Par monts et par vaux [Nuage de Rossignol / Nuage de Roc] - abandon

Bientôt midi, l’heure de se remplir le ventre. La morosité habituelle de Nuage de Rossignol était voilée par sa discussion plus tôt ce matin avec Nuage de Lycaon et les rêves de voyage et de jeunesse qu’elle avait engendrée par la suite. Le soleil brûlait sur la canopée et la jeune apprentie était reconnaissante envers les arbres qui atténuaient nettement la chaleur et donnait un coup de fraîcheur à la forêt, même si d’ici une petit demi-heure, la terre entière cramerait jusqu’à la tombée de la nuit. L’astre incandescent embaumait les sous-bois d’une luminosité dorée qui apportait un peu de joie et d bonne humeur en ces temps de trouble. Des ombres oscillaient contre les écorces comme de vieux fantômes.
Cela lui avait demandé un effort, mais Nuage de Rossignol était retournée aux rochers du soleil (suite aux instructions de Source de Secrets, qui lui avait simplement demandé de rapporter de quoi manger au camp) malgré ce qu’il s’y trouvait. La paix que dégageait ces lieux était troublée par la connaissance du macabre qui se cachait quelque part dans une cavité. Mais la marbrée voulait affronter cela, et elle irait aux rochers du soleil jusqu’à-ce que son esprit soit capable de dissocier le morbide qui habitait cet endroit de l’endroit en lui-même. Elle ne se sentait déjà pas très bien au camp, elle voulait absolument se sentir bien sur son territoire. Elle se dit que ce qu’elle avait vu il n’y avait pas si longtemps n’était pas plus glauque que le cimetière de chats qui se trouvait en bordure du camp.
Ah, elle faisait tout pour se convaincre qu’elle n’était pas affectée. Cela lui demandait beaucoup de courage, mais elle aurait surtout besoin de temps.

Elle dépassa l’orée de la forêt et soudain les doigts chauds et saisissants de la saison des feuilles nouvelles foncèrent sur elle, glissant comme un souffle tiède sur son pelage. Le changement de température la fit frissonner et elle contempla le paysage qui s’étendait des rochers marqués d’anfractuosités jusqu’à la rivière calme mais active qui apportait une ambiance estivale. Nuage de Rossignol adorait cette chaleur, sentir le soleil la calciner toute entière, et elle qui n’avait connu que les saisons des feuilles tombantes et mortes et qui venait à peine de découvrir celle-ci, avait hâte d’être à la saison des feuilles vertes pour se consumer sur place. La chaleur avait un effet anesthésiant sur ses angoisses.
Les reliefs des pierres se découpaient sur la roche. Elle arrivait à peine à discerner les trous dans leur manteau de gris sec qui s’étirait jusqu’au territoire rival. Nuage de Rossignol n’avait jamais prit la peine de voir ce qu’il y avait au-delà. Elle se mit alors à scruter la berge. Elle sut qu’elle aurait dû penser des choses comme par exemple “Ce territoire a l’air moins bien que le mien”, “Ils n’ont même pas de vraie forêt pour chasser et s’abriter”, “Pfah, tous ces roseaux, c’est ridicule, et puis ces mangeurs de poissons sentent les vieilles écailles pourries”... Mais elle passant le regard sur ce qu’elle voyait, elle n’éprouva que de la curiosité. Loin d’elle l’idée d’y aventurer cependant : elle était sûre d’une chose, c’était que les règles devaient être respectées et qu’elle serait la première à les appliquer -elle avait toujours été sage et obéissante.
Mais cette curiosité grandissante se muait peu à peu en appel de l’inconnu qui, comme elle était résignée à ne pas l’écouter, ne trouvait toujours pas sa satiété. Elle ne pouvait que le sublimer momentanément en arpentant son territoire qui heureusement était grand et cachait beaucoup de secrets et de recoin parfois jamais fréquentés. Parfois elle se demandait ce que Cœur de Puma penserait d’elle s’il savait tout cela. Il n’avait pas de danse des griffes avec son père. Il était tellement sérieux qu’il excellait dans son application du Code du Guerrier et ferait -il fallait l’admettre- un excellent leader. Quelque part, un pigeon poussa un roucoulement bruyant. Nuage de Rossignol ne pouvait pas le voir de là où elle était. Elle se mit en position de chasse et l’aperçut en contrebas, près d’une petite flaque formée par projection de l’eau de la rivière. L’apprentie profita de ce moment qu’avait choisi le petit opportun pour se désaltérer. Elle rassembla tout son savoir-faire encore maladroit et bondit sur sa proie. La tentative se solda par un échec et la bestiole s’envola sans demander son reste. Déçue, Nuage de Rossignol commença à douter de ses capacités.

C’est alors qu’elle la vit. Cette parfaite inconnue qui fouinait nonchalamment dans au milieu des rochers avec lesquels son pelage se confondait parfaitement, sur son territoire. Elle sentait le poisson et n’avait visiblement que faire d’avoir franchi la frontière, ce qui ne plongea pas Nuage de Rossignol dans une colère noire comme cela aurait dû, et la petite se ferait très prochainement la réflexion. C’était un chat du Clan de la Rivière ! Et sa première rencontre avec un membre d’un clan ennemi… Elle se sentit… vexée, tout au plus. Indignée.
“Eh, toi là ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu es sur le territoire du Clan du Tonnerre, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.”
Ce fut le plus menaçant et agressif qu’elle pouvait paraître. Parbleu, comment faisait Cœur de Puma pour avoir l’air si sûr de lui et menaçant envers les étrangers ? Nuage de Rossignol n’éprouvait même pas de haine envers cette chatte. Alors qu’elle le devait !
“Retourne sur ton territoire !” feula-t-elle, essayant désespérément de sonner agressive, et elle descendit rejoindre la chatte grise sans même avoir l’air dangereuse. “Non seulement tu transgresses le Code du Guerrier, mais en plus tu fais fuir les proies de mon territoire !”

Cela faisait au moins une heure que j'étais pointée là à attendre! Mais ils faisaient jamais de patrouille au clan du tonnerre ou quoi? Elle était loin l'époque de la teerriiiible Etoile du Suie et de l'extr-ordi-naire Etoile du Corbeau, qui avait repris nos terres des sales griffes des chats écureuils!

Je me mis à pouffer toute seule, tellement cette réflexion était ridicule. J'avais quand même appris mes leçons d'histoire, mais j'étais certaine qu'on nous les enjolivait vachement. M'enfin, il ne faut pas critiquer les morts dans leur dos. Sait-on jamais si Etoile du Corbeau écoute mes pensées à ce moment là. Théâtrale, je regardais sur les côtés, comme pour vérifier que l'on ne m'avait pas suivi, sur mes gardes.

Quel jeu d'acteur.

Quel ennui.

Tout ça pour des stupides normes de bienséance. J'étais (apprentie)-guérisseuse oui ou non?

Oh et puis zut. Feuille de Saule ne le saura pas de toute façon. Oh et de toute façon Amour-en-Cage est trop gentille pour me reprocher quoi que ce soit.

Je glissai doucement dans l'eau. Elle était fraîche, et si agréable. Je ne mis pas longtemps pour arriver sur la berge, de l'autre côté. Je m'ébrouai un court instant. Je me mis ensuite en quête de quelques plantes dont nous aurions bien besoin, sans même jeter un regard aux alentours pour voir si quelqu'un était arrivé.

Très vite, une couleur rouge vive attira mon regard. Un large sourire étendit mes babines. Un coquelicot! Avant de le saisir délicatement dans ma mâchoire, je pris cinq minutes pour l'étudier. Ces fleurs étaient vraiment très jolies. Elles mettaient un peu de peps, un peu de joie dans les jours un peu morne de .. Enfin, pour ça, il fallait avoir des jours mornes. Une voix au loin retentit, mais à vrai dire, j'étais trop occupée à imaginer Feuille de Saule avec une couronne de coquelicot sur la tête pour y prêter attention.

Jusqu'à :

“Non seulement tu transgresses le Code du Guerrier, mais en plus tu fais fuir les proies de mon territoire !”

Je finis par tourner la tête vers l'origine de ce son. Non pas que je me sentais concernée, mais je me demandais bien quel apprenti de la rivière débile avait traversé.

Jusqu'à ce que je me rende compte que celle qui criait en fait, me regardait. Et en fait, était très proche de moi.

...


...

Tilt !

Je mis à rire en comprenant ce qu'il se passait. La jeune (car, vu les traits de son visage, la féline semblait jeune) me fixait d'un air courroucé.


"Ah mais non, jsuis apprentie guérisseuse, jm'en fous des ces frontières à la con!"

Une petite voix me gronda. Allez savoir si c'était celle de mon père, ou de mon mentor. Dans tous les cas, je me dis que ces paroles pouvaient être interprétées. On pouvait m'accuser de trahison, d'espionnage, ou je ne sais quelle connerie. Et oui, malgré mon statut. Bref "on ne disait pas de choses comme ça, les frontières c'est important, bla bla bla".
Enfin, le pire dans tout ça restait le ridicule de la situation. J'avais l'air de quoi, avec mon pelage encore dégoulinant d'eau, ce sourire béat, et ces paroles pas très ... pas très.

"Enfin, les bien-sé-ances J'insistai sur ces mots d'un ton ironique. veulent que j'attende à la frontière pour me faire accompagner pendant la récolte. Mais personne n'arrivait alors... "

J'haussai les épaules, d'un air désinvolte. Mon attention dévia assez vite, pour retourner à ce satané coquelicot. Peut-être serait-il préférable que je le ramasse à mon retour... Mais je risque de l'oublier.... Mmh que de dilemmes dans cette vie.

“Comment ça, tu as le droit franchir les frontières quand tu le souhaites ? Excuse-moi, mais je ne crois pas que ce soit comme ça que ça fonctionne. Il ne t’est jamais arrivé de te dire qu’Amour-en-Cage aurait besoin de ce coquelicot ? Qu’il s’agit peut-être du seul plan sur tout notre territoire et que toi, tu viens le voler sans permission, sans même demander à ton propre mentor l’autorisation de venir sur le territoire d’un autre clan ? C’est gonflé ! Et puis, qu’est-ce qui devrait me pousser à te croire ?”

Même si la réflexion était mauvaise, les plantes n’intéresssaient aucun apprenti à part les apprentis guérisseurs. Mais il pouvait très bien s’agir d’un prétexte trouvé par cette chatte pour poser une patte sur les rochers du soleil et y voler une proie. Nuage de Rossignol renifla l’air à la recherche de trace de gibier mais aucune odeur n’indiquait qu’une bête venait d’être fraîchement tuée. En revanche, cette apprentie sentait fort l’humidité et le poisson, une odeur que la marbrée n’avait pas sentie depuis un petit bout de temps maintenant, quand les chats du Clan de la Rivière étaient désespérément venus implorer l’asile au Clan du Tonnerre. Elle avisa la chatte toute grise de poil et commenta d’un ton sec.

“Désolée, mais il va falloir que je te ramène jusqu’à mon camp, c’est la procédure. Sauf si tu décides de quitter mon territoire. Dans ce cas-là, je veux bien ne rien dire à personne. Mais tu me laisses le coquelicot.”

Une bien naïve proposition car l’apprentie pouvait totalement refuser sa proposition et même si elle prétendait être entrainée à la guérison, elle disposait de plusieurs lunes d’âge en plus et pouvait très bien mettre Nuage de Rossignol à terre, qui elle ne s’était encore jamais entrainée à se battre et commençait tout juste à apprendre à chasser -et elle n’était pas très douée pour cela.