Une petite patte noire tremblante s'extirpa de la grotte, embrassant la lumière du soleil naissant. Puis deux. Puis trois. Puis quatre. Elles portaient un corps frêle, un peu abimé par le temps et les évènements, dont le visage avaient les traits tendus, prêts à exploser.
Vent du Nord.
Pourquoi l'avoir appelée Vent du Nord ? Le vent du nord était froid, il chassait la canicule. Il aurait pu sauver Foehn Nocturne. Elle... elle n'avait pas pu. Elle n'était pas encore prête, elle ne méritait pas ce nom ! À ces pensées, la gorge de Vent du Nord se serra. Quelques lunes plus tôt, quand sa soeur était encore en vie, elle aurait tout donné pour avoir enfin son nom d'adulte, et ne plus être le
Nuage de ses adelphes, tant que Silence d'Hiver restait avec elle. Mais aujourd'hui, toutes les responsabilités lui revenaient, et elles pesaient sur ses épaules d'un poids bien plus lourd que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Les morts, les malades, les blessés, les vieux, les jeunes, les reines, les chatons... c'était elle, désormais, qui avait leur vie entre ses pattes, endossant un rôle qu'elle méprisait tant autrefois. Et pendant qu'ils marchaient, elle se demandait comment tout annoncer, comment démarrer sa nouvelle vie... Tout allait si vite que ça paraissait surréaliste. Et pourtant, c'était bien vrai.
Quelques heures plus tard, lorsque le campement se dessina au loin, la guérisseuse réalisa que ce soir, elle dormirait seule dans une antre vide, la solitude plus présente que jamais. Elle avait envie de pleurer. Vent du Nord se mordit la langue, refoula tant bien que mal toutes ses émotions. Non. Elle n'avait pas le droit.
Le Clan du Vent, son Clan, celui qu'elle aimait tant et qui avait tant souffert, ne méritait pas ça. Que penseraient-ils — après avoir été frappés par la canicule, un incendie, et maintenant cette épidémie qui se profilait à la Rivière et qui risquait à tout moment de les frapper, eux — en voyant débarquer dans leur campement une nouvelle guérisseuse tremblante, pleurnichant, et par dessus-tout incroyablement peu sure d'elle ? L'hiver arrivait, les temps difficiles n'étaient pas terminés. Ils ne le seraient jamais.
Qu'importe comment elle se sentait ! Il faudrait leur cacher, leur montrer une facette d'elle-même qui reflétait quelque chose de fort et, s'il n'y en avait pas, en inventer une là, maintenant. Tant pis si toute sa vie n'était fondée que sur des illusions. Elle avait commencé ainsi et finirait de même. Elle serait forte et impassible le jour et pleurerait la nuit — il n'y aurait plus personne pour la voir après tout.
Vent du Nord releva la tête, ravala sa salive et ses larmes. Il était temps.
Une petite patte noire assurée se posa sur la roche chaude du promontoire. Puis deux. Puis trois. Puis quatre. Elles portaient un corps frêle, un peu abimé par le temps et les évènements, dont le visage avaient effacé ses anciens traits pour en porter de nouveaux, plus assurés, presque trop.
Son Clan l'avait souvent perçue comme une jeune intrépide, froide et vulgaire. Soit. Elle porterait ce masque jusqu'au bout. Sa famille semblait avoir une certaine affinité avec les masques : elle ferait honneur à ses gênes.
Elle serait la guérisseuse téméraire qui ne lâchait jamais rien, qui ne doutait jamais, qui sauverait tout le monde et ne laisserait personne partir. Celle dont on se souviendrait milles lunes plus tard et dont on conterait l'histoire et le talent.
«
Je m'appelle Vent du Nord, déclara-t-elle d'une voix forte.
À compter de ce jour et jusqu'à ce que les Étoiles me rappellent parmi elles, je serais votre guérisseuse. »