Le temps perdu (Nuage du Renard, puis Patte de Loutre) - end

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A douze lunes, Nuage Gris avait l'impression que son apprentissage avait à peine avancé. Ses chasses restaient généralement infructueuses, et ses réflexes, face aux dangers, quasiment absents. Il avait progressé dans la douleur, pour mémoriser des positions, des consignes, des conseils, des obligations, des interdictions, mais dans la pratique, jamais il n'arrivait à rien. Bizarre, d'ailleurs, lorsqu'on était le "petit" frère de la si fameuse Nuage Orangé. Enfin... Nuage Gris refusait de se laisser envahir par le découragement, car après tout, le mieux placé pour se plaindre n'était pas lui, mais Patte de Loutre.

Patte de Loutre qui devait bien regretter de lui avoir déjà consacré six lunes pour rien, ou presque. Patte de Loutre qui se retrouvait par sa faute avec un boulet aux pattes, Patte de Loutre sur qui peut-être retomberait partiellement la responsabilité des futurs échecs de Nuage Gris. Peut-être valait-il mieux qu'il ne devienne jamais guerrier. se demandait-il parfois.

Sa somnolence fut interrompue par un petit coup dans le flanc. Aussitôt, le petit qui, même s'il ne s'en rendait pas compte, avait déjà bien grandi depuis qu'on lui avait donné son nom d'apprenti, se mit debout et ouvrit un œil amusé et brillant à la vue de son rouquin de frère.

" Tu ronfles plus fort que Nuage de Goujon. " mentit-il, taquin, pour justifier le fait que son frère s'était levé avant lui. " Y'a vraiment que moi qui peut supporter, je crois ! " renchérit-il ensuite, quelque peu théâtral. Il jeta un coup d’œil en dehors de la tanière des apprentis pour voir si la queue de Belle-de-Nuit se faufilait en dehors comme elle le devait en général, après leur réveil à tous les deux. Mais non.

" Attends ! Tu t'es levé avant l'entraînement ? " s'ébahit l'apprenti blanc, en soulevant, dans sa surprise, sa patte grise. Il avait l'habitude d'être assez brutalement réveillé au moment où Belle-de-Nuit venait chercher Nuage du Renard, et ça lui semblait étrange que ce jour-ci soit différent des autres. " Et ben dis donc ! " reprit-il, songeur, avait de trouver quel serait le meilleur angle d'attaque pour la suite : " Peut-être qu'elle t'a donné un rendez-vous et que t'as pas arrêter d'y penser ! " essaya-t-il de le narguer, comme si cette idée était très drôle.

" Mais non, pas de chance... Aujourd'hui encore, elle ne fera rien d'autre que t'entraîner ! Tu m'étonnes, elle doit avoir hâte que tu lui fiches la paix haha ! "

Même à Nuage du Renard, Nuage Gris parlait rarement d'entraînement, en général. Il trouvait que c'était un sujet de discussion un peu trop sérieux, un peu trop déprimant. Et il craignait surtout qu'il devienne notoire que son frère le surpassait comme apprenti. Mais lorsqu'il s'agissait de se moquer, tout était différent. Et surtout, cette fois-là, il se rendit compte qu'il avait un problème de taille sur le cœur. Il se rendait compte qu'il allait avoir faim, et qu'il ne mangerait probablement pas avant le soir, comme à chaque jour où il devait s'entraîner. Il se rendait compte qu'il n'avait pas envie de retourner s'entraîner, pour rentrer, triste, fatigué, désespéré et honteux. Il se rendait compte qu'une nouvelle journée grise s'annonçait.

" Dis au fait... " dévia-t-il donc la conversation, avec un air un peu plus préoccupé. " J'ai jamais compris... Tu espères manger quand, si tu pars t'entraîner dès le réveil ?" demanda-t-il.

Et pour ne pas que cette question paraisse trop importante, il entreprit de toiletter tranquillement son pelage, encore encombré des odeurs de la nuit. Mais la réponse de son frère le surprit :

" Hein ? Tu partages une proie avec Belle-de-Nuit ? Elle mange avec toi ?! " eut-il l'air de s'étouffer. " Mais c'est trop bizarre ! Elle est ton mentor ! " reprit le gamin, qui ne s'imaginait pas une seconde partager quoi que ce soit avec son propre mentor. Ni même manger sous ses yeux.

Il ne se doutait pas que la fin de leur discussion avait pourtant été surprise par ce dernier.

▬ Guerrier

S'il y a quelque chose qui a vraiment changé au cours des lunes d'entraînement de Nuage du Renard, ce sont ses heures de réveil. En effet, le rouquin a toujours été un gros dormeur, appréciant traîner dans son nid de mousse pendant des heures et des heures. Même la promesse d'une partie de chasse ne suffisait pas à le motiver suffisamment pour qu'il daigne quitter le confort de sa couche. Et pourtant, au fur et à mesure des jours, il devient de moins en moins difficile pour lui de se lever. Personne ne l'aurait jamais imaginé, même pas lui-même, mais c'est un fait. Et la preuve en est car ce matin-là, le jeunot a ouvert les yeux sans que son mentor n'ait à le réveiller. Le sommeil a quitté son corps naturellement, ses batteries chargées à bloc après cette bonne nuit reposante. Alors le voilà qui se lève déjà, bousculant son frère au passage. Ce dernier ne tarde pas à se réveiller, l'accueillant aussitôt avec une plaisanterie bien à lui. Nuage du Renard répond d'ailleurs à sa petite provocation d'une petite gifle sur les oreilles, un geste léger qui ne ferait même pas gémir un chaton. Parce que Nuage Gris le sait très bien, son frère ne ronfle pas – contrairement au troisième mâle de la portée qui fait autant de bruit que les monstres galopant sur les Chemins du Tonnerre. Bon, quand le rouquin a le nez bouché, il lui arrive de produire des petits sifflements aigües mais rien qui ne ressemble au boucan de Nuage du Goujon. Parfois, le novice se demande comment il parvient à s'endormir dans de telles conditions.

Nuage du Renard entreprend sa toilette alors que son blandin de frère s'étonne de le voir se réveiller avant l'appel de son mentor. Il ne peut d'ailleurs pas retenir une remarque de son cru :

Peut-être qu'elle t'a donné un rendez-vous et que t'as pas arrêter d'y penser ! Mais non, pas de chance... Aujourd'hui encore, elle ne fera rien d'autre que t'entraîner ! Tu m'étonnes, elle doit avoir hâte que tu lui fiches la paix haha !
Tu rigoles ! Si je ne suis toujours pas guerrier, c'est parce qu'elle ne peut plus se passer de moi !

Le lien qui l'unit à Belle-de-Nuit, le rouquin y tient beaucoup. Il sent qu'il partage quelque chose de fort avec elle, quelque chose que ne connaîtront jamais le reste de sa fratrie – du moins, pas de la même façon. Et si la perspective d'être baptisé prochainement excite énormément le jeune chat, il doit bien avouer qu'il s'ennuierait beaucoup de ses sessions d'entraînement. Avec Belle-de-Nuit, il a cette sensation d'être quelqu'un d'important, quelqu'un de fort et de courageux, au potentiel énorme. Et cela se confirme pas leurs sessions couronnées de succès, lorsqu'il rentre chargé de proies appétissantes ou fort d'une nouvelle attaque au corps à corps. Nuage du Renard s'investi énormément dans son travail et même s'il n'apprécie pas toutes les corvées qui incombent aux apprentis, il ne néglige pourtant pas ses tâches. Même si, à choisir, il préfère de loin rejoindre une patrouille frontalière plutôt que changer les litières usagées.

Dis au fait... J'ai jamais compris... Tu espères manger quand, si tu pars t'entraîner dès le réveil ?
Ben je mange avec Belle-de-Nuit juste avant de partir, répond-t-il comme s'il s'agit-là d'une évidence même.
Hein ? Tu partages une proie avec Belle-de-Nuit ? Elle mange avec toi ?! Mais c'est trop bizarre ! Elle est ton mentor !
Ben pourquoi ? Justement, elle est mon mentor ! Vous ne faites jamais ça, avec Patte de Loutre ? Hors la famille, c'est le lien avec ton mentor qui est le plus fort, au sein du Clan. Il ne faut rater aucune occasion pour le renforcer.

Pour Nuage du Renard, c'est une évidence même. Néanmoins, son frère ne lui évoquant que rarement sa relation avec Patte de Loutre ou même son entraînement en règle générale, il ignore tout à fait les difficultés que rencontrent Nuage Gris. Avec Belle-de-Nuit, il y a toujours eu cette petite alchimie particulière qu'ils ont sut développer au cours de leurs lunes d'entraînements ensembles. Après tout, si un apprenti ne peut pas compter sur son mentor … sur qui pourrait-il se reposer ?

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(c) Grain de Sel

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(merci mentor chérie

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Renard Rusé crâne en #ca5505

■ Guérisseur

Une nouvelle journée commence et avec elle : un entraînement avec Nuage Gris. Patte de Loutre n'avait aucun plaisir à partager de tels moments avec son élève : il est tellement empoté et maladroit que le guerrier ne sait plus quoi faire. Fatigué de perdre son temps avec lui, il lui avait posé un ultimatum. L'apprenti c'était remué le derrière et était parvenu à refaire naître une faible lueur d'espoir dans l'esprit de son mentor.

Ce matin, Patte de Loutre cherche une nouvelle fois son élève pour le traîner à l'entraîner. Le trainer oui, rien d'autre. Malgré son air bourru, le guerrier était en train de s'attacher à son élève - chose dont il n'a pas l'habitude. Il le cache derrière son ton froid, distant. Pour lui : un élève c'est un élève. Rien de plus. Il est hors de question de faire copain-copain.

Lorsqu'il repère enfin son élève, il remarque qu'il est en pleine discussion avec son frère, Nuage du Renard. Le mâle tend l'oreille, intrigué par ce que les jeunes semblent se raconte :
« - Tu partages une proie avec Belle-de-Nuit ? Elle mange avec toi ?! Mais c'est trop bizarre ! Elle est ton mentor !
- Ben pourquoi ? Justement, elle est mon mentor ! Vous ne faites jamais ça, avec Patte de Loutre ? Hors la famille, c'est le lien avec ton mentor qui est le plus fort, au sein du Clan. Il ne faut rater aucune occasion pour le renforcer. »
Il est vrai que la plupart des mentors mangent avec ces élèves mais la vision du lien un peu vieux jeu de Patte de Loutre n'aide pas vraiment à la création d'une complicité. Amusé de surprendre les apprentis au milieu de cette discussion, il s'incruste et demande :
« - Tu viens Nuage Gris ? On doit s'entraîner à la chasse car tu as encore beaucoup trop de travail. »
Pour une fois, il attend que son apprenti soit prêt pour tourner le dos et rejoindre l'entrée du camp.

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Le temps perdu (Nuage du Renard, puis Patte de Loutre) - end Kphb

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« Ben pourquoi ? Justement, elle est mon mentor ! Vous ne faites jamais ça, avec Patte de Loutre ? Hors la famille, c'est le lien avec ton mentor qui est le plus fort, au sein du Clan. Il ne faut rater aucune occasion pour le renforcer. » rétorqua sans hésitation Nuage du Renard, ce qui fit redoubler l'incrédulité de son frère.

Il blague, là ? Ou bien, ou bien Belle-de-Nuit ne l'entraîne vraiment qu'à moitié ? C'est la première fois qu'elle a un apprenti, et elle découvre encore certaines choses ?

Aucune explication ne semblait complètement satisfaisante. Mais Nuage Gris n'eut pas le temps de réfléchir plus, car une voix le fit sursauter.

« Tu viens Nuage Gris ? On doit s'entraîner à la chasse car tu as encore beaucoup trop de travail.
- Oui... » bafouilla-t-il, en tournant la tête vers l'entrée de la tanière si vite qu'il distingua à peine son mentor. Il ne voulait pas laisser à Patte de Loutre l'occasion de développer sa pensée et d'expliquer devant tout le monde à quel point il était en retard. « Oui ! Oui ! Je me dé-dépêche ! » s'exclama-t-il ensuite, plus fort, pour s'assurer que son mentor entende bien, car il supposait, sans regarder, que comme à chacune des rares fois où il prenait la peine de l'approcher à cet endroit, il s'éloignerait aussitôt. Fausse supposition.

La toilette du mioche fut brève, mais au moins ne sentait-il pas trop le sommeil, lorsqu'il l'eut finie. Et ça lui avait laissé le temps de réfléchir en silence à Patte de Loutre. Se sentirait-il vexé par ce qu'il avait surpris ? Aurait-il l'impression que Nuage Gris aurait préféré avoir un autre mentor moins distant ? Serait-il furieux ? La journée commencerait-elle encore très mal ?

« Bon je file ! » souffla-t-il en léchouillant l'oreille et la joue de son frère, qui se préparait lui aussi. Mais son geste était troublé, car au même moment, il se tournait vers la sortie de la tanière des apprentis et voyait que son mentor s'y trouvait encore. De plus en plus inhabituel... Et forcément, à chaque fois que quelque chose était inhabituel, Nuage Gris se mettait à tout appréhender. Si son mentor restait ici, c'était forcément pour lui faire des reproches devant d’innombrables témoins, où bien pour... pour lui annoncer quelque chose très vite... forcément quelque chose de désagréable...

Mais non. Ce dernier s'éloigna lorsqu'il constata qu'il s'approchait de lui. Peut-être s'était-il impatienté en voyant qu'il léchouillait l'oreille de son frère alors qu'on l'attendait... songea l'apprenti, avec un petit nœud au ventre. Mais lorsqu'ils se retrouvèrent à l'entrée du camp, Patte de Loutre n'avait pas l'air particulièrement fâché.

Rien n'était normal, ce jour-là. Et rien ne le serait, sans doute. Nuage Gris le salua à sa façon, la voix pas-comme-d'habitude, presque soupçonneuse :

« Ça va bien ? » Plutôt qu'un " On va faire quoooooi ? " faux et exagérément joyeux, ou une mine honteuse, comme les autres fois.

Peut-être bien que Patte de Loutre était un peu troublé, lui aussi. Ça devait être à cause de cette discussion, qu'il avait surprise. supposa-t-il. Il se demanda si le guerrier attendait de lui qu'il... le rassure... ou qu'il le laisse exploser d'un seul coup. Non. Surtout pas. Il fallait espérer que cette journée ne se passerait pas trop mal. Nuage Gris fit tout de suite une petite mine un peu hésitante. Il préférait juste mettre les choses au clair.

« Dis... » osa-t-il. Il avait vraiment une toute petite voix, quand il s'adressait à son mentor. « Repense pas trop à ce qu'on disait tout à l'heure... hein ? Je t'assure que... je me plains jamais-jamais, et d'ailleurs ça me viendrait pas à l'idée. »

Il avait dit ça d'un trait, comme ça, sans trop réfléchir. C'était à moitié faux, parce qu'au fond, il avait bien pensé à sa question, initialement, à cause de sa mauvaise appréhension des entraînements. Et surtout, il le comprit un peu tard, c'était ambigu. On pouvait penser qu'il venait de sous-entendre qu'il avait des raisons de se plaindre, alors que pas du tout. En réalisant l’ambiguïté, il s'horrifia un peu, et voulut corriger son erreur. Comme si c'était encore possible.

« Je dis ça sincèrement, hein ?! » s'affola-t-il. Son pouls accélérait. Ça voulait dire que l'ambiguité avait une vraie raison d'être ? NON ! « JE ! » il avait l'impression d'être muet, mais ça revint : « Faut vraiment que je te dise merci. Tu sais je suis conscient que... que beaucoup auraient pas voulu me laisser rentrer au camp après... après l'écureuil... » il en tremblait encore, « Après l'écureuil et tout le reste... »

Tout le reste, c'était ses échecs à répétition, sa lenteur spectaculaire, sa silhouette d'avorton, ses retards répétés... qui ne serait pas déçu, au fond, d'avoir un apprenti pareil ?

« Enfin voilà... Je voulais juste pas de... pas de malentendu... » s'étouffa enfin le petit.

Il voulait dire qu'il avait, pour son mentor, le plus grand respect du monde.

Avait-il jamais parlé aussi longtemps sérieusement, une fois dans sa vie ?

■ Guérisseur

Patte de Loutre voulait que les choses changent avec son élève. Après avoir interrompu la discussion de son élève, il s'est rendu à l'entrée du camp et l'a attendu, sans rouspéter. Aujourd'hui, le mâle allait mettre de l'eau dans son vin et essayer de comprendre son élève pour faire évoluer positivement la situation. Après quelques minutes d'attente, Nuage Gris pointe le bout de sa truffe et demande - contrairement à son habitude :
« - Ça va bien ? »
Patte de Loutre ouvre la gueule pour répondre à son élève mais celui-ci ne lui en laisse pas le temps et veut se justifier de la discussion surprise par le mentor :
« - Dis … Repense pas trop à ce qu'on disait tout à l'heure … hein ? Je t'assure que ... je me plains jamais-jamais, et d'ailleurs ça me viendrait pas à l'idée. Je dis ça sincèrement, hein ?! Faut vraiment que je te dise merci. Tu sais je suis conscient que ... que beaucoup auraient pas voulu me laisser rentrer au camp après ... après l'écureuil ... Après l'écureuil et tout le reste … Enfin voilà ... Je voulais juste pas de ... pas de malentendu ... »
Le guerrier incline la tête et se retient d'écarquiller les yeux, terriblement surpris par le comportement adulte et mature de son élève. La spontanéité, c'est ça qu'il aime. Bien décidé à le charrier un peu pour le faire stresser, il répond d'un ton sec :
« - Effectivement … Ça fait un paquet de connerie tout ça. »
Il se met à rire et donne - pour la deuxième fois depuis le baptême - un coup de langue sur le front de Nuage Gris avant de reprendre :
« - Pour répondre à ta première question, je vais bien. Et pour le reste … Ton honnêteté me fait plaisir. Maintenant, tu sais ce qu'il te reste à faire pour que les choses changent. »
Et cela n'est pas grand chose se retient-il d'ajouter. Il était peut être temps de crever l'abcès pour que les choses se passent mieux entre eux. On espère tout simplement que cette discussion était réfléchie par Nuage Gris et qu'il est prêt à faire des efforts pour que tout se passe pour le mieux.

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Le guerrier restait impassible. Comme toujours. Mais Nuage Gris sentait quelque chose de bizarre, d'inhabituel, de suspect. Le vent de ce jour-là était différent de tous les autres vents. Et cela ne le rassurait pas du tout, au contraire. En fait, ce qui se dégageait de Patte de Loutre au moment où il lui répondait, était plutôt de nature à le terrifier. Et le terrifia.

« Effectivement … Ça fait un paquet de connerie tout ça. » trancha le guerrier, plus sévère encore qu'il ne s'y était attendu. Le cœur du gamin se serra davantage, tout se passait donc encore plus mal que prévu. La situation, avant même le début de l'entraînement, était déjà catastrophique.

Il est trop tard, tout est foutu.
Au d'ssus d'la mare, je s'rai perdu.
Pas un regard, le déjà-vu,
Suffit.

Mon cauchemar, interrompu,
Je broie du noir, j'me sens tout nu.
Et ça repart, le superflu,
Aussi.

C'est là qu'l'espoir, a accouru.
Il s'faisait rare, il n'était dû,
Qu'à ce hasard, qui n'm'était plus,
Ami.

C'était bien tard, j'y croyais plus.
Mais ce regard, si j'l'avais vu,
Dès le départ, y'aurait bien eu,
Une moins grand'part, de temps perdu.

Patte de Loutre rit. Et d'un rire si beau que l'apprenti voulut y croire. Même s'il n'était pas sûr, même s'il avait peur, même s'il s'était déjà trompé plusieurs fois auparavant. Même Patte de Loutre ne pouvait pas être redoutable au point de rire ainsi pour de faux. C'était... C'était évident. Nuage Gris ferma tout de même les yeux à cette évidence, au moment où il comprit la tête du guerrier s'approchait de la sienne. Pouvait-il vraiment perdre un œil ou une oreille de cette façon ? Il n'y croyait pas, mais il craignait quand même. Les gestes tendres de son mentor avaient jusque là été tout à fait inexistants.

Et celui-la fut le premier. L'apprenti rouvrit deux yeux ébahis et décontenancés qui ressemblaient fidèlement à ceux que pouvaient avoir Nuage de Goujon aux heures où son incrédulité était la plus drôle. Mais cette-fois-ci, c'était pour de vrai.

« Pour répondre à ta première question, je vais bien. Et pour le reste … Ton honnêteté me fait plaisir. Maintenant, tu sais ce qu'il te reste à faire pour que les choses changent. »

La surprise devenait plus vive. Son honnêteté ? SON honnêteté à LUI ? Elle faisait plaisir ? Réveille-toi, Nuage Gris, tu vois bien que c'est pas possible. Il secoua un peu la tête pour se débarrasser, au moins, de son air niais. Et pour comprendre que son mentor lui avait un peu posé une question.

« Sûr que je vois ! » s'exclama-t-il, un peu fort peut-être. Mais il fallait bien que la réponse sorte de son corps à demi pétrifié. Il s'étira très vite, pour retrouver sa souplesse, et se hâta de demander, vivant, très vivant : « On fait quoi, aujourd'hui ? »

■ Guérisseur

Le coup de langue du mentor laisse Nuage Gris sur le cul. Il le regarde avec ses deux yeux émerveillés comme si cela valait une déclaration d'amour de la part d'une femelle. Devant l'air ébahi de son élève, Patte de Loutre se remet à rire. Cela faisait du bien. Après tout, cela faisait quelques temps que le mâle n'avait pas prit un bon fou rire en compagnie de quelqu'un d'autres. Il reste très souvent seul et sa nature sociale décline au fur et à mesure qu'il vieillit. L'apprenti, toujours heureux de ce qu'il vient de se passer s'émerveille :
« - Sûr que je vois ! On fait quoi, aujourd'hui ? »
Le mâle s'assied un instant face à l'apprenti et réfléchit. Il avait prévu d'aller chasser à la rivière mais pour une fois depuis des lunes, il avait envie de laisser le choix à son élève. Il pourrait choisir ce qu'il a réellement envie de faire et peut être que sans lui imposer quelque chose, cela se passera mieux :
« - Je n'ai rien prévu. Toi, que veux-tu faire ? Tu es quand même le premier concerné. »
Ce changement d'attitude brutale définit bien Patte de Loutre. Très rancunier et surtout fier, il a toujours beaucoup de difficulté à écouter les autres. Aujourd'hui, ce n'est pas qu'un seul pas qu'il fait vers Nuage Gris.

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« Je n'ai rien prévu. Toi, que veux-tu faire ? Tu es quand même le premier concerné.
- Ce que... » répéta l'apprenti, qui n'était pas sûr d'avoir bien compris « Ce que je veux faire ? Ben euh... On peut... Je... je sais pas ! »

Quel empoté quand même ! il avait envie de se moquer de son propre et piteux sens de l'initiative. Pour une fois qu'on le laissait faire quelque chose, il ne fallait pas que trop de temps soit perdu. Allez, misérable crétin, réfléchis. On fait quoi quand on s'entraîne ? songea-t-il. Ce fut en repensant à la faim fatigante qui le prenait souvent au terme de ses entraînements, qu'il parvint à trancher.

« On n'a qu'à sortir toutes les truites de la Rivière ! » lança-t-il, joyeusement. Ce n'était pas très raisonnable, surtout au vu de ses habituelles performances, mais... Il ne pouvait pas se permettre d'être mollasson à un moment pareil !

Et comme Patte de Loutre semblait décidé à ne rien faire comme d'habitude, Nuage Gris décida de marcher devant. Ce mioche habitué à suivre se posait si rarement, lorsqu'il avançait dans le territoire, la question de ce qu'il faisait vraiment, qu'il n'avait jamais vraiment développé un sens de l'orientation incroyable. Au point d'avoir pris le réflexe indiscret, lorsqu'il allait seul quelque part, de marquer de temps en temps des étapes de son chemin, pour limiter les risques de se perdre.

Mais là, c'était tout autre chose. Il fallait qu'il soit comme un guerrier. Et un guerrier, ça n'avait pas peur de son propre territoire. Un guerrier, ça ne se perdait jamais. Un guerrier, ça avançait sans hésitation dans la bonne direction. D'ailleurs, ce chemin pour se rendre jusqu'au bord de l'eau, Nuage Gris ne pouvait pas vraiment ne pas le connaître. Depuis qu'il était chaton et qu'il venait boire, il l'empruntait, sans jamais varier de beaucoup son itinéraire.

Bref, il atteignit sa partie préférée de la Rivière d'un pas sûr. Et s'il n'en montra rien au guerrier qui l'avait suivi, c'était déjà, pour lui, une drôle de victoire. Parviendrait-il à chasser aussi bien ? Une fois sur place, il changea aussitôt d'attitude, et se fit plus silencieux, plus prudent. Il évaluait le soleil, le vent, et essayait de décider quel était le meilleur endroit pour surveiller le passage des poissons.

Plusieurs coins lui semblaient corrects, à lui, mais il hésita quand même avant d'approcher. Il avait peur d'oublier quelque chose. Peur de foncer sans réfléchir assez, ou de ne pas voir un indice important qui aurait dû le guider.

« Euh... Là ? » demanda-t-il, tout bas, en désignant de la tête une partie de la berge un peu sablonneuse et exposée au soleil.
« Non ! Non ! » s'arrêta-t-il, en se souvenant que sur un sol pareil, il risquait fort d'être senti et entendu par ses proies. Il fallait... il fallait un peu plus de hauteur, et de petits bruits de feuilles autour de lui, pour mieux se camoufler.

« Ici c'est mieux. » décida enfin le mioche en montrant un saule un peu tordu qui se trouvait juste au bord de la rivière. La berge était un peu surélevée, et il y serait bien mieux camouflé.

■ Guérisseur

La proposition de Patte de Loutre ne présentait pas de réel effort. Sa discussion avec Belle de Nuit - la peste - lui avait fait comprendre bien des choses. L'autorité ne fonctionne pas avec Nuage Gris, le défi non plus. Il décide alors d'essayer la gentillesse et un ton compatissant et il espère que cela fonctionnera. Après tout, ils avaient déjà perdu suffisamment de temps. En attendant la réponse de l'apprenti, le mentor se lèche le poitrail pour remettre en place ses poils en bataille :
« - Ce que … Ce que je veux faire ? Ben euh... On peut... Je... je sais pas ! On n'a qu'à sortir toutes les truites de la Rivière ! »
Patte de Loutre se contente d'hocher la tête pour accepter la proposition de son élève. Il avait hâte de voir s'il avait réellement travaillé ou s'il mettait toujours aussi peu la main à la patte. Sans attendre une seconde, Nuage Gris sort du camp et le guerrier lui emboîte le pas. Le mâle laisse son élève prendre la tête pour contrôler son orientation. Trouver la rivière est très simple, on l'entend d'assez loin et son odeur est mêlée à celle de la frontière avec le Clan du Tonnerre. Assez rapidement, l'apprenti la débusque et décide de son lieu de pêche :
« - Euh ... Là ? Non ! Non ! Ici c'est mieux. »
Le guerrier lâche un rire devant l'indécision de son élève. Au final, il décide de pêcher sur un saule tordu qui laissait une grande possibilité de mouvement. Le mâle ronronne, satisfait, et suis son élève en direction de l'arbre. Il se hisse sur une des branches qui plonge dans l'eau et invite son élève à en faire de même avant de reprendre :
« - À toi de jouer. Montre moi ce dont tu es réellement capable. »
Le guerrier est prêt à se montrer très patient. Il fixe son élève et le moindre de ses faits et gestes, déterminés à ce que sa technique de pêche soit parfaite une fois la journée passée.

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Son hésitation devenait visible, et il retint son souffle lorsqu'il entendit Patte de Loutre réagir, en le laissant faire :

« À toi de jouer. Montre moi ce dont tu es réellement capable. »

Non sans appréhension, Nuage Gris s'approcha donc de la Rivière, qu'il parcourut d'un regard presque fiévreux. Mais il parvenait à peu près à rester immobile, et lentement au fur et à mesure qu'il fixait les flots, il habituait son regard à localiser les silhouettes des poissons. Lorsqu'on n'était pas grand, comme lui, on ne disposait pour attraper les poissons discrètement que d'un espace assez réduit devant soi, et il fallait donc faire preuve de davantage de patience que les autres pour attendre qu'une proie convenable s'y rende.

Tandis qu'il surveillait il essayait de visualiser ce fameux geste du chasseur qu'il avait souvent tant de mal à exécuter. Mais sans pour autant se laisser distraire, car le plus important restait de ne pas laisser bêtement passer sa proie à cause d'une erreur d'inattention. Plusieurs poissons passèrent, à cette heure où beaucoup essayaient de se réchauffer en surface sous le soleil matinal, mais beaucoup étaient toujours un peu trop loin, hors de portée. Finalement, le novice remarqua un petit groupe de gardons qui remontait le courant. Il leva aussitôt mais discrètement la queue en espérant attirer l'attention de son mentor, maintenant qu'enfin, il devinait que quelque chose allait se passer.

Car les poissons imprudents restaient bien trop prêt du bord, et traverseraient forcément la zone qu'il couvrait. Il attendit le bon moment pour agir, et d'un coup vif de la patte, parvint à remonter un joli gardon. Pas bien gros, mais qui lui parut d'autant plus satisfaisant qu'il n'attrapait généralement pas grand-chose pour ne pas dire rien.

Sans attendre que le poisson parvienne à sautiller jusqu'à la rivière, Nuage Gris l'écrasa de sa patte, se demandant comme il allait s'y prendre pour le tuer. Il voyait la tête, avec les yeux, et les ouïes qui s'ouvraient et se refermaient, et se doutait que c'était la zone la plus pratique pour tuer les proies en règle générale, mais il ne fallait pas qu'en tuant le poisson, il l'abime trop, ni ne le laisse trop longtemps vivre. D'une façon un peu anarchique, il attrapa donc entre ses crocs l'animal encore vivant, par un côté, et le tourna un peu pour voir s'il n'y avait pas une partie fragile qu'il pourrait trancher facilement. Finalement, il se mit des écailles et du mucus plein la bouche en mordant le poisson excessivement fort, et en recracha autant que possible en faisant la grimace tandis que la vie et le sang abandonnaient, par terre, sa proie.

Pas si fier que ça de se retrouver avec un goût amer dans la bouche, Nuage Gris regarda assez piteusement son mentor, qui l'avait vu faire.

« Ça... Ça allait ? » demanda-t-il timidement, retenant une forte envie de cracher encore. Il ne voulait pas vraiment que Patte de Loutre se mette à le trouver arrogant ou négligeant, et pour cette raison, il faisait plutôt la mine coupable de celui qui n'ignorait pas qu'il avait multiplié tout au long de son essai des erreurs impardonnables. C'était souvent comme ça qu'il s'y prenait.

» Le temps d'une dissuasion || Nuage du Renard -end
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