C'est toujours mieux chez les autres | Nuage du Mimosa - abandon

Nuage des Vents. Vent froid, vent glacial qui mordait la chair en plein coeur. Toujours involontaire, bien hasardeuse, elle filait là où le ciel le lui disait et blesserait sans jamais le vouloir. Mais elle était comme ça, Nuage des Vents. Droite, directe, ne s'arrêtant jamais, fonçant sans réfléchir vers des obstacles qu'elle ne pourrait pas toujours surmonter.
Elle avait foncé droit dans le mur, quelques jours plus tôt. C'était une impasse, elle le savait, et les Étoiles bien avait elle. Pourtant Nuage des Vents y avait cru longtemps, à ces rêves de gloire et de pouvoir, à son nom d'Étoile, à ses victoires et ses richesses. Des illusions, des rêves, rien de plus. Ça n'arriverait jamais, elle avait définitivement fait un trait sur ces derniers.
Ô, elle avait pleuré, oui. Toute une nuit, puis une autre; mais sauf si on l'entendait ou si on la connaissait il était difficile de le deviner. Ses cernes étaient devenues une part toute entière de ce qu'elle était. Elles ne voulaient plus rien dire, ne témoignaient plus de ses nuits trop courtes.

Plus le temps passait, plus elle comprenait. Pleurer ne servirait à rien. S'excuser n'apporterait rien d'autre. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'est ce qu'elle savait faire de mieux : filer droit, sans jamais regarder.
Et pourtant...
Et pourtant c'était dur, de changer si soudainement de direction, quand on était le vent.

« Personne n'est parfait... C'est une bonne chose de se rappeler que les étoiles aussi. Mais si tu as l'intelligence et la mémoire, écoute, tu feras une bonne guérisseuse. De toute façon, tu fais de ton mieux, c'est tout. Pour ce qui est de la douceur, j'aurais tendance à approuver tes dires, effectivement, mais je n'irais pas dire que tu n'es pas gentille. Juste un peu brusque et trop franche. Ça ne te rend pas méchante, juste... Directe ? Et puis, ce qu'attendent les autres ça n'a pas d'importance. »

Pour Nuage des Vents, la frontière était fine entre la franchise et la méchanceté. Ainsi, elle ne s'était jamais considérée gentille comme Nuage d'Alizé pouvait l'être. Sa soeur était à ses yeux l'incarnation même de la gentillesse, et il était impossible de l'égaler. Ce n'est pas ce que la bicolore voulait, en revanche. Être gentil, trop gentil était à double tranchant. Cela permettait d'être apprécié, d'avoir la confiance des siens. Mais elle avait vu bien trop de personne en abuser. Personnes qu'elle se ferait un plaisir d'écarter bien gentillement. Personne ne touchait à ses soeurs.

L'apprentie-guérisseuse haussa les épaules, après les paroles de Nuage du Mimosa. Que dire? Il n'y avait pas grand chose à répondre. Sauf peut-être que l'avis des autres était effectivement important, tout particulier dans un Clan et dans un rang comme le sien.
Nuage des Vents le savait, elle serait destinée à prendre la place de Silence d'Hiver un jour. Seule. Et la santé du Clan du Vent tout entier reposerait alors sur ses épaules. S'ils n'avaient pas confiance en elle, elle craignait qu'ils refusent de venir lui rendre visite, quitte à empirer leur état ou chercher à se soigner eux-même. Il faudrait trouver le bon équilibre. Cela prendrait du temps. Elle était si différente de son nouveau mentor...

« De la Tige d'Or. On s'en sert contre les plaies profondes, dans mon Clan. »

Nuage des Vents pencha la tête, observant la nouvelle plante. Elle ne l'avait jamais vue jusque là. Enfin, elle ne s'était jamais vraiment intéressé aux plantes jusqu'à présent, ce qui expliquait sans doute pourquoi cette petite tige fleurie lui paraissait totalement inconnue. Elle avait encore beaucoup à apprendre... Beaucoup, avant de dépasser cette apprentie-guerrière qui en savait tellement plus qu'elle. C'était humiliant, et encore une fois, par réflexe, Nuage des Vents fronça le museau.

« Vous avez ces plantes-là, vous aussi ? Ou d'autres qui les remplacent ?
- J'sais pas, répondit-elle du tac-au-tac. Je suis apprentie guérisseuse que depuis quelques jours. Donc je ne saurais pas te dire. La prochaine lune, peut-être que je pourrais te répondre. »

La prochaine lune. Il y aurait une assemblée, mais ils n'y participeraient sans doute pas. Tout comme les lunes précédentes... La seule manière de revoir cette apprentie-guerrière qui ne voulait pas l'être, c'était de retourner faire une cueillette sur son territoire. Et encore, rien ne lui permettait d'avoir la certitude qu'elle retomberait sur Nuage du Mimosa la prochaine fois qu'elle traverserait la frontière. Peut-être une autre patrouille, ou un guerrier rabougri. Surprise, l'avenir le lui dirait.

« Pourquoi tu voulais pas devenir guerrière ? demanda-t-elle d'un ton neutre tout en continuant de chercher au sol. Enfin, disons plutôt, pourquoi tu voulais devenir guérisseuse? Tout le monde rêve de devenir un grand guerrier pour son Clan. »

Sinon quoi d'autre?

C'était étonnant, comme les caractères formaient une multitude, avec tellement de différences, entre les chats; Nuage du Mimosa avait déjà eu l'occasion de l'observer, plusieurs fois - elle n'avait pas des rêves de grandeur comme Nuage d'Ouragan, elle n'était pas méfiante et agressive comme Feulement, elle n'était pas douce et jolie endormie, comme Nuage de Lys, et Esprit Lent était bien à part, loin dans son petit monde, loin des autres guerriers. Il y avait des gens plus affectueux que d'autres, à qui demander des câlins, plus froids, plus gentils, plus curieux, plus espiègles. Des gens plus à même de lui donner ses réponses. Mais malgré toutes ces divergences... C'était la première fois qu'elle rencontrait quelqu'un comme Nuage des Vents. La petite princesse des fleurs avait grandi dans un cocon, majoritairement protégée, fillette réservée qui découvrait son monde joli et coloré - elle avait été heureuse, et rien ne l'atteignait encore, elle, jeune apprentie qui croyait encore, toujours à la gentillesse, l'amitié, la magie... La novice guérisseuse devant elle, par contre, c'était autre chose: elle n'était pas méchante, non, seulement très franche - elle n'avait pas de filtre, et ça, c'était déconcertant. Rien que son visage exprimait très bien ce qu'elle pensait. Comme la vexation de ne pas savoir, alors que l'amoureuse des plantes, si. Mimosa n'était pas du genre à s'énerver pour ça, et sourit simplement - la réponse de son inconnue ne rendit cette éclosion de joie que plus grande et belle encore.

« J'sais pas. Je suis apprentie guérisseuse que depuis quelques jours.
Donc je ne saurais pas te dire. La prochaine lune, peut-être que je pourrais te répondre. »

La prochaine lune. Si elles se revoyaient, alors... Ça voulait dire que la fille du vent voulait bien lui reparler ? Qu'elles se verraient, à une Assemblée, ou pour une simple cueillette ? Ça voulait dire qu'elles pouvaient parler, comme ça, et qu'une trêve entre elles deux, nouée, pourrait peut-être devenir une amitié ? Est-ce que ça voulait dire, pour une petite fleur, qu'elle avait tout simplement le droit d'espérer, de rêver ? La question suivante, relançant la discussion, faisait bourgeonner l'affection dans son cœur - elle s'attachait rapidement, c'était vrai, mais c'était dans sa nature, elle ne changerait pas ça. Elle était douce, sensible, curieuse, Mimosa - et elle ne voulait rien d'autre que de la magie, des rêves et des plantes, des sourires, des mots, des amitiés, aussi. Elle aimait, vraiment. Ses proches, le monde, la vie. Et un peu son Inconnue, aussi. Celle-ci, de son côté, continuait ses recherches et, quoique le ton neutre, montrait, de plus en plus, de la curiosité. L'ombreuse avait les yeux brillants, comme deux petits soleils - et même si elle n'aimait pas beaucoup parler d'elle-même, là, elle voulait bien répondre; ça en valait la peine. Ce moment là en valait la peine. Et Nuage des Vents en valait la peine.

« Pourquoi tu voulais pas devenir guerrière ? » demandait celle-ci.
« Enfin, disons plutôt, pourquoi tu voulais devenir guérisseuse?
Tout le monde rêve de devenir un grand guerrier pour son Clan. »
« Pas moi. » souffla la plus jeune - et aussi la plus grande
- en haussant délicatement les épaules. « J'ai toujours aimé les plantes;
c'est joli, ça sent bon, ça me permettrait de soigner mes proches, mon Clan...
Et il y a la trêve. Je n'aime pas l'idée de blesser des gens, je trouve ça... Je ne sais pas, c'est mal.
Si tu étais guerrière, je devrais t'attaquer, ou plutôt, tu m'attaquerais »
- aucune amertume, seulement un fait, une certitude -
« alors que, regarde, là on discute.
Je voulais me sentir utile à mon Clan,
autrement qu'en faisant du mal aux autres. »

Tout en discutant, elle avançait, cherchant elle aussi pour son amie bicolore, sans pour autant s'éloigner trop de sa précieuse récolte. C'était un joli tableau que celui là, de deux jeunes filles qui cherchaient, ensemble, alors que tout les séparait - et garder les yeux fixés au sol, ça évitait à Mimosa de croiser, de ses prunelles d'ambre, celles, vairons, de sa nouvelle amie. Parce qu'elle était réservée, et que cette réponse-là... C'était quand même beaucoup se révéler.

« Et les plantes, ça m'aide à me sentir utile.
À sentir que je vaux quelque chose.
Ça me rend moins timide, parce qu'au moins, je me sens à ma place.
On a pas besoin d'une guerrière timide et douce et gentille et aimante...
Je laisse aux autres les rêves d'être dans la lumière et sur le promontoire...
Moi, les ombres ça ne me dérange pas. »

Un délicat et léger sourire erra sur son visage.
Nuage des Vents devait la penser folle, à présent...
Qu'à cela ne tiennent - beaucoup le faisaient déjà.

Le monde était bien plus vaste qu'elle ne l'imaginait, ne se limitait pas à ces magnifiques et vastes landes sur lesquelles elle avait grandit.
Il s'était étendu depuis qu'elle avait acquis son nom de Nuage, s'étendant désormais aux quatre chênes. Elle en ignorait presque qu'il y avait encore un monde au delà - et en fait, cette pensée ne lui avait même jamais effleuré l'esprit. Ainsi, si tout était bien plus grand qu'elle ne pouvait se le représenter, il en était de même pour tout ces chats autour d'elle.
Trop souvent, Nuage des Vents avaient réduit son entourage à un ensemble de félins presque tous identiques, nécessairement comme elle et si ce n'était pas le cas, alors il s'agissait de tares. Seules exceptions pour ses soeurs et ses parents, qu'elle ne voyait pas comme un tout mais bien comme des individuels.
Les choses avaient commencé à changer lorsqu'elle avait commencer à perdre l'audition de façon plus conséquente. Ne plus entendre la forçait à voir les choses différemment, à accepter que tout ce qui s'appliquait à elle ne s'appliquait pas forcément aux autres. Il lui faudrait du temps, bien sûr, afin de comprendre pleinement que chaque personne était unique, avec toutes les qualités et les dangers que cela représentait.

Ainsi, elle fut étonnée lorsque Nuage du Mimosa lui répondit « Pas moi. » C'était à son sens impossible, puisque chaque chat naissait naturellement pour son Clan, avec l'envie naturelle de se battre et de le défendre. Les guérisseurs n'étaient autres que de potentiels guerriers pour choisir une autre voie - ou des faibles, pensée erronée qui l'avait bien longtemps suivi et dont elle s'était détachée lorsqu'elle avait quitté définitivement la tanière des apprentis.
« J'ai toujours aimé les plantes; c'est joli, ça sent bon, ça me permettrait de soigner mes proches, mon Clan... Et il y a la trêve. Je n'aime pas l'idée de blesser des gens, je trouve ça... Je ne sais pas, c'est mal. Si tu étais guerrière, je devrais t'attaquer, ou plutôt, tu m'attaquerais. »

Nuage des Vents plissa une paupière, penchant légèrement la tête d'un air confus. « Évidemment! » s'exclama-t-elle, « C'est comme ça, pour le Clan, pour notre survie! Et puis, je ne serais jamais venue ici si j'étais guerrière. Crois moi, je serais restée sur mon territoire. »

Le Code du Guerrier était clair, elle l'avait apprit bien rapidement d'ailleurs, le récitant tel une comptine pour enfant, fièrement. Jamais elle ne lui aurait fait affront, jamais elle n'aurait dérogé aux règles, pour son Clan, pour le Code. Il n'y avait rien de plus important. Désormais, cependant, il ne la concernait plus, et elle devait en apprendre un nouveau qu'elle ne connaissait pas encore particulièrement bien. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'à la différence des guerriers, il lui était autorisé de rendre visite aux autres Clans sans jamais se soucier des frontières - qui n'était plus rien d'autre qu'un mot et une odeur - que jamais elle n'aurait le droit de se battre sauf pour un cas de légitime défense, et que jamais, ô grand jamais, elle ne devrait s'interposer dans les affaires politiques. Il lui était autoriser de conseiller, de donner son avis en privé, rien d'autre. Coeur Fleuri, l'ancienne guérisseuse, lui avait-on raconté, avait disparu peu après avoir commis cette faute grave.
C'était une règle bien difficile pour l'apprentie bicolore, car elle voulait le meilleur pour les siens et si elle avait été apprentie-guerrière, jamais elle ne se serait gênée pour hausser le ton lors des assemblées au Clan, notamment si l'affaire concernait un certain serpent.

« Mais bon, » soupira-t-elle « Ça, c'est plus pour moi. Sincèrement, si je pouvais rester au Clan du Vent, j'aurais volontiers échangé ma situation avec la tienne, mais j'aurais pris tes oreilles avec ça. C'est ce qui m'empêche de me battre. »

Nuage du Mimosa ne fut guère surprise de l'expression de confusion et de surprise qui passa sur le visage de la fille du vent qu'elle connaissait à présent comme l'apprentie guérisseuse d'outre frontière: même chez elle, la princesse des plantes, la petite reine des fleurs, était parfois considérée un peu étrangement - à cause de son caractère doux, timide, pacifiste, à cause de ses passions. L'apprentie guerrière qui avait du choisir une voie où elle ne se plaisait pas, l'oubliée des étoiles, avait l'habitude de ce genre de regards. Et la réponse de Nuage des Vents l'aurait fait sourire, si elle n'avait pas eu peur que celle-ci y voie une quelconque moquerie - alors elle contint son amusement, et écouta.

« Évidemment! » s'exclama celle-ci, « C'est comme ça, pour le Clan, pour notre survie! Et puis, je ne serais jamais venue ici si j'étais guerrière. Crois moi, je serais restée sur mon territoire. »

Évidemment! Comme Mimosa le faisait. Fraterniser avec une jeune apprentie guérisseuse était une chose, se faire des amis dans les Clans quand elle rencontrait des félins aux Terres Neutres, était une occupation tout aussi agréable, qui faisait fleurir son cœur, mais défier les frontières ? La fille d'Étoile Maudite avait encore des notions du Code du Guerrier, respectueuse des règles et des étoiles depuis toujours, et, loyale malgré ses rêves d'amitié, d'amour et de paix, ne cherchait guère à déclencher de nouveaux conflits pour son Clan... Mais si la petite fille aux pétales d'or connaissait les règles, elle n'était guère désireuse de sortir les griffes pour un oui ou pour un nom. F r o n t i è r e n'était qu'un mot. Et s'ils apprenaient à s'apprécier et à se respecter, tous, mutuellement, ils pourraient les supprimer ou, tout du moins, les contrôler sans faire couler le sang. C'était tout ce que la petite princesse voulait.

« Mais bon, » soupirait du reste Nuage des Vents, « Ça, c'est plus pour moi. Sincèrement, si je pouvais rester au Clan du Vent, j'aurais volontiers échangé ma situation avec la tienne, mais j'aurais pris tes oreilles avec ça. C'est ce qui m'empêche de me battre. »

L'autre opina simplement, hochant la tête avec douceur et compassion.
Aucune pitié dans son regard ou son attitude; elle comprenait, simplement.
Et elle respectait cette idée, elle respectait sa camarade, aussi, infiniment.
Ce petit bout d'amazone cueillant des plantes, avec des trésors de courage.
Elle la respectait, et elle lui sourit tristement en soufflant, amicale:

« Si je pouvais te les donner... »

Un élan de curiosité éclot néanmoins en elle - c'était sa nature.
La brunette aux prunelles de soleil était timide, mais voulait savoir.
Parce que l'histoire de son amie la touchait, malgré tout;
La sensible jeune fille ne pouvait qu'être submergée d'émotions.
C'était injuste, ces destinées échangées ! Tellement injuste.

« Comment tu as perdu tes oreilles, Vent ? »

À cet instant, la petite Mimosa semblait presque vouloir renaître en floraison de coquelicots, mais elle était heureuse, quelque part d'avoir osé, et pleine d'espoir; si sa nouvelle connaissance voulait bien lui répondre, peut-être lui être une amie... Peut-être qu'elles pourraient se compléter, s'entraider, tout au moins ? En rêveuse qu'elle était, la silhouette à la fourrure cannelle et chocolat tenta de s'imaginer leur prochaine rencontre: d'ici là, peut-être qu'elle pourrait trouver une ou deux idées pour aider Nuage des Vents à travailler les bases du combat pour se défendre, malgré ses oreilles ? Mimosa souriait: elle avait à présent une nouvelle raison de s'appliquer, de s'entraîner. Pour ses parents, pour sa fratrie, pour ses amis, pour son Clan et... Pour la fille des landes qui avait cueilli la Tige d'Or et un peu d'affection de la part d'une autre fleur aux couleurs du soleil.

Une expression agacée prit bientôt place sur le joli visage de la fille du Vent, dont les yeux disparates étincelaient d'une lueur aux antipodes de celle, emplie de douceur, que l'ombreuse posait sur l'apprentie guérisseuse sourde. Une expression agacée, qui, si elle inquiéta tout d'abord Nuage du Mimosa, qui ne comprenait pas ce qu'elle avait pu faire pour vexer sa camarade d'outre-frontière, devint limpide aux mots de la blanche apparition, presque irréelle sur ce territoire qui n'était pas le sien. La fille d'Étoile Maudite, en comprenant, se mordit la langue, dépitée et déçue d'elle-même. Elle aurait du y penser !

« Parle plus fort quand tu me parle. Je n'entend rien. »

La jolie fleur d'or la suivit sur cette ligne droite invisible où toutes deux cherchaient des plantes, observant la multitude, contemplant, sentant, à la recherche d'une chose qui leur serait utile, à rapporter au camp. Comme elle aurait aimé ce quotidien là ! Au contraire de celle qu'elle voulait appeler une amie, la jeune ombreuse avait rêvé d'emprunter la voie sacrée, de se dévouer à son clan, aux plantes, à soigner, à refuser les combats, et à prêter assistance aux chats qui l'auraient nécessité... Ce code que suivait la féline aux yeux vairons, il ressemblait bien plus à la timide enfant-étoile qu'à celle qui, devant elle, glacée comme la lune d'hiver, ressemblait à un soleil ayant brûlé trop vif, trop vite, jusqu'à consumer ses rêves. C'était injuste... Et la noire et blanche continuait son chemin, cherchant sans paraître trouver, sans paraître savoir; pourtant, Mimosa, qui commençait à comprendre à qui elle avait affaire, évita de s'en mêler: si la nouvelle venue demandait, elle aiderait. Autrement... La rose aux mille épines venue des landes était bien trop fière pour se laisser aider par celle qui, à n'en pas douter, lui paraissait une ennemie. Cette pensée là était un peu triste, pour la brunette qui rêvait d'amitié - mais elle continuait malgré tout d'espérer.

Alors, quand le regard saphir et ambre, or et turquoise, ciel et soleil, se vrilla dans ses prunelles à elle, quand les oreilles de son interlocutrice se plaquèrent sur sa tête et qu'elle accéléra, comme pour la semer, affichant clairement l'étendue de son déplaisir - aussi vaste que son territoire, et aussi glacé que le vent qui y soufflait -, la petite Mimosa, maladroite mais gentille, reçut le reproche. Sans un mot. Sans une plainte, ou une plaidoirie pour se défendre. Sans un mouvement de colère, ou de tristesse. Elle acceptait, simplement. Elle attendait. Une réponse, certainement. Une ouverture, peut-être, sans doute. Elles étaient différentes, c'est tout; mais Vent -

« Nuage des Vents » corrigea-t-elle. « Je suis fière de mon nom, utilise le. »

Nuage des Vents, pardon, n'avait pas l'air méchante. Seulement distante.
Certains portaient leur cœur sur la patte, comme elle, l'offraient au monde.
D'autres, comme Venteuse, semblaient l'avoir enfermé dans un buisson de ronces.
Mais toutes les barrières ont leurs ouvertures - celles des camps, celles des âmes.
Alors Mimosa attendait. Elle était sensible, sage, patiente, la petite fleur de soleil.
Elle attendrait aussi longtemps qu'il le fallait - et dans son jardin fleurissait l'espoir.

L'allure de la jeune fille devant elle - celle qui arpentait pour de vrai la voie - se calma, et le ton de sa voix, quoique loin d'être chaleureux, se fit moins incisif quand elle répondit. Celle des deux qui n'avait aucun problème d'audition, elle, était bien au contraire toute ouïe. Elle voulait savoir, comprendre... Une vague d'empathie la submergea, face à ce que Nuage des Vents, à présent, lui racontait. C'était dommage, tellement dommage. Et injuste, aussi. La petite fée des plantes au nom de floraison aurait aimé voir son amie sur le promontoire, les choses eussent-elles été différentes; mais encore une fois... Elles n'auraient, dans ce cas, jamais pu se rencontrer et parler comme cela.

« Mon oeil bleu est maudit. Quoi qu'il arrive, l'oreille qui se trouve de son côté était destinée à être perdue en grandissant. Pour l'autre... je pense que c'est une punition. » Absinthe-amertume, lavande-silence. Rien ne valait pareille punition... Surtout à leur âge.

Nuage des Vents s'était arrêtée, à présent, sa patte trouvant ses oreilles pour les gratter, comme si quelque chose la gênait - et pour une fois, Mimosa n'était sans doute pas le quelque chose... Un grondement pour elle-même échappa à la silhouette blanche et noire, dont les yeux de sable et d'océan reflétaient les rayons d'un soleil joueur. Sa camarade d'un jour la suivait, et s'était rapprochée pour entendre la suite de l'histoire, attentive, sensible. Elle ne commenta rien.

« J'vais pas rentrer dans les détails, mais j'ai fugué quand j'allais avoir six lunes. C'était une nuit d'orage. La foudre est tombée du ciel plus vite que n'importe quel des guerriers du Clan, et s'est écrasée pas très loin de moi. Le bruit était trop fort, ça a claqué, d'un coup. Et après ça, une partie de mon oreille était partie. Pas si grosse, mais il y a un bruit... C'est comme... deux pierres qui frottent l'une contre l'autre, qui grincent et qui ne s'arrêtent jamais. Je l'entend tout le temps, et j'ai des vertiges qui arrivent sans prévenir. »

Il y avait du sang, dans les rayons de soleil.
Pourpre sur les griffes de la petite venteuse.
Pourpre sur ses oreilles, sa fourrure bicolore.
Pourpre, aussi, sur la mousse à ses pattes.
Il y avait du sang, rien de grave, mais présent;
Nuage des Vents s'était donc griffée...
Mimosa aurait voulu vérifier que ce n'était pas grave
- Une nouvelle question l'arrêta avant un mot, un pas.

« Pourquoi tu voulais savoir? »

Un brin déconcertée, mais trouvant tout de même la question logique, Mimosa fit une pause.
Pour réfléchir, pour chercher ses raisons, et ses mots. Quand elle reprit, sa voix douce était claire;
Cette fois, elle s'assurerait que Nuage des Vents puisse l'entendre correctement, sa petite mélodie.
Les yeux d'or de la brunette brillaient, d'un calme nouveau, d'intelligence, et d'un peu de joie aussi...

« Juste... Pour mieux comprendre. Ce qui t'était arrivé, comment ça avait pu arriver.
Je savais, pour la surdité et les yeux bleus, mais avec tes yeux vairons, je me demandais...
Et puis, je me disais que ça pouvait permettre, peut-être, d'éviter que ça se reproduise. »

Un sourire aussi léger qu'un rêve, lumineux et timide éclot sur son visage;
L'ombreuse et la venteuse face à face, la cadette, la plus grande, ajouta:

« J'avais aussi envie de te parler, et d'apprendre à te connaître.
Je le souhaiterais toujours, d'ailleurs; si... Si tu veux bien, évidemment.
Nuage des Vents, ce serait présomptueux de ma part de vouloir être ton amie ? »