Patrouiller sous le soleil - Masque du Serpent, Oeil du Tigre, Arc-en-Ciel et Coeur de Puma - end

Feuilles nouvelles.

Il n'y a bien que sa peine qui s'renouvelle dans cette foutue forêt, pas vrai ?

Quel est ce nom qu'il porte si mal à présent ? Le cœur d'un fauve, son courage ? Il n'a plus rien de tout ça -- qu'un cœur qui se serre tous les jours un peu plus et quand il pense qu'elle n'a jamais vu le printemps…

Qu'il ne verra jamais ses paupières brunes s'ouvrir sur un monde de fleurs, ses narines s'embaumer du fumet délicieux que la pluie printanière réveille du sol et ses pupilles de suivre les pétales dansant au gré des brises légères, d'entendre au loin leurs voisins pêcheurs recommencer à se glisser à l'eau après toute une saison sans nager… lui apprendre à accueillir la vie qui nourrira le nouveau cycle.

Rien.

Parce que sa fille lui a été arrachée, comme sa compagne le fut des lunes auparavant et comme le sera peut-être un jour son fils qu-- son fils. Son fils qu'il aime tant.

Les griffes plantées dans le sol depuis la veille au soir, le vétéran se crispe. Il n'a pas dormi cette nuit. A quoi bon dormir, hein ? Pour avoir la force de se souvenir à quel point il se sent triste ?
Triste et seul.
Mieux se remémorer sa voix éteinte, son flanc tremblant à chaque inspiration et tout son corps vidé ?

Le pelage sombre de Louve des Bois au fond du Camp le décide à se lever. Maudite patrouille - encore Coup de Foudre qui refuse qu'il souffle, ça - et c'est l'enfant que j'ai moi-même entraîné qui passe devant tout l'monde en plus. Non mais. Vous y croyez vous ? Une gamine -pas méchante hein- pour diriger Œil de Tigre et puis lui. Bon… Masque de Serpent à la rigueur…

Et puis merde; les Prophètes sont partis, qu'on lui foute la paix !

Le mâle brun-roux rejoint son ancienne novice au point de rendez-vous, la mine fatiguée et le pelage encore en bataille. Il ne pioche même pas dans la pile de gibiers toute proche, déglutissant bruyamment à la place tandis que la benjamine lui souffle à quel point elle a besoin de se dégourdir les pattes.

« Comme tu dis, Louve des Bois. » marmonne-t-il sans cacher sa mauvaise humeur du jour.

Se dégourdir les pattes ? Nan mais je rêve. On va en patrouille frontalière ou en promenade de santé ?!
Ceci dit, plus vite partis… plus vite rentrés.

HRP:

C'est avec une bonne humeur écrasante que Masque de Serpent rejoint la guerrière sombre et le vétéran balafré. Ce dernier prend à peine le temps de le saluer formellement d'un signe de la tête que déjà, la silhouette discrète d'Œil du Tigre se glisse jusqu'à eux. Une fois à sa hauteur, le borgne lui lance dans toute sa politesse :

« Bonjour Cœur de Puma. La patrouille ne devrait pas durer trop longtemps, il ne fait pas mauvais. »

Excepté que ça fait des jours qu'il ne peut faire bon pour le père endeuillé : bruine printanière ou grand soleil, rien n'y fait; dans sa tête c'est la drache et puis de gros nuages noirs le privent de sourire.
Pour la peine, le vieux mâle tigré ne reçoit pour réponse qu'un hochement de tête appuyé et un vague mouvement de l'oreille droite -côté de Puma qu'il choisit pour s'assoir.

Finalement, c'est Arc-en-Ciel qui arrive en trombe après avoir fait attendre tout le monde. Déjà grognon de toute façon, Cœur de Puma ne saurait lui en vouloir plus qu'il n'en veut déjà à son père de l'embarquer dans une patrouille frontalière. Son retard ? Une épine presque prévisible dans le buisson de ronce de sa journée.

« Nous sommes au complet, en route ! On doit marquer la frontière avec le Clan de l’Ombre aujourd’hui. Comme vous le savez, il faut faire attention aux monstres. »

Le vétéran serre les crocs. Il suffit d'un mot pour que son corps tout entier lui supplie de rester au Camp, de trouver une excuse bidon… Et Coup de Foudre qui lui parlait de damné quelques lunes plus tôt; c'est pourtant lui qu'on condamne à l'horrible sentence. Celle de retourner à l'endroit qui a détruit sa vie une seconde fois.
Là.

Là où courent les Monstres.


Il met un instant à accuser le coup de l'annonce : on ne lui avait certainement pas parlé de rôder près du Clan de l'Ombre, sinon le malheureux n'aurait même pas pris la peine de répondre à ses responsabilités de guerrier. Il aurait tout naturellement trouvé réconfort ailleurs -dans la clairière, près de la Ville, là où les ruines abritent la précieuse cataire qui des lunes auparavant avait noyé son chagr--

La cataire.

La belle saison est de retour, sans doute les brins d'herbe ont-ils eu le temps d'émerger de terre, sans doute les réserves sont-elles encore pleines… Et si… ?

C'est différent maintenant. Maintenant, il aurait bien le droit, non ? On lui a déjà pris sa bien-aimée, voilà qu'on lui arrache sa fille. C'est juste. Est-ce que c'est juste ?
Oh et puis, que la justice se perde dans la Forêt Sombre ! Elle n'avait qu'à être là il y a quelques semaines ! Elle n'avait qu'à sauver Nuage de Rossignol !
Qu'elle crève la justice! qu'elle crève autant que lui d'envie de se remplir la gueule de s'étouffer de cataire jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.
Jusqu'à ce qu'à son tour il s'envole pour les Étoiles, balancé au rythme des effets hallucinants de sa plante préférée, persuadé que c'est Tornade Vive qui le berce dans son poil infiniment doux et chaud...

Pour se donner du courage, il se promet d'aller y faire un tour après cette maudite patrouille. Et en attendant…

S'efforçant de ne pas avoir l'air trop crispé, il indique aux autres de passer devant lui. Il fermera la marche.

HRP: