Etoile ne peut briller sans noir, ft Mamba Noir - Abandon

Déambulant dans la Lande malgré la noirceur, Mamba Noir tentait de paraître la plus silencieuse possible sans pour autant se laisser distancer. À la voir poursuivre cet éclair de fourrure rousse qui fuyait vers l'inconnu, peu auraient pu croire qu'elle sortait à peine d'un semblant de nuit de sommeil. Rendant sa filature la plus discrète possible, la tricolore avait volontairement laissé une distance raisonnable entre elle et la fuyarde nocturne. Qu'est-ce qui pouvait bien lui passer par la tête ? Était-elle devenue folle ? Souffrait-elle d'une quelconque démence ? Allait-elle à la rencontre de quelqu'un ? Milles et une questions tempêtaient dans l'esprit à présent bien éveillé de la Guerrière. Est-ce qu'elle manigançait quelque chose contre le Clan du Vent ? Allait-elle livrer des informations à un autre Clan au beau milieu de la nuit ? Prévoyait-elle de renverser Étoile du Cobra ? Laissant un flot de supposition embrumé son esprit, Mamba Noir n'en revenait toujours pas d'avoir quitté sa litière. Elle n'avait pas longtemps tergiversé quand elle avait senti du mouvement autour d'elle et vu Éclat de Crépuscule filer comme une aliénée. Et pourtant, elle savait que lorsque le soleil se lèverait, elle regretterait de l'avoir fait. Une nuit trop courte n'amenait généralement rien de bien positif, ni sur l'humeur, ni sur vitalité. Lâchant un léger soupir comme pour laisser s'évanouir le souvenir de son sommeil et de la fatigue à venir, elle concentra tous ses sens sur la tâche qu'elle s'était donné. Combien de temps est-ce qu'elle allait courir ainsi ? Combien de temps son petit corps allait-il la porter aussi loin sur le territoire du Clan ? Gagnant doucement du terrain, la plus grande des deux songea à la suite. Comment l'aborder ? Devait-elle seulement le faire ? N'était-ce pas plus judicieux d'attendre que quelque chose se passe avant de l'incriminer ? Et si elle n'avait aucune mauvaise attention ? Et si cette sortie n'était qu'une escapade sans intérêt ? Une manière de passer le temps alors que le sommeil ne vient pas ?

Et puis m****. Elle n'avait pas fait tout cela pour rien. Elle n'avait pas fait tout ce chemin pour finalement lâcher le morceau aussi facilement. Mamba Noir ne connaissait pas suffisamment la femelle pour en connaître tous les tourments. Comment le pourrait-elle ? Elle venait seulement de rentrer à peine près de quinze lunes d'absence. Les choses avaient pu changer. Les personnes avaient pu changer. Elle l'avait bien vu avec Serres d'Épervier. Elle en avait aussi pris la mesure avec l'évolution du rang de son père. Serres d'Épervier ne l'avait pas attendu pour grandir et suivre sa voix. Cobra Royal ne l'avait pas attendu pour prendre la place de Lieutenant et pour devenir Chef ensuite. Le monde avait continué de tourner sans elle. Et ça, elle en était pleinement consciente. Si elle remontait dans des souvenirs anciens et enfantins, la Guerrière rousse était plus âgée qu'elle, de quelques lunes à peine, deux ou trois. Si elles avaient eu plusieurs fois l'occasion de se côtoyer, évoluant un temps ensemble dans la Pouponnière, dans la tanière des Apprentis ensuite et enfin un bref laps de temps dans celle des Guerriers, Mamba Noir ne lui avait jamais alloué d'attention particulière. Bien trop renfermée dans ses premières lunes de vie, bien trop obnubilé par son entraînement ensuite et n'ayant pas eu le temps après. À bien y réfléchir, elle n'avait jamais pris le temps de nouer une relation solide autre que celle de son cercle familiale, Cœur d'Ambre faisant exception à la règle de part son statut. Évacuant les souvenirs d'une époque révolue d'un bref mouvement de la tête, la revenante pesa une dernière fois le pour et le contre avant de se décider. Elle n'avait pas le souvenir d'une femelle déloyale, ni même d'une écervelée. Laissant ses foulées s'allonger davantage, échangeant discrétion contre vitesse, la tricolore joua sur la topographie et sa connaissance du territoire pour prendre la fuyarde nocturne à revers. S'arrêtant juste sous son museau, prenant une seconde pour reprendre son souffle, elle braqua son regard dans le sien, elle échappa quelques mots faignants parfaitement la curiosité :

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Et elle ? Que faisait-elle ? Résonnant comme un écho dans sa tête, la réciproque se fit entendre dans un coin de son esprit. Elle la suivait, voilà tout. Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'elle suivait une de ses camarades ? N'avait-elle pas confiance en elle ? Doutait-elle de ses camarades ? Elle qui venait à peine d'être réintégré, elle qui venait à peine de refaire surface après quinze lunes d'attente, est-ce qu'elle pouvait réellement se permettre de douter de la loyauté des uns et des autres ? Est-ce qu'elle pouvait vraiment songer à remettre en doute leurs agissements ? Et même si Éclat de Crépuscule l'était vraiment, si elle pouvait en avoir le cœur net, la preuve, pourrait-elle porter des accusations au Clan ? Si dans un idéal, elle en serait pleinement et parfaitement capable, persuadée qu'elle trouverait les bons mots à prononcer et les bonnes oreilles auxquelles les soumettre, ce ne serait probablement pas aussi simple. Dans les faits, beaucoup douteraient probablement de ce qu'elle pourrait raconter, remettrait sa propre parole en doute. Après tout, elle avait disparu pendant quinze fichus lunes. Pour certains de ses camarades, son retour était providentiel, elle avait été accueillie les pattes ouvertes, peut-être un peu trop même. Mais pour les autres, elle était devenue une étrangère, une renégate, une figure inconnue de laquelle ils se méfiaient comme de n'importe quel chat sorti de nul part. Et pouvait-elle leur en vouloir ? Serait-ce juste de leur en vouloir ? Comment réagirait-elle dans pareille situation ? Est-ce que si l'un d'entre eux disparaissait sans aucun signe, ou presque, ne donnait pas de nouvelles pendant si longtemps et revenait comme une fleur, est-ce qu'elle serait capable de faire comme avant ? Comme si rien ne s'était passé ? Comme si les lunes n'avaient pas filé ? Probablement pas. Certainement pas. Elle ferait partie de ces septiques méfiants et pernicieux, attendant le moindre faux-pas pour mieux lui retomber sur le dos.

Et le coup de la curiosité sembla porter ses fruits. Il faut dire qu'elle avait eu un bon professeur, un excellent modèle en la matière. Les yeux ronds, le timbre de voix, la mine qu'elle emprunterait presque à un Chaton candide, n'importe qui aurait pu se prendre à ce petit jeu. Soupir, agacement et silence. Mamba Noir ne manqua pas de rendre la pareille à la Guerrière qui la dévisageait de part en part. Ne l'avait-elle jamais vu ? Pourtant, elles avaient partagé un temps les mêmes tanières. Oh jamais trop longtemps pour réellement se connaître, ni même tisser un quelconque lien d'attachement, mais suffisamment pour savoir à quoi l'une et l'autre ressemblait. Non ? Est-ce qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier avant qu'il s'agisse bien de la même personne ? Pourtant, elle n'était pas revenue de quelques secondes à peine. N'avaient-ils pas tous eu le loisir de poser leurs regards inquisiteurs sur elle ? Elle les avait pourtant bien sentis lorsqu'elle était revenue. Le poids de tous les yeux braqué sur elle, elle ne l'avait pas inventé. De son côté, la Guerrière rousse n'avait pas beaucoup changé en quinze lunes. C'était comme si le temps l'avait figé, marquant ce physique chétif et étriqué dans le marbre de la mémoire de la tricolore. Mère Nature pouvait être parfois bien cruelle avec les corps qu'elle donnait aux uns et aux autres. Pour autant, elle était toujours en vie, bien plus que certains qui en imposait bien plus physiquement parlant. Rien ne semblait avoir changé chez elle, rien qui ne frappait réellement, bien qu'en la dévisageant attentivement, la marque d'un coup de griffe apparaissait sur son joli minois. Ce n'est qu'après avoir pris le temps de bien laisser transparaître une once de suspens, qu'enfin la rouquine lui accorda une réponse, déliant sa langue. Courir. Quelle réponse. Mamba Noir jura intérieurement qu'elle ne l'avait pas remarqué. Ne laissa rien planer d'un quelconque agacement ou d'une déception qu'elle n'éprouvait même pas, elle ne fut pas le moins du monde surprise par le retour de flamme. Dans son rôle, haussant les épaules et prenant un air banal, elle ouvrit la gueule pour laisser filer sa réponse :

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Et si toute cette belle mise en scène n'avait rien d'honnête, dans son for intérieur, tout donnait matière à penser dans le sens opposé. Elle donnait tant de poids à ses mots, tant de conviction que peu aurait pu s'apercevoir qu'elle jouait la comédie. Bonne actrice, excellente manipulatrice, Mamba Noir s'était glissée avec une facilité détonante dans son rôle de comédienne. Et dire qu'elle s'y tenait à merveille était peu dire. Elle s'intéresser autant à une camarade ? Elle allouer des sentiments de sympathie, voir d'empathie, à une simple âme partageant son Clan ? Elle n'était pas la plus vile de tous, mais, pour autant, elle n'offrait que très rarement ses bons sentiments gratuitement et aveuglément. Le jour où elle s'intéresserait ainsi réellement et honnêtement à un ou une simple camarade de Clan, sans affinité connues, elle filerait dans la tanière du Guérisseur. Est-ce que la rouquine avait capté quelque chose ? Le moindre minuscule indice lui permettant de voir le subterfuge dans lequel elle glissait doucement ? Se posait-elle simplement la question de la véracité de tout cela ? Avait-elle simplement conscience ou connaissance de l'écart de comportement que tout ceci laissait apparaître ? Ou pensait-elle réellement que le voyage, l'absence et l'éloignement avec son Clan avait changé la Guerrière tricolore ? Était-elle devenue une meilleure personne ? Un être qui s'intéressait décemment aux autres ? Alors qu'un brouhaha sans fin commençait à faire son œuvre dans son esprit, une voix s'éleva, plus forte que les autres, amenant une réponse toute faite, un qu'importe glissé plus fort, un mot qui suffit à faire taire tout le reste, laissant planer un silence réconfortant. Fouillant dans ses souvenirs les plus lointains, ramenant la question sur le plancher, la fille du serpent, ne parvint pas à retrouver la réminiscence d'avoir partagé une quelconque proximité avec Éclat du Crépuscule. Finalement, peut-être qu'elle ne la connaissait-elle tout simplement pas. Ni d'avant. Ni de maintenant. Serait-ce l'occasion pour les deux de franchir enfin le cap ? De faire un pas l'une vers l'autre ? Ce n'était de toute évidence pas l'objectif premier de Mamba Noir. Bien essayé, mais non. Elle n'était pas sortie ce soir-là avec l'idée en tête de se faire une amie. Elle ne l'avait pas suivi pour trouver une quelconque alliée. Nouer des liens, sans intérêt aucun, était pour elle une réelle perte de temps. Elle était loyale de la pointe des oreilles jusqu'aux bouts des pattes et donnerait sa vie, sans l'ombre d'une hésitation, pour l'un des siens sur le champ de bataille, pour autant, elle n'aspirait pas à partager tout ses secrets avec chacune des paires d'yeux du Clan du Vent.


Et contre toute attente, pour la première fois cette nuit-ci, face à cette même camarade à qui elle jouait la sérénade depuis quelques longues minutes maintenant, elle s'était montrée la plus honnête possible quand il avait fallu lui répondre. Elle s'était montrée elle-même, telle que le chat le plus familier du monde à ses yeux pouvait la voir. Pour une fois, rien de ce qu'elle avait dit n'était en contradiction directe avec sa façon de penser ou de s'exprimer. Bien au contraire. Exclamative comme jamais, elle avait peut-être surjouée sur l'instant, mais le fond de ses pensées étaient plus que concordant avec l'idée d'un retour inespéré et attendu depuis longtemps. Trop longtemps. Sans effectuer le moindre geste, elle empêcha sa cervelle de faire remonter les souvenirs de ces quinze lunes passées trop loin de la maison, dressant des murs invisibles pour les empêcher de passer et de semer le trouble là où elle voyait enfin clair. Assez. Elle en avait plus qu'assez de voir ces idées-là ressurgir à tout va. Elle ne vivait pas dans le passé. Elle n'y vivait plus. Elle était revenue à présent. Et elle ne devait songer qu'à cela. Et ce serait certainement à moindre mal si chacun des êtres de son Clan ne cherchait pas à avoir sa petite version exclusive, ses propres réponses à des questions identiques. Comme si elle n'avait pas délivré toute la vérité, et rien que la vérité, au moment où elle avait dû se justifier publiquement. Et puis franchement, quel idiot garderait les détails croustillants et les petits points glorieux pour soi quand tout un auditoire n'attend que de se rincer la gueule avec ? Ce n'était pas dans l'éducation qu'elle avait reçu que de se passer des applaudissements et des acclamations. Et si elle n'avait nullement été adulée pour ce sacrifice qu'elle avait pu faire pour les siens, le goût amer qui avait tenté de gâcher la fête, n'était pas resté bien longtemps. Elle aurait ses moments de gloire. Elle aurait ses victoires. Ce jour-là, ce n'était pas le cas. Mais ne dit-on pas que tout vient à point à qui sait attendre ? Elle saurait attendre son heure. Tout finissait par venir quand on s'y accrochait et lorsque l'on s'en donnait les moyens. Cobra avait bien réussi. Marquant une petite pause, reprenant une légère inspiration, le museau en l'air, captant la précieuse brise qui glissait sur son visage. Rapidement, elle adopta une attitude miroir à celle de sa compagne de nuit, s'asseyant en face d'elle, le sourire triste que l'autre arborait n'avait pas entaché son expressivité première, mais il tempéra sa seconde salve de mots, rendus plus neutres et légèrement investigateurs :

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