Matin-clash (avec Aigrette Huppée) - end

Souffle Poivré était moins animé par ses pauvres pensées ignorantes que par sa hargne, c'était là sa façon d'être insouciant, imprudent et spontané. Il n'avait jamais été capable d'étouffer son espoir, de se résoudre à renoncer, d'accepter de perdre. Jusqu'au bout de ses tourments, il ne devait jamais en devenir capable : même lorsque la raison l'aurait complètement noyé dans le doute et dans la honte, il continuerait d'entrevoir ce bonheur et cet honneur pour lesquels il ne se laissait pas mourir de faim. Là serait tout son bonheur, et plus probablement, tout son malheur.

" J'ose dire que tu as tort, Souffle Poivré. " Du moins, tu dis que tu le crois. " Tu crois... " Je suis sûr " ... que je suis choquée que l'on me juge ? Pourtant la moitié du Clan sans doute me considère sans doute comme une moins que rien sachant que je suis incapable de courir. Je n'interdis jamais personne de me juger mais j'avoue avoir beaucoup de mal à entendre des jugements sur les personnes que j'apprécie, j'aurais préféré que ce soit devant Albâtre que tu dises tout ça. "

Aller convaincre une peste qu'elle n'était qu'une peste. Souffle Poivré se retint de sourire à cette idée, et se répéta intérieurement les mots de l'Aigrette. D'une certaine façon, on la comprenait. Lui-même, il ne tolèrait pas qu'on médise de sa belle rouquine en sa présence. Il s'était d'ailleurs bagarré une fois pour ça, apprenti, à l'époque où les membres du Clan essayaient de faire des hypothèses sur la blessure d'Éclat de Crépuscule. La différence entre lui à l'époque et l'Aigrette cette fois-ci était double : d'une part, lui, son sang s'était mis à bouillonner, il n'avait même pas eu l'idée de résoudre son conflit par le langage plutôt que par les griffes. Aigrette était d'un tempérament beaucoup moins brutal, et d'ailleurs, sa méthode était beaucoup plus efficace, car on n'avait jamais vraiment pu expliquer pourquoi Nuage Poivré s'était battu, ce jour-là. D'autre part, l'Aigrette défendait une petite vermine, alors que lui, il avait défendu une guerrière à la fois digne de confiance et généreuse.

Il n'intervint pas. De toute façon, ç'aurait été sans intérêt et indiscret. On devinait une sorte d'amusement dans le regard de Souffle Poivré, qui n'aurait jamais cru, quelques minutes plus tôt, qu'un jour, il se comparerait à quelqu'un comme Aigrette Huppée.

" Mon sens du jugement est encore exécrable sans doute parce que je suis encore trop immature. Je ne caches pas t'avoir mal jugé Souffle Poivré en pensant me retrouver devant une personne brutale et colérique. " Remettrait-elle en doute ma brutalité et ma susceptibilité ? s'inquiéta Souffle Poivré, qui se demandait si on se payait sa tête, tandis qu'elle continuait : " Je n'aime pas que l'on juge mal mais moi-même je le fais, c'est déplorable. Cependant si je peux dire quelque chose que tu dois entendre c'est qu'en aucun cas mes paroles n'étaient mauvaises ou méprisantes. Je voulais juste te faire comprendre que juger sur la première impression n'était pas une bonne chose, moi-même, j'ai résorbé mon avis sur toi pour essayer de voir autre chose. Cependant je t'ai trouvé brusque par ta façon de m'avoir abordé, en ce qui concerne l'avis du Clan, ça n'a jamais été mon problème. Je pense qu'en l'écoutant je suis une femelle faible, inutile et simplette, ce que je suis peut-être d'ailleurs. " J'ai surtout l'impression que tu essayes de m'entuber... songea Souffle Poivré, qui peinait à imaginer qu'elle se sous-estime à ce point.

" Je n'essayes pas de te prendre haut, d'ailleurs comment je le pourrais sachant que je suis la moins caractérielle du Clan du Vent et la majorité du temps, j'ai l'impression d'être plus jeune et juvénile que tous les autres guerriers. " acheva-t-elle, ce qui ne fit que rendre Souffle Poivré plus dubitatif encore.

Il n'avait jamais été témoin d'un tel numéro de Caliméro. Il n'imaginait même pas que ce puisse être autre chose qu'un numéro.

" Désolé, Aigrette Huppée... ", commença-t-il, à moitié soupçonneux, " ... avec moi, ça ne prend pas : ne te fais pas plus bête que tu l'es, ça ne sert à rien. Je ne sais pas si tu essayes de m'attendrir ou quoi mais... je suis sûr que tu as quelque chose en tête. "

Perplexe, il essayait de trouver. Il penchait la tête sur le côté, comme si voir l'Aigrette d'un autre angle lui permettrait de mieux cerner le personnage qui se cachait sous cette extraordinaire expression d'impuissance. Un comportement pareil lui échappait totalement.

" ... Tu n'as pas une histoire invraisemblable à me faire gober ? Ou peut-être, c'est ta façon de cacher que tu brûles d'impatience à l'idée de défendre ton "amie" la Rose d'Albâtre ? "

Il se perdait en suppositions qui ne semblaient pas vraiment faire mouche.

" ... On t'a jamais dit que tu étais bizarre ? " hasarda-t-il, le plus ingénument du monde.

Le tact et le poivre, ça faisait au moins trois.