Les plantes n'attendent pas ! ~ ft Nuage de Roc - abandon

J’étais fier de Nuage de Roc. Elle apprenait et faisait de son mieux pour retenir mon enseignement. Je ne cherchais pas l’excellence de sa part pour l’instant, j’essayais de la ménager au mieux. Certes je pouvais tout de même me montrer exigeant sur certains points comme le fait d’au moins retenir le nom, l’odeur et la fonction première des plantes. Elle avait droit à des interrogations surprise régulièrement, et si elle n’avait pas ma mémoire, ça pouvait être difficile. Oh j’étais bien content d’ailleurs de l’avoir cette mémoire, sans elle, voilà longtemps que Vent du Nord m’aurait arraché les moustaches. Pas le droit à l’erreur, c’est bien la phrase qui m’était rentré dans le crâne tout de suite.

Enfin bref, ce matin j’étais allé chercher des plantes – j’avais trouvé des baies de Genièvre – , comme à mon habitude, avant que Nuage de Roc ne se réveille. Les cours étaient difficiles et intensif alors je lui laissais au moins le loisir de se réveiller lorsqu’elle se sentait reposée. J’avais un peu de temps pour moi aussi – les malades ne courraient pas les rues en ce moment – pour réfléchir un peu à mes émotions et me recentrer sur moi-même. Pour sentir tout ce que je pouvais autour de moi. Sentir la moindre roche, aussi petite soit-elle, le moindre brin d’herbe poussé par le vent, la moindre goutte d’eau que composait la rivière. J’écoutais tout, je reposais mon esprit et faisait tout pour qu’il soit le plus calme possible, que j’éloigne toutes ces émotions qui pouvait me mener à la peur. C’était bien la technique que j’avais trouvé pour apaiser mes angoisses ! Lorsque cela était fait, je préparais la leçon du jour. Aujourd’hui, elle aurait encore droit à un petit examen. Je regardais ma réserve de plantes et j’en attrapais quelques unes pour l’évaluation. Baie de Genièvre - vu que j'en avais récupéré ce matin -, valériane, et… Oh Racine de Glouteron. La dernière, on l’utilisait rarement ici, les morsures de rats étaient peu communes. Mais ça pouvait toujours servir, au cas où, par conséquent, je ne sais pas si mon apprentie s’en souviendra. Au pire, je lui expliquerais.

En pensant à cette dernière, elle décida d’ailleurs de pointer son museau ici. Sans lui laisser le temps de s’installer, je la regardai de mon air enthousiaste, et lui dit avec ma face d’éternel bonheur :

« Bonjour Nuage de Roc. Allez questionnaire ! »

Qu’est-ce que j’aurais détesté ça en étant plus jeune. Mais pourtant ça me semblait être une bonne méthode pour qu’elle puisse tout retenir correctement. Tous les jours quasiment, je lui faisais ça. De la patte je lui montrai les plantes

« Voici les trois plantes du jour. Donnes-moi leur nom et utilité. »

Je lui lançais toujours un sourire encourageant et chaleureux, ça me semblait important.

Je sentais du mouvement autour de moi. Mais j'avais sommeil... si sommeil. Tout ce remue-ménage était très certainement dû aux allers-retours de Feuille de Saule qui rangeait ou allait chercher des plantes. Peut-être des malades qui venaient, mais aucun bruit à part celui des pas ne parvenait à mes oreilles. J'avais l'impression de devoir utiliser une énergie incommensurable pour réussir à me sortir de ma torpeur. Je savais que Feuille de Saule ne m'en voudrait pas.. et s'il y avait urgence, que l'on me réveillerait. Alors, pour une fois, j'abandonnai la lutte et restai ainsi roulée en boule, endormie.

~~

Ma paupière se leva lentement. La luminosité était bien forte ce matin. Un large bâillement déboîta ma mâchoire, et j'entrepris d'étirer un à un chacun de mes muscles. J'espérais ne pas avoir trop tarder. Je pris toutefois le temps pour remettre en place mon pelage et trottai vers la sortie. Tout le monde était occupé, l'esprit embrumé par leurs préoccupations quotidiennes. Un peu agacée, je battis de la queue. Je n'aimais pas trop dormir autant. Je me dépêchai alors d'attraper une proie, que j'engloutis en quelques bouchées.

Je revins ensuite vers l'antre de Feuille de Saule, qui eut un large sourire en me voyant.

« Bonjour Nuage de Roc. Allez questionnaire ! »

Je me retins de lever les yeux, mais ne pus empêcher d'avoir un petit air blasé en entendant cette fatalité. Dès le réveil, subir ses interrogations étaient absolument agaçants. Certes, cela portait ses fruits. Si au début j'avais été horriblement nulle, de l'ordre commençait à bien se faire dans ma tête. Finalement, j'avais l'habitude maintenant. Mais cela n'empêchait pas que c'était un peu chiant.

"Bonjour Feuille de Saule."

J'observai à présent les plantes qu'il me montrait. Il y en avait une avec une longue tige, de longues feuilles. Je sus immédiatement ce que c'était. (En même temps, au début de mon apprentissage, quand j'ai connu cette plante j'ai eu une intense envie d'en mettre dans le repas de Nuage de Charbon à l'époque, Charbon Ardent maintenant. Je me suis retenue.) Un sourire se dessina, et je ricanai:

"Oh bah tu sais vu tout ce que je dors, j'en ai pas besoin! "

Je lui souris, sachant pertinemment que ma réponse n'était pas complète. Je soutins son regard puis cédai en disant d'un ton joyeux.

"ça vaaa, ça se voit que c'est dl'a valériane, pour faire dodo. et je rajoutais avec un ton joueur. Et calmer les vieux qui veulent pas se laisser observer."

Je reportai mon attention sur la deuxième plante. Ou plutôt "fruit". Une baie en l'occurence. Même si n'en existait pas un nombre infini, il y en avait beaucoup qui n'avaient pas de propriétés médicinales, voir toxiques. Manquerait plus qu'il m'en présente une. C'est pourquoi je pris quelques secondes de plus pour être sûre de moi. Elle était bleue. Nan il n'y avait pas de doute à avoir.

"Une mûre!"

Disai-je en m'exclamant.

Puis je pouffai.

"Nan j'rigole, c'est une baie de genevièvre. Si Pie Curieuse a mal au ventre, hop une baie. Et si elle a du mal à respirer hop une pierre deux coups."

Bon par contre la dernière plante ne me disait pas grand chose. Mais je fis comme si de rien n'était, en restant concentrée sur les réactions de mon mentor.

Ma réflexion m’avait fait rire quand j’étais plus jeune, comme si j’étais un vieux crouton déjà ! Par les ancêtres c’était comme si j’avais 300 lunes alors que pas du tout. Quel imbécile j’étais parfois. Mais la petite Nuage de Roc était d’humeur aussi.

« Oh bah tu sais vu tout ce que je dors, j'en ai pas besoin! »

Me dit-elle en parlant de la valériane. Ah ah ah. Elle était si drôle cette petite. Je devais avoir une mauvaise influence sur elle, je voyais mon esprit taquin en elle. Je la regardais, un air de malice dans le regard, avec un sourcil levé.

« ça vaaa, ça se voit que c'est dl'a valériane, pour faire dodo. Et calmer les vieux qui veulent pas se laisser observer. »

Je secouais la tête, amusé. Je comprenais tellement ma sœur quand je la désespérais avec mes bêtises. Mais je hochais cependant la tête pour confirmer ce qu’elle venait de dire pour le nom. Ensuite c’était au tour de la baie ! Ce à quoi elle répondit que c’était une mûre. D’instinct, je tapais ma patte avant sur ma tête. Des fois je me demandais vraiment si elle devait passer autant de temps avec moi.

« Nan j'rigole, c'est une baie de genevièvre. Si Pie Curieuse a mal au ventre, hop une baie. Et si elle a du mal à respirer hop une pierre deux coups. »

C’était ça nickel ! Elle retenait bien mes leçons. Maintenant j’attendais pour la dernière. Je lui avais évoqué une fois son nom lorsqu’elle avait fait l’inventaire avec moi. Je lui avais présenté chaque remède dans cette tanière. Mais étrangement pour la Racine de Glouteron, elle ne se précipita pas. C’est presque comme si elle attendait ce qu’on allait faire ensuite. Je la regardais droit dans les yeux. S’en suivi un moment gênant. Mais rien. Bon soit.

« Jusque là c’est très bien, et la dernière ? »

Comme quoi c’était important de lui faire un examen tous les jours ou presque. La preuve, elle avait oublié l’un des remèdes.

« Un indice, c’est pour soigner une morsure… »

Je ne disais pas la suite volontairement. Il fallait qu’elle trouve toute seule.

« Je sais, c’est chiant, mais important comme exercice. »

Feuille de Saule avait l'air content. Je l'étais également, plutôt fière de mes progrès. Je me fis de l'auto-congratulation, certaine de mes réponses, tout en omettant grossièrement la plante restante. En réalité, je préparais mon jeu d'acteur. Il fallait être brillante pour garder la face devant son ignorance.

Car mon professeur lui, ne l'avait pas oubliée.

« Jusque là c’est très bien, et la dernière ? »

Mes sourcils s'écarquillèrent, mon visage s'allongea, et ma bouche s'entrouvrit en o, marquant la surprise d'une telle remarque. "La quoi?" dis-je, d'un ton faussement choqué.
Evidemment, Feuille de Saule n'était pas débile.

« Un indice, c’est pour soigner une morsure… »

Mes traits s'élargir encore davantage, j'étais une véritable drama-queen, absolument stu-pé-faite par ce monde que je découvrais.

"Une morsure??? mais qui ferait une chose pareille?"

Feuille de Saule ajouta qu'il était au courant que c'était chiant mais qu'il fallait y passer. Je n'y répondis pas, me contentant de rester théâtrale et de faire preuve d'une extrême bonté : je consentis à observer la plante.

Très vite, la scénette cessa. Le sérieux reprit les devants, et je me concentrai. La fleur avait d'étranges pics, indiquant qu'elle n'était certainement pas comestible (sauf si je voulais essayer de planter des épines dans les gens, mais cela n'était pas très gentil). J'observai la tige et la racine. Non, cela ne me disait vraiment rien.

"Y'a eu une tige et euh des racines. Ouais nan, je sais pas. Tu es sûr qu'on l'a déjà vu?"

Très probablement, mais avec de la chance ça mettra le doute dans l'esprit de Feuille de Saule et adieu ma culpabilité! (Il faut toujours se trouver de fausses excuses voyons.)

En toute évidence, Nuage de Roc joua la fausse surprise. Sourcils écarquillés, gueule grande ouverte. Moi, je me contentais de la fixer, la tête penchée sur le côté, un sourcil levé, l’air toujours plus désespéré.

« Une morsure??? mais qui ferait une chose pareille? »

Nuage de Roc… Je secouais la tête. Oh quelle mauvaise influence. Un jour je la retrouverais en train de ranger les plantes ou nettoyer la tanière en dansant. Lorsque ce jour arrivera, je demanderais pardon à ses parents de ce que je lui ai appris. Cependant je riais à cette idée. Mais un peu de concentration mademoiselle !

« Y'a eu une tige et euh des racines. Ouais nan, je sais pas. Tu es sûr qu'on l'a déjà vu? »

Je lâchais un ronron amusé en hochant la tête. Je n’allais pas la gronder pour cette plante. Elle ne l’a vu qu’une seule fois, je m’en souvenais. Oh par contre, le jour où j’aurais plus de mémoire, il faudra s’inquiéter.

« Je ne t’en veux pas va, celle là, je t’en avais parlé qu’une seule fois. C’est de la racine de glouteron. Mémorise l’odeur. »

Je l’incitais à bien s’approprier l’odeur de la plante pour qu’elle s’en souvienne bien. Même moi j’approchais mon museau de cette dernière pour bien m’en souvenir. Oh elle était bien gravée dans ma mémoire. J’étais heureux d’avoir au moins obtenu ça de mes parents.

« Et tu aurais une petite idée dans quel contexte on l’utilise ? Après qu’elle morsure à ton avis ? Et enfin, d’après toi, comment on l’utilise ? »

Je n’attendais pas d’elle une bonne réponse. Elle était là pour apprendre après tout.