Libre comme la Rivière | solo - end

Libre comme la Rivière. (39)


Mimosa était au courant, les petites étaient au courant... Dent de Sabre... Je lui avais fait part de mon mal - être, je lui avais demandé s'il pensait être plus heureux à la Rivière, lui glissant ainsi mon idée. Pas de secret m'avait - il fait promettre. Pourtant, une chose qui m'échappait le retenait ici. Je lui avais donné toute ma confiance, mes secrets, mes chatons même... Mais j'allais devoir laisser cette part de moi en arrière, dans mon passé qui s'éloignait au fur et à mesure que cette soirée avançait. Mon cœur accélérait, doucement, cependant assez pour que je le sente. Il faisait jour, les petites jouaient. Sauf Petite Lavande. Je lui avais intimé de rester près de moi, car depuis qu'on s'était mise d'accord de partir, je pouvais bondir hors du camp à tout moment, ne pouvant pas faire innocemment sortir la chatonne sans regard suspect. Ca ne se faisait pas, point. Alors, à la première distraction, je la prendrais entre mes crocs et foncerais vers le tunnel. Sans un au revoir à Petite Aile, Petit Gingembre, Petite Digitale, Coeur de Mimosa, Dent de Sabre, Souffle de l'Ouragan et Crocs de Ronce. Enfin, j'avais fait attention de passer un peu de temps avec chaque dernièrement, à les encourager et les féliciter pour combler les lunes où on ne se verra plus. C'était horrible, mais s'ils m'aimaient, ils devaient me laisser partir.

Ou je me laisserais mourir, comme Chant d'Alouette.

Un cri dans la forêt. Comme tous les guerriers présents dans le camp, mes oreilles se tournèrent vers la source du bruit. Je serrai la chatonne noire aux taches brunes contre mon poitrail, plongeant mon museau dans son cou si le moment était venu. Malgré tout, le cri d'alerte me faisait hésiter. Pouvais - je abandonner les trois autres si nous nous faisions attaquer ? Heureusement, si je puis dire, les nouvelles vinrent. Maudit avait été fauché par un monstre. Je soupirai, même si c'était horrible en soit. Tellement écrasée par le mal - être, je fus égoïste en ce jour précis. Mais je me repentirai tous ceux qui suivront. Le chef était blessé, tous étaient distraits par cela. Mes dents prirent la peau de Lavande au piège. C'était le signal.

Je bondis hors de la pouponnière, libérée des yeux larmoyants d'Esprit Lent depuis que ses petits monstres étaient devenus apprentis. Je traçais à travers le camp, libérée leur dégoût envers moi, vu que le corps charcuté du meneur me volait la vedette. Je me faufilais à toute vitesse dans le tunnel, libérée de leurs cris, le vent bourdonnant trop dans mes oreilles, mon esprit trop fermé et concentré. J'enjambais les passiflores, les marais, le sol couvert d'aiguilles, libérée de ces ombres qui planaient sur le territoire dans lesquelles les autres chats se mêlaient si bien mais dans lesquelles je me noyais. Je courus vers le cours d'eau dès que la vue était dégagée des arbres, libérée de mon silence sur mes origines et mes envies. Je me jetais dans ses eaux appelantes, libérée de cette démangeaison tant mon pelage se languissait de retourner dans l'eau depuis que j'avais arrêté d'apprendre à nager auprès de Jaguar d'Opale. Et là, ça y était.

J'étais libre comme la Rivière, libre dans la Rivière.

Une fois de l'autre côté, sur la rive en sécurité pour ma petite, je lâchai cette dernière, trempée comme moi et sans doute apeurée par son premier bain soudain. J'haletais, extenuée d'avoir couru à travers le territoire de l'Ombre et celui des Quatre Chênes. Je léchai mon enfant pour la sécher, la rassurer, me faire pardonner. Elle était embarquée dans cette fugue avec moi, même si elle l'avait décidé. Mais plein de questions devaient la traverser, tout comme moi. Saurions - nous acceptées ? J'avais certes fait des rencontres, mais ce n'était pas tout le clan. Et la chef, sera - t - elle d'accord ? Aura - t - elle le même regard d'acceptance que les autres quand je prononçais ces mots magiques : "Je suis la fille de Nuage de Taupe." ? En tout cas, faire demi - tour était impossible, notre vie était désormais foutue au clan de l'Ombre. Au pire des cas, nous rejoindrons Monsieur Rusty. J'avais bien sûr prévu plusieurs solutions pour le bien - être de ma fille. Alors je respirais profondément avant de gentiment lui intimer d'avancer.

Avancer, même s'il me semblait entendre des cris déchirants derrière. Mais il fallait serrer les dents et ne pas se retourner. Ne pas montrer ses larmes. Il était certes dur de les quitter, mais vivre dans le clan des Ténèbres l'était encore plus...

Alors, seul héritage de ce clan d'adoption, je levai ma queue, et l'ondula pour formuler un au revoir dans le langage des signes des chats des pinèdes. Vivez mes amis, mes enfants. Soyez aussi heureux que moi dans ce nouveau clan, accomplissez vos rêves comme je venais d'accomplir de mien, ...

Soyez libres.