C'est une Faveur [Feat. Coeur de Puma] - end

Après qu'une goutte de trop n'ait-- N'ait--

--Bordel, mais c'est ici, normalement, qu'on devrait l'interrompre! Le moment adéquat où on le sort de la spirale de l'abstraction de ses pensées, et préférablement? À l'aide d'une baffe dans la chair de la réalité! ..."Ici", ou "maintenant"? L'espace, ou le temps? --À quoi il pense?   --À quoi il est en train de penser?! Quel cours est-il en train de suivre-

Tous - il les suit tous en même temps, son oeil brûle, sa tête est sur le point d'exploser (Ce silence, ce silence, ce silence était insupportable) le ventre flasque après toutes ces remontées (le silence remontait sous ses poils, sous sa chair, des insectes sur une dépo^uille) POURQUOI Coeur de Puma ne remplissait pas son RÔLE.


Son.... rôle?


Battant des cils dans l'air du matin, Coup de Foudre s'entendit prendre une inspiration quoique saccadée, fronçant ses sourcils après le feu de sa férocité (Enfin, "sa" - est-ce que toute cette crise lui appartenait vraiment?).

Son rôle - il se raccrocha à la pensée, et malgré lui elle l'attisa.

Ses griffes se recoubèrent dans la pierre en crissant dedans, sa queue se sur-tendit derrière lui, et son échine, même assit, n'en finissait plus de monter avec ses poils chargés de statique. Le souvenir le foudroya sur place - la Grotte de Vie, la noirceur, le silence, ses cris qui lui revenaient en écho (la poussière, l'air stagne, les bronches obstruées), Taupe qu'il avait cru en vie, la plaine figée dans la glace (la manifestation du Blizzard dans sa tête) -

S'il avait été dans sa tête, sa furie l'aurait transformé en blizzard.

Mais il était dans la réalité.

Et dans la réalité, sa tête était cassée.

Et sa tête cassée lui empêcha de ressentir tout soulagement - tout l'irritait, tout lui démangeait, l'envie de s'arracher les poils ou se mordre ou avoir recours à toute autre mutilation qui soit lui criait dans la tête parce-que (et Coup de Foudre était attentif à l'effervescence de sa propre colère, fasciné de se manipuler de la sorte) RATON (voilà qui était nouveau) aurait SU quoi faire (Intéressant, il se donna l'espace de poursuivre).

Raton (il tremblottait sur place) - c'est à dire, Étoile Masquée, avait toujours su quoi faire, avait toujours été choisi avant lui, avait toujours été le reflet de ce que le Clan voulait. Et il était si facile à embobiner! Et à tourner en bourrique (un rictus lui fit serrer les dents), et à taquiner, et à aimer et si facile à haïr après s'être fait vomir ses vérités, lorsque Secret du Firmament leur avait avoué à tout les deux d'être enceinte il ne l'avait pas déçu en tentant de lui griffer les yeux! Et Source - comme ça avait été amusant de l'utiliser contre son père biologique, de l'élever exactement comme lui, de regarder Raton dans les yeux lorsqu'elle récitait ses leçons xénophiles et anti-conformes au Code, de réduire "Tonton" au rôle de "Tonton".

Et puis Raton était tombé malade.

Et puis il avait caché Raton dans sa renardière, avec sa compagne, Jolie-Abeille.

Et puis Raton ne mangeait plus beaucoup, ne parlait plus beaucoup.

Jusqu'au jour où il ne parla plus du tout.



Sa tête se redressa d'un sursaut - au travers des larmes, un éclat de lucidité lui fit regarder, vraiment regarder Coeur de Puma.

Et l'espace d'une seconde, sa vision le trompa, désatura la rousseur de ses poils et à la vue de cet air austère joint à la cicatrice au nez (il se l'imaginait avec un masque en face, qui n'y avait pas sa place) Coup de Foudre comprit.

Il referma sa bouche (elle était sèche), et déglutit.

— « Qu'est-ce que ça peut te faire?...   Tu me hais. Les mots grattaient le fond de sa gorge comme s'il avait avalé des ronces. Il lui tournait le dos, et si ses rosarch sursautaient encore il était vide de toute sécrétion supplémentaire.

On est pas camarades, Puma.

Aussi le dire se fit sans bile et sans amertume, la paupière boursoufflée et l'autre creuse, le souffle muet, la respiration lente et dans ses muscles plus aucun tonus.

Une dernière larme assaille son lieutenant. Elle lui échappe; seul mouvement dans le silence qui s'installe. Là, de bonne heure et pris dans une brume automnale, les deux chats se taisent.

Jusqu'à ce que Coup de Foudre relève ses yeux vifs encore embués sur lui. Lui qui se redresse, attend la prochaine vague de reproches; non, d'accusations. Elle ne se fait pas trop attendre et quand son supérieur ouvre la gueule, ce n'est plus un cri fiévreux qui en jaillit mais une fatalité amère :

« Qu'est-ce que ça peut te faire?... » Quoi ? Il n'a encore rien dit. «    Tu me hais. »

Cette fois, c'est un souffle chaud qui l'envahit : une propagation de colère avec sa tête pour épicentre. Touché.
Alors que Coup de Foudre lui tourne le dos, Cœur de Puma fulmine.

« On est pas camarades, Puma. » finit las le marbré, accusant visiblement le contre-coup de sa crise.

Il se sent furieux, pris d'un sentiment d'injustice profonde qui l'écœure tant qu'il découvre ses crocs dans une grimace de dégoût.  

Comment peut-t-il oser tenir un discours pareil ?

« Pour qui tu te prends ? » Chaud. Bouillant. Il gronde. « Depuis des luuunes, j'attends. Je suis là, comme un bon p'tit con, j'essaye. » Il souffle bruyamment, quitte un instant les yeux de son interlocuteur. « J'essaie tellement Foudre… » Puis il s'arrête, secoue la tête. « Oh et puis j't'emmerde Coup d'Foudre ! » qu'il lâche, ne s'épuisant plus à chercher ses mots, il déballe d'une traite : « A cracher encore et toujours sur moi, sur mes croyances, sur mes putains de traditions. Va te faire foutre ! J'ai le droit de croire que ma compagne berce les mômes tous les soirs, j'ai le droit de croire qu'elle les laisserait jamais crever sous les pattes d'un idiot d'chat écervelé qui pense qu'à baiser. T'entends, Foudre ? Ça, ça rentre dans ta tête ou tu vas l'vomir après aussi ? » Il reprend son souffle. « Accepte-le! ou tire-toi!; si les Étoiles t'ont épargné jusque là, en dépit de tout qu'on pense de toi dans Cerfblanc, c'est parce que quelque part là, là-dedans, y a putain de chef qui sommeille ! Y a un putain de meneur qui va enfin redresser le Clan ! T'y crois pas ? » Il attend faussement une réponse, paraît incertain mais renchérit sans laisser l'intéressé placer un mot. « Bah va t'faire foutre ! Fais mieux semblant ! Bouge-toi le cul, ait au moins la décence d'aller aux Hautes-Pierres ou alors disparais, arrête de me voler du temps et de tuer ma famille à petit feu ! » rugit-il. « Bordel mais c'est à toi que je le demande, "connard de Coup de Foudre", pourquoi t'es resté ?! Pourquoi t'es resté ?! »

Essoufflé, encore brûlant comme la braise, ses yeux fixés sur Coup de Foudre, Cœur de Puma attend.

Enfin Raton--

Enfin Puma sort de son mutisme. Il est furieux, ça se comprend, à sa place Coup de Foudre serait furieux aussi. Il l'emmerde (compréhensible aussi) il lui reproche son hostilité aux traditions, ce qu'elles signifient pour lui (C'est curieux, car Coup de Foudre sait comprendre les chats qui veulent croire aux Étoiles - Printemps Fatigué croit aux Étoiles), il lui explique qu'il y projette la mémoire de feue sa compagne afin de la tenir en vie (même si elle ne l'est pas; elle est morte, elle aussi), il lui reproche d'être idiot (il a raison) et de ne penser qu'à baiser (il ne peut le nier). Il lui demande s'il l'entend, et Coup de Foudre en est à se poser la question: l'entend-t-il? Ou est-ce que ses précédents sanglots l'ont rendu sourd pour de bon?


Haha...


Aveugle ET sourd...

— « si les Étoiles t'ont épargné jusque là, en dépit de tout qu'on pense de toi dans Cerfblanc, c'est parce que quelque part là, là-dedans, y a putain de chef qui sommeille ! Coup de Foudre sourcille. Y a un putain de meneur qui va enfin redresser le Clan ! T'y crois pas ?

Qu'il y croit ou non, il n'a pas le temps de répondre (pas la force, non plus): Bah va t'faire foutre ! Fais mieux semblant ! Bouge-toi le cul, ait au moins la décence d'aller aux Hautes-Pierres ou alors disparais, arrête de me voler du temps et de tuer ma famille à petit feu !

Techniquement (Techniquement), c'était la réaction qu'il voulait. Il y a tellement de faiblesses dans sa crise à Puma, tellement de blessures à vif dans lesquelles planter les griffes et serrer et le faire se tordre de douleur et le désarmer complètement et malgré toutes ces opportunités Coup de Foudre ne dit rien, Coup de Foudre ne fait rien, si ce n'est que prendre (enfin) les insultes et les cris et les rugissements du Puma devenu Lion--

— Bordel mais c'est à toi que je le demande, "connard de Coup de Foudre", pourquoi t'es resté ?! Pourquoi t'es resté ?!

Et Coup de Foudre cille, et soutient son regard au guerrier vétéran qui fulmine, dont la cage thoracique tremble à chaque lourde, trop lourde expiration.

Puma aussi, est en détresse.

Comme lui.

Sa tête est lourde, elle aussi. Cassée et lourde et des fragments de glaçons doivent assurément y rouler dedans. Pourquoi il est resté? Quelle question. Les seuls à pouvoir y répondre, les seuls à pouvoir le comprendre ne sont plus de ce monde, et l'ombre d'un sourire soulève ses babines - triste, blessé, et gentiment résigné:

— « ...Tu devines pas?

Par sa soudaine colère explosive, il est devenu dragon. Gros lézard cracheur d'un feu qui brûle sa propre gorge au passage. Et essoufflé, son thorax encore soulevé par de grandes inspirations, il accuse le coup.

Coup de Foudre aussi, semble accuser le coup. Il cille, redécouvrant le jaune solaire de ses iris face à son homologue encore haletant. Puis, aussi doucement que les rayons du soleil revigorent les dragons, le bengal répond :

« ...Tu devines pas? »

Si jusqu'à présent le feu de ses entrailles semblait lui ronger les tissus et consumer son être, à présent c'est une chaleur apaisante qui lui prend la poitrine. Une flamme douce mais qui vole encore de son oxygène pour exister, pour danser entre ses deux rangées de côtes. Elle se propage sans douleur le long de sa nuque jusqu'à sa tête d'où elle n'échappe qu'un court soufflement bruyant et épuisé.

Le guerrier roux s'assoit, la tête basse et les yeux un peu perdus.
Encore des idées, des soupçons, des théories qui s'accumulent au siège de ses pensées. Cœur de Puma ne comprend pas tout -il ne le peut pas- mais au moins sent-il pour la première fois que son homologue marbré partage quelque chose avec lui. Quelque chose d'intime, de vrai sans qu'il ne se mette une énième fois au service d'une drôle de pièce dont il aurait écrit le scénario.

Lisible, transparent, le balafré ne note même pas ses paupières closes et son air réfléchi quand il rassemble enfin ce qu'il croit être les bonnes pièces du puzzle les unes aux autres. Quand il rouvre les yeux, c'est un regard plein de nouvelles questions qu'il plonge tout droit vers son camarade.

« Alors… » commence-t-il calmement. « Pourquoi tu les laisses te voir comme ça ? »

Au silence après sa question, Coup de Foudre se demande, un instant, s'il ne l'a jamais posée. Peut-être les choses seraient redevenues comme avant - lui et


Puma
uoʇɐɹ


continueraient de priver à l'autre le fond de leur pensée respective, et pourraient continuer à se jeter des coups sans regarder, espérant toucher quelque chose.

Le silence est différent des précédents. Il l'aide à constater que ses oreilles bourdonnent, il l'aide à constater que son dos lui fait mal - non, pas son dos, la chair qui est dessous, le tissu interne, les fibres qui alimentent son corps et en fait, tout son corps l'élance.

— « Alors…    Pourquoi tu les laisses te voir comme ça ?

Coup de Foudre constate aussi que ses paupières sont lourdes, et que son oeil pulse - il sera encore enflé pendant au moins un cadran, pas le choix d'éviter le campement pendant ce temps. Il constate que ses paupières sont lourdes car en rouvrant un oeil, il voit le vétéran qui s'est assit mais surtout il ne voit plus la répréhension dans ses yeux, dans ses poils, et pour la première fois depuis longtemps ils sont sur la même longueur d'ondes.

On aurait dit que les rochers (et tous les serpents qu'ils cachaient) s'étaient évanouis et Coup de Foudre sentit de l'herbe sous ses pattes d'une plaine à-niveau, les bouts glacés par un blizzard qui n'arrêtait (et n'arrêterait) jamais de souffler. Une poche subspatiale qui lui permettait pour une rare fois de dire la vérité sans détour et sans omettre (enfin, sans trop omettre):

— Eh bien, tu sais comment on éloigne une rumeur?

Il hausse les épaules, laissant à Puma le loisir de se rendre à la conclusion par lui-même.

— ...Leur existence a été maudite avant même d'être nés.

Ils étaient chatons, ce que prévaut le plus votre Code, et vous leur crachiez déjà dessus.

Et pas seulement eux, vous crachiez sur elle, aussi, et ce avant même de savoir quoi que ce soit. "Brouteurs-d'Herbe", tu te rappelles?

Il lève le nez au ciel - il avait toujours trouvé un certain réconfort à ces drôles de traînées de nuages étroit, qui se dessinaient dedans, parfois, particulièrement l'été. Le dome anthracite ne lui est d'aucun réconfort - naturellement, il se dit. On ne réconforte pas un "vide" - on le remplit, c'est tout.

— À quoi sert tout ce pouvoir maintenant qu'elle n'est plus là, hein?...    Mais c'est plus que ça, c'est plus qu'elle, c'est plus grand que moi, Coeur de Puma.

Bec le sait, Source le sait, Neige le sait, et je crois que ceux qui ne le savent pas s'en tirent de toute manière mieux sans moi.

Il chassa l'air d'un mouvement de la patte, sans perdre son sourire, laissant même briller une certaine fierté en pensant à Coup de Chaleur qui s'était presque complètement émancipé de lui - à Brisé, aussi, qui tenait à marcher dans les mêmes pas (et qui sait s'il n'entraînait pas Ciel, et Louve dans la même veine de pensée).

« Eh bien, tu sais comment on éloigne une rumeur? »

Non. Personne n'a jamais entaché son nom assez fort pour qu'on puisse parler de rumeur. Le rouquin a toujours eu l'occasion de rétablir la vérité avant que le mensonge ne prenne trop d'ampleur. Aussi, et il faut le souligner, Puma n'est pas vraiment la cible idéale. Un peu apprécié de tous, il ne se noie pas dans les scandales et a pour habitude de respecter les règles… n'est-ce pas ?

« ...Leur existence a été maudite avant même d'être nés. »

Il fronce les sourcils durement; comment le nier ? Même lui sent les regards insistants sur les petits maudits, si bien que lorsqu'il se tient près de l'un d'eux, il le sait sans le voir. C'est une injustice sans nom, n'importe quel idiot le saurait.

Mais la masse ne pardonne pas. Et eux, sont différents.

« Ils étaient chatons, ce que prévaut le plus votre Code, et vous leur crachiez déjà dessus. » Vous, votre… Son oreille le trahit et tique d'agacement. « Et pas seulement eux, vous crachiez sur elle, aussi, et ce avant même de savoir quoi que ce soit. "Brouteurs-d'Herbe", tu te rappelles? »

Le marbré marque une pause, regarde le ciel. Il ne répond pas tout de suite. Il sent que Coup de Foudre a plus à dire.

« À quoi sert tout ce pouvoir maintenant qu'elle n'est plus là, hein?...    Mais c'est plus que ça, c'est plus qu'elle, c'est plus grand que moi, Cœur de Puma.

Bec le sait, Source le sait, Neige le sait, et je crois que ceux qui ne le savent pas s'en tirent de toute manière mieux sans moi. »

Sourire. Sourire triste, aux yeux du vétéran aux larges pattes.
Ce dernier secoue doucement la tête de droite à gauche.

« Tu vois Coup de Foudre, tu recommences. » Il cherche son interlocuteur des yeux, et poursuit en prenant soin de ne pas s'agacer ouvertement -ça n'avait pas mené à grand-chose la dernière fois. « Toi, ton monde et puis "nous". » Petit serrage de mâchoire. « En restant dans le Clan, et sans même considérer pourquoi, tu fais de toi mon camarade. Rester est un choix -le tien, que tu le veuilles ou non et en acceptant d'être là, tu acceptes de te soumettre aux règles et aux contraintes du Clan… hum, de la communauté ? Tu ne peux pas rester et te placer constamment en opposition aux autres, vois où ça te mène. » Pause. Grimace agacée, paupières fermement closes. « Ensuite, je te suis tout à fait au sujet de tes petits. Et je ne comprends pas, mais alors vraiment pas » Colère ravalée à ces mots. « ceux qui les jugent par le sang. » Ses iris noisette retrouvent Coup de Foudre. « Mais la haine, comme l'amour, ne se compte pas. Autrement dit, te rendre détestable ne les protège pas. Pire, tu ne fais que donner raison à ces regards malveillants. Et au passage, puisqu'enfin j'ai l'occasion de t'en parler; proposer aux mêmes chats qui les toisent sans raison d'enfoncer leur griffe dans ta gorge, ça ne peut pas être une bonne idée. » Il relève la tête, s'arme d'un peu plus de sérieux quand il pose. « Et puis, je m'y oppose fermement. » Il reprend, ne laissant pas à son interlocuteur le temps de contre-argumenter. « Pour ce qui est de Secret du Firmament » puisqu'il semble vouloir taire son nom. « et toi-- »

-- Oui, c'est ce que tu as dit, la dernière fois.

Il l'interrompit d'un chassé las de la patte, la portant momentanément au sourire à ses babines, doux et lourd et soulagé.

Non, pas soulagé--

— D'où pourquoi j'utiliserai les miennes. »

C'était de la gratitude, dans ses yeux.

On l'interrompt pour réitérer des propos dépourvus de sens.

Cette fois, il se laisse un peu plus aller.

« Mais c'est pire ! » couine-t-il désespérément.

« Quel spectacle tu leur offres ? » Ses narines se dilatent, expulsant le souffle qui vient de rallumer les braises. « Leur père qui s'ôte la vie devant tout l'monde pour quoi ? » Un grommellement frustré tonne quand il reprend. « Parce qu'il faut qu'il prouve son honnêteté au Clan qu'il est censé guider ? »

Il piétine, marche un coup sur place et reprend sans parvenir à contenir complètement ses émotions.

« Bon sang Coup de Foudre, tu n'as pas besoin de te trancher la gorge devant tes propres petits pour convaincre le Clan que tu es digne de ton rang… » Il respire, et sans courroux il finit. « Les mauvaises langues ont choisi de rester elles aussi. Elles sont soumises aux mêmes règles que toi; rien ne les retient de partir si elles refusent de te croire. » Il lève les yeux vers son lieutenant, puis soudain vulnérable comme un chaton : « Tu ne crois pas ? »

— « Mais c'est pire !
— « Pfff-

Si seulement il avait pu le ressentir pleinement, cet émoi venant d'un chat qui toute logique indiquait ne devait pas tenir à lui, ne devait pas se soucier de son bien être. La détresse de Puma ne lui était pas étrangère - il avait vécu la même après tout, il y a deçà quelques battements seulement, mais elle était déjà bien loin, trop loin, elle ne lui appartenait pas (lui avait-elle seulement appartenu?).

— Leur père qui s'ôte la vie devant tout l'monde pour quoi ? Parce qu'il faut qu'il prouve son honnêteté au Clan qu'il est censé guider ?

Pris d'une frustration (peut-être qu'il prenait la sienne?) Puma s'était relevé, évacuant son trop plein à lui en s'activant de quelques pas. Le bengal suivit son mouvement sans ciller - il n'y avait plus de larmes dans ses yeux, plus grand chose, à vrai dire, retrouvant le vide et la froideur d'un objectif et son obturateur.

— Bon sang Coup de Foudre, tu n'as pas besoin de te trancher la gorge devant tes propres petits pour convaincre le Clan que tu es digne de ton rang… Coeur de Puma inspira. Coeur de Puma expira. Et Coup de Foudre se voyait en lui et Coup de Foudre l'enviait, tout en l'admirant.

— Les mauvaises langues ont choisi de rester elles aussi. Elles sont soumises aux mêmes règles que toi; rien ne les retient de partir si elles refusent de te croire.
Leurs regards respectifs s'accrochèrent à l'autre, mais celui de Puma avait plus encore de questions dans le sien qu'il n'arrivait à en poser: Tu ne crois pas ? »

Coup de Foudre sentit sa tête s'abaisser, sa patte trouva la marque à son poitrail, et il reserra inconsciemment ses phalanges dessus.

— « Et toi?

Sous le poids de tous les scandales et toutes les rumeurs insignifiantes qui se déforment, devant tout ces chats qui assument que le moindre mot qui sort de ta bouche est un mensonge,

qu'est-ce que toi tu ferais, Puma?

Il secoua doucement sa tête.

Reposa sa patte contre la pierre.

— Je vous l'ai dit, non?   Je n'ai peur de rien.


Je ne veux pas dire que "rien ne me fait peur", ou que je suis plein de "courage".


Je veux dire -  et il leva son autre patte, couvrant son oeil enflé et sortant les griffes et en crispant les tendons - on les vit apparaître au travers de son pelage -  "Un jour, pendant mon baptême d'apprenti, on m'a forcé à veiller dehors et le blizzard a cassé ma tête", et je ne vois plus comme vous.   Mais la douleur ne lui fit rien. Son poil demeura immobile, sauf bercé par une brise qui s'était levée. Il rentra les griffes.

Si je dois sacrifier une de mes vies pour prouver au Clan que je ne mens pas, je n'ai rien, là-dedans, pour m'en dissuader.


Par les nombres, une seule vie est moins importante que toutes les vôtres.


Un seul damné pour tout un Clan pieux.


... Ou qui se croit l'être, peu m'en coûte.

Quand Coup de Foudre lui retourne la question, Puma est sans voix. Il dodeline de la tête, désapprouvant ce retournement de situation. Il le voit : le marbré essaie encore de s'échapper avec ce non-sens.

« Je vous l'ai dit, non?   Je n'ai peur de rien.

Je ne veux pas dire que "rien ne me fait peur", ou que je suis plein de "courage".

Je veux dire » Il s'interrompt pour porter sa patte à son œil. Puis, sans que le rouquin s'y attende, Coup de Foudre plante ses griffes autour du globe. Choqué, Cœur de Puma a tout juste le temps de bander ses muscles avant que le chat sombre reprenne calmement. «   "Un jour, pendant mon baptême d'apprenti, on m'a forcé à veiller dehors et le blizzard a cassé ma tête", et je ne vois plus comme vous. » Son corps ne trahit aucune douleur, rien. Le vide.

« Si je dois sacrifier une de mes vies pour prouver au Clan que je ne mens pas, je n'ai rien, là-dedans, pour m'en dissuader.

Par les nombres, une seule vie est moins importante que toutes les vôtres.

Un seul damné pour tout un Clan pieux.

... Ou qui se croit l'être, peu m'en coûte. »

Même s'il a laissé la tête cassée de son lieutenant mener à bien sa pensée, le corps de Cœur de Puma montre tout son désaccord. D'abord, ses griffes encore ancrée dans la roche, ses sourcils froncés, sa mandibule fermement serrée contre son crâne, ses oreilles rabattues en arrière, ses yeux plongés sur l'autre. Et alors, ses mots :

« Non, tu te trompes Coup de Foudre. » Ses oreilles se redressent, puis retombent quand il soupire, les yeux rivés au sol. « Mais je comprends mieux maintenant... » Il se redresse pour s'expliquer. « Je ne sais pas ce que je ferais à ta place, Foudre. Mais ce que je sais, c'est que j'aurais refusé à ma place qu'on me nomme lieutenant. Parce que j'aurais eu peur. » Il dodeline à nouveau de la tête. « Je te le dis, et je voudrais tellement que tu l'entendes vraiment. Si certains chats doutent de toi alors que tu reviens de la Pierre de Lune avec un nom d'Étoile et des vies, t'en ôter une ne les fera pas changer d'avis. C'est que ces chats n'ont pas la foi de toute façon. » Il se sent soudain un peu idiot. Parler de "foi" avec le plus grand doigt d'honneur à la Toison Argenté de tout Cerfblanc… Mais. Tant pis, l'heure est aux confidences après tout. « Je te l'ai dit -enfin, crié-, moi je ne peux pas croire que les Étoiles t'aient laissé vivre si tu n'as pas un rôle à jouer en tant que chef. Ceux qui en doutent, doutent du pouvoir de nos ancêtres, et donc du fait qu'elles fassent un bon choix en t'accordant le rang de chef de toute façon. » Inconfortable avec tous ces aveux techniques, il fait mine de s'étirer. « Et je renchéris; tout ce que tu vas faire, c'est traumatisé tes pet-- ta famille. » Il se tait un court instant, hésitant. « Je ne sais pas à quel point ta tête est… cassée ? » D'un regard, il s'assure d'avoir repris les bons mots. « Mais tu peux imaginer qu'une scène -enfin, juste une idée- pareille puisse endommager l'esprit des gamins, non ? » Timide rictus maladroit. « Et si tu créais juste d'autres damnés, comme tu dis ? » Il ne connait même pas ce mot. « Et puis. » Levée des pupilles vers le ciel, on inspire et on revient : « Tu ne peux pas gâcher une vie comme ça, Coup de Foudre. C'est un don, un cadeau. Je ne pense pas que l'ancêtre qui te l'accordera serait très content que tu la gâches pour des mauvaises langues qui, comme je le disais juste avant, sont libres de se désolidariser du Clan. »

Petit silence.

« Alors… si c'est la raison pour laquelle tu repousses continuellement ta visite à la Pierre de Lune, arrête et… vas-y ? »