Wanna make a contract ? ft. Coup de Foudre - end

Nuage d'Épervier était épuisé.

Son corps était fatigué, mais son esprit l'était également. Récemment, il avait été malmené sur les deux plans.
La culpabilité l'avait attaqué en premier lorsqu'il avait décidé, avec la complicité de Cobra Royal, de mentir au Clan. En effet, alors que l'apprenti-sentinelle était revenu dans un sale état des suites d'une querelle avec un Ombreux qu'il avait provoqué, son père lui avait conseillé de rendre les faits plus... acceptables, et moins... compromettants, tant pour sa carrière de sentinelle que pour le post de lieutenant du bicolore. Le brun ne pouvait salir sa famille.
Ensuite, il avait du accuser le coup; une trahison. Son ami Nuage Embrasé lui avait tourné le dos le soir de la bataille opposant le Clan du Vent à celui de l'Ombre. Le rouquin, qu'il avait rencontré quelques jours plus tôt et avec qui il avait semblait-il bien sympathisé n'avait pas hésité une seule seconde lors de l'affrontement. Cruel, le novice des marais avait attenté à sa vie en ciblant des points sensibles de son anatomie; la gorge, notamment. Et même si le fils de Cobra Royal lui criait qu'il s'agissait de lui, d'un ami rien n'y faisait et l'imposant typé somali continuait de l'attaquer avec un soupçon de sadisme dans le regard.
Autre source de haine; la disparition de Nuage de Soleil, sa meilleure amie. La rouquine s'était volatilisée depuis la bataille et personne ne semblait avoir de nouvelles. Évidemment, le Clan du Vent avait très rapidement émis l'hypothèse que l'apprentie tête en l'air avait été kidnappé par les lâches des marais.
Enfin, il se remettait de ses blessures physiques. Une petite balafre en V renversé à la joue s'ajoutait désormais à la vilaine cicatrice qui lui barrait la gueule. Quant à sa patte que le traître d'Ombreux ne s'était pas gêné à mordre, elle l'avait fait boiter un moment. Il lui semblait qu'il était toujours en convalescence. Du haut de ses 18 lunes, il était devenu le plus vieil apprenti de la tanière et avait finalement passé presqu'autant de temps à être autorisé aux entraînements qu'à en être privé. Il avait fulminé un bon moment, en particulier contre Nuage Embrasé, qu'il n'était pas prêt de pardonner !

Couché contre l'un des Quatre Chênes, l'animal aux yeux jaunes prenait le soleil. La chaleur atténuait la douleur; il l'avait bien appris ces derniers temps. Et puis ici, il était à l'abri du brouhaha du Camp. Nuage d'Épervier avait envie de tranquillité. Même entouré par son Clan tout entier, il se sentait seul. Il avait déçu son père. Il avait mis en danger ses frères et sœurs. Il avait été trahi par son ami, et son corps savait le lui rappeler. Mais par dessus tout, Nuage de Soleil lui manquait. Si elle avait été là, la rouquine aurait assurément su lui arracher un sourire : elle n'avait qu'à faire l'idiote pour cela, et elle était très douée à ce jeu !

Soudain, la végétation frémit non loin de lui. Il se redressa sur ses quatre pattes, les oreilles dressées sur le crâne comme deux radars. Ses yeux jaunes fixaient l'origine du bruit et alors il patienta, aux aguets. Par réflexe, il banda ses muscles, prêt à fuir ou à se battre s'il le fallait.

La végétation frémit non-loin de lui, dans l'herbe et les buisseraies au pied des larges racines d'un des Quatre Chênes où il était couché, mais aussi du feuillage des branches au-dessus. Une ombre apparut au travers du soleil qui se filtrait et d'yeux jaune électrique reluisirent aux rayons

— « Mais qu'est-ce qui t'es arrivé!

Le feuillage bruissa à nouveau car le bengal se jeta en bas de sa branche d'un bond pour rejoindre l'apprenti tout en bas.

Pour quelqu'un qui ne participait jamais aux Assemblées (il fallait dire que la fois qu'il l'avait fait avait été la fois de trop...) il allait souvent se reccueillir aux Quatre Chênes. Peut-être pour se désensibiliser? La première fois qu'il était venu ici, la Lune avait plongé tous les chats dans une folie meurtrière, et la terre et l'herbe avaient bu le sang de leur Guerre et ses victimes. La seconde il avait rencontré Museau Bleu, lui avait chanté la pomme à la couronne de l'écorce. La troisième, Nuage de Lapin, avec qui ils avaient partagé une grive (sous le conseil des Étoiles!). Qui sait qui il verrait la quatrième! Quelqu'un de nouveau? Peut-être personne. Les Quatre Chênes étaient toujours si hauts, et le tentaient toujours autant de grimper (de plus d'une façon...), et c'est ce qu'il avait fait pour y paresser.

Lorsqu'enfin il entendit des sons en contrebas, signe que quelqu'un s'était approché, Coup de Foudre avait souri et s'était penché afin de voir de qui il s'agissait. Dur de ne pas reconnaître la somptueuse pelisse de l'apprenti du début de la saison - le bout blanc de sa queue qui devenait crème à la mi-longueur, revêtant un poil marron qui pâlissait à ses pattes où on voyait de fines rayures se casser à la hauteur de ses ergots et disparaître derrière de petites chaussettes blanches ; son regard capta le médaillon blanc à son poitrail, la marque à sa gorge, et son visage plus sombre que le reste avec ses yeux dorés comme la forêt un soir d'été - son oeil suivit distraitement une cicatrice sur sa gueule, remontant la babine avant de sauter à la prochaine sur sa joue et c'est pourquoi le bengal s'était levé et l'avait interpellé aussi brusquement.

Maintenant qu'il était tout près il fit prendre à son visage un air paniqué, pivotant ses deux oreilles dans leur cran.

— Oh- oh non, c'est encore pire de près, je rêve...

Une part de lui haïssait la guerre pour sa mésentente et la souffrance qu'elle causait mais son manque (merci Mistigris) tordait aussi ses priorités, aussi là où il s'était attendu à voir Museau Bleu pour enfin apprendre à nager et pour, qui sait, traverser la rivière pour aller retrouver une certaine chatte noire aux reflets rouges, une moitié de colère sourde l'envahit en voyant ce si beau matou laidifié par des cicatrices en face. Elles ressemblaient trop à ceux qui s'étaient retournés contre lui mais il réussit à taire cet espèce de vestige de dédain pour tenter de tirer profit de ce rapprochement.

— Qu'est-ce qui s'est passé?

Et ce d'un souci sincère.

HRP:

Mais alors que le novice fixait les buissons, c'est dans le feuillage du grand chêne que deux yeux jaune foudroyant apparurent. Nuage d'Épervier les reconnut aussitôt; il s'agissait du mystérieux étranger Tête de Grive. Son corps s'apaisa soudain, il n'était pas en danger.

« Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ! » fit le typé bengal avant de rejoindre son cadet à même le sol.

C'est que décidément, Tête de Grive lui allait à ravir.
Le guerrier du Clan du Tonnerre ne cachait pas sa surprise. S'il avait rejoint l'apprenti-sentinelle, c'était de toute évidence pour l'observer de plus près. Son regard jaune vif dénudait Nuage d'Épervier sans qu'il n'ait à le toucher. Le jeune matou était très inconfortable ainsi inspecté. Ses propres yeux n'osaient pas encore se perdre avec tant d'intensité dans la fourrure sombre de son aîné; bien qu'il ne puisse nier qu'il la trouvait tout bonnement magnifique avec ses multiples nuances et ses motifs originaux.
Troublé -comme à chaque fois, décidément !-, le fils de Cobra Royal n'eut pas le temps de répondre que l'autre reprenait déjà, à quelques longueurs de queue de souris de lui seulement :

« Oh- oh non, c'est encore pire de près, je rêve... » d'un air -faussement ?- paniqué.

L'apprenti ne dit mot, puisque Tête de Grive et son aura envahissaient encore tout l'espace. Mais il se trahit d'un mouvement anxieux de la queue. Ce rapprochement brutal le gênait. Pourtant, il ne sentait aucune menace planer contre lui. Seulement, le mâle brun ne savait encore distinguer les moments durant lesquels son homologue jouait et ceux durant lesquels il était sincère -c'est qu'il était loin de se douter que le guerrier adverse ne cessait jamais de jouer.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? » redemanda l'adulte, cette fois en marquant une pause nette.
- Je... C'est... C'est le Clan de l'Ombre. Deux fois. » parvint-il à articuler, intimidé par la petitesse de la distance le séparant du joli matou typé.

Il lui fallut un petit temps pour s'y accommoder, temps qu'il prit sur celui qu'il aurait normalement accordé à la parole. Quelques maigres secondes durent s'écouler avant qu'il ne reprenne, plus en détails et en confiance.

« Peu après t'avoir rencontré, de grosses tensions entre mon Clan et celui de l'Ombre ont fait leur apparition. Et puis, je te la fait courte car tu dois t'en douter mais les petites querelles aux abords de la frontière ont donné naissance à des altercations de plus en plus violentes. Ça et là, des incidents ont nourri la haine des deux côtés et puis... boom. » Il marqua une pause, cherchant dans l'éclat jaune vif un acquiescement avant de reprendre une troisième fois. « J-J'ai été victime d'une attaque injustifiée lorsque j'étais seul. Un guerrier s'en est pris à moi et m'a laissé ces vilaines cicatrices aux pattes, à la gorge mais surtout à la gueule... » Il mentait encore à propos du fameux incident dont il aurait été victime mais tant pis. « Et puis une nuit, alors que j'étais de patrouille, ils nous ont attaqué. Ils s'en sont pris au Camp aussi, enfin... voilà. Une histoire de guerre parmi tant d'autres, pas vrai ? » Sa voix mal assurée et sa précipitation pour clore le récit le trahissaient encore. Il aurait voulu parler encore, dire tout et tout en vrai. Mais il ne le pouvait pas; certains mensonges le rendaient vulnérables. « Mais nous les avons repoussé, bien sûr ! »

Il ne pouvait pas non plus se permettre de révéler trop d'informations sur l'état actuel des choses dans la lande. Tête de Grive demeurait un potentiel adversaire. Être de vrais amis leur était impossible. Ça, Nuage Embrasé le lui avait bien fait comprendre.

« Et toi, quoi de neuf ? » lâcha-t-il d'un air faussement distrait pour changer de sujet.

HRP:

— « Je... C'est... C'est le Clan de l'Ombre. Deux fois.
— Le Clan de l'Ombre, répéta Coup de Foudre, et ses yeux s'arrondirent : tout le Clan de l'Ombre??
— Peu après t'avoir rencontré, de grosses tensions entre mon Clan et celui de l'Ombre ont fait leur apparition. Et puis, je te la fait courte car tu dois t'en douter mais les petites querelles aux abords de la frontière ont donné naissance à des altercations de plus en plus violentes.

Ça et là, des incidents ont nourri la haine des deux côtés et puis... boom.

Ses deux oreilles s'étaient pivotées vers l'extérieur sans qu'il n'ait besoin de forcer la chose. Bien sûr, sa mémoire motrice y était pour beaucoup, mais il était sincèrement mécontent de cette histoire qu'on lui racontait. Sincèrement furieux qu'une autre guerre ait explosé à cause de rien que de petites querelles d'abords de frontières. À cause d'enfantillages, qui sait combien d'autres chats qu'Épervier avaient pâti de cicatrices aussi laides. Jamais plus il ne complimenterait celles de Tigre.

— J-J'ai été victime d'une attaque injustifiée lorsque j'étais seul. Un guerrier s'en est pris à moi et m'a laissé ces vilaines cicatrices aux pattes, à la gorge mais surtout à la gueule...
— ...

Surtout à la gueule, et Coup de Foudre était obnubilé par ce pauvre museau et nez coupés d'une marque qui se mouvait par-dessus les muscles de sa bouche, lorsqu'il parlait:

— Et puis une nuit, alors que j'étais de patrouille, ils nous ont attaqué. Ils s'en sont pris au Camp aussi, enfin... voilà. Une histoire de guerre parmi tant d'autres, pas vrai ? Les paupières du Bengal se plissèrent, et Tête de Grive ne parut plus aussi épouvanté. Mais nous les avons repoussé, bien sûr !
— ...Bien sûr.

Le Clan du Vent? Attaqué sans raison? Difficile à gober - on parlait du même Clan qui avait lancé un assaut durant la nuit responsable de la mort de Mirage du Désert. Quoi que son désir de s'entendre lui dise il n'était pas naïf au point de croire que tout le Clan caressait les mêmes rêves que lui. Même s'ils avaient été attaqués - et il en avait un peu la preuve avec les marques de son Lapin! - il refusait de croire qu'ils n'avaient pas rendus les coups. "Injustifiée"... Mais bien sûr.

— « Et toi, quoi de neuf ?
— Oh, trois fois rien, je sortais du Clan, tranquille, pour aller aux Quatre Chênes en espérant croiser un de mes amis, et j'y croise mon Lapin avec la gueule griffée qui trouve pourtant le culot de me mentir en pleine face.    T'es sérieux?

Il eut comme un rire, mais d'abord aucun son n'en sortit, dodelinant la tête de bas en haut avant de la secouer.

— T'essaies vraiment de me faire croire que c'est une histoire de "frontières"?  Monsieur l'acteur?  Monsieur "je-fuis-mes-tâches-pour-aller-aux-Quatre-Chênes" ??   Ha hah !

HRP:

Mais lorsque le typé bengal lui répond, le cœur de Nuage d'Épervier se serre fort dans sa poitrine.

« Oh, trois fois rien, je sortais du Clan, tranquille, pour aller aux Quatre Chênes en espérant croiser un de mes amis, et j'y croise mon Lapin avec la gueule griffée qui trouve pourtant le culot de me mentir en pleine face. » Face au ton pourri d'accusation, le fils du lieutenant des landes ne trouve pas la force de continuer à éviter le regard de son homologue. « T'es sérieux ? » lui demande le guerrier de la forêt, avec une drôle de grimace sur la face. « T'essaies vraiment de me faire croire que c'est une histoire de "frontières"? Monsieur l'acteur ? Monsieur "je-fuis-mes-tâches-pour-aller-aux-Quatre-Chênes" ?? Ha hah ! »

Il se sent soudain acculé par toutes ces accusations -bien fondées pour la plupart. Et comme tout animal acculé, l'apprenti-sentinelle est grandement tenté de suivre son instinct et de répondre avec agressivité. Son visage porte d'ailleurs le courroux : sourcils froncés, babines légèrement retroussées, narines gonflées, et bientôt c'est son buste qui s'avance. Mais le jeune réprime sa colère; il le sait, elle n'a pas sa place ici et sauter sur Tête de Grive serait vraiment l'idée la plus débile qui soit. Au lieu de ça, il répond :

« Hé, ne me traite pas de menteur ! » Sa queue fouette l'air. « J'ai raison de dire que cette attaque était injustifiée. Parce qu'aucun sac à puce de l'Ombre n'a été fichu de la justifier explicitement. » Soudain, il prend un air grave et finit par révéler : « Nous avons été victimes d'une haine gratuite. Une jeune guerrière de mon Clan a été rendu aveugle par l'un de ces tarés, dans l'enceinte de notre propre Camp ! Elle ne sera jamais la même. » Doux Alizé. « Ma sœur a été tué. Elle est morte de ses blessures quelques jours après l'assaut, et elle n'avait rien demandé à personne, elle ne fréquentait même pas les frontières, encore moins depuis ma propre attaque. » Écaille de Mamba. « Et mon amie, ma meilleure amie a été enlevé durant l'attaque et personne n'a l'air de vouloir l'aider ! » Il finit. « Il n'y a rien qui justifie une telle violence. Rien. » feulant. Son pelage a doublé de volume, et son corps exprime mieux que lui toute la rage qui l'inonde.

Il fait volte-face, tournant subitement le dos à cet inconnu qui ne le croit pas. Mais il ne se retourne pas pour décamper. Non. Nuage d'Épervier se recroqueville soudain comme un chaton. Il cache son museau, qui vient s'enfouir sous l'une de ses antérieures. Et il a peur. Il sait que la peur est permise, pourtant il a aussi honte. Sa queue vient contre son flanc, comme pour s'enlacer lui-même. Il dit alors, sans même franchement s'adresser au bengal :

« Je n'ai pas su les protéger. »

Piqué au vif, Lapin miaula, retroussant ses babines, faisant voir au bengal ses crocs avant de les rentrer en mesurant de justesse sa colère.

— « Hé, ne me traite pas de menteur !
— Alors ne me mens pas!

Ils partagèrent un fouettement de leurs queues respectives, mais celle du bengal l'avait devantage fait par mimétisme que pour soulever la tension.

— J'ai raison de dire que cette attaque était injustifiée. Parce qu'aucun sac à puces de l'Ombre n'a été fichu de la justifier explicitement.

Il ne s'attira aucune sympathie de Coup de Foudre - Lorsque Tache d'If avait assailli leur Clan cette nuit d'automne, elle n'avait rien justifié non plus. Il avait du arracher les mots de Nuage du Vent pour comprendre ce qui se passait - heureusement, puisqu'il avait déjà établi un rapport de respect avec Nuage de Lapin, il pouvait tout de suite jouer la carte de ne "je ne suis pas fâché je suis déçu", ce qui aida à merveille à lui délier sa langue:

— Nous avons été victimes d'une haine gratuite. Une jeune guerrière de mon Clan a été rendu aveugle par l'un de ces tarés, dans l'enceinte de notre propre Camp ! Elle ne sera jamais la même.

Alors une de ses amies a été aveuglée.

— Ma sœur a été tué. Elle est morte de ses blessures quelques jours après l'assaut, et elle n'avait rien demandé à personne, elle ne fréquentait même pas les frontières, encore moins depuis ma propre attaque.

Sa soeur avait été tuée.

— Et mon amie, ma meilleure amie a été enlevé durant l'attaque et personne n'a l'air de vouloir l'aider !

Et sa meilleure amie avait été enlevée.

Mais toujours il ne s'attira aucune compassion car n'était-ce pas justice pour ce que le Clan du Vent leur avait fait subir, au Tonnerre? Le même modus operandi - attaquer le Campement dans la nuit, s'enfuir avec une otage, et lui faire vivre qui sait combien de tortures. Coup de Foudre pensa à Guêpe Sauvage mais du moins sans se souvenir de son nom ou de son apparence ; juste de la vague histoire des ondits de la forêt. Rien qui ne l'avait vraiment intéressé avant aujourd'hui, avant d'être capable de marquer un parallèle entre ces deux exemples réels de cruauté gratuite.

Toujours il regardait l'apprenti, et ses nouvelles blessures, et les lieux aidaient à stimuler sa mémoire en lui rappelant la bataille que les quatre Clans s'était livrée ici. Lapin gonfla sa fourrure de rage et son ton louvoya en feulant:

— Il n'y a rien qui justifie une telle violence. Rien.

Et juste ainsi il lui tourna le dos. Coup de Foudre se dit qu'il s'apprêta à partir mais non - non, Lapin resta assit, en se tassant sur lui-même, en se cachant la face d'une patte et en rangeant sa queue contre lui comme à la recherche d'un contact.

— Je n'ai pas su les protéger. »

Derrière l'apprenti trônaient les Quatre Chênes hauts comme des tours, couvrant le ciel de leur feuillage, feuillage qui se mit à bruisser sous une légère brise.

— « Tu as raison, tonna la lourde voix du bengal, s'approchant de l'apprenti car il s'était mis en mouvement d'un premier pas, puis d'un second, et il vint s'asseoir à côté de ce-dernier pour lui donner ce que son corps lui avait révélé vouloir : du soutien.

Sa queue monta sur sa croupe pour rejoindre la sienne à son flanc, et il colla son épaule à la sienne en abaissant sa tête pour le regarder en biais, plus calme, plus doux surtout, répétant à son Lapin ses mots qui résonnaient pour une fois avec le véritable fond de ses pensées:

— Il n'y a rien qui justifie une telle violence. »

« Tu as raison. »

Le ton solennel de l'étranger surprend le novice, mais il ne bouge pas. Et alors qu'il retient de lourds sanglots, Nuage d'Épervier sent une chaleur rassurante envahir son flanc droit. Puis, ses poils cèdent sous la queue habile de son aîné, lequel vient tout juste de réduire à néant la distance séparant son épaule de celle du venteux. S'il n'était pas envahi d'émotions aussi fortes, il est sûr que le brun tressaillirait déjà sous la gêne. Au lieu de ça, il se blottit un peu plus contre le typé bengal, plaquant leurs poils noirs ou bruns les uns contre les autres, créant un contact plus prononcé entre leurs deux chaleurs.
Souple, le guerrier du Clan du Tonnerre parvint à glisser sa tête sous la carapace de fortune que forme l'apprenti des landes à l'aide de sa patte. Alors, il lui dit :

« Il n'y a rien qui justifie une telle violence. »

Il se crispe. Il est malade.
Il a raison. Rien ne justifie une telle violence. Son estomac se tord, il a envie de vomir. Nuage de Soleil. Un sanglot monte dans sa gorge. Elle, est encore aux prises de ses violents adversaires. Elle croise peut-être tous les jours Nuage Embrasé et son regard fou, le grand guerrier qui a crevé les yeux de Doux Alizé, le matou sombre qui a assassiné Écaille de Mamba. Elle est en danger. Il se laisse glisser au sol, sans jamais rompre le contact direct avec son homologue des bois. Le flanc contre la cuisse de celui qui était il y a quelques lunes encore un mystérieux inconnu, il demande :

« Tête de Grive... » le regard plongé dans la végétation en face de lui. Le ridicule de ce pseudonyme ne le fait même pas rire, c'est comme s'il s'agissait d'un véritable nom. « Tu t'es déjà fait du souci pour un ami au point d'en avoir mal au ventre ? »

Il lève la tête vers l'autre, et le regarde finalement dans les yeux, soucieux. Pourtant, ce contact visuel ne réclame aucune réponse précise sauf la vérité.

Cassure.

C'était arrivé à Fifi, lorsqu'il avait mis la patte sur son souci. C'était arrivé à Vent lorsqu'il l'avait mis sur le sien. C'était donc naturel que ça arrive aussi à Lapin - il était perdu, triste et fâché par la tournure des conflits avec l'Ombre et il brûlait d'envie d'avoir un peu de soutien. Ce n'était pas au Clan du Vent qu'il allait l'avoir, apparament, et le Bengal courba la tête pour refermer son étreinte avec le plus jeune, veillant aussi à ronronner tout bas pour lui faire comprendre qu'il n'avait aucune mauvaise intention à son égard. Lui faire comprendre - pas lui faire croire. Le poids des émotions terrassa son Lapin qui se laissa glisser dans l'herbe moite, sans toutefois se retirer du contact.

— « Tête de Grive... Ce-dernier abaissa légèrement sa tête et la pencha pour regarder de biais le sombre chat qui avait plutôt les yeux devant. Tu t'es déjà fait du souci pour un ami au point d'en avoir mal au ventre ?

Le bengal redressa sa tête, et fit mine de la pencher de l'autre côté, étirant sa queue pour recouvrir davantage de surface du corps de l'apprenti avec. Elle ondulait avec son ronron - c'est que tout cet échange de chaleur ne lui déplaisait pas...

— Non. » Il haussa les épaules, l'ombre d'un sourire indifférent frôlant ses babines. « Mais je ne suis pas un exemple, ma tête est cassée, tu sais?

Voyons voir...   J'ai vu des chats s'en faire pour leurs amis au point de ne plus dormir - ça se ressemble assez pour toi?

Lapin leva sa tête et Coup de Foudre baissa la sienne, le couvant d'un air certes insouciant mais doux. Est-ce que ça lui suffisait? De savoir qu'il n'était pas le seul - que ce n'était pas anormal pour les chats qui avaient toute leur tête de se faire du souci au point d'avoir du mal à fonctionner comme il se doit. On parlait quand même d'un apprenti qui avait perdu sa soeur, dont son amie avec été aveuglée, et dont la meilleure amie avait été enlevée. S'il existait un quelconque quota à remplir avant d'admettre qu'on est en train de souffrir, le pauvre Nuage de Lapin avait largement dépassé le barême.

« Non. » Ses oreilles se dressent sur son crâne, et il écoute les yeux ronds. « Mais je ne suis pas un exemple, ma tête est cassée, tu sais ? »

Non, il ne sait pas. Voilà que les questions se bousculent dans sa propre tête. Attendez mais... Quel âge a ce matou, il fait plutôt vétéran non ? Comment est-ce possible qu- ? Écouter la suite.

« Voyons voir... » Il reprend. « J'ai vu des chats s'en faire pour leurs amis au point de ne plus dormir - ça se ressemble assez pour toi ? »

Tête de Givre a l'air détendu, comme si la situation n'avait rien de singulier. Pourtant, Nuage d'Épervier est piqué par la curiosité. Il se fige, et demande sans détour :

« Attends... » Il hallucine. « Oui ça se ressemble assez. Maiiis, toi tu n'as jamais ressenti cela, pour qui que ce soit ?! » Il se redresse, et ses yeux se mettent à scruter le crâne du bengal à la recherche de séquelles physiques. « Comment on t'a cassé ta tête ? Tu as eu mal ? » Dans ses prunelles de novice, un brin de peur mais beaucoup d'inquiétude. Quand il retrouve le jaune vif, il dit : « Ça te fait mal, là ? »

Sa queue, qui jusque là était rangée contre son flanc comme pour s'enlacer lui-même, vient glisser sur la croupe du mâle charcoal. Les rôles s'inversent, Nuage d'Épervier est soucieux.

C'est peut-être parce-qu'il avait trop l'habitude d'en glisser un mot aux autres qu'il en oubliait à qui il l'avait fait, pour sa tête. Lorsque de l'inquiétude transparut dans les yeux de Nuage de Lapin, non plus pour son amie que le Clan de l'Ombre avait enlevé mais pour lui, le tierce chat qui n'avait rien à faire dans cette histoire, le bengal pivota une oreille vers l'arrière, interdit:

— « Attends... Nuage de Lapin cilla et Coup de Foudre fit pareil. Oui ça se ressemble assez, maiiis, toi tu n'as jamais ressenti cela, pour qui que ce soit ?!
— Euh- Coup de Foudre crispa son sourire et suivit des yeux l'apprenti qui se redressa, se hissant assit en lui scrutant la tête de ses yeux dorés comme des rayons au soir.

Et comme des rayons au soir ils l'aveuglaient - ceux de Coup de Foudre tentèrent de lire dedans mais son attention se décrocha inévitablement à la griffure à son museau, se coulant à celle de sa gorge - il plissa les paupières - concentre-toi!

— « Comment on t'a cassé ta tête ? Tu as eu mal ?
— Lapin, commença le bengal, gentiment ennuyé par cette vague de souci qui venait d'emporter l'apprenti.

Il tendit le cou et tourna la tête pour se rendre compte que la queue de l'apprenti l'avait recouvert, se croisant avec la sienne au niveau de sa croupe, et si en temps normal il aurait apprécié le geste (bon, il ne put retenir un ronron mais) sa dernière question le poussa dans ses retranchements et lui fit lever sa patte.

— « Ça te fait mal, là ?
— « Lapin!  Et de cette patte il tapa d'un mouvement succinct la tête de l'apprenti pour le sortir de sa transe, abaissant la sienne à sa hauteur pour scruter ses yeux en retour.

— Je vais bien!

Il lui sourit - ou plutôt l'encouragea à lâcher l'affaire à l'aide d'un sourire, vite secoué d'un petit rire, bizarrement touché par le souci de l'apprenti quant à son état. Loin ne lui en déplaise, mais si l'apprenti avait tenté de lui mentir, plus tôt, c'était bien parce-qu'il croyait qu'ils étaient ennemis, non? Devait-il vraiment s'en faire pour un ennemi? Coup de Foudre connaissait déjà sa réponse : ce genre de souci était intrinsèque, peu importe le Clan d'où on venait. C'est car un souci mutuel poussait chez des individus qui apprenaient à s'apprivoiser.

— « Ha ha, c'est vraiment de ça que tu veux parler? Ce qui rima avec « c'est vraiment de moi que tu veux parler? »

Et ce mal de ventre, alors? »