Bonjour ! Cette fois, j'ai le droit de rester ? [Pv Nuage de la Loutre] - abandon

— « Je suis Nuage de la Loutre...
— "De la Loutre", je vois. »

L'apprentie s'était assied au bord du rocher avec lui, mais en gardant une distance raisonable, comme si elle craignait sa portée. Elle avait raison de se méfier, Coup de Foudre le reconnaissait, seulement elle ne se méfiait pas de la bonne chose.

La force de Coup de Foudre ne s'était jamais trouvée dans ses coups.

— « Tu sais, c'est amusant, il confia à Nuage de la Loutre. Le seul nom dont je me souviens est celui de Souriant, pour des raisons qui se passent d'explications.

Coup de Foudre était doué pour compter. Il n'était pas sans ignorer que Bec Croisé, son fils aîné, avait eu quatre filles exactement. Cela dit il ne connaissait vraiment le nom que d'une seule. Une seule, car une seule avait cette déformation physique qui laidifiait son portrait et qui la faisait zozoter au même titre que le faisait son père. Les autres...

— Présentement, seul avec toi, je n'ai aucune façon de savoir si tu me mens. Je n'ai aucune façon de savoir si tu ne viens pas de me balancer le nom d'une de tes soeurs pour te sauver des représailles.

Malgré les mots lourds d'accusation son ton restait léger: Ha hah, c'est amusant, parce-que ça pourrait marcher! »

Il rentra le menton dans son cou pour rebondir des épaules. Contre toute attente, au lieu de punir l'apprentie, son chef-en-devenir riait sous-cape.

— « Tu es bonne élève, De la Loutre? Dis-moi, t'a-ton appris à quoi nous sert la palissade de Ronces, autour du campement?

— « Les ronces nous aident à nous protéger des éventuelles attaques ?

Coup de Foudre fit la moue, plissant le nez en réfléchissant à haute voix, histoire d'en faire part à l'apprentie:

— M'oui, enfin, "nous protéger", ça n'a pas empêché le Clan du Vent de trouver le campement et de l'assaillir, une fois.

Il haussa les épaules - ses oreilles s'assourdirent avec le souvenir des cris à l'aide de ses propres enfants, apprentis à l'époque, réveillés en pleine nuit par l'assaut de la Terrible Tache d'If. Le souvenir fut de courte durée - il dut forcer à son nez la prochaine goulée d'air car il se sentait à nouveau plongé sous les crus glacés de la Rivière.

Elle bruissait là, toute près.

Aussi dangereuse qu'elle l'avait été cet automne fatidique.

— « Ça me bluffe qu'on ait pas déplacé le campement après quoi... »

Il chassa ses idées d'un battement de l'oreille, d'un mouvement de sa queue, venant plutôt la recourber à ses pattes pour la faire pendre au bord du rocher avec lui. La confusion de Nuage de la Loutre était amusante, tout comme l'était sa graduelle mise en confiance.

De bonne foi, Coup de Foudre la corrigea:

— « Elle ne nous protège pas contre les attaques de chats, pas vraiment, il n'y avait qu'à se rappeler de ce fier-à-bras, Tonnerre, qui avait traversé le tunnel de ronces pour atterir au beau milieu du campement. Plutôt, elle nous protège contre les prédateurs de la forêt.

Tu les connais? T'as-t-on appris tout ce qui vit, en dehors de notre campement? Tout ce qui est capable de te tuer? »

Dans la même veine de pensée, il sortit les griffes, mais plutôt pour retourner sa patte et évaluer leur longueur, penchant sa tête, sa moue de dédain se désaffectant alors qu'il lui demanda: Rappelle-moi qui est ton mentor, d'ailleurs? »

Ah ça, pour être bonne élève, elle l'était.

Si elle s'était un peu trompée quant à l'utilité de leur tunnel de Ronces, De La Loutre se rattrappa en lui faisant toute une liste de la faune qui existait sous le couvert du feuillage des arbres, avec eux. Elle parla de sangliers, de renards, de blaireaux, de ratons laveurs, mais aussi de loups, d'aigles et de faucons même s'il n'en avait jamais personnellement croisé, même s'il n'en avait jamais entendu non plus (et que les faucons et les aigles survolaient plutôt les Landes, favorant les herbes hautes et les rongeurs qui se terraient dedans). Elle lui parla de serpents (couleuvres, vipères, peu importe) et même d'ours même si le Clan se trouvait beaucoup trop près de la Ville pour que des Ours n'érigent domicile dans leur forêt.

À en croire par son torse bombé, de la Loutre était fière de sa petite liste. Elle était fière de savoir comment réciter tout ces mots sur lesquels elle ne savait associer aucune image, aucun danger.

Mais l'important c'est qu'elle comprenait le concept, car elle déchanta, et puis ses yeux s'arrondirent et se plissèrent à la suite et peu à peu l'information fit son chemin entre ses deux oreilles pointues: la palissade de Ronces servait à la protéger elle, et ceux qui étaient comme elle.

C'est bien pour ça qu'on ne leur permettait pas de sortir sans surveillance, aux apprentis sans expérience.

Elle tenta de se racheter - De la Loutre se rapprocha, mais plus encore son poil toucha celui du bengal qui sentit aussitôt une montée de dégoût lui prendre en bouche. Il se contint - un jeu d'enfant - en rentrant les griffes pour poser la patte sur pierre, inspirer son air, et se contenir. La Rivière semblait bruisser plus fort encore derrière eux et sa queue fouetta la pierre en pendant par le rebord.

Coup de Foudre ne dit rien.

De La Loutre lui révéla son mentor: « C'est... c'est Cœur de Puma... Ses pupilles se dilatèrent dans ses yeux : sur son faciès sombre c'est comme s'ils disparurent, le jaune de ses iris plus qu'un anneau frétillant. Mais ce n'est pas de sa faute, il ne va vraiment pas bien en ce moment et je ne veux pas plus l'embêter... »

— « Oh, comme c'est louable, De La Loutre!

Mais quelle bonne apprentie elle était!

— « C'est pour ne pas "l'embêter" que tu as choisi de filer en douce du campement et taper la causette avec le premier venu?

Il tourna sa tête pour la regarder, le sourire radieux, les yeux complètement noirs.

— « C'est pour ne pas l'embêter, bien sûr, que tu tentes les dangers de la forêt sans surveillance?

La Rivière s'évanouit, les arbres, le Noisettier non-loin, cette bosse sous l'herbe en dernier vestige de sa Renardière effondrée.

Il ne vit plus que l'apprentie - il fléchit un coude et envoya sa queue derrière lui d'un demi-tour. D'une abrupte poussée de la patte il la renversa sur la pierre, lui bloquant le dégagé du ciel de toute la longueur de son corps. Il ne feulait pas, son poil était calme, mais sa voix n'était plus exactement la même. Elle était monocorde, dépourvue des inflexions qu'il y mettait dedans pour simuler des émotions:

— C'est pour ne pas l'embêter que tu prends le risque de rentrer de ta prochaine petite excursion - au Verger, si je comprends bien - sous la forme d'un cadavre?

Il lui fit bien voir la pointe de ses dents, bien qu'il ne grognait pas. Il lui fit bien ressentir le piquant du bout de ses moustaches, à défaut de lui faire sentir celle de ses griffes.

La spécialité de Coup de Foudre ne s'était jamais trouvée dans ses coups. La spécialité de Coup de Foudre avait toujours été dans sa façon de manier les mots.

— Alors qu'est-ce qu'on fait, De la Loutre, tu comptes suivre sagement les règles jusqu'à ce que tu aies l'âge de te défendre, ou dois-je te casser une patte pour te dissuader de sortir du Tunnel. »

Il espérait que sa petite démonstration de force ne fasse réaliser au chaton que le danger n'était pas qu'un concept; que la menace était réelle, que la douleur était tangible, et que De la Loutre ne serait pas épargnée des conséquences même si lui et elle partageaient le même sang.

À l'époque où Rossignol était encore en vie, Ciel l'avait attaquée et elle avait répondu à cette attaque: Coup de Foudre les avait punies toutes les deux.

Ce n'était pas de la colère, pas vraiment, mais personne n'aurait pu blâmer une jeune apprentie de sauter à une pareille conclusion après s'être inventée tout un portrait de son aîné. Ça signifiait que Bec n'avait pas du parler à ses filles de lui. Ça signifiait qu'elles ne savaient pas comment il était.

Eh bien.

Quoi de mieux que pendant son apprentissage pour rencontrer enfin et pour de bon le chat qui était son grand-père?

De la Loutre fut frappée par la peur, et avec raison, couinant sous les pattes du bengal comme si une petite protestation lui aurait fait lâcher prise. Un renard ne lâcherait pas prise; une vipère, ne lâcherait pas prise; et un chien? Un chien l'aurait déjà déchiquetée, comme ils avaient déchiquettés sa compagne, feue Secret du Firmament, ex-guérisseuse du Clan avant Amour en Cage.

— « Je... Je ne recommencerais plus... Plus jamais... Elle bredouilla sur un miaulement.

Lorsqu'il lui montra ses dents cette fois, ce fut sur un radieux sourire, fermant ses yeux en lui cachant la noirceur de ses pupilles pour adopter cette joie de vivre parfaitement insouciant.

— Tu mens ♡

Tu crois que j'ai envie que tu me dises ce que je veux entendre? Tu crois que c'est en me suppliant que je vais te libérer?

Il ouvrit les yeux, et fronça ses sourcils, sévère et aussi impitoyable que la Nature elle-même: Bats-toi, De la Loutre.

Sauf quelques chats qui voudront bien te tendre l'oreille et t'ouvrir leur coeur, le monde extérieur n'a aucune clémence. »

Et histoire de peser le point, il pesa davantage son poids sur elle, délibérément inconfortable au point de lui écraser son corps sous ses pattes, qui avaient foulées plus d'une fois les quatre coins de Cerfblanc, reconnaissant en elle ce même désir de vadrouiller, d'apprendre, de se lier d'amitié qui battait dans ses veines.

Elle refusait la voie facile en choisissant la voie pacifiste, alors elle n'aurait d'autre choix que de se battre, comme lui. Ou présentement, contre lui, pour le repousser et se tirer d'affaire par elle-même.

Personne n'était dans les parages.

Personne ne l'aiderait.

C'était sur ses pattes, et ses pattes seulement, qu'elle pouvait compter.