[Baptême] Mes enfants... (celui du mois de mai) -end

Le temps passait vite. Pourtant que je me sentais partir. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même, en proie à mes tourments. J’étais un lion, ou un tigre en cage, cherchant désespérément la lumière du jour. J’étais enfermé, je m’étais privé de tout. La colère grondait en moi, continuellement, comme un orage violent. La foudre frappait chaque jour. J’ordonnais de faire disparaitre les éléments gênant du clan. J’étais devenue ce que je redoutais le plus. Une forme de Serpentaire vivait en moi, en pire. J’avais encore une haine profonde envers les lapins des landes, pour une raison que j’avais oubliée. Mais je sentais bien que je voulais les voir disparaitre. Mon pelage était propre, il n’était pas en bataille. Etrangement, je paraissais bien portant, alors que je luttais tous les jours contre moi-même et les étoiles. Je repensais à mes parents qui avaient fait de moi un croyant. Ils m’avaient construit pour que je sois un modèle, il avait fait de moi un croyant, mais à présent je n’en ressentais que la souffrance qu’elle procurait. Pourquoi se fier à des félins qui détruisaient mon clan. Au final, qui était le fait danger, eux ou moi ?

J’étais sorti tôt de mon antre. J’étais parti dans une patrouille de chasse accompagné de mes chuchoteurs, et j’étais finalement rentré dans la matinée. Depuis, je guettais les moindre faits et gestes de mes combattants. Mais c’était l’heure de baptiser des apprentis. Selon leurs mentors ils étaient prêts. Et c’était mes enfants.

« Rassemblement. » dis-je d’une voix forte.

Je me tenais droit sur le promontoire, l’air fier et autoritaire.

« Selon vos mentors vous êtes prêts, alors avancez, Nuage de Mimosa et Nuage d’Aulne. »

Je ne pouvais m’empêcher de ressentir une émotion que je n’avais pas écoutée depuis un moment. De l’amour. J’aimais mes enfants. En baptiser que deux était triste mais je me fiais à leurs mentors.

« Nuage de Mimosa, tu t’appelleras Cœur de Mimosa. »

Cœur. Cœur. Cœur Maudit ? C’était maintenant Cœur de Mimosa. Je me souvenais avoir joué avec elle, l’avoir guidé dans son avenir, l’avoir aimé comme un père. Cœur de Mimosa. Je descendis pour poser ma truffe sur son front, j’attendais qu’elle me lèche l’épaule.

« Et Nuage d’Aulne, tu deviens Bois d’Aulne. »

Je répétais la même chose avec lui, mon fils, ma fierté. Je les aimais. Mon regard sur les deux chats se faisait plus tendre. Les seules sources d’amour qu’il me restait.

Les jours et les nuits avaient passé, depuis la bataille entre les clans du Vent et de l'Ombre, qui avaient arraché leur innocence, et parfois plus encore à ceux qui n'étaient alors que des enfants - parce qu'Alizé, comme tous les autres, comme Mimosa, était trop jeune pour le destin qui l'avait frappée, implacable, impitoyable, dans la forme d'un chat sombre, massif, et qui, dans la folie des combats, semblait presque dément. C'était douloureux, une guerre... Même pour ceux qui n'étaient pas blessés, ça laissait sa marque. Et c'était laid, horrible, atroce: une pantomime de justice, un paroxysme de sauvagerie, une toile avec le sang pour unique peinture et les griffes pour pinceaux sur la terre pourpre et les fourrures tout autant, une nuit sombre, aussi sombres que les pensées, où les étoiles ne brillaient pas. Les étoiles... Leurs ancêtres, leurs constellations, sensés veiller sur eux sans, parfois, y arriver; ils n'avaient pas empêché l'accident de Nuage de Violette, qu'un monstre avait blessée à vie alors qu'elle allait retrouver Nuage de Soleil - Mimosa préférait penser que les guerriers d'autrefois n'avaient pas pu intervenir, parce que la pensée qu'ils aient pu laisser cela arriver pour punir leur amour lui donnait, à elle, envie de vomir -, pas empêché la descente aux enfers d'un meneur autrefois bon, courageux, intelligent et juste, celui qui avait été son héros et son père, et dont le nom de guerrier avait mérité la particule « Cœur », pas empêché les combats, entre amis parfois. Pour tout ça, Mimosa leur en voulait: cela dit, elle n'en voulait à personne plus qu'à elle-même, et de temps en temps, l'expression de Caresse du Vent au milieu du chaos de son camp hantait encore ses rêves.

Moins, cependant, depuis qu'elle s'était mise à s'épuiser pour ses camarades et ses proches, chassant plus que son dû, arpentant la forêt refleurissante avec, au fond de ses prunelles d'or, l'envie que réapparaissent en son âme des bourgeons d'espoir, et travaillant, encore et encore, de son mieux, pour que sa mentor soit fière. Moins, aussi, depuis la nuit du dernier baptême, qui avait vu trois de ses amis, trois de ses camarades de tanière, trouver un nid ailleurs et devenir guerriers; Souffle de l'Ouragan, Dent de Sabre et Bouquet de Muguet l'avaient bien mérité. Mais en réalité... Le baptême, en tant que tel, Mimosa aurait presque pu l'oublier - dans ses rêves, il y avait l'amour pour l'Ouragan, la tendresse pour Muguet, infinie, et ce moment d'interdit et de magie, au milieu de la nuit, quand elle avait aidé sa fée des plantes à créer sa famille. Une apprentie guerrière et aide guérisseuse, tentant de jouer ce dernier rôle pour aider la naissance de quatre jolies fleurs ! Apaisée, la brunette tigrée, cette nuit-là, avait eu sensation d'enfin trouver sa place, et depuis, les cauchemars d'un noir d'encre se trouvaient dissipés par une brillante lumière, plus aveuglante encore lors de ses visites à la pouponnière. Elle était peut-être une apprentie guerrière, mais elle était bien plus; et plutôt que de prendre une vie, que de cueillir les fleurs, elle aidait, doucement, à ce que d'autres puissent éclore. Aile, Gingembre, Lavande et Digitale - quatre filles, qui avaient donné à Muguet une famille, et fait de la jeune reine, malgré tout ce que les autres pouvaient dire, une mère extraordinaire. Quatre filles, que Mimosa, dans le secret, considérait ses protégées - elle le ferait toujours.

« Rassemblement. »

La voix d'Étoile Maudite tira la jolie novice de ses pensées, celle-ci, silhouette élancée, gracieuse et vive, quoique si mince et délicate qu'elle en paraissait fragile, s'approchant avec un peu de curiosité pour observer son père. Il était droit, fier, semblait plus flamboyant que ces dernières lunes, sa fourrure était bien lisse, lustrée... Il ressemblait au chef qu'elle admirait, au père qui jouait avec elle, quand elle se glissait dans sa tanière. Il ressemblait à celui que Papillon de Lune avait aimé - et à la pensée de sa mère, Nuage du Mimosa sentit quelques larmes, aussi orphelines qu'elle, lui piquer les yeux. Le temps, pourtant, n'était pas au deuil...

« Selon vos mentors vous êtes prêts, alors avancez, Nuage de Mimosa et Nuage d’Aulne. »

Le cœur de l'apprentie, qui portait ce titre pour ses dernières minutes, sembla initier un véritable ballet aérien, au rythme vif, tandis que ses émotions, nombreuses et désordonnées, se bousculent en elle. Gratitude, pour sa mentor Chant d'Alouette; affection, pour son frère, son jumeau, qui obéit à leur père, comme elle, les deux enfants d'Étoile Maudite lui ressemblant le plus se trouvant bientôt près de lui; joie, de le voir, prêt comme elle, à recevoir son nouveau nom; tristesse, parce qu'ils ne seraient que deux baptisés aujourd'hui; remords, parce qu'elle s'était fait la promesse d'attendre Violette; nostalgie, en repensant à toutes les lunes passées - jusqu'ici, la portée n'avait jamais, jamais été séparée; fierté, juste un peu, en croisant les regards de ses amis dans le Clan, et en pensant que désormais, elle les rejoindrait dans la tanière des guerriers; amour, quand ses prunelles de soleil se posèrent sur Souffle de l'Ouragan; amitié, quand elles effleurèrent Bouquet de Muguet avec toute la douceur du monde; espoir, enfin, quand elle reporta toute son attention sur le meneur, qui allait lui donner son nom. L'espoir qu'il se retrouve, redevienne comme avant. L'espoir qu'il les aime encore, les écoute, la rassure. L'espoir que bientôt, ses sœurs, elles aussi, seraient baptisées. L'espoir que, depuis les étoiles, leur maman assistait à la cérémonie, auprès d'Envol des Fées, de Nuage Nerveux, et de tout le monde. L'espoir que les ténèbres se dissipent. L'espoir que ce renouveau en permette un autre, des réconciliations, de nouveaux liens, peut-être, à l'Ombre comme ailleurs... Mais en avait-elle le droit ?

Inspirant profondément pour se calmer, retrouvant bientôt une attitude plus paisible, la jeune fille attendit, bien droite, savourant la présence de Nuage d'Aulne tout près d'elle et cherchant son regard en une œillade aussi fugace que complice, que leur père poursuive le baptême. Le printemps refleurirait, et les grands sapins, qui ne mouraient jamais, dansaient dans la tempête pour, peut-être enfin, rallumer les étoiles. Les rayons du soleil caressaient doucement sa pelisse, la brise y jouait... Et la voix de son père, bien plus posée que ces derniers temps, résonnait dans le camp silencieux, comme la plus belle des mélodies. Un nom, juste un nom; dans la petite phrase qu'il lui adressa, s'intéressant d'abord à sa fille, cette dernière cherchait ses réponses. Avait-elle le droit, de continuer à être la petite fille des plantes ? La gentille fée, qui se liait d'amitié avec des étrangers et des solitaires, y compris une apprentie du vent, guérisseuse un peu râleuse ? La guerrière qui ne serait jamais, jamais violente pour rien ? Avait-elle le droit, enfin, d'être... Elle-même ?

« Nuage de Mimosa, tu t’appelleras Cœur de Mimosa. »

Cœur. Cœur. Cœur. Cœur de Mimosa. Bouleversée, la nouvelle nommée ferma une seconde les yeux pour empêcher les larmes qui perlaient déjà de rouler sur ses joues. Cœur: par ce simple mot, il la rapprochait de lui, puisqu'avant d'être une étoile, il avait pour nom Cœur Maudit; par ce simple mot, il résumait son enfance heureuse, leurs discussions, leurs jeux, à quel point elle avait toujours voulu le rendre fier d'elle, et combien il avait, toujours, été son modèle; par ce simple mot, enfin, il lui montrait à mi-mot qu'il était fier d'elle, et la rassurait; par ce simple mot, il lui fit prendre sa décision - celle de ne pas changer. Alors, tout doucement, Cœur de Mimosa rouvrit les yeux, pour plonger dans ceux, émeraude, de son père, savourant le contact très doux et affectueux qu'il instaura du museau sur son front. Elle répondit comme elle le devait, d'une lèche sur l'épaule, attendit une seconde, ronronnant, recula; c'était, à présent, le moment de son frère.

« Et Nuage d’Aulne, tu deviens Bois d’Aulne. »

La même cérémonie se déroula, son frère si proche d'elle-même qu'un instant, Cœur de Mimosa eut l'impression de se voir accomplir le geste. Depuis toujours, Aulne était son miroir, son complice, son jumeau, son double - ils faisaient tout ensemble, et ce passage aussi. Ce soir, ils veilleraient ensemble, dans le silence... Ravie, la petite fleur, devenue grande, écoutait, observait, presque plus contente et fière du baptême du jeune homme que du sien. Un contact du museau, un coup de langue sur l'épaule, un pas en arrière, un regard. Quand la cérémonie fut achevée, Cœur du Mimosa, s'approchant pour presser doucement son museau contre le flanc du nouveau guerrier, chuchota, la première, son nom de guerrier, le félicitant tout en sensibilité, comme un précieux secret - puis, elle se mit, comme les autres, à l'acclamer, à voix haute.

« Bois d'Aulne ! »

Quel chemin depuis la pouponnière ! Pourtant... Certaines choses ne changeaient pas. L'amitié, l'amour... La famille. Le précédent baptême à l'Ombre, juste après la bataille, avait été une catastrophe, douloureuse, effrayante, qui avait laissé Nuage du Mimosa infiniment vide et peinée; celui-ci, au contraire, la laissait joyeuse, pleine d'espoir, et plus légère. Pour la première fois depuis longtemps, quand la brunette chercha, vive et souriante, le regard de son père avant de rejoindre ses amis, une étincelle d'une immense tendresse y brillait, plus lumineuse que toutes les étoiles. Alors, songea la chasseuse aux prunelles de soleil, peut-être que tout n'était pas perdu. Ce nom, ce jour, elle les recevait comme une deuxième chance; et, au milieu de la forêt colorée, fleurie, féerique, qui provoquait en elle un émerveillement d'enfant, la jeune fille se promit de ne pas la gâcher.

Peut-être, oui, peut-être, que certaines choses peuvent encore s'arranger.

Mes enfants... (32)


Le matin s'était doucement levé. Ça aurait bien été mon but à moi aussi, mais avec mes quatre fleurs matinales, c'était juste impensable. Je les laissais donc jouer, jusqu'à ce que la faim soit trop forte pour qu'elles ne puissent pas s'empêcher de s'en plaindre. Je commençais à les initier à la viande, petit à petit. Alors je me levai pour leur trouver cette fois - ci, une grenouille. Qu'elles goûtent de tout ! Et que peut - être, elles s'habituent aux proies visqueuses. Les mauvais chuchotements que j'entendais lors de mes sorties me firent de plus en plus espérer de voir des poissons d'argent peupler le tas de gibier. Mon esprit s'envolait loin du clan de l'Ombre souvent, voulant continuer mon apprentissage sur l'autre moitié de mes gênes. Mais je ne pouvais pas. Mes petites avaient encore trop besoin de moi. Sans doute que dans quelques jours, elles se passeront du lait, et je pourrais fort m'éloigner sans soucis ? Parfois je faisais un tour dans nos territoires, mais jamais trop longtemps.

Sortie du coup de l'antre des reines, j'entendis en même temps qu'une grenouille pendait de ma gueule, l'appel du meneur athée. Pourquoi une assemblée ? Un baptême ? Pas une autre annonce de bataille je vous en prie. Peut - être... les enfants d'Esprit Lent vont devenir apprentis, et moi et mes petites nous aurions la paix, moins de stress et de ressentiments ? Mais ce fut un baptême de guerrier. J'aurais pu être déçue, mais les noms que j'entendis me ravir entièrement. Nuage d'Aulne et Nuage du Mimosa, deux de mes grands frère et soeurs de lait ! Assister à leur baptême après le mien, c'était bizarre. Mais ma meilleure amie me rejoignait enfin -même si son apprentissage rallongé ne l'a pas empêchée de nous rentre visite à ma famille et moi- !

Assise devant la pouponnière, empêchant de cette manière à mes filles de partir trop loin, car je pourrais mettre la patte dessus, je regardais mon amie aux yeux d'or et dès que l'on devait clamer les noms, je miaulais le sien à plein poumons.

" Coeur de Mimosa ! "

Quel joli nom qui lui allait si bien à elle aussi ! Un coeur de fleur, coloré, épanoui, mais fragile aussi. Je l'attendis au pied du promontoire, devançant peut - être Souffle de l'Ouragan. Je voyais les regards échangés entre ces deux - là, cela n'échappait pas à une meilleure amie ! Ronronnante, je vins près de la nouvelle baptisée. Toute ronronnante, je lui proposai alors une petite sortie.

" Félicitations Coeur de Mimosa ! J'espère que ta veillée se passera mieux que la mienne ahaha ! "plaisantais - je. "" Si tu veux, demain, après que tu aies repris des forces de ta nuit blanche, on pourrait faire une balade aux Passiflores ? Pas trop loin pour les petites, tu me comprends.. Mais leur oncle sera rraaaaaviiii de les garder j'en suis sûre ! Notre première sortie entre guerrière, ça va être chouette ! " ronronnais - je, imaginant notre amusement à l'avance.

Nous ferons encore un tour parmi ces fleurs qui ont repris toutes les couleurs, comme les siennes, comme les miennes. Même si parfois, je sentais mes feuilles un peu se froisser. Quand vais - je finir écrasée par ce clan ? Puissons - nous au moins nous en échapper le temps d'un après midi, d'un rêve floral à deux.

Souffle de l'Ouragan s'était finalement remis de ses blessures de guerre. Les souvenirs sanglants et de terreur volatilisés, le guerrier noir avait laissé l'avenir poindre dans son esprit et atténuer les tracas du passé. Il voyait les choses autrement, désormais ; les lunes s'écoulant, ce changement de mentalité lui était un peu imposé toutefois. Aujourd'hui... Le matou s'intéressait un peu à son rôle au sein du Clan, à ses relations qu'il entretenait avec ses proches, à l'état de santé déclinant de son père, Fierté du Renard, qui, hélas, vieillissait au fil des jours toujours un peu plus. Chant du Lac s'inquiétait énormément pour son compagnon. Souffle de l'Ouragan essayait de la rassurer, mais il savait l'inévitable en train de se produire. Cela le brisait, mais il tâchait de garder le moral en se disant que le guerrier roux avait bien vécu et que, de toute façon, ils finiraient par se réunir, de nouveau... un jour, au sein de la voûte céleste.

En tout cas, Souffle de l'Ouragan n'avait pas envie de songer à tout cela maintenant. Etoile Maudite... - non, Maudit – amena ses guerriers à se réunir au centre de la clairière. De toute évidence, le meneur semblait avoir des choses à leur dire. De quelle nature seront-elles ? Le mâle tigré priait pour que les annonces soient positives pour tout le monde. Il s'installa parmi ses semblables et attendit la suite. Les miaulements de son chef qui, d'habitude, transpiraient de menace et de colère ne furent alors que délices à ses yeux. Il demanda à Nuage de Mimosa et Nuage d'Aulne de s'approcher du promontoire. Il ajouta à cela « que leurs mentors les pensaient prêts ». Les yeux bleus du guerrier sombre scintillèrent d'excitation. C'est un baptême ! Songea-t-il, les moustaches frétillantes d'impatience.

« Nuage de Mimosa, tu t’appelleras Cœur de Mimosa. Et Nuage d’Aulne, tu deviens Bois d’Aulne. » acheva Maudit.

Les nouveaux nommés attendirent la venue de leur père avant de « réaliser » la petite tradition destinée aux baptêmes. Les pattes de l'Ouragan lui picotèrent affreusement. Qu'il avait hâte de voir Maudit s'éloigner pour aller féliciter ses deux amis ! Il n'était guère proche de Bois d'Aulne – mais Cœur de Mimosa ? A ses yeux, c'était le nom le plus beau du monde. Le plus délicieux à entendre. A prononcer. Le meneur, malgré lui, avait eu bien raison de lui donner un nom avec la particule « cœur ». La beauté et toutes les qualités de Mimosa, les plus pures d'entre elles, résidaient dans son cœur et ça Ouragan le savait. Cette femelle avait également une certaine emprise sur son propre cœur, parce qu'elle le faisait chanter... Les acclamations furent nombreuses et répétitives, il s'en donna à cœur joie pour participer. Après quoi, le baptême fut conclu pour de bon, et les chats commencèrent à se disperser. Souffle de l'Ouragan s'empressa d'aller rejoindre Bois d'Aulne pour le féliciter, d'un coup d'épaule taquin – avant de se tourner vers la fleur dorée de ses rêves, le petit cœur sucré qu'il ne demandait qu'à posséder.

Il l'aperçut en compagnie de Bouquet de Muguet et fut alors freiné dans sa quête. Le fils de Chant du Lac ne désirait pas les interrompre... ni écouter leur conversation, par peur de paraître impoli. Le félin à rayures dévisagea la bouche des deux femelles et patienta le temps qu'elles n'aient plus grand à chose à se dire. Il osa ensuite s'approcher, dans un sourire très chaleureux. Ses yeux bleus brillaient toujours de satisfaction. Son cœur semblait affronter la tempête.

« Cœur de Mimosa ! Félicitations pour ton nouveau nom, je le trouve magnifique. Tu penseras à moi lorsque tu iras te trouver une place dans l'antre des guerriers, hein ? Je t'impose un emplacement tout proche de ma litière. » miaula-t-il, faisant mine d'être sévère pour mieux accentuer la plaisanterie.

Dans d'autres circonstances, il aurait même pu lui dire « Je t'impose de dormir dans la même litière que moi » mais la phrase était assez étrange, dite ainsi, et il n'était pas certain que Mimo comprenne le véritable sens de ses paroles. Il ne semblait pas le moins du monde inquiet à l'idée de dormir loin d'elle. Ils auraient tout leur temps pour rattraper leur éloignement temporaire, n'est-ce pas ?

Un dernier regard à son père, un dernier ronron à son frère; bientôt, la nouvelle guerrière, qui leva une seconde le regard vers le ciel pour chercher, malgré le soleil, l'approbation de sa mère, bondit du promontoire pour retrouver le sol, et ses camarades clamant encore leurs noms. Tout le monde les félicitait - ou presque, puisqu'avec un douloureux pincement au cœur la fleur d'or remarqua l'absence de sa sœur bicolore, dont le regard vert ne lui souriait pas. En revanche... D'autres prunelles d'émeraude, de jade et de plantes scintillaient pour elle, accompagnant une des seules voix qui comptait à présent. Tout le monde les félicitait - mais pour la brunette, dont l'âme chantait doucement, les seules louanges précieuses, ou presque, étaient celles d'une amie. Bouquet de Muguet était là, malgré ses quatre filles, première au pied du promontoire, de la fierté dans son sourire, dans son regard, dans sa voix; ravie, l'autre fleur, fille du soleil, laissa sa lune apaiser les marées de ses sentiments, savourant la magie de ce nouveau nom consacré par la pureté cristalline d'une parole-mélodie.

« Coeur de Mimosa ! »

Rien d'autre ne comptait. Juste les notes, ponctuées de ronronnements, la fourrure de jais et de neige pressée contre la sienne, la douceur d'un moment où l'aînée, pourtant dernière à être baptisée, se sentit refleurir. Campanule-gratitude, Édelweiss-paix, Lavande-tendresse, Perce-neige-espoir, Acacia-amour platonique, Lilas-émotions, Poirier-affection... Muguet. En écoutant son amie prononcer le nom duquel elle venait d'être baptisée, Cœur de Mimosa ne put que remarquer à quel point la fleur qui avait donné son nom à l'autre fée des plantes portait, tout en délicatesse, la parfaite signification, dans sa pluie de clochettes. Muguet - le retour du bonheur. Ronronnante, la jeune guérisseuse écouta, ravie, les propositions de la plus jolie des reines.

« Félicitations Coeur de Mimosa ! J'espère que ta veillée se passera mieux que la mienne ahaha ! » taquinait celle-ci, sa complice esquissant un sourire au souvenir de la précédente. Décidément, Bouquet de Muguet ne changerait jamais... « Si tu veux, demain, après que tu aies repris des forces de ta nuit blanche, on pourrait faire une balade aux Passiflores ? Pas trop loin pour les petites, tu me comprends.. Mais leur oncle sera rraaaaaviiii de les garder j'en suis sûre ! Notre première sortie entre guerrière, ça va être chouette ! »

Une sortie toutes les deux ? Cent fois, mille et une fois oui ! Parce que la brunette aux prunelles d'ambre, d'or et de soleil aimait immensément les quatre nouvelles fleurs qui avaient, bien des lunes après, trouvé un nid dans la pouponnière où elles-mêmes avaient éclos, ces quatre enfants, quatre filles, précieuses à ses yeux, symboliques du printemps après un long hiver, mais... Elle aimait plus encore Bouquet de Muguet, et serait ravie de passer un moment avec son amie, guerrière plutôt que reine, complice de floraisons plutôt que jeune maman. Une sortie toutes les deux... Le cœur battant, le sourire si grand qu'elle eut sans difficulté pu éclipser le soleil, la lune et les étoiles, Mimosa hocha la tête et souffla:

« Bien sûr que je comprends ! Je suis sûre que Dent de Sabre va adorer son moment avec ses nièces, et comme ça, on pourra quand même se balader et parler. On a sans doute pas mal de temps à rattraper ! »

Elles étaient meilleures amies, oui; mais en changeant de tanière, en éloignant leurs nids, forcément, elles avaient moins parlé: oubliées, les confidences de nuit, quand l'une comme l'autre perdaient le sommeil pour se dévouer à d'autres ! Oubliées, les dizaines de sorties, depuis qu'était apparue une nouvelle fratrie - mais demain, elles pourraient rattraper le temps perdu. Parce qu'elles étaient meilleures amies - le temps passait, et elles se retrouveraient. Leur première sortie de guerrières ! Enfin ! Cœur de Mimosa se rappelait encore le temps où elles rêvaient, ensemble, de passer apprenties... D'une certaine manière, elles avaient depuis gagné en liberté, appris à déployer leurs ailes pour mieux s'envoler; et maintenant que le monde s'ouvrait à elles, qui pouvait dire jusqu'où elles iraient ? Par delà les frontières, sans aucune barrière... Tout était possible, ensemble ou séparées - et, l'aînée en était sûre, elles avaient de grandes choses à se raconter. À commencer par, peut-être, l'histoire qui l'unissait elle à un jeune guerrier, et que les yeux de sa meilleure amie avaient vite décelée...

Souffle de l'Ouragan s'était approché d'elles, un peu en retrait, par respect, attendant qu'elles aient fini pour s'approcher à son tour, soufflant le nom de son amoureuse avec une tendresse qui la fit frissonner - il jouait du violon sur les cordes de son cœur, et à n'en pas douter, savait la faire vibrer... Alors, la toute nouvelle guerrière lui décocha, à son tour, le plus lumineux des sourires.

« Cœur de Mimosa ! Félicitations pour ton nouveau nom, je le trouve magnifique.
Tu penseras à moi lorsque tu iras te trouver une place dans l'antre des guerriers, hein ? Je t'impose un emplacement tout proche de ma litière. » miaula-t-il, la mine sévère, en une nouvelle plaisanterie.

Le regard malicieux et son ronron se mêlant à un petit rire, la nouvelle guerrière lui donna un petit coup de museau, et, choisissant de jouer de la plaisanterie jusqu'au bout, lança au jeune chat qui était au cœur son jardin secret:

« Ta litière ? Oh, oui c'est vrai, je réfléchirai à t'y laisser un peu de place ! »

Cœur de Mimosa observa ses amis, le regard plein de gratitude;
L'espace d'un instant, tout était parfait.

Le mâle se plut à jouer à la symphonie des métaphores avec sa belle et tendre. A vrai dire, il l'aimait tellement ! La grâce de ses gestes, la pureté de son cœur, sa malice et son optimisme à toutes épreuves. Son aura représentait un arc-en-ciel de sentiments paradisiaques, mêlant le rose pâle de la candeur au rouge vif du véritable amour. Souffle de l'Ouragan ne parlait guère de ses sentiments naissants envers la fille du meneur à ses compagnons, et pourtant, il ne doutait pas un seul instant de l'intensité de ces derniers. Au fil du temps, les événements se précisaient à la manière d'une évidence, et le fils de Chant du Lac se surprenait à réviser le moment fatidique où il confierait à son amie toute l'importance qu'elle avait pour lui. En attendant...
La guerrière fraîchement nommée mêla son ronronnement doucereux au plus beau des rires possibles sur Terre – chassant ses craintes de rejet comme le vent balaierait les feuilles mortes pendant la saison d'automne. Cœur de Mimosa lui donna un petit coup de museau avant de répondre à sa proposition sur le même ton plaisantin, malicieux, dont il était affectueusement habitué :

« Ta litière ? Oh, oui c'est vrai, je réfléchirai à t'y laisser un peu de place ! »

Le jeune guerrier poussa un léger rire, amusé par le répartie de la chatte tigrée. Le soir, ils verraient bien qui des deux prendrait le plus de place ! Et dans le plus grand des secrets, il espérait que cette litière soit suffisamment petite pour que leurs corps se retrouvent blottis l'un contre l'autre, queues enroulées entre elles, comme si l'évidence de leur romance s'était concrétisée il y a de cela des siècles et des siècles. Il se pencha légèrement sur elle avant de lui glisser, les yeux mi-doux, mi-provocateurs :

« Nous verrons cela... » lui murmura-t-il, avant de se redresser.

Ses moustaches frétillèrent une dernière fois avant que le guerrier sombre ne soit interpellé par sa propre mère, Chant du Lac. La vétérante noire attendait près de la sortie du camp. Elle lui fit signe de la rejoindre. Souffle de l'Ouragan se tourna une dernière fois vers Cœur de Mimosa pour lui faire un clin d'oeil – après quoi, il fila rejoindre sa mère et s'engouffra dans la forêt sombre qui l'avait vu naître.

Une chasse en perspective avec sa mère s'annonçait. Souffle de l'Ouragan n'était pas le plus doué des chasseurs, mais à cet instant précis, il se sentait prêt à chasser un renard pour les beaux yeux du monde.