Les comiques inséparables ft Boule de Poivre -end

Le chaton éclata de rire, et ce son si rare car il était bien réel, pas forcé, qui sortait du plus profond de son être se répandit dans ses oreilles. Eclat de Crépuscule sourit de tous ses crocs, et se joignit à leur concert heureux. Son corps fatigué se détendait au fur et à mesure que les minutes passées avec ce petit monstre lui redonnait la joie de vivre. Oh, elle n'était pas triste, non, juste blasée, mais son habituelle gaieté s'était évaporée, par la fatigue et l'hiver, un mauvais combo, sans doute.
" Faut pas qu'on se regarde alors… On va se brûler les yeux, sinon ! "

Ses iris jaunes disparurent sous ses paupières, alors qu'il se cachait d'elle, baissant la tête dans un jeu qui lui paraissait très amusant. Elle en fit de même, juste pour faire plaisir à Poivre, qui était réellement un rayon de soleil pour elle. Alors fermer ses yeux pour le fun, ce n'était pas un défi super important, et il paraissait prendre ça très au sérieux. Alors elle obéit, et leva ses pupilles de jais vers le ciel, observant les nuages qui se profilaient à l'horizon. Puis, au bout de quelques instants, elle n'était pas très patiente, elle rebaissât la tête et observa le petit corps et ses pupilles mi-closes, laissant paraître du doré. Il se retourna vivement, et cacha sa tête sous ses pattes maigrelettes.
" Il fait si clair que ça, en été ? "

La rouquine sourit de sa curiosité au niveau de l'été. Ils étaient déjà gâtés en cette période pourtant réputée stressante et meurtrière pour sa fraicheur et la neige. Les maux touchaient principalement les chatons et les anciens, mais bien sûr, s'ils n'étaient aussi utiles au campement, il était logique de prendre soin d'eux. Les premiers étaient les futurs de clan du Vent, tandis que les seconds étaient dotés d'un cerveau et d'un cœur qui faisaient d'eux les plus écoutés par le chef, presque. Jamais ils ne parlaient pour rien dire, à par pour se plaindre, certes, mais leurs réflexions étaient généralement perspicaces. La guerrière adorait aller papoter avec eux, même s'ils étaient un peu aigris, sans doute par leur nombre de lunes. Elle se plaisait à se moquer gentiment d'eux, juste pour rire.
"Oui, le temps est magnifique, les oiseaux chantent, les proies sortent, on peut sortir la nuit chasser, c'est agréable."

Elle sourit, en se souvenant de cette saison, et se remémora par la même occasion les moments heureux passés avec sa mère. La seule ombre au tableau ? Ecorce de Chêne, son père. D'ailleurs, ils ne s'adressaient presque plus la parole, où simplement pour qu'il critique le fait qu'elle ne passe pas assez de temps avec Plume de Moineau et Patte d'Ortie. Elle se contentait de couper court à la conversation, pour ne pas faire une scène en public. Elle n'allait pas se réduire à son niveau d'immaturité, mais ne tarderait pas à exploser, et lui cracher des atrocités à la figure s'il ne continuait pas. Non, non, il fallait qu'elle se calme. Reprenant joyeusement, elle reprit :
"En plus, les chats sont heureux. Tu verras, les visages fermés disparaissent, les sourires apparaissent. Ca fait un bien fou à tout le monde, de pouvoir faire une sieste ou manger au soleil !"

Boule de Poivre continuait de faire l'idiot, avec ses pattes devant les yeux pour se cacher ou se protéger d'une lumière inventée, difficile de savoir. Il découvrait que lorsqu'on ne s'appuyait pas au sol avec les pattes avant, ça devenait un vrai défi d'essayer de se déplacer, et tentait, par petites impulsions des pattes arrière, de se trainer par terre jusqu'aux pattes de la rouquine. Cette dernière, lointaine, s'imprégnait elle aussi à sa façon de l'astre chaud de l'été, et se faisait plus lointaine :

" Oui, le temps est magnifique, les oiseaux chantent, les proies sortent, on peut sortir la nuit chasser, c'est agréable. "

C'était comme s'ils s'étaient par le jeu déplacés dans un autre monde. Mais Boule de Poivre fut tout surpris d'y sentir une légère et éphémère tension, qui parcourait la rouquine. Venait-il de l'embêter ? s'inquiétait-il. Aucune réponse ne vint, car le chant des oiseaux s'imposa à nouveau, dans leur jeu, et la guerrière reprenait, l'emportant comme un vent tiède guidait un grain de poussière sous le soleil doré :

" En plus, les chats sont heureux. Tu verras, les visages fermés disparaissent, les sourires apparaissent. Ça fait un bien fou à tout le monde, de pouvoir faire une sieste ou manger au soleil !
- C'est vrai, ça... " ronronnait Boule de Poivre, si pris par cette ambiance qu'il s'étendait devant elle comme on prenait un bain et se mettait à valider ses propos comme s'il était lui aussi témoin.

Il avait si hâte d'être grand, à son tour. D'être comme son papa un guerrier génial dont les chasses étaient couronnées de succès et dont le seul nom (il y croyait) intimidait même les plus gros guerriers des autres Clans. Tellement hâte qu'il n'essayait pas vraiment d'imaginer le temps et les obstacles qui le séparaient ou l'isolaient peut-être de son but. Dans sa félicité, il libéra ses yeux et marqua de quelques coups de langues affectueux les pattes de la guerrière auprès desquelles il était étendu, avant de se mettre sur le dos pour lever les siennes et se rouler par terre. Comme il s'était déjà traîné à cet endroit, il n'y avait plus de mousse et ce fut donc un sol assez poussiéreux qu'il remua, mais il semblait ne pas s'en rendre compte.

" Tu sais, je suis grand maintenant. " affirma-t-il, sa roulade achevée, l'air le plus sérieux du monde. Il disait ça à chaque fois depuis qu'il savait parler, comme si ça lui donnait l'air un peu moins petit : " Les guerriers du coup, ils me donnent plein de travail. Je pars à la chasse, j'attaque les intrus, je surveille les chatons... "

A croire que c'était un miracle si Éclat de Crépuscule était parvenue à le trouver dans la pouponnière ! Ses journées vides et ennuyeuses n'avaient jamais existé, car finalement, elles avaient toutes été riches en rêves. Donc ni vides ni ennuyeuses, mais au contraire, exaltantes.

" Et je cours tellement vite qu'ils m'appellent tous Guépard Fulgurant. " sourit-il même. Ce nom dévoilait assez bien l'aspect encore limité de son imagination, mais pour Boule de Poivre, il s'agissait malgré tout d'un de ces noms héroïques qu'on ne pouvait que souhaiter porter.

Boule de Poivre se roula et se retourna dans la poussière, soit pour se gratter, soit pour la regarder. Ah mais non, puisqu'il ne voulait pas se faire brûler par la flamme qui luisait dans les yeux de la guerrière. Un léger sourire s'était étiré sur ses lèvre, et il paraissait très heureux en ce moment, bercé par les illusions de l'été. Sans doute sentait-il le souffle chaud de la brise, et le soleil qui dorait son pelage noiraud. Les gazouillements des oiseaux, eux, étaient déjà présents, et seule la fraîcheur était encore trop présente pour s'imaginer à la saison des feuilles vertes. Eclat de Crépuscule elle-même s'était envolée dans cet univers si heureux, qu'elle n'entendit pas le vilain garnement approuver ses paroles sans savoir de quoi il parlait.

Ses yeux dorés finirent par s'ouvrir, prenant le fou risque de se faire brûler par ses iris enflammées. Un petit téméraire, ce chaton ! Elle remua les moustaches, alors que quelques grains de poussière s'éparpillèrent sur son corps, et qu'une langue énergique lui humidifiait les pattes. Elle remarqua qu'ils étaient vraiment toujours collés, dès qu'ils se voyaient. Jamais ils ne pouvaient s'empêcher d'avoir du contact l'un envers l'autre, et sans doute était-ce une des raisons qu'on les regarde de travers. Qu'importe, puisqu'ils n'étaient pas mal vus dans le clan !
" Tu sais, je suis grand maintenant. Les guerriers du coup, ils me donnent plein de travail. Je pars à la chasse, j'attaque les intrus, je surveille les chatons… "

La rouquine éclata de rire, devant son air très fier. Jamais il ne s'arrêterait d'inventer des mensonges plus gros qu'eux deux réunis pour se sentir important. Un instant, elle se demanda s'il ne faisait pas ça parce qu'il se sentait mal dans sa peau et qu'il voulait qu'on le regarde, qu'on le comprenne. D'un coup de tête, elle envola ces tristes pensées, non. Ce jeune matou était l'un des êtres les plus enjoués qu'elle n'ait connu, et il avait une famille qui l'aimait. Une amie sur qui il pouvait compter en cas de besoin. Il avait presque tout pour être heureux. Presque ? Simplement parce que sa fratrie s'est disloquée, emportée avec l'hiver. Même s'il lui restait une sœur, il lui semblait bien.
" Et je cours tellement vite qu'ils m'appellent tous Guépard Fulgurant. "

Si elle lui avait manqué, il avait, pendant ses longues épopées dangereuses impressionné tous les venteux sans qu'elle ne s'en rende compte ! Une fois de plus, elle fut étonnée par l'imagination du petit, qui ne manquait jamais de la surprendre par des réflexions de ce type, sortant de strictement nulle part. C'était peut-être pour cette raison qu'il la distrayait tant, plus que quiconque. D'un geste d'expert, elle prit une expression choquée, et ouvrit exagérément la bouche, mettant sa patte devant, dans une mimique absolument ridicule et très comique.
"Je suppose que tu surveillais la pouponnière quand je suis arrivée ! Mais penses-tu qu'attaquer un scarabée perdu va protéger les autres chatons ?" se moqua-t-elle, les yeux brillant joyeusement. Il ne le prendrait sûrement pas mal, désormais habitué à ses piques qui n'arrêtaient plus.

Un instant, elle se l'imagina, plus vieux, mature et bien plus grand qu'elle. La même posture que quand elle l'avait trouvé, ce regard sérieux et morose qu'elle avait trouvé bien étonnant, mais à garder les frontières de leur clan, pas celui des chatons qui ne couraient aucun risque. Ils étaient même les plus protégés ! Une ombre si furtive passa sur son visage qu'on ne sut pas si cela venait d'un éclat de soleil. Elle se demanda s'il opterait pour être sentinelle, ou un simple guerrier lambda, sans être du nom de Guépard Fulgurant.
Et Guépard Fulgurant préfère chasser ou bien surveiller les frontières ?

L'heure était à la détente. Le dos dans la poussière, le jeune menteur essayait de tendre et de lever ses quatre pattes à la fois, mais systématiquement, l'absence d'appui le faisait rouler sur un côté, alors il tentait de retrouver sa position initiale et de recommencer, distraitement. Comme si une prouesse d'équilibre pourrait prouver à la guerrière qu'il ne mentait pas. Mais le chaton n'était pas si adroit, et moins concentré encore. Il ne voulait rien perdre de ce temps que lui consacrait Éclat de Crépuscule et écoutait passionnément chacun des mots qui suivirent son rire sincère :

" Je suppose que tu surveillais la pouponnière quand je suis arrivée !
- C'est ça ! ronronna-t-il, pas très fort.
- Mais penses-tu qu'attaquer un scarabée perdu va protéger les autres chatons ?
- Un QUOI ? " répéta-t-il, lui qui n'avait jamais vu de scarabée encore.

Mais il se douta qu'on se moquait de lui et jugea préférable de glousser sans rien répondre d'intelligible jusqu'à ce que la rouquine reprenne :

" Et Guépard Fulgurant préfère chasser ou bien surveiller les frontières ?
- Je fais tout comme on me dit ! Mais je chasse trop trop bien... " se venta-t-il en réponse, en regardant la guerrière d'un air un peu trop innocent qui devenait louche. On sentait qu'il se préparait à faire quelque chose de surprenant... Mais assez vite, il courut quand même à l'arrière de la guerrière et bondit pour attraper sa queue entre ses pattes.

Rien là n'était bien extraordinaire, mais commençait malgré tout un nouveau jeu, consistant pour la guerrière à libérer sa queue, et pour le chaton, à la maintenir au sol sans la blesser non plus.

" T'as vu ! J'ai attrapé une grosse proie ! " rigolait-il en essayant d'empêcher sa cible de lui échapper. " A manger pour les anciens ! " s'exclama-t-il en prenant le ton quelque peu fantasmé des chasseurs triomphants.

Spoiler:

La notion de scarabée ne semblait pas être connue de lui, puisqu'il lui demanda de répéter, sans qu'elle n'y fasse attention. Il en verrait bien un, un jour, de ce petit insecte qui brillait au soleil de sa couleur ébène. Ils étaient partout, dans ce monde, les scarabées. Elle se souvint de la première fois où elle en avait pris un en chasse, un de ces petits animaux, alors qu'elle était encore un chaton qui bondissait sur tout. Sa mère, amusée par son spectacle attendrissant mais embêtée pour la pauvre victime, qui subissait des coups de patte en volant pour atterrir violemment. Elle lui avait alors expliqué, à elle, qui croyait que tuer était bien, qu'il fallait éviter le meurtre. Tant que l'obligation n'était pas là. Alors, la rouquine l'avait laissé s'en aller, le poussant même du museau pour l'aider à avancer plus vite.
- Je fais tout comme on me dit ! Mais je chasse trop trop bien… "

Toujours à se vanter, lui ! Eclat de Crépuscule sourit, amusée. Elle vit la silhouette d'un guerrier sortir de la tanière, et parcourir le campement du regard, et n'aperçut donc pas le chaton qui s'élança furtivement, et lui bloqua la queue, sans qu'elle ne puisse échapper à sa poigne d'enfer. Elle tenta en vain de se dégager, mais n'y parvint pas, alors qu'il s'exclama, très fier de sa blague :
" T'as vu ! J'ai attrapé une grosse proie ! A manger pour les anciens ! "

Il éclata de rire, alors qu'elle se contorsionnait pour lui échapper. Dans un rire, elle songea aux pauvres souris qui sauraient qu'elles étaient à deux griffes de la mort, s'il les serrait à ce point. Puisque sa détermination lui était au moins utile aussi ! Ses iris crépusculaires croisèrent celles du mâle de son rang, qui hocha la tête. Oh, alors elle devait partir en patrouille de chasse. Elle soupira, et ferma les yeux, demandant silencieusement au chasseur d'attendre un instant. Il s'éloigna et se dirigea vers l'entrée du campement. Le temps avec lui était donc compté. Son cœur flancha, et elle le résigna à la lâcher, alors qu'il dût sentir qu'elle n'était plus d'humeur à jouer. Cela la désola, elle qui s'était réellement amusée, elle qui avait tout oublié pendant cette discussion. Tentant de faire bonne figure, elle se moqua de lui, se lavant pour partir :
Je … Je dois te laisser. J'dois aller chasser des scarabées ! Mais je reviens vite, et t'inquiète, on mangera ma proie ! Parce que c'est la mienneuh ! A toute' !

Elle le lécha affectueusement le visage, et s'éloigna d'un pas dansant, lui lançant souvent des regards tristes. Joyeusement, elle partit avec le guerrier, en lui demandant presque en criant :
Est-ce que tu connais Boule de Poivre ? Ce chaton est absolument génial ! C'est un véritable clown, j'te jure !