœur, tenterait toujours de le sauver. En priant aux étoiles de lui donner une chance.

Eagle help my feet to fly
Mountain help my heart be great
Spirits of the Earth and Sky
Please don't let it be too late!

Le Chemin du Tonnerre grondait dangereusement, et le monstre brillant filait, rouge écarlate, droit vers eux, quand dans un dernier bond, Museau Bleu poussa le petit prince des sables hors de la trajectoire, tous deux roulant dans l'herbe de l'autre côté, juste à temps. Rugissant, le monstre passa tout près, ébouriffant les fourrures dans le sifflement du vent qu'il déplaça, puis tout retomba, et le calme revint, les battements du cœur de la vétérane reprenant un rythme normal, la princesse de la rivière sentant la brise, plus légère, la caresser, comme un message. Ils étaient sains et saufs... Reprenant son souffle, heureuse et reconnaissante au Clan des Étoiles, Museau Bleu tourna son regard vert jade vers le jeune mâle des landes, douce et pourtant infiniment sérieuse, quoique attentionnée. Toi, au moins, je t'ai sauvé!

« Hey... Tout va bien ? »

Il n'avait pas l'air blessé, l'enfant aux prunelles d'ambre.
Elle, par contre, même si elle n'en montra rien...
Son épaule fut traversée d'une douleur lancinante.
Et pourtant, ça en valait la peine. Je le sais.

« C'était dangereux, d'être là ! Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Plus que des reproches, c'était de l'inquiétude qui parlait.
Il y avait des âges injustes pour rejoindre la Toison Argentée...
Et à n'en pas douter, celui-là l'aurait été.

boum, boum, boum, boum, boum

Son cœur qui battait, son cœur qui vivait. Son sang qui, se propageant dans son corps brûlant, lacérait l'intérieur de son être comme des griffes de reproches lancinantes. Sa poitrine qui, doucement, laissait échapper l'air au fond de sa gorge, l'air qui lui permettait de contempler son territoire, sa famille, son espérance. Et celle-ci, bafouée jour après jour par les lunes, qui, ○ rondes et blanches ○, semblaient l'étouffer dans un ciel trop grand, trop limpide, trop ouvert, mais depuis quand le ciel l'engouffrait-il ? De ses lumières, de ses rayons, le voile pointait les questionnements féroces sur lui, frôlant la gâchette d'un doigt nerveux. S'il tirait sur le petit être au sol, qu'adviendrait-il de son espoir et de ses rêves d'enfants ?

boum, boum, boum, boum

Le bruit de ses pattes sur le territoire alors que, vivement, il déroulait un tapis de distance entre lui et son campement. Son souffle court s'éparpillait avec ceux des bourrasques et, comme un chuchotement lointain, s'en allait en valsant avec ces nouveaux compatriotes inconnus. Dans cette nouvelle danse se créait des mots inconnus, des cris et des chansons que, hélas, le prince des sables n'écoutait que d'une oreille sourde et douloureuse. Il avait besoin de sourire. Une risette avait besoin d'éclore sur son faciès tordu, et le camp peuplés de regards furieux ne lui laisseraient jamais assez d'eau et de soleil pour cette délicate fleur. Le petit avait donc besoin de s'éloigner, coûte que coûte, pour récupérer ces heures perdues où la végétation ne pousserait jamais plus.

boum, boum, boum

Les pensées qui s'entrechoquaient violemment, reproduisant un bruit pareil aux craquements atroce d'arbres qui s'écraseraient. Et comme dans une forêt qui se mourrait, comme s'il parcourait celle-ci hors d'haleine en pleine tornade, le son se transmettait avec ferveur dans sa tête douloureuse. Depuis quand était-il dans cette démence torrentielle qui hurlait autour de lui ? Comme si des immenses glissement de terrain s'activaient autour de lui, il avait l'impression de se glisser dans la boue, la terre humide s'engouffrant dans sa gueule. Plus il s'agitait.. Plus il s'empêtrait.

boum, boum

Un bruit au loin, un arrêt brutal, une trace de sang derrière lui, une odeur horrible. Perdu dans l'infinité de perceptions qu'il recevait en même temps, le jeune chat, terrorisé, restait planté là, pantin des émotions terribles qui le submergeaient. Il avait eu besoin de prendre l'air, était sorti, mais comment s'était-il retrouvé là, inspirant des effluves à lui faire rendre son dernier repas dans de multitudes d'hoquètement ? Tournant sa tête de droite à gauche pour essayer de se repérer, le stress monta en lui en même temps que cet étrange de bruit approchait de lui, en vitesse. Ses coussinets lui faisaient mal. Son cœur battait fort. Ses pensées s'entrechoquaient, et les lumières devant lui, les lumi -

BOUM

Le souffle coupé, le jeune se sentit voler dans l'air, le paysage bougeant avec lenteur devant ses yeux comme un rêve flouté. Alors que ses pattes ne frôlaient plus le sol, tout sembla se figer autour de lui, et, le temps d'un battement de cœur, il fut en paix.

Puis,

La chute.

Il roula brutalement dans une substance qui, heureusement pour lui, se retrouva à être moelleuse, ramassant des bouchées de celle-ci dans son atterrissage raté. Celui-ci se termina quelques queues de souris plus loin et, sonné, le petit prince resta au sol, tentant de retirer ces étoiles qui se dandinaient devant lui par dizaines. Un haut le cœur le secoua pendant un instant, mais, dans le même temps, tout disparu et sa vision revint en un flash sonore. Haletant difficilement, le novice se remit sur ses pattes, secouant chacune d'elles pour voir si elles n'étaient point cass -

- Hey... Tout va bien ?

La voix le prenant par surprise, il bondit en arrière en ébouriffant son pelage, étonné de remarquer qu'un regard le fixait intensément. Et ce regard qui le couvrait, d'un vert émeraude de ses landes de chez lui, semblait d'une douceur, mais d'une profondeur sans égard. Béat et muet, il l'observa en silence, découpant de ses yeux la silhouette bleutée, beige et grise d'un oeil un peu bizarre. Il fallait dire que, le matou venant de rouler et de se cogner fortement la tête, n'était pas dans son parfait état naturel, et la vue de cet être, après le choc, le laissait un peu pantois.

- C'était dangereux, d'être là ! Qu'est-ce que tu fais ici ?

Il était décidément le temps d'émerger de sa torpeur. Puis, à peine eut-il prononcé ces dix mots dans sa tête qu'un reflux de pressentiment vinrent le frapper de plein fouet. Comme une.. Vague. Vite. Réfléchir. L'odeur de la guerrière avait quelque chose d'un peu âcre, sans forcément être désagréable ; à vrai dire, la combattante lui rappelait étrangement l'odeur des rivières en été. Ce qui voulait dire que..

- J-je.. Nuage du Vent. Je sais pas.. Je cou-courrais.. Balbutia-t-il en la fixant, désorienté. Vous êtes un chat de la rivière ? C'est vous qui, qui m'avez sauvé ?

Qui d'autre aurait donc pu ? Question légèrement stupide, mais le mâle devait bien se donner une ou deux minute pour comprendre qu'il aurait bien pu finir comme Nuage Silencieux ; les pattes brisées. Qu'est-ce qui lui avait pris de rentrer dans un face à face brutal avec un monstre ?! Il avait bien entendu les histoires de son mentor sur ceux-ci, et tous les mises en garde de son clan, non ? Il fit brusquement balancer son bassin vers l'arrière et s'écrasa dans l'herbe, reprenant un souffle normal. Clan des étoiles..

Sous le regard vert jade à la couleur froide mais à l'éclat chaleureux de la vétérane, le jeune félin roux et crème semblait bien désorienté, et elle eut un pincement au cœur en le voyant ainsi. Il avait l'air si perdu, loin de son Clan, son camp, sa famille et son mentor, au milieu de ces terres neutres, ces terres libres, au fond, à quelques pas du Chemin du Tonnerre qui aurait pu leur enlever leurs vies... Museau Bleu, submergée d'un élan de tendresse et d'affection, l'observa sans un mot balbutier des explications, et esquissa un petit sourire réconfortant, tout en s'approchant de lui pour effleurer doucement son front du museau. Elle avait le nez bleuté, se détachant en une jolie particularité physique de sa pelisse sable et écume, et des gestes de mère, doux comme des ailes d'oiseau. Elle aurait voulu pouvoir le protéger, juste un peu, un rêve à la brise et aux rayons de soleil automnal, pour un petit venteux à la fourrure de flammes. Pauvre petit... Un jeune novice, comprit rapidement la guerrière.

« J-je.. Nuage du Vent. Je sais pas.. Je cou-courrais... Vous êtes un chat de la rivière ? C'est vous qui, qui m'avez sauvé ? »
« Oui, je t'ai sauvé. Mais je t'en prie, tutoie-moi ! » souffla-t-elle, souriant délicatement. « Je m'appelle Museau Bleu, et je suis la lieutenante du Clan de la Rivière. »

Clan des Étoiles, ces mots sonnaient si peu réels! Des chimères, des mensonges. Au fond d'elle-même, dans le secret de son cœur, la princesse de l'eau aurait donné n'importe quoi pour revenir au passé, à l'époque où Étoile de Pierre allait bien, où Aigue-Marine, Petite Améthyste, Plume de Mésange, Matin Embrasé étaient encore en vie. Elle aurait aimé avoir le pouvoir de remonter le temps, et là, de se refaire de Douce Orchidée une amie. Elle aurait aimé pouvoir mieux veiller sur ses petits. Voir Nuage du Blaireau grandir. Près d'elle, pas enlevé par les Lunar. Veiller sur Eau Turquoise, aussi. Elle aurait aimé tout ça... Mais ce n'était pas possible, et aujourd'hui Museau Bleu était lieutenante d'un Clan en pleine renaissance, dont elle comptait bien assurer l'envol, comme le phénix... Mais pour l'instant, c'était une autre allégeance qui l'animait: les liens du cœur, pour ce petit prince des sables.

« Tout va bien, tu n'as rien ? » demanda-t-elle par acquis de conscience, s'assurant elle-même de tout cela, scrutant les prunelles ambrées de l'enfant, avec douceur et sincérité. « Tu n'es pas blessé ? » Tant de dangers... Même en restant vivant, il aurait pu perdre l'usage de ses pattes et la moindre chance de devenir guerrier. La moindre chance d'une vie normale. Ne plus pouvoir courir, ne plus pouvoir chasser, pêcher... Ne plus être qu'un esprit enfermé dans un corps brisé.

Il tremblait encore, comme une feuille écarlate dans le vent, la poussant à s'approcher encore, pressant sa fourrure contre celle du petit en un ronron apaisant, lui donnant quelques lents coups de langue pour arranger sa pelisse et chuchotant, patiemment:

« Ça va aller... Ça va... Calme-toi... Ça va aller... »

Elle attendait simplement qu'il soit un peu rassuré, pour le raccompagner, et pourquoi pas, discuter avec lui.
D'autres auraient tenté de lui soutirer des informations, à ce prix; elle, elle voulait seulement s'en faire un ami.

Tout semblait si superbement irréel. Un rêve, n'était-ce pas ça que le petit matou était en train d'expérimenter ? Un rêve illusoire ? Il se sentait si lourd, tentait de zigzaguer entre ces masses de vapeur opaques, de trouver une racine noueuse qui servirait de phare pour la réalité. N u a g e d u V e n t.

- Oui, je t'ai sauvé. Mais je t'en prie, tutoie-moi ! Je m'appelle Museau Bleu, et je suis la lieutenante du Clan de la Rivière.

L-la lumière venait certainement de cette voix, de l'éclat profond qui vibrait hors de sa gorge comme des faisceaux lumineux. Cette voix, cette voix ressemblant à celle de sa mère.. Comment tous ces accomplis pouvaient-ils se dresser devant lui, dans une interruption violente de la réalité ? Qu'était-elle ? Invoquant, priant, hurlant dans sa tête les puissants sorts qui maniaient ses réactions, il pria tout ce qui pouvait lui répondre sur terre de le rendre normal. Dans de court instant, il lui sembla pouvoir toucher de sa patte ce qui ressemblait à une réponse, ce qui pouvait normalement lui expliquer tout — tout ce qui s'était passé, les égarements futiles de son esprit, les ~ vagues ~ de remords qui s'écrasaient, jour après jour, dans sa tête en formant des mots des ~ phrases ~ des peines ~ que personnes ne pouvaient comprendre — mais ce ne fut que pour un court instant, puisse-t-il retomber dans l'abime qui habitait son corps depuis bien trop longtemps, pour un chaton bRisÉ et TorDu.

- Tout va bien, tu n'as rien ?
Avait-il quelque chose ?
Tu n'es pas blessé ?
Était-il blessé ?

non, il ne pensait pas..

Il était temps de remonter à la surface… Puisse le petit ne plus se familiariser avec les artifices ingrats de son corps qui, l'ayant trompé, avait plongé ses longues griffes dans son crâne, subterfuge. Celui-ci sembla s'arrêter alors que la douce odeur vint régner dans son nez, remplaçant celle d'une douleur auparavant volée par les tromperies de l'adrénaline. Doucement, le tremblement de son corps s'arrêta, ne s'en était-il même pas rendu compte, et il se laissa aller contre la forme douce et chaleureuse qui barrait sa route. Seul dans la tempête, il ne l'était maintenant plus. Prince des sables avait trouvé sa princesse de la rivière, et celle-ci se matérialisait par un doux arbre qui le protégeait des intempéries sauvages.

- Ça va aller... Ça va... Calme-toi... Ça va aller...

Il n'était dès alors plus le bientôt guerrier de la tribu des vents, mais un chaton apeuré dans ce monde cruel, ô qui le semblait bien trop. Le petit s'éveilla donc doucement sous les coups de langues, la douleur dans le haut de sa tête s'en allant à mesure qu'il reprenait conscience de sa situation et des doux chuchotement de la lieutenante. Apaisé, il finit par se reculer pour souffler d'une douce voix ;

- Merci.. M-Museau Bleu. Je ne voulais pas te faire frôler la mort, vraiment.. Il baissa la tête, penaud, et s'observa en silence sous un regard inspectateur. Ayant fini le balayage, il continua sa lancée en croisant les yeux profonds de la guerrière, miaulant ; Je n'ai rien de trop grave, à cause de toi. Puis, fâché ; Je ne sais pas ce qui m'a pris.. Je suis vraiment désolé.

Il tenta de se relever, et efficacement fût cette tentative, sur ses pattes tremblantes. Le petiot avait, bien sûr, encore un peu mal au corps, mais rien de grave ne planait sur son horizon physique ; plutôt bien pour quelqu'un qui avait échappé à un monstre.

- Le clan de la rivière aurait eu une bien plus grande perte que le vent, je suis (encore, pensa-t-il) désolé d'avoir risqué ta vie..

Figure rassurante, immobile et massive comme les Hautes Pierres ou les Quatre Chênes, mais aussi douce que le murmure de l'eau ou la caresse du vent, la vétérane au cœur d'or et aux grands yeux de jade emplis de tendresse resta un instant là, à câliner le petit, à chuchoter, lui offrant un refuge et une protection, jusqu'à ce que celui-ci, cessant de trembler, se retire de lui-même de cette étreinte interdite. L'enfant n'y pensait peut-être pas, la lieutenante, elle, le savait; pareils rapprochements n'étaient pas encouragés. Mais elle s'en fichait; elle savait qu'elle suivrait toujours le Code du Guerrier, et portait à son Clan sa loyauté; mais elle suivait aussi ce même code, qui refusait de laisser un apprenti mourir, qu'il soit de la Rivière, de l'air ou de la terre. Penaud, le félin roux, tout doux, balbutia:

« Merci.. M-Museau Bleu. Je ne voulais pas te faire frôler la mort, vraiment.. » Elle sourit à ces mots; elle s'en doutait, bien sûr, et en plongeant dans ses iris ambrés, elle comprit aussitôt que le petit prince des sables, sincère, était simplement perdu. Il ajouta alors, reconnaissant: « Je n'ai rien de trop grave, à cause de toi. » Puis, fâché « Je ne sais pas ce qui m'a pris.. Je suis vraiment désolé. »

Quoique encore tremblotant, il se releva, et s'il avait mal, tous deux se doutaient bien que ç’aurait pu être bien pire. Museau Bleu, elle... Elle taisait sa blessure, elle taisait sa douleur, qui, quoique moins forte que sur le coup, pulsait encore dans son épaule. Ce n'était pas grave... Tout irait bien. Elle guérirait. Mais on ne pouvait pas ramener une étoile, redonner une vie perdue. Et aucune vie ne valait plus qu'une autre... Entendant la suite des paroles de Nuage du Vent, elle sut aussitôt, le cœur serré, qu'elle devrait le lui expliquer.

« Le clan de la rivière aurait eu une bien plus grande perte que le vent, je suis désolé d'avoir risqué ta vie.. »
« Tu n'as pas risqué ma vie. » chuchota-t-elle, avec un sourire réconfortant. « J'ai choisi d'essayer, et je savais très bien ce que je risquais. Et surtout... Ça en valait la peine. » Lui faisant signe de la suivre et l'entraînant plus loin du Chemin du Tonnerre, à présent qu'ils étaient tous deux un peu calmes et reposés, elle continua. « Aucune vie ne vaut plus qu'une autre, Nuage du Vent. Et tu sais... Mon Clan ne manque pas de guerriers courageux, loyaux, intelligents et sages; Étoile d'Or n'aurait pas de mal à trouver un lieutenant ou une lieutenante, pour l'aider à diriger. J'ai davantage d'amis et de famille au Clan des Étoiles qu'ici, aujourd'hui; j'ai chassé, je me suis battue pour mon Clan, toute ma vie... Toi, tu as encore l'essentiel de celle-ci devant toi. Tout à vivre et réinventer. Le Clan de la Rivière aurait pu se passer de moi, mais toi, tu es l'avenir du Vent. »

S'assurant de dissimuler à la perfection un boitillement léger, Museau Bleu avançait ainsi, la grâce d'une danseuse, lumineuse comme une étoile, une lueur paisible et pétillante de joie dans ses prunelles de pierre précieuse, silhouette de sable et d'écume, attendant le petit mâle roux et crème pour qu'il puisse marcher à pas lents auprès d'elle, au fil de leur discussion. C'était comme avoir un autre novice en plus de Méduse, un autre protégé que ses trois petits. Et si celui-ci, petit, fin, taillé pour la course, comme les chats des landes, n'était pas de son Clan, peu importait; certaines leçons pour la vie s'apprenaient, peu importe qui nous les donnait. Les guerriers du Vent ne le feraient sans doute pas, cela dit... Un peu lasse mais toujours souriante, la princesse de la rivière miaula, sérieuse mais détendue:

« Tu sais... Le Code du Guerrier a guidé toute ma vie. Bien sûr qu'il parle de loyauté à son Clan; mais l'honneur, c'est aussi de ne pas laisser en danger un chat en cas de besoin: plus petit, plus jeune, fatigué, blessé, un chaton, un apprenti, un ancien. Ce genre de choses passe avant les Clans, dans les grands moments de besoin. Parce qu'on est tous réunis, au Clan des Étoiles, et qu'à ton âge, on est bien trop jeune pour les rejoindre. »

Avec un rire, elle murmura, observant au passage le spectacle de l'automne, qui parait toute la scène d'enchantement, le soleil qui baissait jouant dans les feuillages d'écarlate, de feu et d'or, tachetant le sol aux mille feuilles mortes brunes de fines paillettes d'or:

« Je serai toujours loyale à mon Clan, Nuage du Vent, parce que j'ai une famille à protéger. Mais parfois, il faut aussi écouter son cœur.En cas de doute... Il connaît le chemin. »

Plus malicieuse, elle ajouta ensuite, le poussant dans un tas de feuilles mortes comme une grande enfant:

« Tu aurais préféré que je te laisse là ? »

En réalité, elle aurait bien voulu savoir quelles circonstances l'avaient poussé à ainsi s'éloigner...

- Tu n'as pas risqué ma vie. J'ai choisi d'essayer, et je savais très bien ce que je risquais. Et surtout... Ça en valait la peine. La femelle lui fit signe de la suivre, et le jeune s'approcha lentement, proche de son flanc, pour commencer une marche du même ton. Aucune vie ne vaut plus qu'une autre, Nuage du Vent. Et tu sais... Mon Clan ne manque pas de guerriers courageux, loyaux, intelligents et sages; Étoile d'Or n'aurait pas de mal à trouver un lieutenant ou une lieutenante, pour l'aider à diriger. J'ai davantage d'amis et de famille au Clan des Étoiles qu'ici, aujourd'hui; j'ai chassé, je me suis battue pour mon Clan, toute ma vie... Toi, tu as encore l'essentiel de celle-ci devant toi. Tout à vivre et réinventer. Le Clan de la Rivière aurait pu se passer de moi, mais toi, tu es l'avenir du Vent.

L'impétueuse furie de la tornade qui séjournait dans son crâne s'était calmé, les éclairs grotesques qui chaviraient son esprit, les vagues qui frappaient les parois de son crâne — houleuses, fortes et puissantes, avaient prises la teinte d'impavide devant le danger, et avaient mutées dans la forme d'une douce rivière qui serpentait à ses côtés, où ses pattes et son corps aurait pu s'y plonger sans goûter la mort. Ce fut donc dans un calme olympien qu'il écouta les soyeuses paroles de la princesse riveraine, celles-ci venant graduellement encercler les contours de son cœur affolé. Ça en valait la peine. Les mots qu'énonçaient la demoiselle le faisait doucement soupirer, car depuis quand n'avait-il pas reçu d'aussi beaux témoignages d'une (possible) future amitié ? À force de se faire balayer par des bourrasques froides et glacées, les matous du vent s'étaient retrouvés inaptes à développer quelconques sentiments positifs pour des êtres d'un autre clan. Pourtant, cette Museau Bleu lui disait de si belles choses, comme quoi il serait l'avenir de ceux qui le détesterait probablement, une ironie qui ne prendrait pas longtemps à goûter le sang..

- Tu sais... Le Code du Guerrier a guidé toute ma vie. Bien sûr qu'il parle de loyauté à son Clan; mais l'honneur, c'est aussi de ne pas laisser en danger un chat en cas de besoin: plus petit, plus jeune, fatigué, blessé, un chaton, un apprenti, un ancien. Ce genre de choses passe avant les Clans, dans les grands moments de besoin. Parce qu'on est tous réunis, au Clan des Étoiles, et qu'à ton âge, on est bien trop jeune pour les rejoindre.

Allait-il, lui aussi, un jour d'automne orangé, dire ces mêmes paroles à un chat qu'il avait rescapé d'une fin qui était probablement plus horrible que toutes les autres ? Le discours de sa compagne semblait si juste, si juste qu'il en était presque horrifié de penser que tout ceci n'était qu'un songe illusoire qui l'entourait en persiflant d'un air doucereux. Petit prince des sables pouvait enfin délier ses oreilles des dures paroles des venteux, et entendre ces nouvelles l'enlisait d'impressions aussi bonnes que mauvaises. D'un côté, la peur que, de ses mots hantés, la bleutée ne meurt comme Perce-Neige l'était probablement, et de l'autre, un soulagement constant qui vibrait dans son corps de pouvoir discuter sans qu'il ne se sente épié de regards perfides.

- Je serai toujours loyale à mon Clan, Nuage du Vent, parce que j'ai une famille à protéger. Mais parfois, il faut aussi écouter son cœur. En cas de doute... Il connaît le chemin.

Un doux sourire se plaça sur ses babines en entendant la réflexion, le cristallin rire de la lieutenante faisant palpiter son cœur de la beauté de ce bruit. Avant qu'un mot ne puisse sortir de sa bouche, il sentit son corps s'écraser parmi un tas de feuilles volatiles, la tiédeur velouté de cette nouvelle pelisse lui rappelant le pelage agréable de celle qui l'avait gentiment poussé.

- Tu aurais préféré que je te laisse là ?
- Hahaha, j'imagine que non ! Dit-il en s'extirpant de ce cocon, crachotant des feuilles de sa gueule détendue. Il lui envoya une rasade de ces touffus végétaux orangés, amusé de voir ceux-ci s'accrocher aux gracieux poils de la guerrière. J'aimerais bien parfois suivre mon cœur, comme tu le dis.. Mais le chemin serait trop broussailleux pour risquer de m'y aventurer.

Il s'ébroua pour faire tomber les derniers manteaux des arbres de son propre corps, se rangeant une nouvelle fois à ses côtés pour soupirer en songeant à cette immanquable tempête de son esprit.

- J'aimerais tellement y croire, mais je doute que tout le monde pense comme toi. Si les chats de mon clan apprennent ce que j'ai fais, ma vie sera bien moins importante que d'autres — et mon avenir de grand guerrier ridiculisé. Un apprenti qui fait des erreurs, ça s'oublie bien vite après avoir laissé un simple goût amer dans la bouche. Toi.. Tu, on t'as choisie pour être lieutenante. Des gens t'apprécient et tu n'as probablement jamais trahi ton clan.. Peut-être que je ferais mieux de réinventer ma vie. D'être un de ces guerriers qui se conforment.

Maussade, ses pattes trainaient et ses oreilles étaient bien basses, et son organe vital se serrait — si fort et toujours, qu'il se demanda si tout allait se profiler mieux un jour, si tout allait — pouvait aller mieux dans sa vie en général, et ce fut pour ça qu'il continua d'une voix sourde, comme si on l'avait balancé dans un fossé, tête en bas, lâchant ses espoirs dans l'abime ;

- Le code du guerrier.. Je me suis probablement retrouvé devant ce monstre pour ça. Tout est trop grand, tout est trop libre ; je me sens étouffé, je ne peux même pas aller chasser tranquille sans qu'on voit ma tache floue dans l'horizon. Il baissa sa tête. J'ai l'impression que c'est la même chose pour mes pensées, qu'ils peuvent les lire et rigoler en me traitant de crotte de souris, parce que mes rêves les plus fous n'arriveront jamais.

Un soupire las.

- Tu as des rêves ?

Un sourire là.

Tout en discutant, les deux félins continuaient de marcher, silhouettes contrastées, cœurs jumeaux: une vétérane et un apprenti, une silhouette massive, gracieuse, agile, aussi, l'autre vive, fine, rapide et pourtant maladroite, une riveuse et un venteux, une femelle qui avait vécu une vie longue, remplie de joies, malgré les inquiétudes, et pour qui le chemin paraissait tout tracé, un mâle qui dessinait la sienne, chargée de peines, et d'appréhensions entre les ombres, parfois. Pluie et Soleil. Ombre et Lumière. Une amitié aussi étrange que belle, qui venait de naître à la saison des feuilles mortes, et dont Museau Bleu garderait précieusement les bourgeons dans son cœur...
Le printemps refleurira. Tu verras.
Elle espérait simplement que l'hiver ne serait pas trop long, en écoutant Nuage du Vent. Il n'avait pas l'air d'avoir une vie facile, chez leurs voisins-tempête. Heureusement, le petit prince des sables, riant et s'extirpant du tas de feuilles, la para elle aussi d'or, de feu et d'écarlate, interrompant ses pensées, et la jolie guerrière, conquise par cet enfant, éclata de rire. Il était attachant, et avec lui, elle pouvait, un moment, n'être plus lieutenante; elle serait une amie, s'il en avait besoin, voilà tout, parce qu'il lui faisait oublier ses soucis.

« Hahaha, j'imagine que non ! J'aimerais bien parfois suivre mon cœur, comme tu le dis.. Mais le chemin serait trop broussailleux pour risquer de m'y aventurer. »

Ces simples mots trahissaient bien des angoisses, pour un si petit être, et la princesse de la rivière, touchée, songea qu'il était injuste qu'une si petite flamme doive affronter tant de ténèbres. Même si les étoiles filantes, les plus éphémères, étaient les plus belles et les plus brillantes, comme il était injuste que le novice roux et crème, sa toute petite comète, doive faire face tout seul... C'était ça, surtout, qui lui serrait le cœur, à la grande vétérane de sable, d'écume et de pierres de jade: l'impression de solitude qui se dégageait du discours de son protégé, qui, laissant les mots couler, révélait la tourmente. N'avait-il personne pour l'écouter ? Sans un mot, mais dans une infinie tendresse, Museau Bleu se fit confidente, le laissant relâcher les bourrasques et l'orage. Elle aussi savait ce que c'était qu'un torrent déchaîné. Parfois, mieux valait laisser l'eau suivre son cours, sans l'arrêter, libérer la tristesse, pour mieux recommencer.

« J'aimerais tellement y croire, mais je doute que tout le monde pense comme toi. Si les chats de mon clan apprennent ce que j'ai fais, ma vie sera bien moins importante que d'autres — et mon avenir de grand guerrier ridiculisé. Un apprenti qui fait des erreurs, ça s'oublie bien vite après avoir laissé un simple goût amer dans la bouche. Toi.. Tu, on t'as choisie pour être lieutenante. Des gens t'apprécient et tu n'as probablement jamais trahi ton clan.. Peut-être que je ferais mieux de réinventer ma vie. D'être un de ces guerriers qui se conforment. »

L'intéressée eut un demi-sourire, ému de sa confiance et de la joie d'être appréciée par ses camarades, certes, mais lourd d'amertumes et de bien tristes secrets. Elle, n'avoir jamais trahi son Clan ? Museau Bleu songea aux lois sur le mariage, à la tromperie d'Étoile du Corbeau avec elle, à sa portée interdite - Nuage de Méduse, Nuage d'Ambroisie et Nuage du Blaireau - de trois chatons, juste un peu plus âgés que l'apprenti à ses côtés. Elle songea à la mort d'Étoile de Pierre et aux bouleversements du Clan, au choix d'Étoile d'Or en période de deuil, après une guerre qui les avait laissés tous ébranlés. Et puis elle pensa à ce que sa vie aurait été si elle avait choisi de se conformer, de les laisser la briser, de plier. Et en elle, un élan de révolte s'embrasa. Non. Elle ne pouvait pas laisser Nuage du Vent dire ça... Mais elle le laisserait terminer, avant de lui répondre, parce que, la tête basse, comme écrasé par le désespoir, tel le titan Atlas portant le poids du monde, il semblait avoir besoin de se confier, et en avoir gros sur le cœur.

« Le code du guerrier.. Je me suis probablement retrouvé devant ce monstre pour ça. Tout est trop grand, tout est trop libre ; je me sens étouffé, je ne peux même pas aller chasser tranquille sans qu'on voit ma tache floue dans l'horizon. J'ai l'impression que c'est la même chose pour mes pensées, qu'ils peuvent les lire et rigoler en me traitant de crotte de souris, parce que mes rêves les plus fous n'arriveront jamais. »

Pause. Soupir. Puis, d'une petite voix:

« Tu as des rêves ? »

Une question d'enfant. Un sourire, cette fois.
La femelle grise et beige hocha la tête, doucement.

« On a tous des rêves, Nuage du Vent. Certains plus nobles ou plus réalisables que d'autres... J'en ai réalisé certains. D'autres se révéleront vrais un jour, auprès des Étoiles. Mais bien sûr que j'ai des rêves. Je rêve de voir mes enfants devenir guerriers. Je rêve de pouvoir revoir des gens qui me manquent terriblement, et qui sont là-haut depuis longtemps. Je rêve d'être une bonne lieutenante, de voir mon Clan se remettre totalement de la guerre contre les Enfants de la Lune. Je rêve d'amitiés, et parfois, je rêve de liberté aussi. J'aimerais pouvoir partir, loin, découvrir les territoires des Clans, d'abord, et pas seulement le mien, et ensuite... Plus loin. »

Sa voix, claire et posée, jolie mélodie cristalline, se fit plus sérieuse.
Elle s'arrêta un instant, à l'ombre d'un érable, et chercha les yeux d'ambre.
Leurs regards se croisèrent, feuilles au printemps, feuilles à l'automne.
Elle souriait toujours, complice, réconfortante... Mais elle ne riait pas.
Parce que c'était important. Elle cherchait les meilleurs mots.
Pour tout lui dire. Et répondre à ces confidences toutes peinées.

« Nuage du Vent. Ce que je m'apprête à te dire... C'est un secret qui, révélé, me mettrait en danger, ou en tout cas ébranlerait la confiance de certains, dans mon Clan. Je sais que tu t'es confié à moi, et je garderai tes secrets précieusement. Toi, ne répète pas ça, d'accord ? »

Elle marqua une pause, submergée de souvenirs.
Ils nageaient à contre-courant, tous les deux...

« J'ai trahi mon Clan, en quelque sorte. Ou en tout cas, une part de ses codes. Il y a une cérémonie de mariage, qui unit deux chats, pour la vie... Mes enfants... Sont des enfants nés hors-mariage. Des enfants que j'ai eus avec mon meilleur ami. Un ancien chef. Son nom ne te dirait peut-être rien... »

Une intonation douce, comme une plume.

« Étoile du Corbeau. »

Un nom qui rassemblait mille souvenirs, mais qu'elle chassa loin, pour revenir au présent.
Ce n'était pas de cette part-là de son passé qu'elle voulait lui parler. Pas d'elle, directement.
Elle voulait lui raconter les allégeances du cœur, et aussi le défi contre les règles du Clan.

« Parfois, le chemin de ton cœur est le plus difficile, souvent, même; tous ne seront peut-être pas d'accord. Et c'est pour ça que certaines choses ne doivent pas être ébruitées. J'ai confié mes chatons à la compagne de ce chef, elle les a élevés comme ses enfants; ils ne m'appelleront jamais maman. De la même manière, je ne dis pas aux autres que j'ai des amis, dans d'autres Clans; je ne leur parlerai pas de toi. Mais je ne t'oublierai pas. Le chemin du cœur peut être secret, parfois, ce n'est pas grave ou moins réel. Et tant que ta loyauté demeure, ce n'est pas grave, d'aimer. Jamais. »

De nouvelles vagues de souvenirs, une rivière de passé, charriant des rires, des peines, des entraînements, des cris, des chasses, des batailles, des serments, des jeux, des étreintes, aussi; un torrent chargé d'un formidable élan de vie.

« Tu dis que mon Clan m'apprécie, parce que je suis devenue lieutenante, mais, Nuage du Vent, je ne suis pas arrivée à cette place en me conformant à ce qu'on attendait de moi. Je suis née dans un Clan misogyne, où l'on me considérait comme moins, juste parce que j'étais fille. J'ai du me prouver meilleure que tous les apprentis mâles, meilleure que mes frères, pour que le chef de l'époque, Étoile Pâle, le prédécesseur de Corbeau, mon père, soit fier de moi et me considère comme celle que j'étais. Je suis devenue une des meilleures pêcheuses, une des meilleures nageuses, une bonne guerrière et chasseuse, j'ai du persévérer et défier toutes les règles, pour me faire une place. J'ai bravé la loi sur le mariage. J'ai bravé les avis de certains. Je ne me suis pas conformée, tu sais. Ma place, ils le disaient, était à la pouponnière, avec un compagnon... Je crois que j'ai un peu défié leurs prédictions. »

Elle rit doucement, espiègle, et, chuchotant la suite, lui fit un clin d'œil.

« Et tu sais quoi ? Je suis heureuse comme ça. Ça n'a pas toujours été facile, mais je suis bien devenue lieutenante, malgré tout. Ils avaient tort pour moi... Et toi, ton avenir, personne d'autre n'en décidera. D'accord ? Tes rêves, on ne te les arrachera pas. Alors courage. »

Et, avec une infinie tendresse, elle effleura le front de l'enfant de son museau taché.
Patte Bleue elle a mangé trop de myrtilles, c'était ce que disait toujours son frère...
Patte Bleue a bien grandi, depuis ces rires d'enfant, aussi. Et n'en regrettait rien.
Sa haute silhouette se détachant sur l'azur du ciel, qui se parait de rose et d'orange, elle souffla:

« Tant que tu es avec moi, on ne te surveille pas, on ne t'espionne pas, et je ne me moquerai jamais de toi. On est amis, et des amis, ça se protège. Ça, c'est une promesse; et je tiens toujours mes promesses. »

- On a tous des rêves, Nuage du Vent. Certains plus nobles ou plus réalisables que d'autres... J'en ai réalisé certains. D'autres se révéleront vrais un jour, auprès des Étoiles. Mais bien sûr que j'ai des rêves. Je rêve de voir mes enfants devenir guerriers. Je rêve de pouvoir revoir des gens qui me manquent terriblement, et qui sont là-haut depuis longtemps. Je rêve d'être une bonne lieutenante, de voir mon Clan se remettre totalement de la guerre contre les Enfants de la Lune. Je rêve d'amitiés, et parfois, je rêve de liberté aussi. J'aimerais pouvoir partir, loin, découvrir les territoires des Clans, d'abord, et pas seulement le mien, et ensuite... Plus loin.

il y avait quelque chose
dans l'air
qui voulait lui faire croire
à tous ses rêves

Rêvait-il encore à toutes ses choses qui lui semblaient si belles lorsqu'il n'avait que quelques lunes ? Il voulait tellement y croire. Il avait besoin d'y croire, de se rattacher aux paroles qui semblaient flotter hors de son contrôle, valsant, cabriolant, caracolant, qui semblaient si belles dans ce ciel marbré des couleurs de la terre, tout semblait si beau quand il passait sa vision sur cette oeuvre d'art, si lucide ! Mais, une fois descendues près d'eux, les onirismes semblaient fades, et laissaient un goût de non-vécu derrière la langue qui n'aspirait qu'à goûter le pleinement de la chose. Il voulait y croire, d'accord ? Il le devait.

- Nuage du Vent. Ce que je m'apprête à te dire... C'est un secret qui, révélé, me mettrait en danger, ou en tout cas ébranlerait la confiance de certains, dans mon Clan. Je sais que tu t'es confié à moi, et je garderai tes secrets précieusement. Toi, ne répète pas ça, d'accord ?

et elle le regardait, sous cet érable
ses yeux croisèrent les siens
feu, eau
amitié
qui se développait
et il savait, devant le clan des
étoiles
qu'il ne répéterait rien.

- J'ai trahi mon Clan, en quelque sorte. Ou en tout cas, une part de ses codes. Il y a une cérémonie de mariage, qui unit deux chats, pour la vie... Mes enfants... Sont des enfants nés hors-mariage. Des enfants que j'ai eus avec mon meilleur ami. Un ancien chef. Son nom ne te dirait peut-être rien...

dans ce regard
des secrets enfouis, cachés
air, terre
amour
qui avait déjà éclot
entre elle et ce chef, savait-il, des
étoiles
qui n'avait rien répéter.

- Étoile du Corbeau.

Il observait le fond de son âme, creusait dans ses yeux pour récolter une plainte triste qui s'y baignerait, car elle était si spéciale, semblait si précieuse et, il devait se l'avouer, si parfaite, qu'il n'aurait jamais crû à un aveu de ce genre. Pourtant, dans un sens, il se sentait calme et reposé, et cette annonce le berçait tendrement entre ses longs bras onctueux, lui chuchotant qu'il n'était pas seul dans ce qu'il vivait en ce moment. Est-ce que ses enfants étaient heureux, maintenant ? Il l'espérait. C'était quelque chose qu'elle méritait, et qu'elle mériterait toujours, cette princesse de la rivière.

et il aurait aimé.
oui, il aurait aimé.

être son enfant

- Parfois, le chemin de ton cœur est le plus difficile, souvent, même; tous ne seront peut-être pas d'accord. Et c'est pour ça que certaines choses ne doivent pas être ébruitées. J'ai confié mes chatons à la compagne de ce chef, elle les a élevés comme ses enfants; ils ne m'appelleront jamais maman. De la même manière, je ne dis pas aux autres que j'ai des amis, dans d'autres Clans; je ne leur parlerai pas de toi. Mais je ne t'oublierai pas. Le chemin du cœur peut être secret, parfois, ce n'est pas grave ou moins réel. Et tant que ta loyauté demeure, ce n'est pas grave, d'aimer. Jamais.

'' ce n'est pas grave, d'aimer ''
'' J A M A I S ''

- Tu dis que mon Clan m'apprécie, parce que je suis devenue lieutenante, mais, Nuage du Vent, on je ne suis pas arrivée à cette place en me conformant à ce qu'on attendait de moi. Je suis née dans un Clan misogyne, où l'on me considérait comme moins, juste parce que j'étais fille. J'ai du me prouver meilleure que tous les apprentis mâles, meilleure que mes frères, pour que le chef de l'époque, Étoile Pâle, le prédécesseur de Corbeau, mon père, soit fier de moi et me considère comme celle que j'étais. Je suis devenue une des meilleures pêcheuses, une des meilleures nageuses, une bonne guerrière et chasseuse, j'ai du persévérer et défier toutes les règles, pour me faire une place. J'ai bravé la loi sur le mariage. J'ai bravé les avis de certains. Je ne me suis pas conformée, tu sais. Ma place, ils le disaient, était à la pouponnière, avec un compagnon... Je crois que j'ai un peu défié leurs prédictions.

Ces mots étaient la rivière qui l'encerclait et l'empêchait de couler ; il ne savait pas nager, certes, mais, avec elle, tout semblait facile, et il battait des pattes dans cette écume comme si tout lui avait été enseigné depuis sa plus jeune et tendre enfance. Elle était comme lui. Il était comme elle. Ils étaient eux.

- Et tu sais quoi ? Je suis heureuse comme ça. Ça n'a pas toujours été facile, mais je suis bien devenue lieutenante, malgré tout. Ils avaient tort pour moi... Et toi, ton avenir, personne d'autre n'en décidera. D'accord ? Tes rêves, on ne te les arrachera pas. Alors courage.

Son museau vint doucement se poser sur son front, comme si elle le prenait pour l'objet le plus fragile qui aurait peuplé la forêt de cerfblanc. Pourtant, dans ce geste, nulle intention de ce genre sortait de ses pensées, du moins il l'imaginait, et il se trouva tout ému de cette nouvelle confiance qui circulait entre eux. Un bourgeon avait germé dans chacun des cœurs.

- Tant que tu es avec moi, on ne te surveille pas, on ne t'espionne pas, et je ne me moquerai jamais de toi. On est amis, et des amis, ça se protège. Ça, c'est une promesse; et je tiens toujours mes promesses.

SON . PETIT
COEUR SEMBLAIT
ALLER DE PLUS EN
PLUS, BIEN COMME
SI ELLE L'AVAIT
RÉPARÉ
OUI
.

Lentement, son museau s'éleva vers le ciel pour atteindre l'épaule lénifiante de celle qui savait, ô si bien, calmer ses angoisses intérieures. Et l'air qui dormait auparavant dans le ciel d'automne sembla s'enflammer de braise, un arc-en-ciel brûlant descendant du firmament pour aller s'enrouler autour des nuages, posant des touches de peintures sur la pelisse de ses grands arbres puissants, auprès des deux êtres qui se comprenaient sans discuter, vibrant la couleur autour d'eux. Il était touché. Touché qu'elle lui ait dit tout ça, cette princesse des eaux qui avait serpenté dans une douleur tout le long de sa vie, battant des pattes contre cette vivace chute d'eau. Les mots, qu'elle avait prononcé d'une manière si douce, étaient entrés dans son corps pour s'y accrocher comme des féroces, mais douces, boules piquantes qui ne le quitterait plus jamais.

- J'espère que tes rêves se réaliseront, Museau Bleu. S'ils ne le font pas, c'est que le clan des étoiles aura, pour une fois, commis une terrible erreur en ne t'accordant pas ceux-ci. Et puis.. Si tu ne les vois jamais, je te jure de m'assurer qu'ils se réalisent tous.

Il s'approcha d'elle pour continuer.

- Étoile de Corbeau et toi.. Auriez fait une famille parfaite, j'en suis certain. Tes enfants auraient eu la meilleur mère du monde s'ils avaient grandis avec toi, certes, mais ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils ont une mère parfaite même si elle n'a pas pu poser ce geste. Ça a dû être horrible, de donner ceux qui étaient sortis de ton ventre à une autre femelle, et voir que tu crois toujours au chemin du cœur, le bon.. Ça me donne envie de le suivre aussi.

Vraiment.

- J'aimerais être comme toi.. Une solitaire m'a dit une chose semblable, un jour, tu sais. Vous êtes si formidables, et je ne pense pas personnellement pouvoir rester authentique comme toi.. Tout le monde est tellement xénophobe, tu vois ? Et je n'arrive pas.. Je n'arrive pas à cerner la cause de cette haine. Je suis juste un idiot qui voudrait que les quatre clans vivent en paix, qui voudrait découvrir les territoires au-delà de ceux que nous connaissons. À la place de ces rêvés réalisés, il y a les batailles, les maladies, les amours qui ne pourront jamais se réaliser à cause de frontière.. Il chuchota doucement par la suite, Pleins d'amitiés aussi. Ne serions nous pas tellement mieux si tout le monde était en paix ?

Détournant son visage, le beige roux continua d'un air un peu ironique, désespéré de son sort ;

- Mais non. Certains sont exécutés pour avoir de telles idées, comme si notre pensée pouvait être un billet vers la mort. Je veux. Je veux suivre mon cœur, mais si je le suis, je vais tout perdre autour de moi ; ma famille, mon mentor, mon clan.. Alors je dois me conformer dans l'espoir qu'on me laisse vivre normalement, et que je vive assez longtemps pour voir un changement. Un changement qui n'arrivera jamais, puisque nous sommes tous élevés dans cette haine.. Les enfants de nos enfants l'auront probablement aussi.. Je voudrais juste que cette roue arrête de tourner. Pour une fois. Peut-être était-ce que je pensais, devant ce monstre..

Le petit bondit vivement en avant, la couleur du voile reflétant maintenant les teintes de son pelage et de ses prunelles flamboyantes, flamboyantes de cette idée qui germait dans sa tête depuis qu'il était assez petit.

- Peut-être qu'on aurait pu se connaitre plus tôt ! Mais non, tout le monde préfère se déchirer et crier à la loi du sang, à la place de suivre celle du cœur. Pourquoi personne n'est comme toi ? S'exclama-t-il, griffant avec ennui le sol à ses pattes.

- Ils ont vraiment de la chance, tes petits. J'espère qu'ils vont le comprendre, s'ils l'apprennent un jour.. En tout cas, soit sûr que je ne répéterai jamais ce que tu viens de me dire. Sur le clan des étoiles. Personnellement, si on m'apprenait que j'avais une mère comme toi, ce serait le plus beau cadeau qui arriverait à ma vie ces temps-ci, avec tout ce qui déboule.

ah, et,

encore merci de m'avoir sauvé

L'espace d'un instant, le temps sembla s'arrêter, sous le vieil érable qui étendait, de ses belles branches, une voûte flamboyante au-dessus des deux êtres. Le soleil, quant à lui, parait de mille nuances le ciel, seul témoin de cette rencontre, et, dans le vent qui jouait et murmurait aux feuilles, tous les soucis s'envolèrent une seconde. Il n'y avait plus qu'eux: plus que des yeux d'or et des yeux de jade, plus que deux guerriers pacifiques qui choisissaient, une seconde, de vivre ce rêve, tout en parlant des leurs. C'était comme une mélodie, une véritable harmonie. Les Clans, les combats, à cet instant, tout cela ne comptait pas; ils étaient amis, et à cet instant, cela suffit. C'était comme une trêve, accordée par la vie.

Deux âmes qui se rencontraient
Sous cet arbre ancestral
Une pureté de cristal
Et des regards
Compréhension
Parfaite
Sans un mot
Des cœurs unis par cette rencontre
Qui parlaient la langue du silence

Museau Bleu, déconcertée mais émue, vit son jeune protégé tendre le cou pour appuyer, doucement, le museau contre son épaule. Une touche délicate, empreinte d'émotions, en un tumulte que les deux cœurs peut-être ressentaient, un effleurement, à peine, qui parut effacer un peu de la douleur qui tendait cette même patte, calmant aussi un peu les chutes de tristesse qui faisaient rage en elle. Affluents de tendresse. En elle, la vétérane sentait son cœur battre très fort. Les mots de Nuage du Vent, qui enfin rompaient le silence, la rendirent muette, et firent couler une larme.

« J'espère que tes rêves se réaliseront, Museau Bleu. S'ils ne le font pas, c'est que le clan des étoiles aura, pour une fois, commis une terrible erreur en ne t'accordant pas ceux-ci. Et puis.. Si tu ne les vois jamais, je te jure de m'assurer qu'ils se réalisent tous. »

La princesse de la rivière
Le petit prince des sables
Promesses croisées
Des rêves à réaliser
D'autres à protéger
Une pensée

Merci

Une perle de pluie échappée d'un œil vert
Une rivière inlassable qui poursuit son cours
Un cocon d'eau qui protège du monde extérieur
Monde estompé, gorge nouée
Et les paroles de ce petit soleil, sincères, lumineuses
Et un rêve qui s'ajoute à une liste étoilée, impossible
Le genre de vœu qu'on adresse aux filles de Persée

« Étoile de Corbeau et toi.. Auriez fait une famille parfaite, j'en suis certain. Tes enfants auraient eu la meilleure mère du monde s'ils avaient grandis avec toi, certes, mais ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils ont une mère parfaite même si elle n'a pas pu poser ce geste. Ça a dû être horrible, de donner ceux qui étaient sortis de ton ventre à une autre femelle, et voir que tu crois toujours au chemin du cœur, le bon.. Ça me donne envie de le suivre aussi. »

Eau Turquoise avait élevé ses enfants
Parce qu'il le fallait, simplement
Parce que ceux-ci ne devaient porter
Le poids des erreurs et des secrets
Mais comme elle aurait aimé
Juste une fois, une seule
Que les choses aient été
Différentes

« J'aimerais être comme toi.. Une solitaire m'a dit une chose semblable, un jour, tu sais. Vous êtes si formidables, et je ne pense pas personnellement pouvoir rester authentique comme toi.. Tout le monde est tellement xénophobe, tu vois ? Et je n'arrive pas.. Je n'arrive pas à cerner la cause de cette haine. Je suis juste un idiot qui voudrait que les quatre clans vivent en paix, qui voudrait découvrir les territoires au-delà de ceux que nous connaissons. À la place de ces rêvés réalisés, il y a les batailles, les maladies, les amours qui ne pourront jamais se réaliser à cause de frontière.. Pleins d'amitiés aussi. Ne serions nous pas tellement mieux si tout le monde était en paix ? »

In a perfect world
One we've never known
We would never need to face the world alone

Un sourire de la riveuse donna à l'enfant sa réponse.
Une réponse sourire, qui voulait aussi dire autre chose.
Bien sûr qu'ils seraient mieux si le monde était en paix.
Mais ce lien si pur, si vrai, personne ne le briserait.

They can have the world
We'll create our own

Un monde où les angoisses et les peines de Nuage du Vent s'en iraient dans la brise.
Un monde où les étoiles brilleraient pour toujours, pour que jamais la sienne ne s'éteigne.

« Mais non. Certains sont exécutés pour avoir de telles idées, comme si notre pensée pouvait être un billet vers la mort. Je veux. Je veux suivre mon cœur, mais si je le suis, je vais tout perdre autour de moi ; ma famille, mon mentor, mon clan.. Alors je dois me conformer dans l'espoir qu'on me laisse vivre normalement, et que je vive assez longtemps pour voir un changement. Un changement qui n'arrivera jamais, puisque nous sommes tous élevés dans cette haine.. Les enfants de nos enfants l'auront probablement aussi.. Je voudrais juste que cette roue arrête de tourner. Pour une fois. Peut-être était-ce que je pensais, devant ce monstre.. »

À se demander
Qui étaient les vrais monstres
Et s'il ne valait pas mieux
Arrêter la roue
En étant encore un peu
Soi-même

Museau Bleu chassa ces pensées, refusant l'idée que la mort était la seule solution, empreinte d'un élan de vie. Pour elle, pour lui. Certaines choses étaient injustes, c'était vrai, mais on pouvait se battre pour ce en quoi on croyait! Et elle, jamais l'apprenti ne la perdrait.

« Peut-être qu'on aurait pu se connaître plus tôt ! Mais non, tout le monde préfère se déchirer et crier à la loi du sang, à la place de suivre celle du cœur. Pourquoi personne n'est comme toi ? »

C'est comme ça qu'on gagnera
Pas en s'acharnant contre ceux qu'on déteste
Mais en sauvant ceux qu'on aime

« Ils ont vraiment de la chance, tes petits. J'espère qu'ils vont le comprendre, s'ils l'apprennent un jour.. En tout cas, soit sûr que je ne répéterai jamais ce que tu viens de me dire. Sur le clan des étoiles. Personnellement, si on m'apprenait que j'avais une mère comme toi, ce serait le plus beau cadeau qui arriverait à ma vie ces temps-ci, avec tout ce qui déboule.

ah, et,

encore merci de m'avoir sauvé »

Étonnement joyeux
Émotion intense
Bonheur rayonnant
Détresse infinie
Le cœur qui explose en silence
Et des mots murmurés, chuchotés

« C'est moi qui te remercie. Pour la lumière et le sens dont tu as paré ma vie. Le reste n'a aucune importance. »

J'aurais aimé que tu sois mon fils

Ces mots-là, Museau Bleu ne les dit pas; ils avaient leur Clan respectif à regagner, ensuite, et cela entraînerait trop de souffrance, au moment de se séparer. Mais elle les pensait. Comme tout le reste. Parce qu'elle l'aimait, son protégé. À jamais.

« Promets-moi que tu réaliseras tes rêves, Nuage du Vent. »

Ne laisse pas la nuit gagner
Ne laisse pas la haine te briser
Ne laisse pas les Clans nous séparer

Elle avait beaucoup de demandes à faire, au fond. Elle ne fit que celle-là.
Et puis, sereine, posée, mais un fil d'émotion dans la voix, sous la lueur de la lune levée:

« Moi, je te le promets: tu ne me perdras jamais. »

La nuit serait douce: le ciel qui s'assombrissait, passant de l'azur et l'argent perlé à un indigo encré, répondant aux derniers flamboiements d'un soleil qui se mourait dans une forêt de feu et d'or. Le lendemain, il se lèverait à nouveau, en un cycle éternel. Une roue. Magique. Merveilleuse de beauté. Infinie d'espoir. Et pour cette nuit, il leur restait les étoiles. La nuit serait douce: le vent caressait, susurrait, chantonnait; à cette heure, il devait siffler dans les roseaux, au bord de l'eau... La nature, vive, paisible, sauvage et pourtant belle, tendre, protectrice, serait leur refuge, leur royaume. Chaque fois. La nuit serait douce: aussi douce que la fourrure de l'apprenti, quand Museau Bleu se permit un geste et vint le câliner, comme avec son petit. Elle ne dit rien. Il n'y en avait pas besoin. Ils se comprenaient, au-delà des Clans. Ils s'aimaient, simplement.

Et tu seras toujours un peu mon enfant.

« Où que tu décides d'aller, maintenant, je t'accompagne. »

Ce n'était pas une question
C'était son choix, de rentrer
Mais elle le mènerait
Aux frontières
De la lande
De souvenirs
De rêves
Et de lumière

Parce que j'ai promis de te protéger. Et je tiens toujours mes promesses.

« The only thing that defines us is what's inside our hearts. »
–

Les lumières cosmiques, perdues dans cet Élysée, éclaboussaient de leurs millions de petits éléments brillants les deux corps, au sol, silencieux, immobiles, paisibles. De cet amalgame de matière naissait des soupirs, des dessins luminescent et des chuchotement de sérénité, le triplet allant se déposer sur les enfants de la terre tout en bas. Tout était si calme. Tout était tellement beau, et de leurs yeux remués se glissaient des perles que personne ne pouvait qualifier de non intuitif, la beauté de ce lien éclatant d'un brutal symbole de liberté. Ils étaient, ce soir, les dieux de cette planète qui ne désirait avoir en son sein que des regards affectueux, des caresses soyeuses, des paroles claires, chantantes, affectueuses, que ces esprits créaient en fusionnant d'une beauté sans pareil.

C'est moi qui te remercie. Pour la lumière et le sens dont tu as paré ma vie. Le reste n'a aucune importance.

dans ses paroles, une promesse qui ne s'éteindrait jamais
dans ses paroles, une amitié qui ne mourrait jamais

dans ses paroles
un merci qui serait là,
à tout jamais

et qui, les bordant le soir d'une pénible noirceur d'encre
les berceraient de ce mot là, ce sublime jamais

Promets-moi que tu réaliseras tes rêves, Nuage du Vent.

.
une
larme
effleura
son cœur
imbu de
rêves
.

Moi, je te le promets: tu ne me perdras jamais.

Elle lui avait promis, et de cette promesse naissait un lien qui les unissaient à tout jamais. Les saisons avaient beau parcourir leurs chemins sinueux, faisant naître des douces orchidées et les réduisant au silence — la lune et le soleil pouvait bien se poursuivre dans le ciel sans fin, donnant naissance aux couleurs qui peuplaient l'imaginaire des félins — la rivière et le vent et le feu et la terre comptaient sûrement continuer à déchainer avec fureur leur colère sur la nature, puis détruire des espoirs, et en faire naître de nouveaux — ; ils pouvaient bien tous esquisser leurs futiles dessins, car, cela ne changerait rien à leur destin

│elle lui avait promis │
│et il ne la perdrait jamais│

Où que tu décides d'aller, maintenant, je t'accompagne.

égaré dans la nuit, et
dans son pelage, et
dans un cœur, et
dans son âme
il pressa son
petit corps fragile
contre cette femelle,
mais aussi cette mère

Puis ronronna doucement. Dans un aimant geste qu'ils ne pouvaient prononcer, le duo se liait sous le rond de lumière qui les couvaient, les encerclant de ses rayons qui pouvaient atteindre la terre infiniment trop loin. Ses petits s'étaient trouvés, elle le savait enfin. Son repos dans ce ciel pouvait dorénavant commencer, et elle pouvait commencer à le grimper, échelon par échelon, faisant briller de plus en plus fort les étoiles par son escalade qui, curieusement, ne semblait pas être la même ce soir. Était-ce à cause de ces deux-là ? Une question sans réponse, mais, singulièrement, tout n'était pas normal... Alors il se détacha avec une lenteur, et à contre cœur, de ce doux habitat qu'il avait trouvé, et où il avait pu écouter le cœur de la guerrière battre contre ses propres oreilles. Ce bruit, si magique dans son audition, était maintenant envolé avec la distance, et le prince des sables se retrouva comme démuni de la nouvelle puissance qui l'avait habité. Deux âmes avaient battues dans le même tempo, et se retrouver séparés après cette complaisante épreuve propageait en lui une impression un peu discordante. Ce fut pour cela que, en se déplaçant avec une lenteur caractéristique, il resta, côte à côte avec elle, son pelage se mélangeant avec le sien. Feu et eau, ensemble, toujours.

- à chaque fois qu'une étoile filante passera,
penses à moi.
car j'aurais exécuté un rêve
et songé à toi.

Les quatre phrases roulèrent sur sa langue comme une douce comptine secrète, sa douce voix maniant les mots pour les exhiber en une douce, si douce chanson. Et cette angélique tirade s'éleva dans le ciel illuminé de leurs rêves, pour venir, avec lenteur, prendre la place d'une étoile. Elle brillait fort. Un peu plus fort que toutes les autres, car elle était habité d'un secret qui ne se ferait jamais entendre des opposés ; un simple secret où, une nuit d'automne, deux chats se rencontrèrent et se firent des promesses. Dans le bruissement des arbres, on peut encore entendre un doux froissement, tel un couplet lanternant dans la foret des feuilles de sang. Si vous tendez l'oreilles, peut-être entendrez-vous..

oui..

peut-être,

le chant de deux cœurs