Mune, douce lune

Au début tout était beau, tout était chaud. Elle vivait dans ce liquide qui lui donnait la vie, l’impression d’être légère comme une plume. Cette impression d’être aimée, dans le ventre de sa mère. Au début, elle rêvait d’une vie belle et chaleureuse, une vie dont tous les chatons rêvaient. Un père attentionné, une mère aimante, être entourée par ses frères et soeurs. Dans son petit monde où elle était formée, rien ne pouvait jamais mal tourner. Parfois, elle sentait que ça bougeait, là, dehors. Et parfois, là, dedans. Deux autres petits corps gigotaient avec elle, à l'unisson. Elle entendait des voix, rarement les mêmes. Mais une restait toujours pareille, elle vibrait dans tout le corps de sa mère. Cette voix, elle la reconnaîtrait entre mille. Maman.

Puis, un jour, sans qu’elle comprenne vraiment pourquoi, tout son monde autour d’elle se compressait. Parfois, elle pensait qu’elle n’était pas la bienvenue ici, et aujourd’hui était son jour de sortie. Plus le temps passait, plus les contractions étaient fortes. Et plus elle était poussée vers un monde qui lui était inconnu. Quelque part, malgré la peur qui s’emparait d’elle, elle espérait voir ses parents, ses frères et soeurs. Enfin. Après ces longues semaines cachée bien au chaud. De longues minutes à être poussée, compactée, étirée, et enfin la libération.

Une fois dans le panier, elle essaya par réflexe de remplir l’air de ses poumons. Elle toussa, pleura de douleur, couina puis finit par ouvrir les yeux. Le monde là dehors était si différent de tout le reste. Les couleurs vibraient, le feu crépitait dans la cheminée. Une tonne d’odeurs lui venaient, imprégnaient ses narines. Puis, tournant la tête, elle vit sa mère. Elle était belle, sa mère. Elle l’aimait déjà sans conditions.

Mais les maîtres de sa mère ne voulurent pas de petits. Irresponsables, ils l'avaient laissée s'enfuir sans la stériliser, et les voilà maintenant avec trois chatons à caser. Ses deux frères, moins contraignants de castration, furent placés rapidement. Mais pas elle. Alors, sans se poser de questions, lorsqu'elle eut l'âge de quitter sa mère, ils la laissèrent lors d'une promenade en forêt. Elle survécut on ne sait trop comment, malgré la peur et la jeunesse. Et elle y vit depuis, les arbres comme seule famille.