Down the river || Nuage de Vague - abandon

La rivière avait toujours été sa meilleure amie. Sa confidente. Sa compagne.
Depuis la disparition de Caresse du Vent et la mort de Merle Noir, il n’y avait plus qu’elle. Elle, qui n’avait jamais bougé, jamais disparu, et qui l’avait toujours écouté.

Jaguar d’Opale plongea sans un bruit. Elle aimait le calme du rivage, la sensation du courant qui caressait son pelage. Il lui rappelait ces petits moments complices, intimes, partagés avec ceux qui avaient emporté avec eux une partie de son cœur. Elle lui donnait l’impression d’être aimée à nouveau.

Puis elle du refaire surface. La rivière n’était au final qu’une relation empoisonnée de plus. Merle Noir avait l’âme noircie par l’ambition et le pouvoir. Caresse du Vent était un étranger qui s’était envolé un beau jour, sans plus jamais donner signe de vie. La rivière lui prenait son oxygène, la rejetait, refusait qu’elle ne reste à ses côtés autant qu’elle l’aurait souhaité.

Le corps encore immergé, elle reposa sa tête et ses pattes sur une pierre mousseuse, profitant de la douce chaleur de l’été naissant. Malgré les pertes, malgré les adieux, malgré son cœur dont les morceaux étaient cachés, disséminés quelque part aux quatre coins de la forêt, Jaguar d’Opale était heureuse, car Jaguar d’Opale était ainsi. Comme la rivière, elle suivait toujours son cour, n’était jamais perturbée bien longtemps par les tempêtes qui venaient tenter de bouleverser sa vie.
On disait d’elle qu’elle était lente, qu’elle était maladroite, qu’elle était trop douce, mais elle s’en moquait — et c’est tout ce qui faisait son bonheur.

Ô, il y avait bien entendu des pensées qui venait parfois la piquer, qui tentaient de lui faire du mal; mais la guerrière relativisait vite. Elle était vivante, et si heureuse de pouvoir être là et de sentir le soleil et l’eau et le vent l’embrasser et faire d’elle leur muse d’un instant.

Elle leva les yeux vers les landes du Vent qui lui faisaient face, se demandait comment allaient Caresse du Vent et sa fille. Il y a des lunes qu’elle n’avait pas vu son amant, et cela lui semblait être une éternité maintenant. Mais sa fille… elle l’avait aperçue lors d’une assemblée. Bien qu’elle l’eut laissée à un autre Clan dès la naissance, et ne l’avait revue que plus de six lunes plus tard, elle l’aurait reconnue entre mille. Si belle — non, magnifique même. Le fruit d’un amour de jeunesse innocent, produit de la plus jolie des fleurs.

Elle leva les yeux vers les landes du Vent et comme pour répondre à son appel, elle vit la belle silhouette dorée de celle dont elle n’avait jamais pu demander le nom. Elle n’avait pas osé l’approcher, de peur de l’exposer et de la mettre en danger.
Jaguar d’Opale ne dit rien, ne bougea pas, se contenta de l’observer, le plus doux des sourires sur son visage. Elle laisserait sa fille vivre heureuse, en paix, et elle était si fière, si heureuse de la voir ainsi libre courir dans les champs qui s’étendaient à perte de vue.
Si elle avait regretté longtemps d’avoir laissé sa fille seule dans l’inconnu, elle se disait à cet instant qu’elle n’aurait jamais pu rêver mieux.