Curieuse rencontre ft. Coup de Foudre - end

Il faisait doux dans la lande, en cette saison des feuilles nouvelles. Malgré une légère brise froide, le soleil réchauffait sans mal les guerriers du Clan du Vent, ainsi que les anciens, lesquels se prélassaient d'ailleurs au soleil lorsque Nuage d'Épervier émergea de la tanière des apprentis. Le bougre avait veillé toute la nuit en compagnie de sa mentor, Éclat d'Argent et alors il était allé se coucher au petit jour, croisant la majorité de ses camarades. Le rythme de vie d'une sentinelle était parfois difficile à supporter. Il ne faisait que croiser ses semblables, sans pouvoir leur parler à chaque fois. Quelque part, son rôle à venir l'isolait déjà des siens, cependant ses liens avec les autres sentinelles n'en étaient que plus forts. Et puis, il était si fier d'être le protecteur de ses camarades de Clan qu'une nuit écourtée en valait bien la peine.

Le soleil commençait tout juste à descendre dans le ciel lorsque Nuage d'Épervier décida d'aller se dégourdir les pattes seul. Il avait parfois ce besoin de s'isoler, de réfléchir. De toute façon, la plupart des autres apprentis étaient partis s'entraîner, et aucun de ses frères et sœurs n'étaient restés au Camp. Le jeune matou partit alors en trottinant et prit la direction des Quatre Chênes. Il s'agissait d'un de ses lieux favoris en dehors de la lande. Là, tout était calme et silencieux et les imposants arbres qui s'y trouvaient créaient un sentiment de sécurité pour le novice aux iris d'or. Il était si petit, à côté d'eux, si ignorant.

Il ne mit pas longtemps à atteindre cette terre dite neutre. Aucun matou ennemi n'oserait s'en prendre à lui ici, et il n'avait aucun territoire à défendre non plus. Lorsqu'il atteint l'enceinte formée de troncs, de branches, de buissons et d'herbes, le fils de Cobra Royal se surprit à sourire. Il se laissa guider par ses propres pas, errant en contre bas du Promontoire que se partageaient les meneurs en temps d'Assemblée. Combien de réunions avaient bien pu accueillir ces lieux ? Combien de légendes ces chênes avaient-ils vu naître ? Il eut une pensée pour ses camarades qui avaient trouvé la mort la nuit de l'Assemblée Rouge. Des camarades qu'il n'avait pas connu, d'ailleurs.

Le vent tourna soudain, apportant au matou brun une effluve qu'il ne connaissait pas tant que ça mais qu'il reconnut cependant. Il se tourna, faisant face à la douce brise lorsqu'il miaula :

« Qui va là ? Je peux sentir votre odeur d'où je suis. »

Pour une fois, il n'accueillait pas l'étranger avec froideur. Pour une fois, Nuage d'Épervier n'était le garde de personne.

D'habitude, et hormis pendant les Assemblées, ceux qui vivaient sous le couvert des arbres de la forêt ne trouvaient pas d'intérêt à visiter les Quatre Chênes. C'est que leur intérêt prévalait le monde physique - c'était tout le contexte que les Clans leur attribuait, toute l'histoire qui coulait dans leur sève et toutes ces griffes qui avaient touché leur écorce qui faisait leur notoriété. Pour lui c'était un souvenir. Un souvenir imprimé sur son corps après l'avoir grimpé, avec une chatte de la Rivière, puis d'être dégringolé entre ses branches et d'avoir été giflé de toutes parts comme puni d'avoir (quasi) commis un autre interdit.

Il était sorti du campement, une grive en gueule, la tenant par la queue, pour se diriger clopin-clopant vers les Quatre Chênes. Le sol sur son chemin était humide et creusé de flaques d'eau - c'est car la neige avait fondu, pendant l'éclosion des feuilles nouvelles, et le trop-plein s'accumulait dans le lit de la Rivière et celui des ruisseaux et des cours d'eau. Lorsqu'une de ses pattes colla à l'herbe humide il en eut assez et troqua sa position par terre pour passer par les airs - inutile de se mouiller pour rien ou de traverser le creux de la combe sablonneuse à gué, les arbres étaient secs, sous le soleil, et les feuilles nouvelles étaient petites et souples et lui flattaient le dos comme une caresse à ses pas.

Il avait appris à Roux à grimper aux arbres avec lui pour lui enseigner les meilleurs chemins et les meilleurs raccourcis, et c'était Vipère Audacieuse qui s'était chargé de faire la pareille à Bec ; maintenant qu'ils se trouvaient des points communs ensemble, il se sentait devenir plus proche d'eux - même de Braise, celle à qui il avait enfin pu diagnostiquer son hypersensibilité sensorielle. Ardent, en revanche,... et il ne termina pas sa pensée car sa branche se stoppait devant un dégagé, obscurci par l'ombre commune des Quatre Chênes. Leurs nouvelles feuilles étaient remarquables - on voyait le ciel, au travers, chose impossible pendant les feuilles vertes où leur feuillage était si dense, comme une fourrure, qu'il raffraîchissait les lieux par leur ombre. Coup de Foudre se jeta en bas dans un slish et un slosh, sans perdre sa grive en gueule, s'assurant de lever sa queue derrière lui, poussé par le vent.

— « Qui va là ? Retentit une voix qu'il ne reconnut pas, et le bengale s'arrêta une seconde pour tourner la tête, se tendre sur ses pattes, et vaguement distinguer devant, à quelques longueurs de queue, un pelage au pied des racines des Quatre Chênes. Puisqu'il était contre le vent impossible de renifler quoi que ce soit. Je peux sentir votre odeur d'où je suis.

Le chat se tourna et ses yeux or croisèrent directement les yeux jaunes et brillants du charcoal qui le relança, un rire au bord des lèvres, l'insouciance dans le pas et la curiosité lui faisant pencher la tête:

— Ah oui? Et pas celle de ma grive? ~ »

C'est d'un chaleureux mouvement de la queue qu'il salua ce nouveau chat, s'approchant des quatre arbres sacrées en se sentant tout à son aise dans ces terres neutres où rien ne le forçait à sortir les griffes ou à attaquer à son prochain. Maintenant qu'il lui faisait face, il laissa son regard se perdre dans les tons de sable et de marron de sa fourrure. Au lieu d'être gris à rayures il était brun, avec sur son dos la racine d'une ombre qui s'étendait pour assombrir sa tête, ses épaules, ses cuisses et le début de sa queue. De discrètes rayures brisées à ses pattes. Médaillon blanc, comme le bout des pattes et de la queue. Vraiment, un très beau pelage.

En relevant les yeux :

— « Ah - de l'Ombre?

Nuage d'Épervier était sur la défensive; même si l'intonation de sa voix ne dévoilait aucune hostilité, il ne pouvait retenir son corps de se tendre, prêt à fuir ou à se battre jusqu'à ce que ses yeux trouvent l'étranger. Deux iris d'un jaune vif se plantèrent dans les siens, et alors un matou à la pelisse plutôt sombre s'extirpa avec grâce de la végétation, une grive pendant à sa gueule. Cette dernière d'ailleurs était étirée en un petit rictus rieur. Le mâle qui lui faisait face dégageait une tranquillité qui troubla le novice.

« Ah oui ? Et pas celle de ma grive ? ~ » fit l'autre.

Nuage d'Épervier souffla, se laissant contaminer par le sourire du félin aux yeux clairs. Il avait été si inquiet de sentir une odeur étrangère qu'il n'avait même pas fait attention au butin en question !

« Même pas ! » se surprit-il à avouer. « Cela doit faire de moi un piètre novice. » finissait-il lorsqu'il fut salué d'un signe de la queue.

Bien qu'il ne l'avouerait jamais, le fils de Cobra Royal était assez intimidé. Après tout, les nombreuses cicatrices qui trônaient sur le corps du guerrier adverse ne l'aidait guère à être plus à l'aise : venait-il de déranger un vétéran du Clan du Tonnerre en pleine chasse ? Il en mourrait de honte si c'était le cas.

C'est bien cette idée qui le fit tenir en place en silence alors que l'étranger l'inspectait du regard. Il se sentit soudainement évalué et se retint de gonfler le poitrail pour avoir l'air plus imposant ! Et puisqu'on le regardait ainsi, Nuage d'Épervier se laissa à son tour guider par la curiosité et se mit à balader son regard sur le corps musculeux du mâle charcoal. Oh, il était bien plus gêné et se contentait de coups d’œil furtifs, moins discrets qu'il ne le souhaitait mais cela lui suffit à trouver en ses marbrures sombres un joli pattern. C'est que l'autre était bien plus gros que lui, et semblait à son aise là où le corps du jeune Venteux ne pouvait complètement se détendre.

« Ah - de l'Ombre ? conclut le Tonnerreux de son inspection.
- Hmpf, non pas vraiment. Essayez encore si vous le voulez bien ? »

Il était quelque peu vexé. Tout ça pour le confondre avec un guerrier déjanté du Clan de l'Ombre ?! Le brun avait idée qu'il n'incarnait pas le profil type du chat des landes mais crotte de souris quoi, il avait hérité de ses parents un sang pur du Clan du Vent ! C'était presque une insulte à sa lignée.

HRP:

— « Même pas ! répondit l'autre chat quant à la grive que son nez avait manqué de flairer. Et il s'était exprimé avec une telle authenticité qu'il en raviva le sourire du bengale, tout attentif à la suite.

— Cela doit faire de moi un piètre novice.
— Un Novice! s'exclama Coup de Foudre en imitant sa surprise, comme si c'était inconcevable qu'un chat de cette envergure ait pu être autre chose qu'un guerrier.

Il l'évalua de haut en bas, de toute sa longueur, de la tête à sa queue, trouvant agréable les tons dans son pelage. N'importe qui serait arrivé à la conclusion que ces tons devaient directement lui venir du bourbier et des chats du Clan de l'Ombre mais son hypothèse fut reçue par un aussi authentique mécontentement :

— Hmpf, non pas vraiment. Essayez encore si vous le voulez bien ?
— Oh! fit le bengal dans sa bonne humeur. Il mouva sa tête pour doucement l'incliner contre son épaule, en se donnant des allures légères malgré sa prise en masse musculaire datant des dernières lunes. Ha haah, susceptible comme ça, je dirais... de la Rivière? ~ »

Le sourire qu'il décocha au "novice" courroucé se fit plus complice cette fois, un je-sais-que-tu-sais pour tenter de l'aider à se détendre un peu et lui faire comprendre qu'il ne faisait que le taquiner. Il n'avait pas les pattes palmées alors bien sûr qu'il n'était pas de la Rivière. Quant à s'il appartenait au Clan de l'Ombre, Coup de Foudre n'avait en tout rencontré que deux guerriers de ce Clan - la première, rongée par la maladie et la folie, l'avait confondu avec leur ancien chef ; le second était certes plus stable mais semblait vouer un culte à feu ce-dernier et s'entourer de chats qui lui ressemblaient alors, vraiment, qui sait?

Le Vent en revanche était consistué de tout ces chats vivant dans leur Lande, n'ayant rien de plus que leurs pierres ou leurs tanières pour se défendre des intempéries. Ils étaient des chats tendus et méfiants - il se rappelait Nuage du Vent, qu'il avait découvert après l'assaut, toujours sous le choc d'avoir vu la mort (et qui sait, d'en être responsable?), et il se rappela "Petit Serpent" qui avait pris quelques temps avant de se réchauffer à la familiarité du bengal. Heureusement tous les chats des Quatre Clans confondus s'entendaient sur une chose :

— « Tiens, attrape !

Après un élan de la tête, Coup de Foudre lâcha ce qu'il tenait pour lancer sa grive au Novice en gageure de bonne foi, trépidant sur place avec un ronron. Ce n'était pas Museau Bleu mais il n'était pas contre cet imprévu. Ça avait comme un parfum de neuf, et qui sait combien le neuf était amusant à découvrir et explorer.

HRP:

L'animal charcoal qui lui faisait face n'avait rien de l'idée que se faisait Nuage d'Épervier d'un vétéran ennemi : plutôt chaleureux, taquin, et incroyablement détendu. Elle était loin l'image du guerrier glacial, formel et inaccessible ! Bientôt d'ailleurs il n'y eut plus que le jaune terriblement vif de son regard qui troublait l'apprenti : il avait l'impression que l'on transperçait la maigre carapace sous laquelle il dissimulait maladroitement un fond de peur. Quelle drôle d'impression, et comme elle était désagréable pour lui ! Et à la fois... le sourire engageant de l'étranger lui induisait que tout se passait bien. Nuage d'Épervier ne voulait pas gâcher ce moment; voilà qu'il rencontrait enfin un matou qui venait d'ailleurs que du Clan du Vent et qui ne menaçait pas son territoire. De surcroît, le matou en question était poli et -il devait bien se l'avouer- plutôt drôle. Il ne fallait pas tout gâcher par son manque d'assurance. Il devait faire bonne impression également ! Ainsi à nouveau un sourire se glissa le long de ses babines lorsque son congénère feint la surprise. Le fils de Cobra Royal comprenait bien cette exagération mais une part de son ego accueillait l'idée de faire guerrier et non novice avec grande joie.

« Oh ! » poursuivait le bon comédien en inclinant sa tête. « Ha haah, susceptible comme ça, je dirais... de la Rivière ? ~ »

Il finit sur un large sourire complice : pas besoin d'un clin d’œil pour que Nuage d'Épervier se saisisse de cette perche et se détende. Appliqué à son tour à jouer il feint une moue boudeuse, il tourna vivement la tête, interdisant aux regards de se croiser et, dramatisant sa pose en fermant les paupières il miaula :

« Moi, sus-cep-tible ?! C'est une atteinte à mon sang de lapin !! » puis, la tête haute il se tourna de nouveau. « J'ignore si je saurai pardonner un tel affront. »

Deux petites secondes passèrent avant que l'apprenti-sentinelle ne s'extirpe de son rôle, plantant l'or de ses yeux dans ceux de l'étranger en oubliant combien leur teinte le troublait, tout sourire. Il voulait savoir s'il était aussi convainquant ! Cela dit, il était plutôt confiant sur cette interprétation de la drama-queen : il lui suffisait d'imiter Nuage de Myosotis, sa sœur-princesse -et ne vous méprenez pas, cet idiot se mettait au service de ses caprices sans mal.

« Tiens, attrape ! » lui intima l'autre en lui lançant sa prise plumée.

La pauvre, c'était son dernier vol. Et elle atterrit lourdement aux pattes du plus jeune, qui était resté planté là.

« Oh » laissa-t-il lui échapper en suivant la proie du regard, surpris. Mais le mâle typé bengal ronronnait : c'est qu'il ne blaguait pas ? « Je... Je ne sais pas si j'ai le droit... » poursuivit-il en fronçant les sourcils, comme s'il se concentrait.

Étoile Tropicale était strict sur ça : on ne pouvait tolérer dans le Clan du Vent qu'un membre fasse preuve de sympathie envers l'ennemi. Ce grand guerrier aux iris vifs ne serait vu que comme un potentiel futur intrus par son meneur, Nuage d'Épervier ne le savait que trop bien. Et en tant que future sentinelle, le mâle brun se devait d'être irréprochable en tout point, mais avant tout à ce sujet.

« Je ne crois pas que je puisse » conclut-il le cœur lourd, une pensée pour sa fratrie qu'il décevrait et risquerait de mettre dans une situation délicate en se comportant comme un idiot car les rumeurs allaient bon train au Clan du Vent. Et il était préférable de ne pas partager son sang avec un traître.

Il était peiné : son amicalité naissante, balayée d'un coup de patte par ses responsabilités.

Ce n'est pas de l'embarras qu'il suscita au novice en plaisantant à ses dépends. C'était encore mieux, car il renchérit:

— « Moi, sus-cep-tible ?!

Son miaulement avait été fort qu'il fit légèrement se tendre le bengal qui recula la tête...

C'est une atteinte à mon sang de lapin !! »

...avant d'être pris d'un fou-rire.

— « Ton sang de lapin!  il se tordit, manquant de près d'échapper sa grive pour tout de suite se pencher et la rattraper à la volée.

— J'ignore si je saurai pardonner un tel affront.
— hA  HA  HAH !! »

Un affront! Le novice avait vivement détourné la tête tout en exagérant une moue et le bengal ne put qu'applaudir à la prestation, caracolant sur place en tapant le sol humide de ses coussinets avant. Encore! Encore! Enfin quelqu'un avec qui jouer, enfin! Le talent reconnaissait le talent, même si le rôle du Bengal allait bien plus loin qu'un visage malléable. C'est donc à la fois piqué par la jeu, à la fois piqué par l'envie de s'en faire un allié qu'il lui envoya sa grive, mais le Novice n'eut aucun geste de l'attraper en plein vol. Alors la grive chut sans grâce à ses pattes, roulant sur elle-même, une aile repliée et l'autre à plat dans l'herbe mouillée. Un peu confus, le bengal tenta de relancer le novice d'un geste du menton mais son « Oh » ne lui dit rien qui vaille.

— « Je... Je ne sais pas si j'ai le droit...
— De manger une grive?  le taquina le guerrier, imitant son léger froncement de sourcil pour se faire aussi gentil que gentiment réprobateur.

C'est vrai, il en oubliait les coutumes de la Lande - c'est à dire leur obsession à patrouiller jalousement leur territoire (comme si quiconque avait envie de leur prendre ce petit bout de terre et d'herbe...!), à s'attaquer aux autres sans poser de questions (le mentor de Nuage du Vent avait sauvagement agressé Museau Bleu, elle lui avait dit) et à attaquer un Clan la nuit au beau milieu de son campement, oui, mais aussi à s'enfuir en prenant l'une de leurs guerrières en otage.

— Hm...

Il baissa d'yeux las sur sa pauvre grive délaissée, puis les remonta sur le novice qui semblait avoir fait le tour de la question autant qu'il avait tourné sa langue dans sa bouche:

— Je ne crois pas que je puisse.
— Ouais, il est un peu trop tard pour ça. »

Ce n'était pas un "je ne veux pas". Ce n'était pas volontaire - c'était la voix d'un novice qui se résignait aux lois de son chef pour ne pas s'attirer ses foudres. C'était un novice qui craignait mal-faire. Bien que son chef n'était pas ici il y avait bien la Foudre devant, qui pencha sa tête d'un côté, puis de l'autre, avant de se mettre en marche, haussant une épaule d'un frivole petit mouvement.

— « Ça ne fait rien.

Il se retrouva dans la bulle personnelle du novice d'un malin petit sourire, se penchant pour reprendre sa grive en bouche. Et comme si c'était la fin de leur échange il tourna les talons et la queue sans plus de ronrons ni mots, trottinant, les épaules basses, en direction de l'un des Quatre Chênes sacrés en ces lieux. Ni une ni deux il s'arracha du sol d'un bond et sortit les griffes pour fermement s'aggripper à son écorce, et à coups de reins et de tractions des bras et des cuisses il monta avec aise jusqu'à l'une de ses branches basses, où il se coucha, son butin en gueule.

C'est alors que de la hauteur, on l'entendit:

— « Oh nonnn mais qu'est-ce que c'est que çaaa...

Il en était à se frotter la joue contre sa branche, tout en y frottant la grive, puis en relevant le nez d'un mouvement circulaire il la lança en hauteur - elle monta en l'air pour un dernier-dernier envol, fit un tour sur elle-même, puis elle tomba à nouveau, allant choir en silence dans l'herbe en contrebas. Coup de Foudre poursuivit avec le même amusement dans son désabusement, tout en regardant en bas de sa branche:

— Une grive vient spontanément de tomber de cet aaarbre, incroyaaaable.

Pour prendre ses aises, signe qu'il n'allait pas bouger d'ici avant un moment, il recourba confrontable sa queue contre lui, posant le menton sur le dos de sa patte pour l'y appuyer et faire briller ses canines sur un nouveau sourire de connivence.

— C'est un présage des Étoiles, tu crois? ~ »

Nuage d'Épervier était ravi de voir l'étranger s’esclaffer face à son petit coup de théâtre : l'autre riait aux éclats, tapant le sol de sa patte tant le rire le bousculait ! Il sourit, avec beaucoup de sincérité. Il rit de bon cœur avec le mâle charcoal, pas peu fier de l'effet qu'avait son numéro sur son aîné. L'enthousiasme du moment et l'ambiance qui se créait fut malheureusement brisée l'instant suivant, avec l'épisode de la grive. Son regard s'était assombri. Cette décision le torturait, vraiment.

Son Clan, et sa vie dans les landes étaient pour ainsi dire toute sa vie. Il ne connaissait rien d'autre que ce paysage ponctué de roches, et d'un rien de végétation. Ça et le Chemin du Tonnerre. Ces quatre chênes massifs lui avait suffit à comprendre comme le monde était vaste et différent, ailleurs, comme il ne connaissait rien. Sans ce Clan, sans ces landes, il n'aurait jamais vu le jour, et il n'aurait jamais survécu à l'hiver. Ces lois qui régnaient lui avait permis de grandir en sécurité, de ne jamais connaître ni la faim ni la douleur. Et ces chats-là, ceux qu'ils croisaient quotidiennement dans le Camp : ils l'avaient nourri sans hésitation alors qu'il ne savait pas encore chasser, et ils avaient transmis leur connaissance à lui, comme à sa fratrie. Et sa fratrie alors... Il aimait tant chacun de ses frères et chacune de ses sœurs... Tout ce qu'il faisait pour lui, il le faisait pour eux, pour qu'ils puissent avoir un grand frère aimant, responsable et dont ils sont fiers. Se trahir, ce serait faire porter à ses amis et à sa famille le poids de la honte.
Mais cette pauvre grive, gisant ainsi, une aile sur le poitrail et l'autre jonchant le sol... Elle n'avait rien de dangereux, n'est-ce pas ?

« Ça ne fait rien. »

La voix de son congénère l'extirpa de ses pensées, et il se rendit compte qu'il avait été absent un court instant. Lorsqu'il revint à lui, le bengal ramassait le volatile, à quelques centimètres de lui. Nuage d'Épervier était atrocement gêné; il s'apprêtait à présenter ses excuses au mâle, de peur de paraître tout bonnement impoli mais son interlocuteur lui tournait déjà le dos et partait en trottinant.

Le brun eut envie de s'effondrer. Il avait fait fuir l'étranger. Il eut soudain un mépris et une rancœur violents pour cette stupide règle, et il serra la mâchoire pour s'empêcher de parler -il aurait de toute évidence crier quelque chose d'idiot. Lorsque le guerrier du Tonnerre fut franchement loin, Nuage d'Épervier regretta. Il n'y avait personne ici, personne d'autre qu'eux deux. Et soudain les discours de Nuage de Soleil lui vinrent en tête. Elle croyait que les étrangers étaient des semblables avant tout, et qu'il était stupide de les craindre ou de les mépriser. Épervier lui, venait de tirer un trait sur ce qui lui semblait être une potentielle amitié, ou au moins une entente, un moment de complicité ! Tout ça à cause de ces fichus responsabilités et des lois stupides d'Étoile Tropicale ! Nuage d'Épervier refourgua toutes ces peurs et cette tristesse à la colère. Il y arrivait bientôt lorsque tout à coup, le charcoal bondit. Il ne part pas !

Le plus vieux venait de commencer son ascension dans l'un des Quatre Chênes sacrés sous le regard surpris de la future sentinelle, laquelle s'avança immédiatement au pied de l'imposant arbre, en attente des prochains événements. Une fois sur l'une des branches basses :

« Oh nonnn mais qu'est-ce que c'est que çaaa... » d'un ton largement exagéré.

Et Nuage d'Épervier qui d'en bas assistait au spectacle : la grive morte, qui flottait juste en dessous de la branche. On ne voyait presque pas le pelage sombre du mâle dans l'ombre du feuillage : l'illusion était impressionnante. Le novice y aurait presque cru si le cadavre de la pauvre bête ne s'était pas écrasé si lourdement au sol -ça changeait de la grâce habituel des oiseaux.

« Une grive vient spontanément de tomber de cet aaarbre, incroyaaaable » continuait la voix en haut de l'arbre.

L'apprenti pouffa. « Incroya-ah-ah-ah-ble. » Ses idées négatives avaient été chassé par le numéro de l'étranger, lequel s'installait confortablement du haut de sa branche tandis que le plus jeune cédait au rire.

« C'est un présage des Étoiles, tu crois ? ~
- Ah mais peut-être ! reprit-il, plus vivace. Mes aïeux me condamnent-ils à dévorer cette pauvre grive tombée de l'arbre ?! » fit-il, prenant l'air d'un idiot illuminé.

Mais Nuage d'Épervier n'était pas complètement idiot, et il scruta les environs un moment pour s'assurer que personne ne le voyait.

« Hé, tu ne vas quand même pas me laisser manger tout seul une proie que je n'ai même pas attrapé, n'est-ce pas ? »

Il lui décocha un clin d’œil, cédant à la tentation.

HRP:

Ahh, voilà qui était mieux. Le sombre visage de l'apprenti aux yeux d'or s'éclaira d'un nouveau sourire et le bengal l'imita tout en inclinant doucement sa tête sur le côté, pas peu ravi que sa petite machination ait porté ses fruits. Comme prévu, le novice répondit à l'appât (et avec énergie):

— « Ah mais peut-être ! Il y avait cette vigueur, dans sa voix, qui donnait envie à Coup de Foudre de continuer à jouer les las joli-chats. Il trouvait le contraste intéressant - mais plus intéressant encore était de constater que le novice s'amusait presque autant que lui.

— Mes aïeux me condamnent-ils à dévorer cette pauvre grive tombée de l'arbre ?!
Sur sa branche, le tenteur tenta:
— Rien qu'une façon de savoir ♡ »

À l'aise autant en hauteur que dans l'obscurité, on ne voyait plus de lui que la couleur plus claire dans son charcoal, au travers de ses marbrures, ainsi que le reflet pétillant dans ses yeux. L'apprenti était sombre, lui aussi, mais sur l'herbe en vert de gris son beau pelage ne l'aidait pas à se camoufler. Il s'était comme rendu compte de sa position vulnérable car après réflexion, voilà qu'il jetait un oeil aux alentours pour s'assurer qu'ils étaient seuls. Il voulait garder leur rendez-vous à eux-deux? Préserver leur petit tête-à-tête?

— « Hé, tu ne vas quand même pas me laisser manger tout seul une proie que je n'ai même pas attrapé, n'est-ce pas ?

Coup de Foudre fit mine de ne pas s'en soucier, profitant que sa patte soit près de sa bouche pour y donner une longue lapée.

— Mm?  Pourquoi je suis impliqué dans cette équation? Il s'assied, poursuivant sa toilette jusqu'au coude d'un fluide mouvement avant de revenir à son épaule et retirer les copeaux d'écorce qui s'y étaient collés.

— Ce n'est pas moi qui est responsable des caprices de ce vieil arbre, ha hah ! Il se trahit d'un dodelinement de la tête, retenant un rire sous-cape, renvoyant son clin d'oeil à son interlocuteur en contre-bas.

S'il voulait partager cette grive, il allait ou bien devoir poursuivre le jeu de faire comme si, ou bien devoir marcher sur sa prétendue loyauté et faire tomber la façade. Toutes les options lui allaient - un peu trop, car sa queue s'était mise à se courber et à se recourber d'allégresse, portée par le jeu.

« Rien qu'une façon de savoir, répondit le bengal haut perché.
- Ah ? » l'apprenti comédien prenait un air étonné, exagérant à nouveau.

Mais lorsque le novice d'Éclair d'Argent invita l'inconnu à partager la grive avec lui, ce dernier fit mine d'être désintéressé. L'animal à la sombre pelisse se contenta de passer sa langue le long d'une de ses pattes antérieures.

« Mm ? Pourquoi je suis impliqué dans cette équation ? » Il marqua une pause, poursuivant sa toilette d'une façon qui parut théâtrale aux yeux du plus jeune. « Ce n'est pas moi qui est responsable des caprices de ce vieil arbre, ha hah ! »

Nuage d'Épervier arqua un sourcil, acceptant difficilement que l'étranger se fasse tant désirer, alors même qu'il avait pris la peine de mettre en place toute cette histoire de grive tombée du ciel. Le jeu était bien moins superficiel que ne l'imaginait le jeune mâle brun et alors, il lui fallut un petit instant pour se décider. Cette hésitation -et son trouble- étaient d'ailleurs visibles sur son visage : il était sorti de son rôle. Il s'y immergea finalement en prenant l'air d'un illuminé des Étoiles :

« Oh bien sûr que non, ha ha ! » Il reprit, imitant comme il le pouvait la folie dont les Lunar Pod faisaient preuve dans les histoires que racontaient les anciens. « Il n'y a que les Étoiles, rien que les Étoiles qui provoquent des choses pareilles ! Faire tomber les grives des arbres, voyons, un peu de logique, l'inconnu ! » Il fit rouler ses yeux, faussement agacé par la simple idée qu'un vulgaire chat puisse agir de la sorte. Mais il ne perdait pas son objectif de vue et reprit : « Si tu es là aussi, c'est que le Clan des Étoiles -et en personne !!- tient à ce que nous partagions cet oiseau. L'avenir de la forêt en dépend peut-être ! » Fin fier de sa prestation -qui était pourtant assez médiocre-, le jeune matou aux yeux dorés finit d'un ton plus léger : « Tu ne voudrais tout de même pas avoir le sort funeste de tes camarades sur la conscience, si ? ~ » Il sourit.

HRP: