Premier Cours de Drague! [feat. Oeil du Tigre] - end

Le vaste champs de fleurs à ciel ouvert sur le territoire du Clan de l'Ombre, les grands bouleaux blancs qui se trouvaient sur la berge voisine côté du Clan de la Rivière, le crique et la grange en aval de cette-dernière lorsqu'il avait été emporté avec Étoile d'Or... Peu importe où il se trouvait - et peu importe la menace du danger de s'y trouver - il se sentait toujours mieux ailleurs que dans la forêt de son propre Clan. Il espérait secrètement que Secret du Firmament n'accepte son offre de l'escorter en dehors du territoire pour l'accompagner durant ses cueillettes (et pour une rare fois, consolider ses sorties au règles du Code du Guerrier). Mais le temps passait, aujourd'hui, et même dans la hauteur des arbres, le vertige habituel n'était pas suffisant pour le divertir - il grommela. Sa queue fouetta l'air - d'un côté pour chasser l'indice d'irritabilité qui lui venait de son ressentiment à l'égard de Raton-Laveur (c'est qu'il était récemment devenu Lieutenant...), d'un autre pour chasser celui qui lui venait de Graine de Tournesol.

Le problème, quand on souffre d'une addiction, c'est la conscience du manque qui nous afflige ensuite. Et les griffes dans sa branche, le bengal sentit les follicules de ses poils se relever juste un peu, juste assez, pour trouver le manque aussi désagréable qu'envahissant. Il tiqua d'une oreille, souffla par le nez : bon c'est décidé, il avait besoin de bouger. Il se jeta en bas et trottina vers le campement, serrant son allure en perdant un peu les airs décontractés dont il se revêtait habituellement. Le campement était toujours le même - toujours les mêmes chats mais toujours agencés différemment afin de permettre à chacun d'établir des liens avec tout le monde, au lieu de, disons, s'en tenir à un très... petit... réseau d'am -- mmmmrraaah sa queue fouetta l'air à nouveau, pitié, une distraction- Tigre!

Oeil du Tigre. S'il voulut d'abord se précipiter vers lui avec le sourire soulagé d'avoir enfin trouvé de quoi tuer la journée qui ne nécéssitait ni de jouer les amis ni de jouer les amants, il cilla en se rappelant aussitôt qu'il n'entretenait pas la même... "proximité", avec Oeil du Tigre. Il solicitait son temps purement par chantage et s'en rappeler l'ennuya, mais, les choses étaient ce qu'elles étaient, il était un peu trop tard pour lui faire « helloo~ je suis si désolé de t'avoir fait chanter et d'avoir testé ta réactivité la dernière fois, j'ai juste besoin de compagnie aujourd'hui » aussi il s'écrivit quelques notes dans un coin de son esprit en se coulant vers le guerrier, ses rayures, et son oeil borgne:

— « Oeil du Tiiiigre, c'est l'heuuure ~

Quelle heure? Aucune idée. Mais il laissait toujours les autres terminer ses pensées à sa place. Les faire chanter les rendait aussi prévisibles quant à quoi.

À en témoigner par le tic qui agita l'oreille déchirée du chat borgne, le ton fluet l'avait irrité comme prévu. Bien. Après un court instant de latence, Oeil du Tigre réagit toutefois à la menace qui planait derrière cette invitation à s'éloigner des oreilles indiscrètes, mais il n'oublia de rappeler à Coup de Foudre toute l'amplitude de son inflexibilité:

— « On t'as pas appris à saluer en prenant la parole gamin ? Et parles moi mieux que cela, j'suis pas ton novice mais bien ton aîné, stupide gosse.

Quoi qu'un peu surpris par le tranchant de cette langue sortie de nul-part (il croyait Oeil du Tigre plus effacé que ça) (... et maintenant il songeait à cette langue dans un autre contexte) il accepta cet effort de vigueur avec un gloussement, un sourire, se moquant de l'appelation qu'il lui avait donnée:

— Stupide gosse. »

Ses chatons avec Étoile de Suie étaient bientôt en âge de passer leur baptême de guerriers, et ceux avec "Nuit Hivernale" se dévelopaient à vue d'oeil. Lui-même touchait bientôt à sa taille adulte, sans parler de toute la masse musculaire qu'il se développait en vadrouillant et en multipliant les aventures - bordel, vraiment impossible de penser à autre chose en ce moment...! Il eut un petit rire pour signaler à Oeil du Tigre qu'il ne prenait ni sa menace au sérieux, ni sa tentative d'insulte. Plutôt il la lui renvoya, en haussant haut les sourcils, se tournant à demi pour toujours marcher devant mais en se disposant en pas de chassé:

— « Je vois qu'on a commencé à appliquer la première leçon, ha hah!

Il se tourna complètement pour marcher à reculons, tendant loin sa queue derrière en guise de pole à obstacles - il ne foncerait dans aucun arbre et ne trébucherait pas sur ses pattes, il était concentré, malgré ses airs légers:

Ce "stupide gosse" t'offre l'occasion rêvée de te partager sa jeunesse, papy, mais si tu as envie de te morfondre...

Ah non, "papy" ça ne marche pas, pour ça, il faudrait que tu ailles des petits...!

Toujours aussi imperturbable... C'est qu'il en connaissait, des chats qui regrettaient de n'avoir jamais eu de descendance (coucou Boubouc), il avait assumé qu'il s'agissait du cas d'Oeil du Tigre mais, plutôt que d'avoir réussi à l'effaroucher, il semblait l'avoir surpris - ce qui le confondit. Coup de Foudre tiqua de son oreille et pencha la tête de l'autre côté, sans se rendre compte qu'il laissait son corps s'exprimer à sa place.

Quelque chose d'autre avait fait se stopper Oeil du Tigre et sans réponse à ses questions et démangé par la sensation de passer trop de nuits tout seul dans sa tanière secrète le Bengal sentit sa patience se faire gruger comme une dépouille à la merci d'asticots. C'est... C'est tout? Il sourcilla. Pas de retors? Ou peut-être Oeil du Tigre avait besoin de réfléchir avant de répondre? (absurde)

Coup de Foudre tenta de se retourner prudemment, marquant sa volte d'un large mouvement de la queue, jetant un regard autour en montant hautes les pattes dans les herbes moites pour s'assurer qu'il n'y avait personne ici pour les surprendre. ...C'était plus à la discrétion d'Oeil du Tigre qu'à la sienne, remarque, et remarque que la rumeur qu'il faisait chanter Tigre (enfin pas que lui, beaucoup d'autres noms aussi, par principe de cacher un arbre dans une forêt) s'était tranquillement induite dans les conversations de tout les jours alors il n'y avait vraiment rien à craindre et--

Justement. Justement, il n'y avait rien à craindre, alors pourquoi saturait-il son esprit d'autant de questions et d'observations désuètes? Le borgne derrière s'était arrêté à un arbre et le bengal sautilla sur ses pattes pour se retourner et l'interroger du regard, aussi curieux qu'amusé. Il n'irait pas plus loin? --Vraiment, qui menait qui ici?

— « Les gosses ne sont que perte de temps, je me charge d'en entrainer certains et je n'ai aucunement envie d'avoir une descendance en regardant certains paternels.
Coup de Foudre rebondit de la tête et des moustaches, avant de se pencher pour rire sous cape:
— Ha ha hah, ouch ! ♡ »

Le comble de l'ironie aurait été de savoir que Tigre avait eu la responsabilité d'entraîner un de ses fils mais bien sûr Coup de Foudre n'en savait rien.

— « Trêve de bavardages futiles je ne suis pas ici pour perdre du temps, il pourrait très bien m'être précieux pour tout autre chose. Dépêches-toi seulement.
— Eh bé, droit au but. »

Oeil du Tigre semblait prendre plus d'espace qu'il en prenait avant, et il restreignait Coup de Foudre de s'approprier le contrôle de la conversation. C'était imprévu, mais il aimait les imprévus, il savait y faire (d'habitude)(quand il était calme) mais tout irait bien alors il consentit, lui aussi, à aller droit au but:

— « - Ahem -  Tu te souviens de Douces Caresses? Et tu te souviens à quel point tu étais pathétique devant les compliments qu'il te faisait?

Mon cher Titig- il s'interrompit, tiqua de la langue et de l'oreille, et reprit:  Oeil du Tigre, le charme n'est pas quelque chose qui se "dépêche"! »

Par mimétisme, il s'assied dans la clairière avec son élève (quoi qu'il en dise) et le relança d'un geste succinct du menton.

— « Bon.   Exercice de revalorisation personnelle : verbalise trois choses que tu aimes à ton sujet. Ton sens moral tes valeurs tes traits physiques on s'en fout, tout ce qui compte c'est qu'elles viennent de toi.

Un sourire encourageant, et il fit même mine de tenter de se lever - mais c'était pour aider à sa queue d'arrêter de s'agiter derrière et plutôt la recourber vers l'avant, à ses pattes. Le bout s'agitait encore et il dut l'applatir sous ses coussinets. Stupide corps. Stupides Pulsions. Stupide Manque - Stupide Gosse.

La fermeture d'esprit d'Oeil du Tigre était pour le moins intrigante: c'était comme si, pour lui, se retrouver dans une situation d'apprentissage était insupportable. C'était à se demander si sa période Nuage s'était bien passée... Ce n'était pas tout le monde qui avait pu bénéficier des rigoureux entraînements de Renouveau Printanier. Personne ne savait tout de la vie. On pouvait toujours redevenir l'apparenti de quelqu'un quelque part.

Aux yeux du Bengal, Oeil du Tigre stagnait - dans ses pensées, dans ses préconceptions ("stupide gosse") et en s'entêtant à rester seul dans son coin sans oser approcher les autres. Il lui avait dit, non? Il voulait le voir réussir. Lui aussi voulait réussir - malgré son impatience, Coup de Foudre savait qu'Oeil du Tigre représentait tout ce qu'il essayait de réformer dans les Clans, c'est à dire le Statut Quo, c'est à dire ceux qui croyaient mieux savoir que lui à cause de leur âge (et leur prétendue "expérience", ha! Il avait batifolé avec un Léopard), c'est à dire ceux qui ne s'arrêtaient jamais pour réfléchir à leurs actes ou à eux-mêmes et qui s'empêchaient de changer. Pour quelqu'un de très renfermé, Oeil du Tigre lui semblait incapable de faire de l'introspection, d'où ce premier échauffement.

Comme le silence plana dans la clairière frisquette, sous les arbres, Coup de Foudre en profita pour se tordre dans sa position assise et se gratter vigoureusement l'oreille guérie, avant d'aussitôt tendre le cou pour passer sa langue râpeuse sur les extenseurs de sa patte, contournant son tendineux jarret à quelques coups de dents. Et pendant ce temps, Tigre sortit de son mutisme:

— « Imperturbable, juste, honnête.

Coup de Foudre se gratta davantage en accelérant le mouvement, avant de poser la patte et se secouer. Il hocha la tête:

— ...Imperturbable, juste et honnête. »

Ces trois mots firent comme écho dans le vent, et il laissa le silence les peser davantage sans les répéter à nouveau. Il offrit un peu de répit à son élève, visant à un peu atténuer sa mauvaise foi, puis il poursuivit:

— « Ces trois mots viennent de toi, ce qui signifie que ces trois mots décrivent comment tu te qualifies. (Il se redressa) Analysons, maintenant : se dire imperturbable, c'est se savoir doté d'un sang froid et d'une répartie importantes en gestion de crise.

Ceux qui se disent justes jugent les actions et celles des autres en se conformant à un Code - j'en déduis que tu es un fervent prêcheur du Code du Guerrier?

Quant à ceux qui se disent honnêtes, ils se savent capables de trancher les vérités même les plus difficiles. Mais l'honnêteté n'est pas à sens unique : ceux qui sont honnêtes sont aussi capables de s'admettre leurs lacunes.  Mais toi?  Toi, tu es trop têtu.

Il le relança du menton.

— Si tu revoyais Douces Caresses devant toi, à l'instant, qu'est-ce que tu lui dirais? Si tu n'as pas envie d'avoir une progéniture car selon toi c'est une perte de temps, soit, alors qu'est-ce que tu veux? (Il se gratta l'oreille guérie à nouveau.) Du sexe?  T'apparier?  Une amie?

Une touche, si on comparait ses échanges habituels avec Oeil du Tigre. Il ne fut pas piqué de réactivité mais plutôt piqué à réfléchir, la question de Coup de Foudre lui reflétant quelque chose qu'il se cachait et qu'il se refusait sans qu'il ne s'en rende compte. Coup de Foudre le vit lever le nez au ciel, au travers du feuillage neuf des arbres, aussi il l'imita, la patte toujours en l'air, suspendu dans son mouvement, cherchant à lire dans les nuages la même chose qui sembla captiver son élève un moment.

Il ne le connaissait pas assez pour deviner ses pensées - et de le remarquer l'irrita, expiant l'émotion par rien d'autre de plus qu'un tic de son oreille saine. Lui, ce qu'il voulait, c'était sans équivoque : il aimait coucher. Il aimait partager son corps avec ceux qui aimaient partager le leur. Il aimait l'effervescente d'une nuit ou d'une matinée (ou d'un après midi, même, qui sait!) à s'adonner dans un déferlement d'hormones, de dopamine et s'engourdir ensuite dans les endorphines. Il atteignait avec eux un seuil d'entente et de compréhension encore plus profond qu'avec juste les mots. Oeil du Tigre répondit:

— « Je n'ai jamais pensé à ce genres de choses Coup de Foudre..

Le bengal dressa ses oreilles, baissa son nez du ciel et redirigea son attention sur le vétéran qui s'autorisait enfin à dénouer sa langue:

Je n'ai juste pas eu la même éducation que les autres guerriers. Ce genre d'émotions ne faisaient pas parti du vocabulaire de mon paternel alors j'essaie seulement.. D'apprendre. C'est assez honnête pour toi ?
— ...Très, répondit le bengal sans tergiverser, trop surpris pour dissimuler sa stupéfaction derrière un énième sourire.

Il pencha sa tête, observant le guerrier se lever depuis sa position contre un tronc d'arbre pour se dégourdir un peu les pattes. Coup de Foudre fronça légèrement les sourcils en se ressassant ce qu'il venait d'apprendre. Son paternel, les émotions, il n'avait pas eu la même éducation. Un frisson de dégoût lui prit au dos lorsqu'il se formula dans un coin de son esprit l'hypothèse que le "paternel" d'Oeil du Tigre lui avait fait suivre un genre d'entraînement qui l'avait rendu comme lui (c'est à dire la tête cassée), plutôt que de l'avoir aidé à s'épanouir.

— « Si Douces Caresses se tenait devant moi à cet instant, je lui demanderais tout d'abord la raison de m'avoir embobiné puisque d'après tes mots "il" n'est donc pas une femelle. Ensuite.. Que j'aimerais sans doute en apprendre plus sur sa personne et sur les émotions que je ressens en sa présence, pour la première fois.

Coup de Foudre s'éclaira d'un sourire, nettement plus doux que les derniers, donnant du leste au pauvre vétéran qui retourna s'asseoir suivant la verbalisation de ses réflexions:

— J'espère que je ne t'apprends rien en te disant que si Étoile de Suie pouvait vivre heureuse avec Mirage du Désert, c'est pareil pour ton attirance envers Douces Caresses, et vice versa.

Il rondit la nuque pour rire tout bas:
Je sais que tu n'as pas envie de l'entendre, mais, tu es un sacré beau morceau tu sais! ~

Et il se redressa, balayant son compliment sincère d'un mouvement de la queue. Je sais, je saaais, tu n'es pas seulement ton corps! Et lui non plus.    Maintenant, il pencha sa tête d'un côté, qu'est-ce que tu veux dire par "tu n'as pas eu la même éducation que les autres guerriers"?

Ce "premier cours de drague" tournait plutôt en "première session psy"...