Un air de déjà-vu [PV Ecaille d'Or] -abandon

De toutes les blessures qu’ils avaient pu recevoir, durant cette période sombre, les plaies psychologiques étaient de loin les plus difficiles à guérir. Celles physiques se contentaient de se fermer, cicatriser, devenir croûtes jusqu’à ne plus du tout faire mal. En revanche, les blessures mentales restaient, les images d’horreur aussi, les pertes, les morts, la douleur et la tristesse. Voilà des souffrances qui ne connaissaient d’autres remèdes que le temps et la patience.
Mais la vie reprenait son court. Peu à peu, la Rivière sortait de sa léthargie, renaissait de ses cendres. Et Écaille d’Or, soucieuse de participer à sa reconstruction, avec tout son être et son âme, étouffait les souvenirs des Lunar Pod à travers ses tâches.

Remontant la rivière, près des chutes, elle comptait sur le vacarme que faisait l’eau en retombant en contrebas pour camoufler ses pas : ces derniers temps, elle n’était plus aussi discrète qu’elle avait pu l’être. Elle avait beau ignorer ces flashs qui hantaient ses pensées, elle manquait une proie sur deux.

Plus loin, la guerrière avisa une souris. Avantage pour elle, elle ne pouvait pas l’entendre grâce à cet environnement bruyant. Restait son pelage roux, qu’elle n’avait qu’à camoufler parmi la ripisylve.
Mais cette fois, elle n’eut pas le temps de tester sa médiocrité de ses derniers jours : là-haut, surplombant la rivière, une silhouette violacée accrocha son regard. Écaille d’Or se redressa brusquement, peu soucieuse d’avoir fait fuir sa proie dans la foulée.

… !!

Elle remonta le cours d’eau aussi rapidement qu’elle le put, décidée à atteindre la berge en amont, au dessus des chutes. Plus elle avançait, plus ses craintes se confirmaient : Nuage de Méduse était en danger.
Bientôt, elle se retrouva à l’autre extrémité du bout de bois où se trouvait l’apprentie. Le tronc menaçait de rejoindre les flots à tout moment, entraînant la petite dans un plongeon mortel à travers les chutes.

« Nuage de Méduse ! » Cria la guerrière pour que sa voix couvre le bruit infernal de la cascade. « Reviens vers moi ! Lentement… Très lentement...! »

Et pour tenter d’éviter le pire, la guerrière posa une patte sur l’extrémité du tronc où Méduse ne se trouvait pas, faisant contrepoids.

La situation était digne d’un scénario catastrophe. En entendant ses directive, Nuage de Méduse avait sursauté, surprise, mais ses appuis sur la souche humide et instable étaient mauvais, si bien qu’elle ne put se réceptionner correctement et Écaille d’Or vit avec stupeur ses pattes arrières perdre prise. Bientôt, l’apprenti se retrouva avec l’arrière train dans le vide, ses griffes tentant désespérément de trouver une prise correcte sur son promontoire qui menaçait de se briser à chaque instant.

« A l'aide ! Écaille d'Or, je vais lâcher ! »

La guerrière pouvait lire la peur dans le regard de l’apprenti, et l’inverse était tout aussi possible. Que faire ? Avancer et risquer que le promontoire se rompe, les faisant toutes deux sombrer dans les flots, ou continuer à faire contrepoids en attendant que Nuage de Méduse réussisse à se hisser sur ses quatre pattes ? Elle n’hésita pas longtemps.

« Tiens bon, Nuage de Méduse, j’arrive ! »

La rouquine s’avança prudemment sur le bout de bois chancelant, qu’elle entendait craquer à chacun de ses pas. Prudemment, elle réussit à rejoindre l’apprentie, mais leurs deux poids pesait considérablement sur le promontoire, qui menaçait de se briser à chaque seconde.

« Je te tiens ! » Miaula la femelle en posant ses deux pattes antérieures sur celles de la femelle.

Et, étirant son cou, elle vient saisir l’apprentie par la nuque, tirant de toute ses forces pour l’aider à remonter.

Céder à la peur n’aurait fait qu’encore plus chuter leurs chances de survie. Le calme l’aidait à réfléchir, à cheminer lentement. Le moindre faux pas leur serait fatal, à toutes les deux.

« Tu… Tu vas tomber... » Gémit l’apprentie, tremblante de peur.

« Ch’amais ! Ai’e ‘oi ! » (Jamais ! Aide-moi !).

Une nouvelle fois, elle tira, le plus lentement qu’elle put. Nuage de Méduse pesait déjà un bon poids, et la soulever devenait plus compliqué. Elle comptait sur elle pour s’aider de ses pattes arrières pour se pousser vers le rocher, dès qu’elle aurait retrouvé une prise. Ensemble, lentement, les deux femelles cheminaient vers la zone sûre, Écaille d’Or à reculons, tirant la petite, et Nuage de Méduse vers l’avant.
Alors qu’elle avaient parcouru un bon tronçon, le tronc céda à nouveau d’un cran, les faisant glisser sur plusieurs centimètres, vers les rapides. Écaille d’Or planta ses griffes de toutes ses forces dans le bois mouillé, pour freiner leur course. L’effort fut tel que l’une d’entre elle s’arracha.
Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Elle se força à se concentrer sur le pelage de l’apprentie, et non sur les rapides qui terminaient plusieurs mètres plus bas.

Finalement, après plusieurs minutes d’efforts, la jeune guerrière sentit le doux contact de la pierre sous ses coussinets. C’est à ce moment là que le tronc choisit de définitivement céder, sans doute suite à l’appui de Méduse pour se hisser sur le perchoir à son tour. Étoile d’Or resserra son étreinte autour de la nuque de la femelle, effrayée à l’idée qu’elle ne tombe elle aussi, puis l’aida à grimper en sûreté.

Les deux comparses étaient saines et sauves, Écaille d’Or peinait à y croire. Elle se laissa glisser sur la pierre, essoufflée, son cœur menaçant de s’échapper hors de sa poitrine. En contrebas, le tronc disparut dans l’eau tumultueuse, pour en ressortir complètement brisé par le courant.