Curieuse rencontre ft. Coup de Foudre - end

Futé, le novice!

À sa tête, il avait vite compris que même masqué derrière des détours de plaisanteries, le bengal attendait de lui un premier exemple de trahison, c'est à dire d'inventer une histoire qui rendrait légitime pour lui, du Clan du Vent, de partager une proie "tombée du Ciel" avec un ennemi du Tonnerre. Cette réalisation fit sourciller le novice, inquiet, puis lui fit baisser les yeux sur la grive car si une part de lui craignait le courroux de son chef (comme Nuage du Vent, qui avait participé à l'assaut contre son gré l'automne dernier), une autre avait été comme stimulée sa curiosité et lui avait donné envie de décrocher le Maître Chanteur de sa branche.

Ce-dernier n'avait cessé de l'observer, car il ne voulait rien manquer de - ah, ça y était: le novice se para à nouveau de son air théâtral, de toute cette exubérance qu'il singeait à grands et larges mouvements:

— « Oh bien sûr que non, ha ha !

Il n'y a que les Étoiles, rien que les Étoiles qui provoquent des choses pareilles ! Faire tomber les grives des arbres, voyons, un peu de logique, l'inconnu !

Le novice fit le tour du dessous des branches d'un exagéré roulé des yeux tandis que le guerrier, du dessus de la sienne, fit plutôt le tour des formes de son corps, ronronnant d'assentiment. Il dressa hautes ses oreilles, ses poils et ses moustaches au rebond, prêt à entendre quelle genre d'excuse lui sortirait le novice pour le convaincre qu'en effet, ils n'avaient d'autre choix que de manger ensemble!:

— Si tu es là aussi, c'est que le Clan des Étoiles -et en personne !!- tient à ce que nous partagions cet oiseau. L'avenir de la forêt en dépend peut-être !
— Oh nooon, pas l'avenir de la forêeeet.
— Tu ne voudrais tout de même pas avoir le sort funeste de tes camarades sur la conscience, si ? ~
— --Pfff       ha hah hah !
Une chose est sûre, il était mignon! Et il avait le nez fin.
— O.k. ♡

Il pouvait bien se permettre de jouer avec lui! Toute leur ambiance de faux-semblants l'inspirait, aussi le bengal consentit à se rouler sur le dos, sur sa branche, ventre au ciel, avant de se ramollir et laisser la gravité faire le reste ; lentement, aidé par la moiteur des branches au printemps et la rosée de sa fourrure, il se coula sur le rebord de la branche comme un fluide puis ne devint plus que cette masse ombreuse qui chuta du Chêne. Avant l'impact il se tendit de tout son long et replia ses antérieurs pour amortir la chute à quatre pattes, accroupi, retenir un nouveau petit ricanement avant de se dresser de toute sa hauteur devant le novice, ronron en gorge:

— Pour l'avenir de la forêt ♡

Il s'assied, sans prendre la peine de se retenir d'éclabousser l'autre l'avec l'eau qui s'accumulait dans les sols, acceptant de se salir et mouiller seulement en compagnie de quelqu'un d'autre. Et il se pencha aussi, pour offrir au novice du Vent la première bouchée en lui poussant l'oiseau, les yeux brillants - comme ça il ne pourrait pas se désister sous prétexte qu'il ne voulait plus manger après un guerrier du Tonnerre! « Pour l'avenir de la forêt », tsk - Si seulement...

Lancé dans son rôle, Nuage d'Épervier se félicitait des réactions de son unique public : l'étranger semblait séduit -du moins suffisamment pour qu'il ponctue la prestation de quelques commentaires enjoués. Et il n'avait pas fini de se réjouir puisque bientôt l'animal marbré cédait à son jeu, lui accordant alors une petite victoire d'un « O.k. » détaché -il s'en saisit avec enthousiasme !

Mais il allait de surprise en surprise; pour tout dire, Nuage d'Épervier n'avait plus la moindre idée d'à quoi il jouait. Une chose était sûre : il adorait ça, plonger dans la peau d'un autre. Et pouvoir se débarrasser de ses remords d'un claquement de queue comme il le faisait, il en aurait rêvé : adieu mes responsabilités, je ne suis plus moi, me voilà illuminé des Étoiles ! Sans même qu'il s'en rende compte, le novice commençait à associer cette sensation de liberté à cet inconnu sorti de nulle part. Il n'avait jamais pu s'évader ainsi avant lui ! Il finissait par laisser naître en lui une certaine admiration pour cet individu si... mystérieux et... accessible, à la fois ? Était-il trop tôt pour qu'il s'en sente reconnaissant ?

Le mâle le plus âgé finit par s'adonner à un tout autre numéro : une démonstration d'agilité. Et il en fallait peu pour impressionner le plus jeune, qui avait déjà observé un chat grimper à un arbre pour la première fois, quelques minutes auparavant. Alors d'en descendre avec autant d'aise et de grâce : il était choqué ! Toujours las dans ses mouvements, l'habile guerrier charcoal s'était laissé glisser de son perchoir, cela avant de se réceptionner sans un manque d'équilibre, toujours maître de son corps. Une telle maîtrise époustoufla le plus jeune, qui le laissa savoir plus qu'il ne le pensait en un « Oooh... ». Je vois.

Il était impressionné, vraiment. L'assurance qui se dégageait de l'inconnu le fascinait, assez pour qu'il souhaite le dissimuler en tous cas. Que se passait-il, là ? Pourquoi ses yeux se perdaient-il tant dans la démarche leste de son congénère ? Il avait l'impression de le voir flotter, impassible face à la brise, imperturbable.

« Pour l'avenir de la forêt... » souffla-t-il alors en prenant place.

Lorsqu'il fut éclaboussé, Nuage d'Épervier revint à la réalité et fit taire les questions qui émergeaient de son esprit. Et alors, son camarade du moment l'invita à prendre la première bouchée. Oh, quelle politesse. Il était observé par deux yeux jaunes brillants : le voilà mis à rude épreuve. Eh oui car dans les landes, on ne mangeait que très rarement de l'oiseau ! Lorsqu'une proie plumée arrivait sur la pile de gibier, elle était d'ailleurs souvent assez délaissée. Le brun avait appris à craindre les volatiles plutôt qu'à les chasser : on voyait bien plus de rapaces par chez lui que d'inoffensives grives comme celle-là. Embarrassé, et à la fois curieux d'en apprendre plus ainsi, il miaula à l'attention de son aîné :

« Hmmm... C'est qu'on ne chasse pas vraiment l'oiseau, par chez moi. » Il laissa transparaître sa gêne mais voulut se donner un peu plus de contenance en se réfugiant dans un énième personnage. « C'est sans doute ce que le Clan des Étoiles réclame ! Tête de Grive, il vous faut m'apprendre l'art de manger un volatile pour que la paix demeure dans la forêt ! »

Tête de Grive. Il ne pouffa qu'après avoir terminé sa phrase, mais il ne put se contenir. Tête de Grive ? Mais d'où lui venaient ces idées, ces improvisations ?! Tout ça pour impressionner un inconnu, pwahaha ! Cela dit, il ne pouvait nier que les touffes de poils qui jaillissaient des oreilles de l'étranger pouvaient bien jouer elles aussi aux ailes de grive, non ?!

HRP:

Il eut l'air... ennuyé. Peut-être qu'il ne s'était pas attendu à ce que le guerrier n'anticipe sa sortie de secours si rapidement? Non - non, ça n'y était pas, si vraiment le novice tentait de se désister il ne se serait pas revêtu de son rôle aussi facilement et avec autant d'enthousiasme! Alors le bengal se redressa un peu, l'interrogeant de son regard perçant, en inclinant la tête sur le côté. Pour l'avenir de la forêt, non? Il s'apprêtait à le piquer qu'il allait décevoir leurs ancêtres que le novice se flétrit juste un peu, avant d'avouer:

— « Hmmm... C'est qu'on ne chasse pas vraiment l'oiseau, par chez moi. » Les oreilles du bengal remuèrent à cette information, en se souvenant d'un Nuage de Vent maladroit qui avait cherché à chasser une grive, sur le Chemin du Tonnerre, la croyant morte. Elle s'était envolée tout de suite ensuite et l'avait pris par surprise.

C'est sans doute ce que le Clan des Étoiles réclame ! Enchaîna le novice. Tête de Grive, il vous faut m'apprendre l'art de manger un volatile pour que la paix demeure dans la forêt !

— Tête de Grive. »

C'était son nom maintenant? Il se trahit d'un petit remuement d'épaules tout en rentrant le menton pour retenir à tout son autre que son ronron de se former dans sa gorge, acceptant à nouveau de se pencher, pour poser le nez contre l'oiseau et doucement le pousser à se rouler sur le dos, dans l'herbe, exposant ainsi au ciel son petit gosier blanc à points bruns et l'intérieur de ses courtes ailes. Il jeta un regard vers le haut:

— « Si tu m'appelles Tête de Grive, c'est que tu as l'intention de me déguster? ~

Il envoya un coup de queue taquin au novice avant de prendre l'oiseau par son corps, et le mouvement lui fit ouvrir les ailes, quoiqu'un peu raides, comme si elle se rendait aux deux chats. Il la monta à la hauteur des babines du novice, expliquant au travers des siennes:

— Plante tes dents dedans et on tire - les plumes du duvet sont plus courtes que celles de leurs ailes, tu es assuré de trouver la chair en une bouchée.

Il fit glisser la grive de sa bouche pour concentrer ses dents sur une moitié de la cage thoracique, tendant l'oiseau à son nouveau camarade pour qu'il se charge de l'autre.

— N'empêche, c'est quand même amusant de savoir qu'à la Lande, vous ne mangez pas d'oiseaux! ♫

Qu'à la lande, c'était les oiseaux qui mangeaient les chats, et bien que le novice ait nommé un Chanteur le nom d'un oiseau-chanteur, il avait ce-faisant recouvert toute trace du rapace qu'il pouvait devenir... Ou tout de la Foudre, que faisait craindre l'orage aux oiseaux. Ils devaient être bien tristes, à la Lande, si la promesse d'un jeu avec un chat d'un autre Clan leur envoyait cette décharge d'excitation illicite. Nuage du Vent avait l'ouverture d'esprit d'avoir accepté une chatte du Clan de la Rivière comme sa Vraie Mère. "Petit Serpent" s'était tellement isolé dans ses faux-semblants qu'il avait cru que la familiarité du Bengal avec lui reflétait son ambition. Et maintenant ce novice, qui n'avait peut-être jamais joué à ouvrir ensemble une proie en deux...

— ...Prêt?

« Tête de Grive. » répéta l'autre alors que Nuage d'Épervier pouffait encore de rire.

Mais se remettant rapidement à la tâche, le guerrier du Tonnerre retournait déjà l'oiseau sur le dos, exposant le ventre de l'animal aux deux matous. Puis, relevant ses yeux jaunes vers le plus jeune, il taquina.

« Si tu m'appelles Tête de Grive, c'est que tu as l'intention de me déguster ? ~ » donnant une tape de sa queue au novice, lequel libéra un rire léger, encore loin d'imaginer consciemment d'éventuelles allusions sexuelles derrière cette remarque.

Finalement, l'habile inconnu qui répondrait désormais au nom de Tête de Grive se saisit du volatile éponyme et le présenta à son congénère au médaillon blanc, poursuivant avec ses instructions :

« Plante tes dents dedans et on tire - les plumes du duvet sont plus courtes que celles de leurs ailes, tu es assuré de trouver la chair en une bouchée. »

Le fils de Cobra Royal écouta attentivement, soudain dénudé de tout masque. Là, il était Nuage d'Épervier, cet élève sérieux et concentré, soucieux de bien faire. Même si la situation était follement amusante -bien plus que ses repas habituels pris en quatrième vitesse-, le mâle brun ne voulait pas décevoir son professeur improvisé.

« N'empêche, c'est quand même amusant de savoir qu'à la Lande, vous ne mangez pas d'oiseaux ! ♫
- Amusant, carrément ? » Il pencha légèrement la tête. Il était donc amusant d'être différent, autant que de jouer à changer de rôle ? « Dans la lande, on se méfie des oiseaux. Des récits de chatons ou de jeunes apprentis enlevés par des rapaces, il y en a à la pelle ! Ceux qui content les prouesses de valeureux guerriers face à ces monstres volants se font bien plus rares, en revanche... » Il réfléchit un instant, espérant que son congénère comprendrait. « Ils sont plus souvent nos prédateurs plutôt que nos proies. Enfin, cette grive ne ressemble en rien à ce que j'ai entendu des faucons ou des aigles ! »

Il se garda bien de révéler que son nom faisait justement référence à l'un des majestueux rapaces qui survolait très rarement les landes -les éperviers préférant chasser dans les bois. Même s'il était tenté de faire confiance à cet inconnu, le matou aux yeux dorés ne pouvait pas trop s'y risquer non plus. Manger avec lui, c'était déjà transgresser bien des règles...

« ... Prêt ? »

Il hocha la tête. Et doucement, alors que Tête de Grive lui permettait de saisir l'autre moitié de la poitrine avec sa gueule, la future sentinelle s'approcha de l'oiseau. Alors que ses vibrisses s'entremêlaient avec celle de son compagnon du jour, le jeune mâle enfonça ses crocs pointus dans la chair crue du volatile. Sa langue râpeuse rencontra rapidement un tas de petites plumes, mais il ne se démonta pas et tira avec vigueur sur la pauvre proie dont la viande céda sans trop de mal. Bientôt, le brun s'en tirait avec une touffe de plumes et de chair dans la gueule qu'il avait arraché de la carcasse.

Le plus jeune grimaça lorsque les petites plumes du duvet vinrent lui chatouiller la gueule et la gorge, dégustant la chair appétante avec moins d'entrain qu'il ne l'aurait cru. C'est que la viande était bonne, mais ces fichues plumes gâchaient tout !

« Et toi, d'ailleurs... » commença-t-il en souhaitant relancer la conversation. « Tu as déjà goûté du lapin ? »

Il ne réalisa pas tout de suite que si son nouvel ami lui répondait par l'affirmative, cela signifierait qu'il avait déjà chasser dans la lande ou bien partagé un repas avec l'un de ses camarades de Clan -ce qui était dans les deux cas totalement proscrit.

« Dans la lande, on se méfie des oiseaux. Des récits de chatons ou de jeunes apprentis enlevés par des rapaces, il y en a à la pelle ! Ceux qui content les prouesses de valeureux guerriers face à ces monstres volants se font bien plus rares, en revanche...

Ils sont plus souvent nos prédateurs plutôt que nos proies. Enfin, cette grive ne ressemble en rien à ce que j'ai entendu des faucons ou des aigles ! »

Et cette "Tête de Grive" ne devait ressembler en rien à ce qu'il avait du entendre des guerriers d'autres Clans ou de ceux du Tonnerre.

Sans méfiance (et surtout sans extravagance), le novice s'avança pour prendre sa moitié de la grive, frôlant de sa babine celle du Bengal et au signal ils rompirent l'oiseau d'une torsion qui l'éventra en deux. Ignorant le reste de l'oiseau qui tomba sans cérémonie à leurs pattes, Coup de Foudre se laissa porter par un petit ricanement en voyant son comparse reculer vivement la tête pour grimacer au duvet qui lui avait collé sur la langue, se gardant de lui dire que c'était comestible.

— Ha ha hah ! Amusant, carrément.

Il avala sa bouchée tout rond, tout ronron aussi, ondulant lentement sa queue dans les brins d'herbe moites où ils s'était assit. À leurs pattes, les ailes ouvertes et brisées la grive les invitait à prendre une autre bouchée mais Coup de Foudre n'avait d'yeux que pour le novice, et son premier échantillon de trahison:

— « Et toi, d'ailleurs, le relança le novice, cherchant à écarter ce petit intermède à darder de la langue ou tenter de la passer sous ses dents pour enlever les plumes qui y étaient collées, en vain. Tu as déjà goûté du lapin ?
— Ouaip, il répondit en ponctuant le tout d'un haussement las des épaules, comme quoi chez lui ce n'était pas grand chose, de partager une proie avec autrui.

— Durant les dernières feuilles mortes, sur le Chemin du Tonnerre, je raccompagnais un apprenti de chez toi qui s'était perdu dans la forêt. Maintenant je comprends mieux pourquoi il n'a pas réussi à chasser sa grive !

Il lui passa outre les détails de ce jour-là, par exemple qu'il s'agissait de la matinée après l'assaut du Clan du Vent dans le campement du Clan du Tonnerre dont Mirage du Désert avait malheureusement fait les frais.

— On crevait de chaud, de faim, on était de mauvais poil, mais une fois arrivés au premier bout de toute cette terre noire, Vent a repéré la carcasse écrasée d'un lapin. Il cilla et se redressa en se rendant compte que, « Oh-  plus qu'à manger du poisson et j'aurai goûté aux spécialités de tous les Clans, haha ! ♫ »

Il se coucha sur le ventre, autant pour se mettre à l'aise que pour se rapprocher de la grive, lui prenant une becquée succincte dans le trou qu'ils avaient ouverts dans sa toute étroite cage thoracique. Il posa le coude dans l'herbe, monta le revers de sa patte sous son menton pour s'y appuyer, l'air taquin:

— « Et toi Nuage de Lapin?  T'as déjà mangé de l'écureuil? ~

Bien sûr que non, il s'en doutait, mais après avoir mangé de la grive peut-être qu'il avait envie d'explorer ses goûts...

Nuage d'Épervier ne s'étonna pas trop lorsqu'il entendit le rire du guerrier charcoal retentir : il se doutait qu'à la place de l'intimidant mâle, il rigolerait aussi d'un apprenti surpris par des plumes. Cela devait être habituel pour le matou du Clan du Tonnerre, aussi n'avait-il sans doute jamais vu un chat déformer à ce point son faciès après une simple bouchée. Il ne se vexa pas non plus, lorsqu'il croisa le regard plein de malice de son aîné, mais il se sentit honteux un instant, d'être ce novice idiot et bêtement ahuri. Le brun dissimula son insécurité derrière un sourire mal joué, cette fois. Admettre à travers ce rictus qu'il avait l'air benêt ne lui donnait aucune assurance supplémentaire -assurance par ailleurs qu'il avait du mal à trouver dans la fourrure sombre et les yeux vifs de son impressionnant voisin.

Heureusement, l'initiative dont il avait fait preuve porta ses fruits, et le matou aux oreilles fournies suivit sa relance :

« Ouaip » miaula-t-il, un peu blasé au goût du plus jeune. « Durant les dernières feuilles mortes, sur le Chemin du Tonnerre, je raccompagnais un apprenti de chez toi qui s'était perdu dans la forêt. Maintenant je comprends mieux pourquoi il n'a pas réussi à chasser sa grive ! On crevait de chaud, de faim, on était de mauvais poil, mais une fois arrivés au premier bout de toute cette terre noire, Vent a repéré la carcasse écrasée d'un lapin. »

Vent ? Les oreilles du fils de Cobra Royal frémirent à ce nom et alors que son esprit était assailli par une ribambelle de questions, il fut momentanément déconnecté de ce qui suivit. C'est que le mâle sombre avait un certain charisme qui l'hypnotisait, mais il semblait plus important au novice de comprendre qui avait commis l'erreur, qui avait défié l'interdit comme lui en ce jour. Nuage des Vents ? Caresse du Vent ? N'était-ce qu'un nom anonymisant comme l'était Tête de Grive, une blague restée ancrée ? Ou bien, était-ce justement Tête de Grive qui usait du nom de son Clan pour protéger ce petit privilégié ?
Réfléchis. Un apprenti, durant les dernières feuilles mortes. Cela ne pouvait être Nuage des Vents, c'était une fille, et elle n'était pas encore nommée novice à ce moment. Quant à savoir s'il s'agissait d'un pseudonyme...

« ...age de Lapin ? T'as déjà mangé de l'écureuil ? ~ »

L'autre le regardait, taquin, allongé dans l'herbe, le menton appuyé sur le revers de son antérieure. Le fils du lieutenant se retrouva dans une improvisation improvisée et il sentit rapidement le rouge lui monter aux joues. Il n'avait pas suivi, ne savait pas quoi dire, avait peur de répondre à côté. D'une voix moins assurée qu'avant, il répondit simplement :

« Euuuh non. Ja-jamais. »

Un petit silence suivit. Il hésitait.

« Dis, Tête de Grive... » Il tenta de fuir le jaune aveuglant de ses yeux, promenant son regard sur la carcasse de l'oiseau éponyme. « Ce chat du Vent dont tu m'as parlé... à quoi il ressemblait ? Il était roux, c'est ça ? » Ses iris dorés retrouvèrent les éclairs du plus vieux, en quête de vérité.

Il n'avait pas l'intention de dénoncer son camarade. Pour dire vrai, à ce moment, il n'avait pas de réelles intentions : il avait cette vilaine curiosité, l'envie de savoir qui mentait si bien et qui osait défier les lois du Vent. Mais il se ravisa soudain.

« Écoute, je-je ne veux pas savoir. Il ne le faut pas. C'est mieux si je ne sais pas mais » Il marqua une pause, le cœur palpitant. « ... ne parle pas de moi à personne s'il te plaît. Et tu ne devrais pas parler de tes rencontres au Vent si tu leur souhaites du bien. » L'animal se recroquevilla légèrement, réalisant tout le danger que cette rencontre provoquait. Assis, la queue entourant ses pattes, il finit. « C'est dangereux. »

Pour toute preuve de son anxiété soudaine, la queue de l'apprenti se mit à gigoter devant ses pattes aux chaussettes blanches. Il faisait une bêtise. Une grosse bêtise.

— « Euuuh non, lui répondit son Nuage de Lapin comme s'il était sorti de ses songes, Ja-jamais.

Là aurait le moment idéal pour lui sortir un « Tu en aurais envie? » avec le même air solliciteur qu'un pusher mais de le voir aussi embarrassé, et d'entendre ses mots se foncer dedans en sortant de sa bouche, Coup de Foudre jugea judicieux de l'épargner un peu. Quelque chose semblait tracasser le novice alors il se tut pour lui laisser tout l'espace de retrouver son courage et d'à nouveau lui poser ses questions qui lui semblaient si difficiles à formuler:

— « Dis, Tête de Grive...
— Mmm?    Lapin regardait l'oiseau par terre, et l'Oiseau regardait Lapin.
— Ce chat du Vent dont tu m'as parlé... à quoi il ressemblait ? Il était roux, c'est ça ? »

Lapin leva ses yeux sur les siens et Coup de Foudre lut dedans un éclair de peur y briller, ce qui lui fit, très légèrement, lever son menton de sa position sur le revers de sa patte, son sourire s'affaissant. Alors lorsque le novice scruta dans ses yeux électrique la vérité qu'il y avait cachée, ces mêmes yeux électrique scrutèrent les siens pour lui renvoyer en silence sa question et la légitimité de celle-ci. Coup de Foudre inclina le menton vers le bas et occulta tout le reste - la grive, les Quatre Chênes, le son que faisait leurs branches en se berçant au vent, leur situation politico-sociale à l'instant - il ne voyait plus que le novice. Et le novice se ravisa aussitôt:

— « Écoute, je-je ne veux pas savoir. Il ne le faut pas. C'est mieux si je ne sais pas mais, et il se tut une seconde, ou deux, et son médaillon de blanc à son poitrail brinquebala car il renfermait son coeur qui pressait son rythme derrière. ... ne parle pas de moi à personne s'il te plaît. Et tu ne devrais pas parler de tes rencontres au Vent si tu leur souhaites du bien.

Il ne riait plus autant, ne faisait plus autant semblant, se murant dans une panique qui parut presque alienne aux yeux du bengal qui s'était inconsciemment mit à ronronner devant cette démonstration pure de réactivité.

— C'est dangereux.
— O.k.

À mille lieues de cette anxiété le bengal haussa les épaules, sourire indifférent mais où on pouvait y lire un indice de bienveillance dedans:

— Si tu trouves que c'est dangereux, détends-toi, je ne dirai rien. Il reposa son menton sur l'arrière de sa patte, ondulant sa queue derrière en la recourbant avec une infinie lenteur à ses postérieurs. Il entrouvrit ses babines sur ses canines: Vraiment, un secret de plus ou de moins, ça m'est égal ♡

Il ne savait pas son nom, et le novice non plus, et pourtant il avait passé un très bon moment à jouer avec lui! C'était difficile de s'imaginer que de jouer de cette façon et de manger une grive ensemble était interdit. C'était plus difficile encore de s'imaginer de devoir souffrir de punitions à cause de ça. J'ai dit difficile? Je voulais dire absurde.

— De toute façon cette grive est un cadeau des Étoiles, tu te rappelles? L'avenir de la forêt, Lapin, l'avenir de la forêt !

Ha haaaa   hah_-ha-hah ! ♫

À son opposé, le bengal, couché devant lui, léger et insouciant, assumait toutes ses bêtises, grosses ou petites. Il lui ouvrait une fenêtre par laquel entrevoir un monde où les tabous entre les Clans étaient abolis et où ne reignait que la bonne entente. Ça donnait envie, pas vrai? Un monde où la Guerre n'était limitée qu'aux jeux et à évincer les territoires des dangereux prédateurs qui rôdaient autour. Où il était possible d'échanger une grive, avec une Tête de Grive, à l'ombre de l'un des Quatre Chênes où ils avaient de toute manière la tradition de se rassembler à chaque Pleine Lune.

Ils n'enfreignaient rien, en ce moment, quoi que le Clan du Vent en dise. Et quoi que le Clan du Vent en dise il se doutait que personne, là-bas, n'aimait s'isoler autant, n'aimait craindre tous les autres chats et n'aimait renoncer parfois entièrement à leurs valeurs simplement pour "protéger" une ou deux frontières. On avait tous vus où la Loyauté en avait mené certain/es. Il n'échappait pas aux yeux de Coup de Foudre que la poignée de chats des Landes qu'il avait rencontrés brûlaient tous d'envie de jouer un peu, de se détendre un peu, et de rentrer les griffes.

HRP:

L'étranger se montra conciliant, acceptant sans broncher de ne jamais parler de Nuage d'Épervier à qui que ce soit. L'apprenti brun souffla un bon coup -il n'avait pas été piégé, au moins. Mais même si Tête de Grive le rassurait, il semblait être bien loin d'imaginer l'ampleur que pouvait prendre cette entrevue pour son camarade du Vent. Toujours étendu dans l'herbe tel un pacha, le mâle charcoal n'eut guère de peine à avouer à l'autre que :

« Vraiment, un secret de plus ou de moins, ça m'est égal »

Cette affirmation troubla -une énième fois- le novice au médaillon blanc. Comment ça, un secret de plus ou de moins ? Le jeune perdit pied; décidément cet étranger lui retournait la tête ! Mystérieux, habile tant avec son corps qu'avec ses mots, détendu et contagieux; une vague de charisme s'abattait sur le pauvre Nuage d'Épervier qui était pourtant assez confiant d'ordinaire. Mais là, sous ces orbes vives qui servaient d'yeux à l'autre, il se sentait petit, impuissant et vraisemblablement charmé. Tête de Grive inspirait méfiance et fascination; mais tentation plus que tout aujourd'hui.

« De toute façon cette grive est un cadeau des Étoiles, tu te rappelles ? L'avenir de la forêt, Lapin, l'avenir de la forêt ! » fit l'étranger avant de rire aux éclats.

Nuage d'Épervier rit aussi, avec moins d'entrain. Il réalisait toute sa faute, et à quel point maintenant son destin pouvait être mis à mal. Son sort était, d'une part, entre les pattes de ce beau typé bengal. Un guerrier du Clan du Tonnerre. Alors oui il rit, mais il était plus nerveux que franchement amusé. Elle était belle, l'excuse qu'il s'était donné pour s'autoriser une telle discussion avec le matou sombre, mais Étoile Tropicale n'en aurait rien à faire : seule sa conscience avait été capable de s'en servir et de façon éphémère pour s'excuser.
Lorsque les rires se dissipèrent, Nuage d'Épervier porta son regard vers l'horizon, là où s'étendait le territoire du Clan du Vent. Puis, il posa ses yeux dorés sur son nouvel ami.

« Il commence à se faire tard... » constata-t-il à haute voix. « Je vais devoir y aller, Tête de Grive. » Il marqua une pause avant de s'oser. « Tu penses qu'on se reverra ? ... bientôt ? »

HRP:

Tiens, peut-être qu'après avoir partagé leur grive, il pourrait enseigner à son Lapin comment grimper un arbre? Peut-être qu'il pourrait éviter son campement, un moment, et se laisser traîner près des Quatre Chênes pour offrir à tout passant qu'il soit le don duquel son Clan ne profitait qu'à peine? L'idée le fit sourire, véritablement, car dans toutes ces histoires de faux semblants et de secrets, les relations et les liens qu'il tissait avec tout ces chats d'ailleurs n'en étaient pas pour autant inconséquents. Après tout, c'est en voulant recroiser Museau Bleu qu'il avait croisé celui du très joli novice.

Et le très joli novice regardait ailleurs, comme en contemplation de l'horizon, sans doute car il se rendait compte que la vie ne se limitait pas seulement qu'à l'herbe de sa Lande.

— « Il commence à se faire tard...

Ou qu'au contraire, sa Lande poussait non plus seulement sous ses pattes mais au travers, et le tirait à retourner parmis ceux de son Clan.

— Je vais devoir y aller, Tête de Grive.
— T'es sérieux? maugréa le bengal, mécontent de ce constat. Et lui apprendre à grimper dans un arbre, alors?
— Tu penses qu'on se reverra ? ... bientôt ?

Les oreilles du guerrier se redressèrent un peu par surprise. Et il sourit, se moquant de lui-même. Oui, il s'était un peu joué de son Lapin mais son Lapin aussi s'était joué de lui! À se prendre au jeu et dans les rôles et dans leurs blagues - il avait du au moins désherber un peu de l'emprise qu'avait la Lande et ses Lois sur lui. Alors il recourba sa queue - signe de ravissement - et sans lever l'arrière-train, se hissa sur ses avant-mains pour atteindre le front du novice du sien et l'y coller, posant son regard au sien afin de rivaliser sa nervosité de toute son espiègle confiance:

— Ça va dépendre de toi ou des Étoiles, non? ♡ »

Il raidit son dos pour presser plus fort contre lui, comme s'il voulait imprimer son motif en forme de coeur brisé sur le front de son camarade et le repousser en même temps.

— « Ha-hah, file, Nuage de Lapin! »

HRP:

La réponse du typé bengal ne se fit pas attendre. Vraisemblablement déçu de voir le novice brun lui échapper, le guerrier lâcha : « T'es sérieux ? ».

Sérieux était probablement l'un des adjectifs qui qualifiait au mieux le fils du lieutenant du Clan du Vent. Oui, il l'était encore même après avoir passé son temps à jouer la comédie auprès de cet étranger. Il le demeurerait sans doute aux yeux du mystérieux inconnu d'ailleurs : il avait des responsabilités, après tout. Tout ce qu'il savait de la vie, il le devait à son Clan. Il ferait un matou ingrat en décidant que tout à coup sa loyauté irait à ces étranges pulsions de vie qui l'amenaient à espérer revoir le sombre mâle du Tonnerre.

Un léger sourire déforma sa gueule un instant. Il coula un regard fatigué mais amusé à son aîné, une espèce de Quoi d'autre ? rabat-joie mais assumée. Il était sage de rentrer maintenant, il le savait. Et pourtant, il se serait bien allongé avec le grand félin charcoal, tirant des leçons de sa vie qui semblait bien plus mouvementée que la sienne. Oh oui, il avait envie de le revoir, d'échapper aux griffes impassibles des responsabilités...

« Ça va dépendre de toi ou des Étoiles, non ? »

Il souffla bruyamment, un rire muet. Sa langue suppliait qu'on réponde au joli matou mais son cerveau le reprit. Il ne pouvait pas s'éterniser, et encore moins pour dire au revoir. A la place, il s'apprêta à partir en vitesse afin d'éviter le doute et de ne pas succomber à la tentation, pas encore. Mais Tête de Grive se redressa, demeurant assis pour presser son front contre celui du novice. Plongeant le jeune vif dans l'or de son cadet, l'étranger troubla le plus jeune qui se raidit. Il n'était pas prêt, ni pour pour cette proximité, ni pour l'obligation qu'il avait à présent d'affronter la pleine espièglerie de son homologue. Ce dernier d'ailleurs finit par appuyer son front avec plus de vigueur avant de libérer le malheureux d'une phrase :

« Ha-hah, file, Nuage de Lapin ! »

Puis ils se séparèrent. Le plus jeune ne répondit pas : il était bien trop troublé pour permettre à sa gueule d'échapper quoi que ce soit. Il accorda un dernier regard à l'inconnu sombre qui transpirait d'incompréhension. Pourquoi un tel au revoir ?

HRP: