Freak Show | Feulement - abandon

Les conséquences de l'incendie se faisaient encore ressentir au Clan du Vent. Vent du Nord, qui était depuis quelques jours la seule et unique guérisseuse des siens depuis la retraite de son mentor, devait redoubler d'effort si elle ne voulait pas que d'autres victimes différées de cette tragédie ne s'ajoutent au compteur. Sa soeur était déjà de trop. Il ne lui restait plus que Doux Alizé, encore affaiblie par ses blessures de guerre. Elle ne la laisserait pas mourir. Elle ne laisserait personne mourir.

La première étape, pour faire face au rude hiver qui les attendait, était de rassembler les plantes. Vent du Nord décida de commencer par la mousse, car elle lui était utile dans quasiment toutes ses interventions, et elle n'avait à l'esprit aucun meilleur endroit que le Chemin du Tonnerre pour y trouver le saint graal. Enfin, non pas qu'elle adorait cet endroit. En fait, elle le détestait de tout son être.
L'histoire qui la rattachait à cette route sombre et puante était assez lointaine désormais, mais lorsque la guérisseuse fermait les yeux pour se remémorer les évènements, ils étaient presque aussi clairs que s'ils étaient survenus la veille.
Elle pesait au moins quatre fois moins lourd qu'aujourd'hui, avait doublé sa taille, mais elle pouvait encore ressentir les gifles du vent glacial dans ses moustaches, et le bruit assourdissant du tonnerre dans ses oreilles. Le jour où le ciel lui avait pris ses oreilles. Tâche d'If et Brise Argentée étaient encore en vie, tout comme Foehn Nocturne... Son coeur manqua un battement lorsqu'elle se mit à penser un peu trop à eux, puis elle se décida à accélérer le pas pour tenter d'oublier toutes ses peines. Pas le temps d'être triste. La mousse passait avant tout.

D'autres avaient du passer par-là avant elle, car elle peina à trouver la quantité qu'elle aurait voulu. Vent du Nord marcha sur une branche qui ne se brisa même pas. Sous son épais pelage d'hiver, on pouvait deviner ses côtes. La canicule ne l'avait pas épargnée, elle non plus, mais qu'importe. Doux Alizé n'avaient plus d'yeux pour constater son état, elle pouvait lui offrir une partie de ses rations sans jamais qu'elle ne se doute de rien. Quoique. Sa soeur n'était pas si stupide.
Un monstre annonça sa présence par un grognement lointain. Il n'y avait aucune raison qu'il ne quitte le Chemin — ils ne quittaient jamais le chemin — mais par sécurité, Vent du Nord se précipita sous une grosse racine, pétrifiée comme une roche, refusant de bouger tant que l'animal métallique aux couleurs atypiques ne s'était pas éloigné pour de bon.

Et depuis sa cachette, elle pouvait voir enfin une silhouette qu'elle n'avait pas vu en arrivant, et qui sait depuis combien de temps il se trouvait là ? Elle ne l'avait pas entendu, surement, ses oreilles (ou plutôt son oreille, car seule une fonctionnait encore) refusaient parfois d'entendre aussi bien qu'elles le pouvaient, c'était selon leur humeur du jour.
Une silhouette un peu trop familière. Une silhouette qu'elle aurait préféré ne jamais revoir, et qui lui arracha un feulement concentrant toute la haine qu'elle avait pu accumuler depuis des lunes.

Feulement. Celui qui avait décoré son joli visage de longues cicatrices. Celui qui avait arraché à Doux Alizé ses magnifiques yeux ambrés. Celui qui lui avait tout pris.

Dans une douleur aiguë le lieutenant de l'ombre manqua de tomber à terre. Parvenant à se redresser avant de rouler sur l'herbe glacée le grand mâle charcoal ne put s'empêcher de cracher sur la souris qui s'échappa entre les racines d'un buisson aux feuilles mourantes. Ce n'était pas sur la proie qu'il s'énervait mais bien sur sa griffe retournée. Elle ne saignait pas abondamment toutefois elle le faisait souffrir, assez pour le forcer à boiter malgré ses efforts à maintenir un rythme de marche régulier.

Autrefois l'orphelin n'aurait pas tant eu de mal à se résigner aux soins du guérisseur qui n'était autre que son père adoptif. Il appréciait passer du temps avec lui et, maintenant qu'il occupait ses fonctions de sous-chef, c'était ce même temps qui venait à lui manquer. Mais le vieil Esprit Soucieux avait pris sa retraite et c'était dorénavant un inconnu (ou presque) qui s'occupait de penser les plaies des ombreux. Lui et sa nouvelle apprentie, Nuage de Digitale, fille de Feulement. Gamine ou pas, la tanière médicinale n'était plus aussi accueillante qu'avant et le guerrier redoutait d'y mettre une patte, de devoir communiquer avec ces deux chats qu'il ne connaissait que trop mal.

Alors il préféra ignorer la douleur, agir comme si l'une de ses épées noires ne partait pas dans la mauvaise direction. Il tenta de la ranger pour qu'elle ne le lance plus mais elle fut incapable de rentrer dans son fourreau.

Vie de merde.

Bien qu'il s'éfforcait à ne pas lever la patte pour dissimuler sa faiblesse le fils du Serpentaire ne pouvait empêcher son antérieur droit de se pauser gauchement sur la terre, le cri de ses nerfs montant droit à son cerveau à chaque pas.

Et il n'y avait pas qu'eux qui gueulaient, un sifflement furieux monta à ses oreilles déchirées. Son visage pivota instinctivement vers le son et il découvrit, à moitié dissimulée sous un arbre, un visage familier. Il la reconnue, la petite infirmière qu'il avait déglingué il y a des lunes de cela. Etait-il encore apprenti à cette époque ? Car il avait maintenant conscience de son erreur. Cela ne faisait pas grandir de pitié en son sein mais seulement de la compréhension. Si c'était sur lui qu'elle montrait les crocs il pouvait s'imaginer pourquoi. Les traces de leur combat cassaient le blanc de son visage et tâchait les griffes du charcoal. De toute évidence Vent du Nord n'avait pas autant marquée la vie du sauvage qu'il avait marqué la sienne.

Il resta immobile un instant, remua une oreille puis lui tourna le dos, ne cherchant pas le conflit (il ne l'avait jamais cherché) et choisissant de la laisser tranquille. Son pelage était légèrement gonflé par la présence de l'étrangère et d'un possible affrontement. Elle avait tout autant le droit que lui d'être ici et peu-être serait-il plus malin de rentrer au camp, quitte à être bredouille. Ce n'était pas si grave, l'Ombre n'avait pas autant souffert de la canicule que le reste des clans et leurs ventres étaient remplis. Pour le moment.