C'est une Faveur [Feat. Coeur de Puma] - end

— « Non, tu te trompes Coup de Foudre.
— Ha   ha   ha. C'était quand même familier.

— Mais je comprends mieux maintenant... En tandem avec Puma, le bengal s'était redressé, ses yeux brillant malgré lui - stupéfait. Je ne sais pas ce que je ferais à ta place, Foudre. Mais ce que je sais, c'est que j'aurais refusé à ma place qu'on me nomme lieutenant. Parce que j'aurais eu peur.

Plus que se redresser Coup de Foudre versa carrément sa tête en arrière, lourde, fixant, las et reconnaissant en même temps, la conclusion logique à laquelle était arrivé Coeur de Puma. C'est exact, Puma aurait eu peur, et c'est là tout ce qui les différenciait. Puma semblait enfin le comprendre - enfin considérer la variable qui échappait à l'équation. Une trop grande inspiration souleva sa cage thoracique et ses épaules, et s'évacua d'un tout aussi lourd soupir.

— Je te le dis, et je voudrais tellement que tu l'entendes vraiment. Si certains chats doutent de toi alors que tu reviens de la Pierre de Lune avec un nom d'Étoile et des vies, t'en ôter une ne les fera pas changer d'avis. C'est que ces chats n'ont pas la foi de toute façon.

Coup de Foudre détourna les yeux, laissant à Puma constater tout seul qu'il essayait de parler de "foi" avec Coup de Foudre "Coup de Foudre" ce Coup de Foudre-là. Non, il y avait plus - oui il était Coup de Foudre mais même sans le regarder il l'écoutait. Le vide avait besoin d'être rempli et c'est peut-être pouquoi il était si réceptif à son interlocuteur. Et son interlocuteur semblait doté d'un bon sens qu'il ne lui avait jamais soupçonné:

— Je te l'ai dit -enfin, crié-,  « pff--! »  moi je ne peux pas croire que les Étoiles t'aient laissé vivre si tu n'as pas un rôle à jouer en tant que chef. Ceux qui en doutent, doutent du pouvoir de nos ancêtres, et donc du fait qu'elles fassent un bon choix en t'accordant le rang de chef de toute façon.

Coup de Foudre ferma ses yeux en laissant les mots s'imprégner dans le creux de ses oreilles, au delà des poils qui en sortaient. La foi du Puma était comme un baume sur ses vieilles plaies. Ça lui échappait, pourquoi s'était-il tant fait hostile à lui? ... Ah oui - remplacer Raton-Laveur.

— Et je renchéris; tout ce que tu vas faire, c'est traumatisé tes pet-- ta famille.
Coup de Foudre rouvrit son oeil, haussant haut les sourcils.

— Je ne sais pas à quel point ta tête est… cassée ? Poursuivit Puma, faisant preuve d'une rare considération pour l'état du bengal. Mais tu peux imaginer qu'une scène -enfin, juste une idée- pareille puisse endommager l'esprit des gamins, non ?
— ...

Oui.

Bien sûr qu'il y avait pensé.

Mais si les Clans avait tué Étoile de Suie l'un après l'autre alors il faisait une faveur au sien en leur épargnant de devoir sortir les griffes, non? Avec une réputation souillée comme la sienne qui sait combien de guerriers au Tonnerre voulaient le voir se taire pour de bon?

— Et si tu créais juste d'autres damnés, comme tu dis ? »

Mais les nombres ne mentaient pas; il avait moins d'enfants que de chats qui souhaitaient le voir tomber. Il ne dévaluait pas leur peine - il avait vu ne serait-ce qu'un iota de ce qu'elle ferait à Source, pendant sa première montée sur ce foutu caillou au centre du campement - mais comme toutes les pertes avant lui elle finirait par s'émousser, faire moins mal et peut-être ses enfants n'avaient pas le luxe de l'oublier, il les savait suffisament forts pour apprendre à passer par-dessus (puisqu'eux avaient toutes leurs facultés il coulait de source que deuiller serait plus facile à eux qu'à lui). Mais les mots de Coeur de Puma avaient réussi à le piquer quand même, et Coup de Foudre, perplexe, ne compris pas pourquoi.

...Les nombres ne mentaient pas.

— « Et puis. Tu ne peux pas gâcher une vie comme ça, Coup de Foudre. C'est un don, un cadeau. Je ne pense pas que l'ancêtre qui te l'accordera serait très content que tu la gâches pour des mauvaises langues qui, comme je le disais juste avant, sont libres de se désolidariser du Clan.
— Tsk - On croirait entendre Brisé » grommela gentiment le lieutenant en couchant ses deux oreilles dans le cran, ressentant la précédente pudeur rien que par la façon dont sa queue se courbait autour de son corps.

Il s'entendit inspirer, il s'entendit expirer.

Et c'était bizarre, mais il respirait mieux.

— Alors… si c'est la raison pour laquelle tu repousses continuellement ta visite à la Pierre de Lune, arrête et… vas-y ?
— « C'est plus stupide que ça.


Une partie de moi... ses épaules rebondirent à nouveau, et bien qu'il ne les contrôlait pas, elles le firent trois ou quatre fois avant de s'immobiliser et d'épargner à son corps de nouvelles secousses.

— ...Une partie de moi espère encore qu'il revienne.    Raton-Laveur.

C'était complètement stupide, il le savait, Étoile-Masquée était mort, il le cachait au Clan, lui et sa relation avec Jolie Abeille de la Rivière, mais pouvait-on vraiment blâmer sa tête cassée d'espérer avec la même foi que les plus pieux du Clan que toutes ces dernières pertes, une à la suite de l'autre, n'aient seulement été qu'un mauvais rêve, et qu'un jour il se réveillerait, auprès de Firmament, leurs enfants, auprès de Raton-Laveur avec qui il se serait réconcilié, auprès de Museau Bleu, Graine de Tournesol, Vipère Audacieuse, et même, et même auprès d'Étoile de Suie, qui aurait mieux su quoi faire que lui?

— Je...  suppose que je ne vis pas vraiment la perte des autres comme vous le faites?


Il manque quelque chose pour-- il leva sa patte, roula du poignet, fit mine d'attrapper l'air et de le relâcher. Soulager-- non.   Relâcher.


Libérer.

Sa vision se distordit et lui fit voir le fantôme d'un oiseau qui se débattait entre ses griffes, et lorsqu'il les rouvrit, il le vit déployer ses ailes et prendre les hauteurs sans demander son reste, suivant son envol des yeux, de la tête et du nez, invitant Puma à le rejoindre au moins quelques secondes dans son abstraction.

« C'est plus stupide que ça. » affirme le typé bengal.

Cœur de Puma l'interroge du regard, l'invitant à continuer.

« Une partie de moi... » Oui ? « ...Une partie de moi espère encore qu'il revienne.    Raton-Laveur. »

Un silence s'écoule.
Le vétéran encaisse l'information, la face neutre.
Puis, sans qu'aucune sorte de contrariété ne lui barre la route, il cherche. Il cherche un souvenir, une vieille émotion similaire à ce que lui décrit son lieutenant; il veut le comprendre.

Alors, un très vieux moment refait surface. Petit Puma a 6 lunes. Il est lové contre le poil doux de sa mère qui dort encore, Petit Vison entre ses pattes antérieures. Il sait qu'aujourd'hui il va recevoir son nom d'apprenti, qu'il va commencer son entraînement aux côtés d'un mentor dont le nom lui sera encore inconnu.
En dépit de ces longues lunes d'attente et de toute l'excitation accumulée autour de sa cérémonie de Nuage, il a peur. Il voudrait fermer les yeux, revivre hier tous les jours, ne jamais quitter le ventre chaud de sa mère, retrouver tous les soirs l'odeur chargée de la pouponnière et ne s'en remettre qu'à sa mère, son père et son frère.
Petit Puma ne veut soudainement plus grandir.
Il a ici tous ses repères. Et dès demain, il lui faudra dormir seul, sortir du Camp, affronter tous les dangers dont lui ont parlé ses parents et qui se trouvent par delà la barrière de ronce. Peut-être qu'il fera un mauvais apprenti, qu'il sera poltron, qu'il leur fera honte ?

Aujourd'hui, il sait que le chemin fut plutôt calme, même si rempli d'imprévus. Et jusqu'à présent, son histoire a plutôt été une réussite parce qu'il a accompli son souhait : devenir guerrier.
Mais alors… devenir chef, est-ce seulement un souhait pour Coup de Foudre ?

« Je... » Le rouquin relève les yeux vers lui. « suppose que je ne vis pas vraiment la perte des autres comme vous le faites? » Il penche la tête sur le côté, interrogateur. « Il manque quelque chose pour-- » Pour illustrer son propos, Coup de Foudre fait mine d'attraper quelque chose dans sa patte. « Soulager-- non.   Relâcher. »

Cœur de Puma fronce les sourcils; bien du mal à le suivre… Mais le lieutenant corrige : « Libérer. »

Il prend un moment pour chercher ses mots, mais sa mine insatisfaite parle déjà pour lui.

« Je... » commence-t-il après quelques secondes de réflexion. « crois que la perte est un poids, Coup de Foudre. Un poids dont on ne se débarrasse jamais. » Il inspire, réfléchit encore. « Et… il y a tant de façons de réagir, et de gérer ce poids que… je ne pense pas qu'il y ait d'un côté "nous" et d'un autre "toi". » Il grimace un peu, espérant ne pas être trop maladroit. « Tête cassée ou non, on ne se libère pas de ce poids. Il est là, et on avance avec, tu vois ? »

Il se reconcentre, ferme les yeux, libère un petit « Hum. » pour qu'on ne l'interrompt pas : il n'a pas fini.

« Coup de Foudre. J'aurais trop de questions au sujet de ta… tête. » Ses paupières se lèvent et il regarde son interlocuteur dans les yeux. « Mais avant, dis-moi… as-tu seulement envie de devenir chef ? »

Si ce n'est pas la peur (de décevoir, de réussir, d'être rejeté, des responsabilités) qui retient Foudre de prendre son nom d'Étoile, parce que Foudre "[n'a] peur de rien", alors qu'est-ce vraiment ?

— « Je... crois que la perte est un poids, Coup de Foudre. L'oiseau à qui on avait privé les ailes fit une vrille en l'air, et disparut en poussière - Coup de Foudre avait fermé les yeux pour les épargner de la pluie de débris (?).

— Un poids dont on ne se débarrasse jamais.
— Un poids...
Un poids, ou une seconde peau?

— Et… il y a tant de façons de réagir, et de gérer ce poids que… je ne pense pas qu'il y ait d'un côté "nous" et d'un autre "toi".

Malgré cette distance qui les séparait, malgré ce goufre qu'il y avait entre lui et tous les autres chats du Clan (lire, tous les autres chats qui n'avaient pas la tête cassée), Coeur de Puma tentait le saut, tentait de lui montrer (ou de lui faire croire) que les deux côtés n'étaient pas impossibles à rejoindre.

— Tête cassée ou non, on ne se libère pas de ce poids. Il est là, et on avance avec, tu vois ?
— Hm... »

Tout ce qu'il savait du deuil était ce qu'il avait pu observer chez les autres. Leur tête basse, la perte d'appétit, les larmes, bordel, les larmes, Secret du Firmament avait tellement pleuré et sans savoir quoi faire il lui avait simplement laissé l'espace de le faire. C'était ironique de ne s'en laisser aucun - d'automatiquement se braquer au moindre débordement d'émotion, de coucher les oreilles, de se cacher, de le traiter comme une crise en dehors de ses moyens et de ne laisser rien paraître de la douleur et la fatigue et l'irritation qu'elle laissait derrière elle. On pleurait de rire - il avait vu des chats pleurer de rire. C'est bien parce-qu'ils riaient tellement que leurs corps leur demandait de se libérer du coup de l'émotion, non?

Parce-qu'ils en étaient capables.

D'être libres.

— « Coup de Foudre. J'aurais trop de questions au sujet de ta… tête.

Un tic de l'oreille fut tout ce que répondit le bengal, ainsi qu'un détour de la tête, tournant le dos au guerrier qui cherchait son regard.

— Mais avant, dis-moi… as-tu seulement envie de devenir chef ?
— Non.

Sans mensonge aucun.

— Je voulais qu'on m'écoute.

J'avais des questions et personne ne voulait me répondre, alors j'ai développé une méthode pour avoir ce que je voulais.

Son corps était faible et lui lançait mais qu'à cela ne tienne, son corps pouvait lui crier d'arrêter il ne l'entendait pas. Son corps était un outil, avant d'être toute autre chose, et il écarta une patte pour se tourner à demi vers Puma et verser sa tête lourde, lui présentant son meilleur profil (malgré l'oeil creux de ce-dernier.)

— J'ai développé la meilleuuuure personnalité avec les meilleuuuures inflexions et juste l'angle parfait du pire des sourires (il le lui souleva) pour provoquer les autres à réagir à ma place! ♡ Son sourire se veillit d'on ne sait combien de lunes. J'ai attiré l'attention sur mon corps, tu peux deviner où ça m'a mené.

La provocation reluit dans ses yeux mais il télégraphia minutieusement son langage corporel à Puma, histoire qu'il puisse voir quels fils il tirait pour précisément pencher la tête dans l'angle qu'il voulait, fabriquant une expression qui se voyait aussi lourde de reproches que parfaitement insouciante:  "Bon qu'à baiser",  c'est ça?

Et on coupa les fils - la tête s'inclina et dodelina d'une secousse sur à peine le grelottement d'un ricanement, sa queue retombant mollement contre la pierre froide du rocher.

— Quand Étoile de Suie est morte, je voulais mourir aussi. Pas pour la rejoindre - je m'en fichais - j'étais fasciné de l'avoir vue se lever quatre fois. Je voulais ressentir la même chose - je le veux encore.

La grande mort, Puma!  Et la petite.

L'intimité de connaître tout ces chats à leur point le plus vulnérable. Me laisser aux soins de leurs pattes, ou eux, d'avoir confiance de se laisser au soin des miennes.

La force lui manqua, et il se retrouva à s'allonger sur la pierre, à mille lieue de tous les dangers qui pouvaient courir autour.

— Avoir confiance - tu te souviens quand les frères Vautours m'ont choisi comme Chanteur?

Je me suis dit que c'était un test - ils voulaient voir de quoi j'étais capable avec les autres Clans avant de me donner des responsabilités dans le nôtre.

Mais quand est venu le temps de choisir un lieutenant... Il a choisi Raton-Laveur. Tu sais ce que cet hypocrite m'a dit? Que peu importe notre relation dans le futur, il me choisirait comme lieutenant.

Est-ce que j'ai envie de devenir chef, Puma?

Je veux mon ami.

Je veux mon connard de pote qui a tenté de me griffer les yeux quand Fifi lui a dit qu'elle était enceinte de moi. Je veux mon connard de pote qui a dit à Fifi devant moi de me plaquer - ce connard qui m'a nommé Lieutenant, comme promis, alors que la veille on m'avait ramené un cadavre mutilé par des chiens.

Je veux mon ami - pas Raton, Waffle - qui lui, m'a plaqué en m'accusant d'avoir fait se suicider sa compagne avec un commentaire de trop.

Je veux tout mes amis des autres Clans--

Est-ce que j'ai envie d'être chef?!    Tu t'fiches de moi, personne ne voudrait être le chef de ce clan d'ENFOIRÉS!

Il souffla son air. Il s'était calmé.

Mais je veux que les choses changent - je dirais même que les choses doivent changer. Et comme je n'ai peur de rien, je n'ai pas peur de changer le premier.


Je veux vous comprendre, mais ça n'a pas à être réciproque; le Clan peut me voir comme il veut, un ennemi, un fou, un déviant, une pute, un pervers, ils peuvent avoir peur de moi j'en ai rien à foutre.


Je n'irai pas chercher mes vies avant de savoir ce qui se passe dans tous les autres Clans.

Le mouvement aurait du être automatique et brusque - il n'en fut rien. On entendit grincer une à une les articulations qu'il défléchit en soulevant toute sa masse sur ses quatre stupides pattes qui peinaient à le tenir debout. De la queue, il balaya la pierre, et prit un pas à la fois en balançant son poids dans chaque épaule tout en se tournant pour faire face au guerrier, ne cachant plus du tout son oeil boursoufflé ou la paupière nictitante qui le rosissait et lui faisait perdre toute l'intensité dedans. Les sillons de larmes à ses joues commençait à peine à sécher.

— « S'ils me sous-estiment ou croient le Tonnerre faible, tant mieux.

Le sourire qu'il lança à Puma n'était plus si insouciant. Il était asymétrique et on aurait juré que ses dents s'étaient aiguisées. Joint à tout le reste, il n'avait plus l'air du même chat: Le Tonnerre EST faible.   Tous les Clans nourris par la haine le sont.


Mais tu as sans doute du remarquer comment le Clan semble plus proche maintenant que je suis monté sur ce fichu caillou.   Toi-même tu as du te sentir meilleur que moi en te disant que cette conversation n'allait mener à rien.


C'est parce-que vous partagez le même ennemi.  Vous ne me faites pas confiance d'être un "bon" meneur, mais vous avez confiance en vous. Pour vous "soutenir".


Mais--  son arrière-train retomba, et il détourna les yeux, recourbant sa queue contre lui.  Je ne veux pas--


Je ne veux pas créer d'autres damnés!...


Je veux casser le cycle, pas le répéter, je veux être Étoile d'Or, mais je ne peux pas être, je--


Je peux juste être moi.

L'évident malaise revint quand aux implications de n'être que "lui".

C'est un risque, d'attendre - tu as raison.   Et c'est égoïste, aussi.  Mais je ne suis pas Étoile d'Or, Puma, je peux juste être moi, et sais-tu dans quoi j'excelle?


L'observation.

Le contrôle des apparences (il s'allégea d'un haussement d'épaules, le sourire niais) enfin, d'habitude.

La manipulation par la provocation.


Ce ne sont pas des qualités "honorables" comme les siennes.  Je n'ai pas son esprit sacrificiel, je n'ai pas sa piété, et je n'ai pas la tête à toute sa, ugh   (il se détendit et roula des yeux au ciel)  sentimentalité, ou ses grands discours capables de motiver n'importe qui, mais si j'utilise mes spécialités pour le bien du Clan...


Est-ce que ça fait de moi un inconscient?


Vouloir réviser le code, souhaiter aux guérisseurs de ne plus jamais être isolés, ouvrir l'opportunité de s'entendre avec nos voisins, qui sont, au final, juste des chats comme nous...

Tu trouves vraiment que j'en demande trop?

Contrairement à l'oiseau du deuil qui s'était envolé avec grâce et légèreté dans l'esprit du lieutenant, sa réponse tombe à pic, une chute rectiligne semblable à celle des pommes de pin de la saison.

« Non. »

Cœur de Puma n'est pourtant pas surpris. Ne pas comprendre ne l'étonne plus.

Coup de Foudre commence son récit : celui de son histoire, de sa pensée qui se développe et de ses convictions. Son homologue au poil roux sombre s'efforce de ne pas l'interrompre; même quand il se place en pauvre victime à qui on ne répond pas (avait-il seulement demander correctement ?), même quand il lui lance qu'il n'est bon qu'à baiser comme s'il citait ses mots à lui, même lorsqu'il mentionne Étoile de Suie, même quand il fait une blague sexuelle qu'il ne comprend que deux phrases après, même quand il parle de confiance comme il parlerait d'une technique de chasse, même quand il parle de Raton Laveur, même quand il parle du cadavre de "Fifi" mutilé par des chiens (efface ces images de ta tête Puma, Tornade ne mérite pas que tu te souviennes d'elle dans cet état), même quand il parle de ses amis des autres Clans, même quand il insulte le Clan tout entier d'enfoirés, même quand il n'exige pas la réciprocité de leurs camarades, même quand il n'en a rien à foutre, même quand il affirme que le Tonnerre est faible, même quand il ose admirer Étoile d'Or, même quand sa conclusion ne fait plus aucun sens à ses yeux et qu'il se rend compte que tout ce que ce pauvre malheureux pense avoir de principes et de valeurs n'est qu'un voile de fumée destiné à le protéger de son propre égoïsme né de son incapacité à comprendre les autres et à être vraiment empathique.

« Tu trouves vraiment que j'en demande trop ? »

…

…

Mais alors

…

Que dire ?

…

…

Que penser ?

…

Il rompt le silence d'un souffle de sa truffe. Un souffle lourd cette fois. Sérieux. Trop?

« Je… » crois que j'ai le meilleur ou le pire meneur du Clan du Tonnerre que Cerfblanc ait jamais connu juste sous mes yeux. « vois tellement d'erreurs dans ton discours. »

Petit coup d'œil dans les airs : quelle heure se fait-il ?

« Donc si je comprends bien, tout a commencé parce que tu n'étais qu'un sale novice impatient d'obtenir des réponses, révolté qu'on ne lui accorde pas la science et le savoir après ces quelques lunes d'existence. Vraiment, très très original et spécial pour un jeune guerrier. » Assez inattendu, et pourtant si prévisible ?

« Alors tu as décidé de devenir une espèce de pantin sexuel, feindre et t'inventer toute une personnalité pour inspirer une confiance; que tu ne méritais donc pas par tes actions. S'il y a bien quelque chose d'immoral Coup de Foudre, c'est de se jouer des gens et de leurs bons sentiments. » Ne pas mentionner Firmament, ne pas développer toutes ces hypothèses de leur intimité et de leur relation. Ni maintenant, ni jamais. « Enfin, je me trompe peut-être mais tu n'as de toute façon pas l'air de comprendre le concept-même de la confiance. » Un peu blasé, il précise. « Comment tu interprètes la décision d'Étoile Masquée, hm ? Malédiction, lâcheté ? » Il fait semblant de laisser le bengal réfléchir ou répondre mais reprend assez vite. « Voilà ce que je vois : ton ami -tu le dis- a un tel espoir en ta capacité à régner, a de telles convictions à ton sujet que peu importe le nombre de crasses que tu aurais décidé de lui faire, il t'aurait confié tout un Clan sans l'ombre d'un doute. Et il l'a fait, sans s'arrêter aux chuchotements choqués des autres. Ce n'est pas ta tête qui est cassée, là ce sont tes yeux pour rester aussi aveugle à une telle preuve de confiance. Si tout ce que tu m'as dit sur toi est vrai, alors ça veut dire que Raton Laveur te connaissait assez pour savoir que même poussé à te détester, il faut croire que tu as bon fond et que tu sais faire. »

Un petit moment de flottement : laisser Coup de Foudre intégrer ses propos avant de changer de sujet. Nuancer.

« Mais après tout… et malgré tout le respect que je porte à notre chef disparu, je dois bien avouer qu'il n'a pas été particulièrement brillant dans son rôle, en tous cas. » Précision, avant de s'attirer les foudres du lieutenant éponyme. « Il a pu se tromper. Et puisque j'ai en face de moi un chat qui rêve d'une vie de solitaire sans oser prononcer ce gros mot, à choisir ses amis et ses propres règles… et puisqu'avec ça il manipule à tour de rôle à tel point qu'il se rend haïssable auprès d'un groupe entier qu'il finit par traiter d'enfoirés comme s'il était tellement bon en manipulation… » Un petit peu de suspens, un petit rictus, un petit peu de taquinerie. « qu'il se piégeait lui-même. Dur de te souvenir que tu fais tout pour être l'ennemi n°1 avec ta tête cassée, hm ? » Il plisse les yeux, s'invente comédien (Puma est un très mauvais acteur). « Et moi alors, comme un gros bêta je discute avec toi… parce que t'as pleuré. Alors j'attends que tu m'apprennes au moins à pleurer sur commande à l'occasion. » Son sourire tombe. Pouf. Sérieux. « Si tu continues comme ça, peut-être que j'en aurais besoin le jour où un de tes fanboys croira si fort à tes mensonges qu'il viendra te tuer. »

Il secoue sa tête de droite à gauche inconsciemment, son corps désapprouvant la violence de ses propres mots. Un silence accompagne ce geste, la pression retombe soudain. Et quand il reprend, Cœur de Puma semble de nouveau des plus sincères, inquiet.

« Je sais que tu vas détester ce que je m'apprête à te dire, Coup de Foudre. Mais contrairement à toi, je ne sais pas mentir. Et quand je dis quelque chose, je ne le dis pas juste pour provoquer. Pour voir… » Il plante ses iris dans celles de son supérieur. « Je suis obligé de te le dire. » Il s'accroche. Il meurt d'envie de lui balancer depuis le début. « Tu fais comme elle. » La Grosse Suie. « Autrement, mais presque pareil. » Son oreille tique, séquelle de la seule pensée de Suie. « Étoile de Suie interdisait toute discussion et imposait tous ses choix comme des lois, par la force. Tu les imposes aussi au Clan, Coup de Foudre. Et tu ne lui laisses pas le choix... parce que tu as tes propres ambitions et que tu veux utiliser le Clan du Tonnerre comme un outil pour les atteindre, au mieux ou un sujet d'expérience pour confirmer tes convictions, au pire. Ton discours est biaisé Foudre; un coup les choses doivent changer -parce que tu l'as décidé?-, un coup c'est toi qui te mets au service du groupe dans une sorte de sacrifice vers la réussite.

Tu veux savoir si tu en demandes trop ? Mais… est-ce que tu demandes seulement ? Ou est-ce que tu manipules les gens pour qu'ils fassent ce que tu veux d'eux ?
…
C'est toi qui voulait qu'on parle, non ? »

Il grimace de frustration.

« Je veux croire Étoile Masquée à ton sujet, pour toutes les raisons que je t'ai déjà évoqué et toutes celles qui sont évidentes… Mais si tu ne changes pas certaines choses, je ne donne vraiment pas cher du Clan du Tonnerre. »

Les oreilles plaquées en arrière, le vétéran au museau balafré se redresse, accordant un dernier contact visuel à son lieutenant pour s'assurer que la conversation est bien terminée.

— ... S'il te plaît, ne met pas des mots dans ma bouche. »

Il y en avait trop à dire, trop à répondre, trop d'angles à attaquer, trop d'arguments à soulever et trop de vérités à lui avouer. Devait-il l'interroger sur sa préconception d'immédiatement croire "bon" les sentiments de chats capables de ressentir davantage que lui? Coeur de Puma sous-entendait-il que ceux de Coup de Foudre valaient moins, faute de son émoussement? Il y avait cette obsession avec la confiance, aussi. Que c'était une chose "pure" et non pas ce qu'il en était, c'est à dire un laisser-passer pour commettre des actes qui contredisaient le code.

Devait-il révéler à Puma que son très cher Étoile Masquée avait une compagne, au Clan de la Rivière, et qu'ils étaient tombés malades, ensemble, et qu'ils avaient été quarantainés dans sa Renardière, ensemble, et qu'ils s'étaient éteints ensemble sans même une directive à donner à celui qui avait juste envie d'être écouté? Devait-il lui expliquer les questions qu'on ne lui avait jamais répondues? Les "pourquoi laisse-t-on les Étoiles contrôler notre vie?" ou les "vous ne trouvez pas que le code est un peu strict?..." ou le "que la formulation de ses mots encourage à haïr son prochain?" ainsi que "pourquoi empêche-t-on les guérisseurs de vivre comme nous?" sans oublier "pourquoi la profession de guérison n'est limitée qu'à eux? Il suffit de l'enseigner, non? Est-ce que ce ne serait pas plus efficace de soulever leur fardeau en acceptant de le porter avec eux?".

Secret du Firmament lui avait dit qu'il ne comprendrait jamais son sacrifice; il lui avait répondu que ça n'avait pas à en être un.

Pleurer sur commande - peut-être pourrait-il révéler à Puma les résultats de son premier pèlerinage aux Hautes Pierres, de ses retrouvailles avec feue Taupe, de l'avertissement de feue Étoile Vaillante qui lui avait révélée que même morts, même toutes puissantes, les Étoiles, au même titre qu'eux mortels, continuaient de souffrir? Que l'après-vie qui les attendait semblait être plus ou moins aussi dénué de sens que leur existence à suivre à la lettre un Code raconté par des ancêtres obsolètes?

Et le comparer encore une fois à Étoile de Suie? Étoile de Suie aurait tué les aînés qui gaspillaient leurs remèdes, aurait sélectionné (avait sélectionné) ses guerriers préférés pour en faire des pupilles en prévalant leur progéniture? Devait-il lui rappeler comment ils traitaient leurs "brouteurs d'herbe" à l'époque? Peut-être comprendrait-il que Nuit Hivernale était partie du clan de son plein gré? Que ses enfants auraient (avaient?) été ostracisés par les enfoirés de pur race bouffis dans leur orgueil et leur nationalisme?

— « C'est amusant... Un ange avait passé, ou dans leur cas la brume, vu l'humidité dans son poil. Tu me reproches de vouloir changer les choses - de n'en faire qu'à ma tête, vous imposer mes choix - mais dans le même souffle, tu m'avertis que si je ne les change pas, le Tonnerre court à sa perte...

   C'est lequel, Puma?

Puma commence à sentir son poil s'humidifier de nouveau. Quelques microgouttelettes d'eau se forment, maintenues à son poil par capillarité, grossissant plus vite par endroit. L'air automnal ne pardonne pas, il suffit qu'on cesse de bouger quelques minutes et déjà…

Coup de Foudre ne dit rien, ne flanche pas. C'est ainsi que Cœur de Puma devine la tornade de pensées dans sa tête cassée. Il espère que c'est fini -il en a marre de se faire du souci, d'être malmené par le grand-huit émotionnel à chaque nouvel élément de réponse. Il veut rentrer. Il veut voir la pile de gibier pleine. Il veut étreindre Rossignol et Lézard. Il veut se lover dans sa litière, s'endormir sans inquiétude pour le lendemain.

Sans se dire que son Clan périra sous la patte d'un expérimentateur à côté de la plaque.

« C'est amusant... » La voix du bengal brise le silence. « Tu me reproches de vouloir changer les choses - de n'en faire qu'à ma tête, vous imposer mes choix - mais dans le même souffle, tu m'avertis que si je ne les change pas, le Tonnerre court à sa perte... » Le rouquin fronce les sourcils, contrarié d'avance par la suite. « C'est lequel, Puma ? »

Ses sourcils se détendent et retrouvent leur place originelle. A vrai dire, c'est tout son visage qui s'apaise; ses oreilles se dressent de nouveau joliment sur son large crâne. La question lui arrache même un sourire subtil -presque vainqueur- quand il répète pour Coup de Foudre : « Je ne donne vraiment pas cher du Clan du Tonnerre. »

Il maintient le contact visuel un instant, comme pour s'assurer que ses mots ont été compris comme il l'entendait, cette fois. Puis se détournant du matou au pelage sombre, il repart nonchalamment vers le Camp. Sa fourrure se recouvrant de nouvelles gouttelettes, comme l'enveloppant à nouveau dans le voile humide dont il s'était débarrassé durant ses accrocs avec Coup de Foudre.

Peut-être que cette discussion se terminait plutôt bien, après tout.

HRP: