Secrets de polichinelle [Nuage de Rossignol / Nuage de Lycaon] - end

Réponse positive. Intéressant. Rossignol devenait de plus en plus intéressante à ses yeux, et pas seulement pour la vision qu'en avait Coup de Foudre. Pour sa propre personne et ses idées qu'elle semblait sur le point de partager.
Il était prêt à l'écouter, et il sentait que cela lui plairait.

“À vrai dire, j’aimerais beaucoup le savoir. Même depuis ma dernière lune à la pouponnière, je ne cesse de me demander comment sont les choses ailleurs. Tu vas peut-être me prendre pour une folle !”

Si elle se doutait... c'était en réalité tout le contraire. Lui aussi se le demandait. Lui aussi avait ce besoin de savoir. Au même titre qu'il avait besoin de manger, de boire, de respirer, de dormir. Un besoin choisi pour une fois. Ou plutôt qui lui convenait, qu'il subsistait sans s’en contraindre. Car personne ne pouvait choisir ces besoins, ceux-ci étant naturels, innés.

“Mais cela m’affecte particulièrement, de ne pas savoir comment c’est, ailleurs. J’éprouve presque cela comme un manque. Un besoin de voir, de connaître ce que cela fait de nager dans la rivière, de patrouiller sur la lande, de grimper aux arbres de la forêt la plus sombre, ce que ça fait de vivre partout ailleurs.”

Lui aussi. Lui aussi il voulait savoir, connaitre, voyager, tout simplement. Une envie présente depuis toujours, celle de savoir, de comprendre. Elle lui décrivait les clans, mais lui voulait aller plus loin, plus loin que ces coutumes qu’il n’appréciait guère. Et elle aussi…

Quand elle lui décrivit ces paysages il revoyait dans ces pensées ceux qu’il s’était imaginé. Oh qu’il comprenait, ce sentiment il partageait. Sans doute pas pour les mêmes raisons. Car lui n’avait pas besoin de revivre le connu, il voudrait limite s’en éloigner. De ce système, de ces regards. Tout ce qui lui importait c’était sa fratrie, et dans une proportion diminuée, sa famille dans sa généralité. Mais… il était bien trop lâche et douteux pour partir. Il n’irait pas bien loin seul de plus. Secouant la tête, il rangea dans un coin de sa tête cette douloureuse pensée pour regarder Rossignol. Et pour lui sourire. Un vrai sourire, qui ne lui avait pas effleuré les lèvres depuis longtemps.

« Te prendre pour une folle, reviendrait pour me considérer moi-même comme tel. »

Lycaon leva la patte, comme pour prêter serment. « Je ne leur dirai rien si tu le souhaites. Et si je ne peux te dire ce qu’ils en penseraient, je peux te dire la mienne. Nous manquons beaucoup de choses c’est évident. Et contrairement à beaucoup, nous y accordons une importance. J’ai toujours voulu tout savoir, car j’ai toujours voulu tout comprendre. C’est impossible, je le sais bien, mais c’est un véritable besoin, qui ne sera jamais rassasié. Donc cette envie, ce besoin d’ailleurs, de le voir, tu n’es pas seule à l’avoir. »

“Merci.” Elle cligna des yeux pour lui signifier sa gratitude. Elle était sincèrement rassurée d’avoir affaire à un matou de bonne compagnie en qui elle pouvait placer sa confiance. La chatte ne sut trop quoi dire après cela. Au lieu de chercher à meubler le silence, les deux chats se perdirent dans leur contemplation. Nuage de Rossignol promena son regard le long de la rivière qui remontait vers les plaines très lointaines du Clan du Vent. Apparemment il ne faisait pas bon d’y être, mais elle n’avait eu pour toutes sources que les rumeurs rapportées par les visiteurs de l’Assemblée -à laquelle elle n’avait d’ailleurs encore jamais assisté.

“Bon…” commença-t-elle en lançant un regard sans équivoque à Nuage de Lycaon “Tu dois partir de l’entraînement tout de suite, ou tu as encore un peu de temps ? Je pensais voir si je pouvais chasser quelque chose… enfin, si j’arrive à attraper quelque chose. Jusqu’ici, je n'ai encore rien attrapé. J'ai failli avoir une souris, une fois. Quelle honte... elle n’avait que la peau sur les os, et n’était pas très réactive. Ce devait être une doyenne, et elle a réussi à me filer entre les pattes. Source de Secrets m'a bien dit de ne pas m'en faire mais quand même...” elle avisa le terrain en bas. “Bon. Encore faut-il que j’arrive à redescendre… Tu me suis ?”

Elle dépassa le bariolé pour ficher ses griffes dans le tronc de l’arbre. Comment devait-elle procéder ? Impossible d’y aller la tête en bas, c’était beaucoup trop impressionnant et la sensation lui retournait complètement le cerveau ! Elle préféra montrer son postérieur à la vue de tous et amorça une descente compliquée, croupion vers le bas, progressant petit à petit jusqu’à-ce qu’elle estime la distance entre elle et le sol assez raisonnable pour décrocher de sa prise et se laisser retomber sur tapis d’aiguilles.

“Eh… ça sens… tu sens ça ? ça sent l’écureuil, non ?”

La créature avait une odeur très douce et goûteuse caractéristique du petit animal à fourrure. Hors, ce n’était pas une proie facile à attraper. Pour cela, Nuage de Rossignol allait devoir mettre tout son maigre savoir-faire à l’épreuve. Nuage de Lycaon, qui s’était probablement rendu compte de la situation, ne faisait pas un bruit. Nuage de Rossignol abaissa son corps et força sa queue a rester droite. Les oreilles tendues en avant et le museau en pleine activité, elle repéra la position de l’animal, tapi derrière un amas de fougère. Je ne sais même pas pourquoi j’essaye, je n’ai aucune chance de l’avoir ! Du haut de sa seule lune d’entraînement, elle était à peine capable de se débrouiller toute seule dehors. Pourtant elle ne pouvait pas laisser passer cette chance. Ce n’était même pas pour faire plaisir à son Clan, à son père, à son mentor. Non, cette proie, elle avait d’abord envie de réussir à l’attraper pour elle même.

L’avant-main avachie et l’arrière-train légèrement relevé, elle avança avec une lenteur presque exagéré vers sa proie. Il fallait absolument qu’elle reste concentrée. Ne pas penser. Elle se ramassa sur elle-même et se prépara à bondit, mais comme la brise ne soufflait pas directement dans la face de l’apprentie, la bête se rendit vite compte de la présence pas très bienveillante de son prédateur. Il se redressa et contre toute attente surgit des fougères pour galoper presque juste sous les pattes de Nuage de Rossignol, avant de bifurquer au dernier moment. Il visait le Grand Sycomore et pensait sûrement trouver refuge ici. Pas bête ! Mais pas de chance ! Car Nuage de Lycaon était encore dans l’arbre, et l’écureuil s’en aperçut trop tard. Il hésita pendant une fraction de seconde, ce qui laissa le temps à Nuage de Rossignol de viser juste -pour la première fois. Elle n’attendit pas pour le plaquer au sol avec ses pattes et planta directement ses crocs dans sa nuque. Elle sentit quelque chose craquer sous la pression de ses mâchoires, et le goût du sang remplir sa gueule. Tout de suite elle relâcha sa prise et recula, un peu tremblante, complètement désemparée, mais aussi très excitée, contente.

“Ouah… alors ça je… je ne m’y attendais vraiment pas !”

Nuage de Lycaon accueillit le remerciement d’un hochement de tête couronné d’un léger sourire. Lui aussi avait bénéficié de cette entrevue, se confiant sur cette envie, ce besoin, à une personne capable de le comprendre.

Aucun autre mot ne fut prononcé pendant un moment, sans que le malaise ne se fasse ressentir. Etre silencieux tout en se sentant à sa place en présence d’un autre chat était un fait rare, surtout avec lui. Il serait convenable de dire que lui s’en fichait pas mal, mais son interlocuteur avait toujours l’impression d’être de trop dans ce genre de situation. Les deux novices se contentaient d’observer, de profiter du paysage grandiose.

Nuage de Rossignol brisa le silence, parlant de son entrainement, à la première question, il répondit par sa tête négativement puis positivement. Le but c’était d’éviter celui-ci alors il en avait cure d’être à l’heure pour quoi que ce soit. Plus il resterait dans la forêt, mieux ce serait. Elle voulait chasser, très bien qu’elle le fasse, peut-être en profiterait-il pour en faire de même histoire de se donner une excuse.

Elle lui parla d’une souris qu’elle avait failli attraper. Il sentit la honte qu’elle ressentait à ce sujet. Il serait le dernier à la juger sur cela. Il avait mis un certain temps à avoir sa première proie, un mulot. Il n’avait guère eut cette satisfaction que tous semblaient pourtant avoir. Ce jour-là, Etoile Masquée avait été heureux et fier pour deux. Maintenant qu’il y pensait, il avait l’impression qu’il avait été le seul adulte à se montrer vraiment fier de lui. Il eut un certain regret, pour la première fois le concernant, il aurait dû profiter du moment, se montrer plus conciliant aussi.

Il la suivit, et hocha de nouveau de la tête quand elle parla de l’écureuil. En effet, il le sentait aussi. Il ne bougea pas, pour ne pas perturber la chasse et resta dans l’arbre. Elle était loin de se dérouler dans les circonstances académiques mais le résultat fut là. La boule de poils voulut rejoindre le grand sycomore mais il sentit la présence d’un deuxième ennemi et son hésitation fut fatale. La réaction de l’apprentie était amusante, sa joie visible. L’écaille de tortue n’avait jamais eu ce sentiment-là, ne voyant rien d’autre que que le cycle de la vie, la proie tuée pour permettre au prédateur de subsister. Cette fameuse joie n’en restait cependant pas moins communicative, et en descendant de l’arbre, il lui dit, content pour elle :

« Félicitations ! Un écureuil pour première proie, ce n’est pas rien. Voyant toujours sa surprise vis-à-vis de sa réussite, il décida de continuer. Tu vois, tu en étais capable. Aie confiance en tes capacités, ne laisse pas tes échecs et erreurs du passé parasitaient tes futurs succès, et n’oublie jamais qu’une victoire et la consécration des acquis de tes défaites. Se rendant compte de l’aspect leçon de vie de ses paroles, il ajouta, un brin moqueur envers lui-même : Je fais bien l’ancien, pas vrai ? »

Elle se tourna vers son camarade, les lippes étirées en un semblant de sourire félin :

"Un peu, oui !"

Elle avait mit un peu de temps à répondre : ses membres tremblaient encore de l'excitation et du stress. Elle aurait été si déçue de se rater sur une autre proie, surtout à un moment où la situation était plus qu'en sa faveur ! C'était comme si elle n'avait pas compris de ce qu'il s'était passé : elle ne sentait plus que le rush d'adrénaline qui courait le long de ses veines et commençait tout juste à ralentir. Son cœur aussi battait fort et elle le sentait taper jusque dans sa gorge.
Prise d'un élan de conscience, elle souffla longtemps comme papa le lui avait montré pour se calmer et fit baisser les poils sur son échine. Puis elle s'assit à côté de l'écureuil, pas trop sûre de quoi en faire. Le ramener au camp allait de soi mais soudain, la perspective d'affronter tous ces regards sur elle, aussi bienveillants seraient-ils, la rendait moins encline à retourner au bercail. Non pas qu'elle était timide, mais elle n'avait pas envie d'avoir affaire à qui que ce soit d'autre là, tout de suite.

Elle regarda sa prise, puis Nuage de Lycaon. Une question lui trottait dans la tête.

"Nuage de Lycaon... Tu n'as pas peur que Dame de Coeurs te... mmmh... te "grondes" (elle choisit le mot avec précaution) pour ne pas aller à l'entraînement ? Ça risque d'être encore pire de ne pas y aller. Tu pourrais te faire punir..."

Ensuite elle avisa l'écureuil mort. Elle savait que Nuage de Lycaon avait quelques soucis pour s'entraîner et que la chasse n'était pas vraiment son plus grand talent. Aussi proposa-t-elle naïvement :

"Je te donne mon écureuil si tu veux. Peut-être qu'elle sera plus clémente avec toi si elle voit que tu es en retard mais que c'est pour une bonne cause ? Tu n'as qu'à dire que tu l'as eu avec moi. C'est vrai après tout."

Nuage de Lycaon perçut le tremblement qui faisait frémir sa camarade. Il en devinait d'ailleurs la raison, même s'il n'avait jamais eu lieu chez lui. Il faut dire qu'il avait déjà eu l'occasion de le remarquer à plusieurs reprises et la relation de causalité n'était pas des plus compliqués à faire.

Il l'a vit se calmer, en soufflant un bon coup. Elle regarda l'écureuil, puis lui.

"Nuage de Lycaon... Tu n'as pas peur que Dame de Coeurs te... mmmh... te "grondes" pour ne pas aller à l'entraînement ? Ça risque d'être encore pire de ne pas y aller. Tu pourrais te faire punir..."

Est-ce qu'il en avait peur? Bien sur que oui. Cependant, il était parti en prenant ce risque, en l'acceptant. Oui, ce serait surement pire de ne pas du tout se pointer. Mais il s'y était déjà résolu, et n'avait aucune envie d'y aller.

"Je te donne mon écureuil si tu veux. Peut-être qu'elle sera plus clémente avec toi si elle voit que tu es en retard mais que c'est pour une bonne cause ? Tu n'as qu'à dire que tu l'as eu avec moi. C'est vrai après tout."

Il eut envie d'accepter. Cette peur, et disons le sa lâcheté lui demandaient d'accepter. Sauf qu'il ne s'agissait pas de n'importe quelle proie. C'était la première de Rossignol. Et elle lui accordait une importance dont lui s'était bien fichu. Le fait que ce n'était pas une étape pour lui, ne changeait pas qu'elle en restait une pour beaucoup. La jeune lui était sympathique, il appréciait la générosité, mais il se refusait d'y céder.

"Non. J'apprécie l'offre, mais c'est ton écureuil. Je n'ai qu'à chasser une proie moi-même, c'est moi qui ait décidé de sécher l'entrainement."

Il lui fit un signe de la queue avant de partir plus loin. Étrangement, il renifla une proie assez vite, et aperçut le lérot. Il s'approcha, s'approcha et crack. Une branche. Le rongeur partit, le laissant bredouille. Il avait tant voulu attraper vite de quoi manger pour le clan qu'il n'avait même pas pris le temps d'analyser le terrain. Une erreur de débutant qui lui fit pousser un soupir.

Elle considéra le matou d’un air désolé. La situation avait ça de gênant que Nuage de Lycaon ne tarderait pas à recevoir son nom de guerrier alors qu’elle débutait tout juste l’apprentissage. Réussir à attraper un écureuil du premier coup alors que le tricolore s’escrimait à se mettre quelque chose sous la griffe depuis des lunes sans vraiment y parvenir était tout à fait malheureux, et Nuage de Rossignol ne pouvait pas s’empêcher de penser que le jeune chat ne réussirait peut-être pas son premier test. Consciente que ses pensées devaient se lire sur son visage et que Nuage de Lycaon avait sûrement très souvent eu affaire à cette expression de malaise -du reste, que cela le dérange ou non ne la concernait pas- elle se contenta de hausser les épaules sans même prononcer un “Bah, ça sera pour la prochaine fois.” Ce qui aurait été hypocrite de sa part, compte tenu du fait qu’elle se doutait bien que la prochaine fois avait plus de chances de reproduire le loupé qui s’était déroulé sous ses yeux.

Elle ne s’attarda pas plus sur lui et leva les yeux au ciel, où le soleil s’élevait impétueusement au-dessus des feuillages verts et gorgés de sèves qui bruissaient doucement au gré des infimes courants d’airs. Sa réticence avait disparue avec sa prise et elle se sentait plus confiante d’aller voir Source de Secrets bientôt pour démarrer l'entraînement et oublié ce qu’elle avait vu quelques jours auparavant. Elle se demanda si Lycaon était au courant de quoi que ce soit et failli lui demander… Non, bien sûr que non.
Les minutes passaient. Elle ne se sentait pas de laisser l’autre apprenti seul tout de suite. Elle recouvrit sa proie comme il était coutume de le faire en se notant bien qu’elle irait la récupérer plus tard, car avec sa tête en l’air, elle était tout à fait capable d’oublier son écureuil ici.

“Ça va bientôt être le moment d’y aller. Je t’accompagne jusqu’à Dame de Cœurs, j’ai besoin de m’échauffer les pattes avant de démarrer mon propre entraînement.”

Ce qui était à la fois vrai mais servait également mieux à faire la pilule. Elle-même redoutait Dame de Cœurs plus que tout et travaillait sur elle-même pour s’adresser à elle d’un ton sûr. Elle n’enviait clairement pas le sort de Nuage de Lycaon : elle aurait préféré avoir tous les chats du Clan comme mentor sauf elle. S’imaginant la boule au ventre que devait ressentir son apprenti, elle préférait -par compassion autant que pour se mesurer elle-même à la siamoise. Au moins il ne serait pas seul à l’affronter lors de leur rencontre. Après… il devrait se débrouiller tout seul.
En marchant aux côtés du mystérieux tricolore, elle ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de culpabilité. Elle avait la vie bien facile, à côté de celle de la portée de Coup de Foudre. De quel droit pouvait-elle s’attrister de son propre sort ?

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