[CANICULE] Ce n'est qu'un au revoir - end

Mes pas me dirigeaient vers la pouponnière. Nos cycles de vie étaient chamboulés par cette canicule. Nous essayions de dormir la journée, surtout en plein midi, et puis de sortir chasser la nuit. Mais même la nuit, la chaleur était insoutenable. Il faisait si lourd. Nous avions l'impression que le ciel pesait sur nos épaules. Et puis ce bleu, sans nuages. Moi qui aimais la saison des feuilles vertes, je crois que plus jamais je ne la verrais de la même façon... Et j'avais si soif.

Je passais la tête à travers la porte de la pouponnière. Nous étions en début d'après midi. Le clan du vent vivait sur la scénette, il fallait le dire. On aurait dit une scène macabre, avec des corps entassés dans les rares zones d'ombre du camp. Certains restaient à l'extérieur de notre territoire pendant la journée, pour pouvoir profiter de l'ombre. Mais je restais, et ce malgré mon pelage si noir qui renfermait toute la chaleur. Doux Alizé, elle, ne pouvait guère partir. Ses petits ne survivraient même pas au voyage, même dans la nuit. J'avais si soif.

Pour marquer ma présence, je fis vibrer mes cordes vocales en un doux ronronnement. Puis j'allais vers elle. Je posais d'abord ma queue sur son épaule pour lui indiquer où j'étais (même si en soi, mon seul ronronnement pouvait suffire), puis lui donnait un coup de tête affectueux. Ses petits dormaient. Ils devaient être si déshydratés eux aussi. Ma gorge était si sèche, j'avais l'impression que même si je pouvais parler, je ne pourrais émettre le moindre son. Comme si les vibrations des mots seraient des lames de rasoirs, qui tailladeraient l'intérieur de mon cou. Je tentais de lui faire une lèche affectueuse sur le haut de la tête, mais ma langue semblait être aussi dure que la roche. Au lieu d'être d'une belle couleur rosée, elle ressemblait aux herbes de notre lande.

Je lui donnais un petit coup de museau, comme pour lui demander comment elle se sentait aujourd'hui.

Elle sembla faire la moue. Se doutait-elle de mon état affaibli?

" Je vais bien et toi?"

Je ronronnais doucement tout en plongeant mon museau dans son cou. Je pouvais respirer son odeur. Cela faisait du bien. Je restais ainsi quelques minutes, pour apprécier ce petit temps de douceur en cette affreuse canicule. Mais le temps tournait et il était temps pour moi de repartir. Je lui donnais un dernier coup de tête affectueux, comme un au revoir.

Je laissais ma douce sœur à la pouponnière… Il faisait une chaleur à en crever ce jour-là. A vrai dire, je me sentais faible depuis quelques jours. La réserve de gibier cependant était désespérément maigre. Et puis, les quelques proies que l’on trouvait, elles étaient si sèches. Je ne savais même pas comment ma sœur pouvait encore produire du lait pour ses petits. Ainsi, je n’écoutais pas mon cœur qui me criait de me mettre à l’ombre, et de ne pas sortir aujourd’hui. Mais cela n’était pas psychologiquement possible.
La seule chose positive avec cette canicule, c’est que l’on m’avait oublié. Il faut dire aussi que j’avais fait quelques progrès concernant la communication, avec ceux qui le voulaient bien. Les autres de toute façon étaient trop fatigués pour faire ne serait-ce une remarque.
J’arrivais sur la lande. Le spectacle était désolant. Notre belle lande, qui s’étendait à perte de vue, dont nous étions si fiers… On aurait dit un interminable désert. Les herbes sèches blessaient nos coussinets, et s’accrochaient dans notre fourrure. Il était presque impossible de les y enlever, et nous étions si épuisés… Il n’y avait pas une seule once d’ombre. C’est Reflet Lunaire et Nuage de Rose qui ne sortait plus du tout en journée. Tu m’étonnes. C’était du suicide de sortir en journée. Et puis, le gibier n’était pas débile non plus. Lui non plus ne sortirait pas en journée.
Mais mon stratagème était simple. Je voulais sortir en journée, et atteindre le vieux moulin. Même s’il était étouffant, au moins il y avait un peu d’ombre. J’y attendrais la tombée de la nuit, et ainsi serait directement sur place pour chasser. Et avec l’odeur pourrie du moulin, mon odeur en sera masquée.

Mais mon calcul avait été mauvais. J’avais négligé un paramètre pourtant… vital. Pour atteindre ce foutu moulin, il me faudrait traverser la lande. Et marcher un bon moment. Sous le soleil. Déjà déshydratée, et épuisée. Ce qui signifiait marcher lentement. Donc rester longtemps au soleil. Donc se déshydrater. Pour atteindre un moulin où il n’y aurait pas une seule goutte d’eau. Pour me rouler en boule et dormir. Mais avais-je imaginé que je ne me réveillerais plus ?

J’ouvris les yeux. Ma vision était floue, tremblotante. J’avais l’impression de voir des pelages étoilés. Fronçant les sourcils, j’essayais de me secouer pour comprendre ce qui m’arrivait. Puis soudain, quelque chose me frappa. Je n’avais pas soif. Je n’avais pas faim. Je me sentais… bien. Aussitôt, ma vue s’éclaira. Brise Argenté était là, juste en face de moi… Maman.

Et je compris.

Doux Alizé, Nuage des Vents, je veillerais sur vous à tout jamais.

Mort de Foehn Nocturne en milieu de canicule

(Flash back 45 lunes de Moino)
Ce n'est qu'un au revoir.(3)


J'étais habitué au climat sec du clan du Vent. C'étaient les terres de mon enfance après tout, j'étais "formé" pour y survivre. Mais cette chaleur était tout de même bien écrasante. Voilà trois lunes que ça durait et surtout que ça empirait. Je craignais le pire avec la faible constitution des membres de notre clan. On pourrait demander de l'aide à la Rivière avec ses points d'eau, ou à l'Ombre avec leurs terres humides, mais ce n'était pas le grand Etoile Tropicale qui accepterait de se faire aider par des "ennemis". Je m'ébrouai à cette pensée. J'avais raison, se renfermer sur nous-même ne nous plongera que vers notre perte. Je soupirai, ma Marque me chatouillant au passage, me rappelant de la fermer. Je ne pourrais rien faire pour mon clan à cette époque. Pas sous son règne. En attendant, j'allais l'aider comme je le pouvais. Il fallait que je monte la garde près du territoire de la Rivière justement. J'y croiserai un membre sympathique qui sait ? Une boule de mousse, une proie... Tout ce qui pourrait sauver un ancien ou un chaton qui avait trop chaud. Je ne le savais que trop bien vu que je connaissais toutes les inquiétudes d'Accroche-Cœur.

Mes pattes frôlent la terre sèche des landes. Aucun espoir d'y trouver de l'eau. mes coussinets sont d'ailleurs dans le même état et j'essayais de ne plus y penser pour ne pas trop souffrir. J'allais à mon poste d'un pas lent, ne perdons pas d'énergie à courir dans ce temps. Ça ne me donnerait que plus soif après tout. Donc dans mon rythme de croisière, j'observais les alentours, guettant proies, points d'eau, mirages... Et c'était une boule de fourrure noire qui attira mon attention. Ce ne pouvait pas être un gros lapin, ce serait trop beau. Moitié curieux, moitié inquiet, j'augmentais un peu la cadence pour voir ce qu'était cette chose inerte. Plus je m'approchais, plus je reconnaissais la silhouette d'un autre chat.

" Oh non... "

Encore un peu plus vite, je m'approchai du corps sombre. Avec une telle fourrure, ça n'aurait pu être que deux chats. Cobra Royal ou bien.. pas de chance... Foehn Nocturne. La jeune femelle était plus mince que le lieutenant, et plus blanche. Je posais ma patte sur son pelage encore chaud à cause de la canicule. Mais en dessous, c'était bien rigide et sans vie. Je serrais les dents. Elle était si jeune.. si maigre... si faible... Elle méritait mieux, elle méritait de naitre en bonne santé dans un bon clan. Mais voilà les résultats de nos imbécillités. Par respect et pour lui souhaiter une mort plus agréable que sa vie, je posais mon museau dans son flanc. Puis j'essayais de la trainer jusqu'au camp pour lui faire une sépulture digne de son nom. J'aurais pu chercher de l'aide, mais j'avais peur que les corbeaux s'en prennent à elle en attendant mon retour. J'allais m'épuiser certes, mais je n'abandonnais pas un chat qui avait besoin de moi, même mort. Par chance, je croisais Crocs Nacrés qui passait par là. Sa propre fille, le pauvre... Au moins il pouvait m'aider à l'amener jusqu'au camp sans qu'il ne m'arrive la même chose.

Une fois arrivés à destination, je laissais les proches faire leur deuil, le mien ayant déjà été fait à la découverte de la feu-guerrière. Je me dirigeais plutôt vers là où j'avais vu le lieutenant pour la dernière fois. Il serait plus logique que je prévienne le chef mais je n'avais aucune envie de lui parler. Jamais. Son second lui apportera bien le message de toute façon..