Vagues | Libre* (*lire le spoiler) - end

 
 Personnages joués: Doux Alizé & Étoile Tropicale



Les murmures se faisaient de plus en plus cacophoniques au sein du clan du Vent. La nouvelle s'était répandue tel un incendie dans la forêt, et le chuchotement qu'on utilisait pour en parler n'était plus que de circonstance car presque tout le monde devait être au courant à présent. Ce qui avait dû être découvert par un chat était maintenant dans l'esprit de tous, rendant hommage à la rapidité habituelle des commérages. 
 
Ainsi, à présent, chaque félin réagissait différemment à cela. Certains ne disaient rien, ne partageant pas leur avis, d'autres le faisaient sans un problème. Et dans cette catégorie, il y avait deux types. Ceux qui pensaient qu'il n'y avait pas moyen, qu'on ne pouvait laisser vivre une telle... monstruosité dans le camp, que ce serait synonyme d'effondrement des valeurs de la tribu, et les autres, à l'opposé, rebutants à l'idée ou non, qui voulaient l'accueillir car c'était le code du guerrier. Une minorité osait même s'avancer en disant d'un ton hésitant qu'il s'agissait peut-être là d'un test du clan des Etoiles. 
 
 Mais tous s'accordaient pour dire que la petite que Caresse du Vent avait ramenée lui était étrangement très semblable. Enfin, c'est ce qu'ils avaient entendu car peu l'avait en réalité vu. 
 
 Étoile Tropicale  était bien entendu déjà au courant de l'affaire et était rentré dans sa tanière, le dos qu'il affichait à l'entrée de cette dernière dissuadant tout ceux qui auraient voulu l'y rejoindre. Il savait très bien que s'il sortait, tout le monde le regarderait d'un air curieux, attendant avec impatience le verdict qu'il donnerait. Et comme il ne dirait rien on viendrait le voir, lui demandant ce qu'il comptait faire alors qu'il n'avait toujours pas la réponse lui-même. C'est pourquoi il restait là, dans l'ombre, seul, pour penser, voir le pour, le contre. D'un côté, sa raison, sa méfiance même haine envers l'étranger, qui le poussait à refuser de laisser entrer la chatonne chez lui et de l'autre, son respect inconditionnel pour le code du Guerrier qui l'obligeait à devoir l'accueillir. Il vivait là un grand dilemme et rebutait à donner un choix final, car au fond de lui, il savait quel parti l'emporterait et cela le dégouttait d'avance. 

Dans un autre abri, c'était une toute personne, avec un tout autre schéma de pensées. Doux Alizé n'avait pas fait très attention à la rumeur, bien trop occupée à serrer ses chatons contre elle, à renifler leur odeur, à profiter de ce bonheur nouveau. Mais bien entendu, elle était au courant, tout comme toutes les reines. Cependant, elle ne participait pas à leur discussion et ne s’était pas réellement fait un avis sur la question.d
 
Elle sentit l’odeur de sa sœur, elle devait donc être rentrée dans la pouponnière, et elle n’était pas seule. Dans le silence qui s’installa, elle pouvait deviner toute la tension qui régnait dans le lieu, et même si elle ne voyait rien, elle devinait que ses camarades n’étaient ravies de l’intrusion, car elles savaient désormais toutes ce que cela voulait dire.
 
« Tout va bien. Elle est en… parfaite santé. »
 
Bien que la grise rayée ne le sache pas, certaines semblaient déjà détendues, mais d’autres étaient toujours aussi fermées, et affichaient même une grimace de dégoût, priant les Etoiles pour qu’elles ne se voient pas confier la boule de poils.
 
La jeune mère comprit que Nuage des Vents était juste devant elle. Machinalement, dans un réflexe maintenant inutile, elle leva les yeux vers elle, serrant toujours ses petits contre elle. Elle eut un petit rire au « merde ! » de son ainée, dont elle n’identifiait pas la raison, mais qui provoqua des protestations. Celle-ci lui posa l’objet de tous les commérages devant le nez, et elle la renifla donc. Il s’agissait bien d’elle, car son odeur n’était celle de son clan. Si minuscule et on parlait déjà tant d’elle… que serait-ce plus tard ?
 
« Doux Alizé, Hum… on a… trouvé ce chaton près de la frontière… elle s’appelle… Petite Vague, et… c’est parce qu’elle a une tâche en forme de vague sur le poitrail en fait. Elle est blanche et rousse… le poil sera sans doute mi-long et… euh… j’aurais besoin que tu… que tu t’en occupes, au moins jusqu’à ce qu’elle soit assez grande pour se débrouiller toute seule. Je- Je te la laisse la, si tu ne veux pas c’est… je comprendrai, c’est ton choix, tu n’es pas obligée d’accepter on trouvera quelqu’un d’autre mais… enfin bref, je te laisse avec elle, faites bonne connaissance et tout même si… bon un chaton… ça dit pas grand chose… Je te laisse je dois aller voir- aller voir d’autres trucs. AH et euh… merci. »
 
Pendant que sa sœur décrivait, Doux Alizé imagina la fameuse Petite Vague, et ne put penser qu’elle devait être sans doute très jolie, avec son poil roux et sa forme particulière sur le poitrail, qui lui avait sans doute donné son nom. Ou était sa mère ? Etait-elle morte ? Si ce n’était pas le cas, elle devait terriblement lui manquer… Personne ne pouvait laisser un chaton tout seul, livré à lui-même… Ou peut-être elle, avant. Avant la fugue, où elle avait compris, où elle avait mis fin à sa vision manichéenne du monde. Avant qu’elle ne soit elle-même mère… Là où elle avait découvert l’instinct de protection que l’on pouvait avoir envers ses petits… Non, elle ne la laisserait pas seule.
 
 « Ventoutou, je… »
 
Elle n’eut pas le temps de dire un mot de plus, Nuage des Vents était partie, et elle le sentit au coup de vent qu’elle créa en se retournant.
 
Elle était partie voir Étoile Tropicale dans sa tanière, qu’elle trouva de dos, mais elle commença tout de même à parler, alors qu’il entamait le mouvement qui lui permettrait de la voir.
 
« Bon, alors, tu es sans doute déjà au courant mais Caresse du Vent a ramené un chaton… je ne peux pas, et j’insiste, savoir si c’est un sang-mêlé ou non. Il y a peut-être du sang de notre Clan, je n’oserai pas m’avancer sans certitudes, mais c'est aussi peut-être un total étranger. Dans tous les cas, on doit la garder jusqu’à ce qu’elle soit en âge de vivre par elle-même. Le reste… ça dépendra de toi. En attendant, ma soeur s’en occuper. Je… crois. … J’espère… J’irais voir après mais… c’était juste pour que tu sois au courant. Et que… tu fasses peut-être une annonce à ce sujet. Je doute que le Clan appréciera — mais est-ce que ça nous étonne, ahah — mais les règles sont les règles, et je ne pense pas que le Clan des Étoiles nous laissera encore le droit à l’erreur, après tout ce qu’il s’est passé. »

Non, le clan n’appréciera pas. Et lui non plus. Comme prévu, cette solution l’avait emportée sur l’autre, et il ressentait en effet du dégoût à l’idée de ce qu’il allait annoncer. Mais avait-il le choix ? L’apprentie-guérisseuse avait raison, c’était le code du guerrier. Et le clan des Etoiles n’approuverait pas qu’il ne le respecte pas. Il ne pouvait pas se permettre d’attirer la fureur de ces derniers sur son clan, même si ça signifiait qu’il aurait celle des siens sur lui. En tout cas, il surveillerait Caresse du Vent, ce que venait de lui dire la jeune ne pouvait que confirmer l’idée que cette chatonne soit une sang-mêlé. Mais sang pourri ou pas, elle était protégée par leurs lois ancestrales. Cependant, ce ne sera pas toujours le cas, et en ce jour…
 
 « Très bien, je vais l’annoncer. » Soudainement, il pense à quelque chose.  « Mais… Doux Alizé ? Un cinquième chaton à charge pour une mère aveugle ? Avant d’ajouter.  « Enfin, je n’ai rien à dire, elle sait mieux que moi ce qu’elle est capable de faire. »
 
 Il sortit de son abri, et monta sur le promontoire, et en le voyant, les membres du clan s’assaillirent immédiatement. Inutile de dire qu’ils attendaient depuis longtemps cette annonce. Même pas besoin de prononcer les mots qui annonçaient une assemblée.
 
 « Comme vous le savez probablement tous, Caresse du Vent a trouvé un chaton étranger et l’a ramené ici. Comme l’exige le code du Guerrier, on ne peut pas laisser un petit à son sort, il restera au clan jusqu’à ses six lunes. Merci de votre attention. »
 
C’était expéditif, il le savait, mais c’était le but. Tandis qu’il retournait dans sa tanière, il entendait les murmures, les protestations, mais n’y fit pas attention. Pourquoi discuter ? Son seul argument avait été prononcé, et on ne pouvait pas le contredire sans transgresser leur loi fondamentale. S’ils savaient… ce choix le rebutait autant qu’eux.
 

Tandis que les premiers opposants de Petite Vague se prononçaient, ses premiers soutiens le faisaient également. Dans la nurserie, on savait qu’il n’y aurait pas de retour en arrière, que la rousse vivrait avec eux pour au moins six lunes. Doux Alizé lécha la chatonne et sentait que celle-ci était à présent dans son cœur, enraciné à lui, et qu’il s’y était fait une place en très peu de temps. Même dans ses yeux aveugles, on pouvait lire la tendresse qu’elle avait à son égard. Pauvre petite boule de poils seule, sans parents… , âme innocente promise à un avenir plein de combats.
 
Elle la serra contre elle, et la plaça au milieu de ses propres petits. Elle pensait à son futur, et comme elle le ferait pour ses enfants, elle s’inquiétait pour son futur, parmi un clan qui ne l’accepterait probablement jamais, juste pour son sang. Pour ses origines dont elle n’était pas responsable. Dire que Doux Alizé avait pensé comme cela un jour…
 
 « Boule de Miel, Petite Cascade, Petit Saule, Petite Brise, je vous présente votre sœur. »

Elle frotta son museau contre la rousse et scella officiellement leur lien qui était déjà dans son cœur. Promesse d’une protection éternelle, dissuadant tous les autres de faire du mal à la petite, à commencer par certaines reines qui la regardaient mal.
 
 « Bienvenue dans ta famille, Petite Vague. »
 
Dans les ténèbres de la haine, elle serait la lumière qui illuminerait son chemin, par son amour.

L’amour d’une mère.